Texte latin (lien externe)
(De J.-C. 217-218)
I. La vie du jeune Antonin Diadumène, que larmée proclama empereur avec son père Opilius Macrin, après lassassinat de Bassianus par le parti de Macrin, noffre rien de mémorable, si ce nest le nom dAntonin qui lui fut donné, et les prodiges étonnants qui lui présagèrent lempire, quil devait posséder si peu de temps. En effet, dès que la mort de Bassianus fut connue parmi les légions, une tristesse profonde sempara de tous les coeurs, parce que la république navait plus dAntonin, et quon était persuadé que la perte de ce nom devait entraîner celle de lempire romain. Instruit de cette disposition des esprits, Macrin, déjà empereur, craignant que larmée ne se prononçât pour quelquun des nombreux Antonins, parents dAntonin le Pieux, qui se trouvaient parmi les chefs, fit aussitôt convoquer lassemblée, et appela du nom dAntonin son fils, cet enfant dont nous parlons. Voici en quels termes il sexprima : « Braves compagnons darmes, vous voyez ici un homme déjà avancé en âge, et Diadumène encore enfant : si les dieux vous favorisent, vous aurez en lui un prince que vous garderez longtemps. Je connais en outre limmense regret que le nom dAntonin a laissé dans vos coeurs. Cest pourquoi, puisque, par une condition inséparable de la fragilité humaine, je ne puis espérer de voir ma vie se prolonger beaucoup encore, je donne avec votre assentiment à cet enfant le nom dAntonin, pour représenter longtemps Antonin parmi vous. » Toute larmée sécria : « Macrin notre empereur, que les dieux te conservent ! Antonin Diadumène, que les dieux te conservent ! Nous prions tous le divin Antonin ! Ô Jupiter très-bon, très-grand, vivent Macrin et Antonin ! Tu le sais, Jupiter, Macrin est invincible ; Macrin est invincible, tu le sais, Jupiter. Nous possédons un Antonin, nous possédons tout. Les dieux nous ont donné Antonin pour père. Antonin est digne de lempire. »
II. Lempereur Macrin dit alors : « Recevez donc, braves compagnons darmes, trois auréus pour lavènement à lempire, cinq pour le nom dAntonin, et les promotions accoutumées, mais doublées. Fassent les dieux que nous renouvelions souvent tout ceci. Tous les cinq ans, je donnerai les mêmes gratifications quaujourdhui. » Après cela lempereur Diadumène Antonin, tout enfant quil était, prit la parole : « Je vous rends grâces, compagnons darmes, pour lempire et le nom que vous mavez donnés, puisque vous nous avez crus dignes, mon père et moi, dêtre proclamés empereurs des Romains, dêtre charmés du soin de veiller au salut de la république. Mon père se fera un devoir de ne pas manquer à lempire, et moi je travaillerai à soutenir lhonneur du nom des Antonins. Je sais combien sera difficile ma tâche, en acceptant un nom qui fut celui de Pius, de Marcus, de Verus. En attendant néanmoins, à loccasion de lavènement et du nom, je vous promets tout autant que mon père, en doublant les honneurs, comme vous la promis le vénérable Macrin mon père, ici présent. » Hérodien, écrivain grec, passant tous ces détails sous silence, se contente de dire que Diadumène fut proclamé César par les soldats, étant encore enfant, et quil fut tué avec son père. Quand lassemblée se fut séparée, on battit à Antioche de la monnaie au nom dAntonin Diadumène. Quant à celle au nom de Macrin, on attendit lordre du sénat. On lui dépêcha donc des lettres dans lesquelles on lui annonçait le nom dAntonin. Ce nom disposa favorablement le sénat pour les nouveaux maîtres de lempire. Quelques-uns cependant pensent que lon nagit en tout cela quen haine dAntonin Caracallus. Lempereur Macrin avait projeté de donner au peuple, en lhonneur dAntonin son fils, des manteaux de couleur rose quon aurait appelés Antoniniens, comme les casaques longues de Bassianus avaient été appelées Caracalles, assurant que son fils serait à bien plus juste titre surnommé Penuleus ou Penularius, à cause de son manteau, que Bassianus Caracallus à cause de sa longue casaque. Il promit au peuple un congiarum par un édit sous le nom dAntonin, ainsi que va lindiquer lédit lui-même : « Je voudrais, citoyens, que nous fussions déjà présents au milieu de vous : votre Antonin vous donnerait le congiarium à loccasion de son nom : en outre, il choisirait parmi vous de jeunes garçons et de jeunes filles, quil appellerait Antoniniens et Antoniniennes, pour immortaliser la gloire dun nom qui vous est si cher, etc. »
lIl. Après cela, il fit distribuer dans les camps des drapeaux et des étendards antoniniens. Il fit faire des statues de Bassianus en or et en argent, et pendant sept jours il y eut des prières publiques pour le nom dAntonin. Cétait le plus bel enfant quon pût voir : taille svelte, chevelure blonde, yeux noirs, nez allongé, menton de la forme la plus belle, bouche qui semblait provoquer les baisers ; naturellement fort, lexercice avait donné de la délicatesse à ses formes. Dès quil eut reçu les habits décarlate et de pourpre, et les autres insignes militaires des empereurs, il parut comme un astre brillant, comme un être tout céleste, dont la beauté devait attirer à lui tous les coeurs. Voilà ce que jai cru devoir dire au sujet de lavènement de cet enfant à lempire. Parlons maintenant des présages qui le lui annonçaient, et qui, tant pour les autres choses que pour cet avènement surtout, sont réellement frappants.
IV. Le jour où il naquit, son père, alors intendant du trésor, vit deux vêtements de pourpre, et, les trouvant fort éclatants, les fit transporter dans la chambre même où deux heures après naquit Diadumène. Autre présage : les enfants naissent ordinairement coiffés dun bonnet naturel que les accoucheuses enlèvent, et vendent aux avocats crédules, auxquels on prétend que ce talisman donne beaucoup de facilité pour la défense des causes : or lenfant dont nous parlons, au lieu dune coiffe entière, napporta en naissant quun cercle très mince en forme de diadème, mais si fort quon ne put le rompre, les membranes qui le composaient étant aussi fortement tendues que la corde dun arc. On raconte que lenfant fut alors appelé Diadémé ; mais quune fois grand, il prit le nom de Diadumène, qui était celui de son aïeul maternel, et qui dailleurs rappelait encore assez bien lidée du diadème. On raconte aussi quà la campagne de son père il naquit douze brebis couleur de pourpre, dont une seulement était tachetée. Le jour même où il naquit, un aigle apporta doucement un petit pigeon, et le plaça sur son berceau pendant quil dormait, puis se retira sans lui faire de mal. Des oiseaux de bon augure vinrent faire leur nid dans la maison de son père.
V. Quelques jours après sa naissance, des astrologues, ayant tiré son horoscope, sécrièrent quil était fils dempereur et empereur lui-même ; ce qui semblait attaquer lhonneur de sa mère, sur laquelle dailleurs, couraient certains bruits. Comme il se promenait à la campagne, un aigle lui enleva son chapeau ; les compagnons de lenfant ayant jeté un cri, laigle alla le porter dans un monument royal qui touchait à la villa où son père était en ce moment, et le posa sur la statue du roi, à la tête de laquelle il sajusta parfaitement. On regarda généralement cette circonstance comme un présage de mort ; ce que lissue confirma. Il naquit en outre le jour anniversaire de la naissance dAntonin, à la même heure, et presque avec les mêmes pronostics quAntonin le Pieux ; aussi annonça-t-on quil serait fils dempereur, et empereur lui-même, mais pas pour longtemps. Le jour où il naquit, une femme du voisinage sécria, dit-on, que, puisque cétait le jour de la naissance dAntonin, il fallait aussi lappeler Antonin ; mais Macrin nosa pas donner à lenfant ce nom réservé aux empereurs, parce que personne de sa famille ne lavait porté, et que, dun autre côté, il eût donné quelque consistance aux doutes que lon avait déjà sur sa puissance prolifique. Tous ces présages et bien dautres se trouvèrent consignés dans un grand nombre de lettres, et en particulier le suivant : Diadumène était en bas âge ; un lion, rompant ses chaînes, et cétait un lion non apprivoisé, senfuit et vint jusquà son berceau. Il lécha lenfant sans lui faire aucun mal ; tandis que sa nourrice, qui par hasard se trouvait seule dans la petite cour où était lenfant, et qui sétait jetée au-devant du lion, périt dune morsure quelle en reçut.
VI. Tels sont les faits concernant Antonin Diadumène que jai crus dignes dêtre rapportés. Jaurais joint sa vie à celle de son père, si le nom dAntonin ne mavait forcé à donner séparément la vie de cet enfant. Car le nom dAntonin exerçait en ces temps un tel ascendant sur les coeurs, que quiconque ne pouvait sen prévaloir, était regardé comme indigne de lempire. Aussi beaucoup dhistoriens croient devoir honorer de ce prénom Sévère, Pertinax et Julianus ; et pensent que les deux Gordien, père et fils, lont porté aussi. Mais autre chose est de lavoir pour nom de famille, autre chose, de lavoir ajouté au sien comme prénom. Antonin le Pieux sappelait de son nom Antonin. Pieux était un surnom. Le vrai nom de Marc-Antonin était Verissimus : ce nom une fois retranché et perdu, ce nest pas comme prénom quil se fit appeler Antonin, ce fut désormais son nom. Verus sappelait Commode ; il perdit ce nom, et reçut celui dAntonin, qui ne fut pas pour lui un simple prénom. Marc-Aurèle appela Antonin son fils Commode, et il le fit inscrire sous ce nom dans les actes publics le jour de sa naissance. Déjà il est hors de doute que cest à la suite dun songe, que Sévère, y voyant lannonce quil aurait pour successeur un Antonin, donna ce nom à Caracallus Bassianus son fils, la treizième année de son âge, au moment, dit-on, où il venait de recevoir la pourpre impériale. Il est bien connu que Geta lui-même, auquel beaucoup dauteurs refusent le nom dAntonin, pour succéder à Sévère, son père, chose, du reste, qui neut pas lieu, reçut ce nom, comme lavait reçu son frère, et par le même motif. Il nest pas moins avéré que Diadumène aussi ne fut appelé Antonin, que pour le recommander aux yeux de larmée, du sénat et du peuple romain, au moment où Bassianus Caracallus était lobjet des plus vifs regrets.
VII. Il existe une lettre dOpilius Macrin, père de Diadumène, dans laquelle il se glorifie moins encore dêtre parvenu à lempire, dont il était le second personnage, que dêtre devenu le père dun Antonin, nom auquel sattachait alors plus déclat quà aucun autre, même quà ceux des dieux. Avant dinsérer ici cette lettre, quil me soit permis de rapporter quelques vers faits contre Commode, qui sétait fait appeler Hercule, afin que tous comprennent que le nom des Antonins fut tellement illustre quaucun nom de divinité ne pouvait sy adjoindre avec avantage.
VERS CONTRE COMMODE ANTONIN.
Commode, où donc aspire un orgueil ridicule ?
Quoi ! tu voudrais quen toi lon reconnût Hercule ?
Comptes-tu pour si peu le nom des Antonins,
Quon doive léchanger pour les honneurs divins ?
Tu méconnais tes droits, tu méprises lempire :
Être dieu, cest donc là ce que ton coeur désire ?
Mais un trône entouré de respect et damour
Vaut-il moins que lencens dune hypocrite cour ?
Tu veux avoir un temple et des autels dans Rome :
Ah ! bien loin dêtre un dieu, tu nes pas même un homme.
Ces vers, composés par je ne sais quel auteur grec, furent traduits en latin par quelque méchant poète. Jai pensé devoir les rapporter ici, pour montrer à tous que les Antonins furent regardés comme supérieurs aux dieux, et de quel amour furent lobjet trois princes de ce nom, honorés comme les types sacrés de la sagesse, de la bonté, de la piété : Antonin, Verus et Marc-Aurèle. Revenons maintenant à la lettre dOpilius Macrin.
OPILIUS MACRIN A NONIA CELSA, SA FEMME.
« Le bonheur qui nous est arrivé, chère épouse, est inestimable. Tu penses sans doute que je parle de lavènement au trône : cest peu de chose que cela ; la fortune en fait autant pour les plus indignes. Je suis père dun Antonin. Tu es mère dun Antonin, Quel bonheur est le nôtre ! ô maison fortunée qui va désormais faire la gloire et la félicité de lempire ! Fassent les dieux, et la bonne Junon, objet de ton culte, que notre fils offre les vertus de son nom, et que moi je paraisse aux yeux de tous digne de lhonneur dêtre le père dun Antonin ! »
VIII. Cette lettre montre combien il croyait avoir acquis de gloire par le nom dAntonin porté par son fils. Cependant Diadumène, dans le quatorzième mois de son règne, fut tué avec son père, non pour aucun motif qui lui fût personnel, mais à cause de la rudesse de commandement et de la sévérité excessive de son père envers les citoyens. Jai pourtant trouvé quen plusieurs circonstances Diadumène se montra plus cruel que ne le comportait son âge ; cest ce quannonce une lettre quil écrivit à son père. On avait découvert une conspiration ; ceux sur qui planaient les soupçons les plus forts furent punis par Macrin avec la dernière rigueur. Mais son fils était absent. Celui-ci, ayant appris que les auteurs de la rébellion étaient morts, mais que parmi eux se trouvait un général arménien, ainsi que les ambassadeurs dAsie et dArabie, quen raison dune ancienne amitié on avait remis en liberté, adressa une lettre à son père et une à sa mère, que jai pensé devoir insérer ici comme monuments historiques.
À LEMPEREUR, LEMPEREUR SON FILS.
« En ménageant les complices de la conspiration, vous navez pas agi, mon père, suivant lamour qui doit nous unir : vous avez espéré quen leur pardonnant, vous vous en feriez des amis, et une ancienne familiarité vous a déterminé à les laisser aller ; il ne pouvait, il ne devait pas en être ainsi. Dabord, le coeur ulcéré des soupçons dont ils ont été lobjet, jamais ils ne vous aimeront ; ensuite la haine nest jamais plus cruelle que chez ceux qui, après une longue amitié, se sont rangés du côté de nos plus grands ennemis. Ajoutez à cela quils ont encore des troupes à leur disposition.
Si ta propre grandeur ne te peut émouvoir,
De ta postérité pourquoi trahir lespoir ?
Pourquoi trahir un fils sur qui déjà se fonde
Le sort de lItalie et lempire du monde ?
« Il faut les frapper si vous voulez être tranquille. Car, par un vice de la nature humaine, si vous ménagez ceux-ci, dautres ne manqueront pas de se montrer. »
Cette lettre, les uns la regardent comme écrite par lui, dautres lattribuent à Célianus son précepteur, ancien rhéteur africain. Elle montre assez clairement ce que serait devenu ce jeune homme sil eût vécu.
lX. Nous avons également la lettre quil écrivit à sa mère ; la voici :
« Notre empereur et maître ne vous aime pas, il ne saime pas lui-même, puisquil laisse la vie à ses ennemis. Faites donc en sorte quArabianus, Tuscus et Gellius soient attachés au poteau ; de peur quà la première occasion, nous ne soyons leurs victimes. »
Si lon en croit Lollius Urbicus, dans lhistoire quil écrivit des événements de son époque, ces lettres, publiées par un secrétaire, firent beaucoup de tort au jeune prince dans lesprit des soldats. Ceux qui venaient de tuer le père, étaient tout disposés à laisser la vie au fils. Mais un officier de la chambre se trouva là qui lut ces lettres en pleine assemblée. Les deux empereurs tués, leurs têtes furent promenées au bout dune pique, et larmée se prononça pour Marcus Aurelius Antonin ; cest le nom qui la décida. Il passait pour fils de Bassianus Caracallus, et était prêtre du temple dHéliogabale. Cétait lhomme du monde le plus dissolu, et, par une destinée fatale, lempire fut avili entre ses mains. Jaurais bien des choses à dire de cet Antonin Héliogabale ; je les rapporterai en leur lieu.