APOLLODORE

Thésée

Ugo Bratelli, 2001

Épitomé, I, 1-24

1. Le troisième exploit de Thésée fut de tuer, à Crommyon, la truie appelée Phaïa, du nom de la vieille femme qui l'avait élevée : certains disent qu'elle était la fille d'Échidna et de Typhon.

2. Puis il tua Sciron, le Corinthien, fils de Pélops, ou peut-être de Poséidon. Sciron habitait sur le territoire de la Mégaride, et contrôlait ce promontoire rocheux, qui, de son nom, fut appelé roche scironienne. Tous ceux qui passaient par là, Sciron les contraignait à lui laver les pieds ; dès qu'ils avaient fini de les lui laver, il les jetait dans la mer où une gigantesque tortue les dévorait. Mais Thésée l'attrapa par les pieds et le précipita dans la mer.

3. Son cinquième exploit eut lieu à Éleusis où il tua Cercyon, le fils de Branchos et de la Nymphe Argiopé. Cercyon obligeait tous les passants à le défier à la lutte, et il les tuait immanquablement : mais Thésée réussit à le soulever et à le fracasser contre terre.

4. Son sixième exploit fut le meurtre de Damastès que certains appellent Polypémon. Celui-là habitait au bord de la route. Il possédait deux lits, l'un très petit et l'autre très grand ; et tous ceux qui passaient par là, il leur proposait d'être ses hôtes. Mais, ensuite, ceux qui étaient petits de taille il les allongeait dans le grand lit et il leur déboîtait toutes les articulations jusqu'à les faire devenir aussi grands que le lit ; et les grands, par contre, il les mettait dans le petit lit, et il sciait les membres de leur corps, qui dépassaient.

5. Thésée nettoya ainsi la route, et arriva enfin à Athènes. Médée, qui entre-temps avait épousé Égée, complota contre lui ; elle persuada son mari de se méfier de Thésée, en lui faisant croire qu'il tramait quelque chose à ses dépens. Ainsi Égée, sans savoir qu'il s'agissait de son fils, s'inquiéta-t-il, et il envoya Thésée tuer le taureau de Marathon.

6. Le jeune homme y alla et le tua, puis il revint à Athènes ; alors Égée lui offrit à boire une coupe contenant du poison, que Médée achevait de préparer. Thésée avait déjà approché la coupe de ses lèvres, et, dans le même temps, il tendait à son père, pour lui en faire cadeau, l'épée qu'il avait avec lui : aussitôt Égée reconnut que c'était son fils, et il renversa la coupe de ses mains. Quand Thésée sut qu'il était le fils d'Égée, et qu'il comprit les machinations de Médée, il la bannit de la cité.

7. Thésée fut ensuite tiré au sort parmi les jeunes gens qui devaient faire partie du tribut à Minos (c'était la troisième fois) ; mais on dit aussi qu'il se porta volontaire. Le navire hissa des voiles noires, et Égée recommanda à son fils de hisser des voiles blanches, s'il revenait sain et sauf.

8. Quand Thésée arriva en Crète, Ariane, la fille de Minos, tomba amoureuse de lui, et elle lui promit qu'elle l'aiderait, si elle obtenait en retour la promesse qu'il la mènerait à Athènes en tant qu'épouse. Thésée en fit le serment, et Ariane obligea Dédale à lui révéler la sortie du labyrinthe.

9. Conseillée encore par Dédale, elle donna à Thésée un fil grâce auquel il pourrait sortir : Thésée l'attacha à la porte et, en le tirant derrière lui, il entra. Ayant débusqué le Minotaure précisément dans la partie la plus reculée du labyrinthe, il le tua à coups de poings puis, en rembobinant le fil, il rebroussa chemin et sortit. Dans la nuit, il arriva à Naxos avec Ariane et les jeunes gens qu'il avait sauvés. Mais là, Dionysos fut pris d'amour pour Ariane et l'enleva ; il l'amena à Lemnos et s'unit à elle. De leur union naquirent Thoas, Staphylos, Onopion et Péparéthos.

10. Affligé par le sort d'Ariane, Thésée repartit, mais il oublia de hisser les voiles blanches. Égée, du haut de l'acropole, aperçut de loin flotter sur le navire les voiles noires, et il pensa que son fils était mort : alors il se jeta dans le vide et mourut.

11. Thésée lui succéda sur le trône d'Athènes, et il tua les cinquante fils de Pallas. Thésée tua aussi tous ses autres adversaires, et il eut le pouvoir absolu.

12. Quand Minos s'aperçut de la fuite de Thésée et de ses compagnons, il en tint Dédale pour responsable, et il l'enferma dans le labyrinthe avec son fils Icare, que Dédale avait eu de Naucraté, une esclave de Minos. Alors Dédale construisit des ailes, et les attacha sur son propre dos et sur celui de son jeune fils, en lui recommandant de ne pas voler trop haut, afin que les rayons du soleil ne fassent pas fondre la colle qui tenait assemblées les plumes, ni non plus trop près de la mer, afin que l'humidité n'alourdisse pas les ailes.

13. Mais Icare, emporté par l'enthousiasme, oublia les recommandations de son père, et vola toujours plus haut. La colle fondit alors, et le garçon tomba dans cette portion de mer qui, à partir de son nom, s'appela ensuite Icarios, et il mourut. Dédale, par contre, se sauva, et il parvint à arriver à Camicos, en Sicile.

14. Minos se lança à la poursuite de Dédale, et, dans chaque région qu'il traversait, il montrait aux habitants un gros coquillage en colimaçon ; ses hérauts promettaient une très grosse récompense à celui qui réussirait à faire passer un fil de lin dans la spirale du coquillage ; seul Dédale, pensait Minos, en serait capable, et de cette façon il découvrirait sûrement où il se trouvait. Et un jour, Minos arriva aussi à Camicos, en Sicile, à la cour de Cocalos, là même où Dédale se cachait ; et là également il fit voir le coquillage.

15. Cocalos le prit, déclara qu'il était en mesure de faire passer le fil, et porta le coquillage à Dédale. Dédale alors fit un petit trou dans le coquillage, puis il attacha le fil de lin à une fourmi, il la fit entrer par là et elle, ensuite, sortit par la partie opposée, après avoir tiré le fil sur toute la longueur de la spirale du coquillage. Quand Minos constata que le problème avait été résolu, il comprit que Dédale se trouvait à la cour de Cocalos, et il demanda qu'il lui fût remis. Cocalos le lui promit et, en attendant, il invita Minos à faire une halte, en étant son hôte : alors qu'il prenait son bain, les filles de Cocalos le tuèrent - certains disent qu'il fut ébouillanté.

16. Thésée combattit aux côtés d'Héraclès contre les Amazones ; il enleva Antiope, peut-être Mélanippé, comme certains le soutiennent ; Simonide, par contre, affirme qu'il s'agissait d'Hippolyté. Pour cette raison, les Amazones firent la guerre à Athènes. Dans la bataille qui se déroula près de l'Aréopage,  les Amazones furent vaincues par Thésée qui se trouvait à la tête des Athéniens.

17. De l'Amazone, Thésée eut un fils, Hippolyte ; ensuite Deucalion lui donna en épouse Phèdre, la fille de Minos. Mais durant la cérémonie des noces, l'Amazone que Thésée avait tout d'abord épousée, se présenta à l'improviste, armée de pied en cap, en compagnie des autres Amazones ; et déjà elle s'apprêtait à massacrer tous les membres présents. Mais aussitôt les portes furent fermées et l'Amazone fut tuée. Certains soutiennent cependant que cette femme fut tuée par Thésée au cours de la bataille.

18. Phèdre donna à Thésée deux enfants, Acamas et Démophon ; puis elle tomba amoureuse du fils de l'Amazone, Hippolyte, et elle chercha à l'attirer à elle. Mais Hippolyte haïssait toutes les femmes, et il refusa toute avance. Alors Phèdre, de crainte qu'Hippolyte n'en rapporte le fait à son père, ouvrit toutes grandes les portes de sa chambre à coucher, déchira ses vêtements et feignit d'avoir été violentée par Hippolyte.

19. Thésée la crut ; il pria alors Poséidon de détruire Hippolyte. Ainsi, un jour où Hippolyte menait son char sur les bords de la mer, Poséidon fit surgir des ondes un taureau. Les chevaux, terrorisés, se cabrèrent, et le char fut renversé et se brisa. Hippolyte, empêtré dans les rênes, fut traîné et mourut. Et quand son amour insensé fut connu, Phèdre se pendit.

20. Ixion tomba amoureux d'Héra et il chercha à lui faire violence ; quand Héra le lui répéta, Zeus voulut s'assurer qu'il en allait bien ainsi. Alors il prit une nuée, il lui donna l'aspect d'Héra, et il la mit dans le lit à côté d'Ixion. Celui-ci sortit pour se vanter d'avoir fait l'amour avec Héra, et aussitôt Zeus l'attacha à une roue, qui, sans aucune cesse, le fit tourner dans le ciel au gré du vent : et encore aujourd'hui Ixion expie ainsi son crime. De l'union d'Ixion et de cette nuée naquit ensuite un Centaure.

21. Thésée combattit aux côtés de Pirithoos quand celui-ci fit la guerre aux Centaures. Pirithoos s'était fiancé à Hippodamie, et au banquet participèrent aussi les Centaures, qui étaient ses parents. Le vin coulait à flots, et les Centaures, qui n'étaient pas habitués à le boire, s'enivrèrent ; aussi, quand l'épouse arriva, ils cherchèrent à la violenter. Alors Pirithoos prit les armes et les attaqua avec l'aide de Thésée, qui en tua plusieurs.

22. Cænéus était né femme, mais, après que Poséidon se fut unie à elle, elle obtint du dieu de devenir un homme invulnérable. Pour cette raison, dans la bataille contre les Centaures, il ne se préoccupa aucunement des blessures, et il en tua un très grand nombre : mais les rescapés le neutralisèrent, il l'étendirent à terre et l'ensevelirent sous un tas de troncs de sapins.

23. Quand Pirithoos se mit en tête d'épouser une fille de Zeus, Thésée passa un accord avec lui : Pirithoos l'aida à enlever de Sparte Hélène, qui avait alors douze ans, et Thésée, en contre-partie, descendit dans l'Hadès pour demander la main de Perséphone, pour Pirithoos.

24. Cependant les Dioscures, avec les Lacédémoniens et les Arcadiens, occupèrent Athènes, enlevèrent Hélène et emmenèrent, prisonnière, la fille de Pitthée, Éthra ; Démophon et Acamas, en revanche, réussirent à s'enfuir. Les Dioscures rappelèrent alors Ménesthée de son exil, et ils lui donnèrent la souveraineté sur Athènes. Quand Thésée descendit dans l'Hadès avec Pirithoos, il fut victime d'une grande machination. Sous le prétexte de leur offrir l'hospitalité, Hadès les fit asseoir sur le Trône de l'Oubli ; et aussitôt leur corps resta collé au siège, tandis que des serpents sinueux montaient la garde. Pirithoos resta enchaîné pour toujours ; Thésée, en revanche, fut libéré par Héraclès, et il retourna à Athènes. Là, il fut banni par Ménesthée ; il se rendit alors à la cour de Lycomède : mais Lycomède le jeta dans un précipice et le tua.