APOLLODORE

Le retour des Grecs dans leur patrie : Ulysse (les Cicones, les Lotophages, le cyclope Polyphème)

Ugo Bratelli, 2003

Épitomé, VII, 1-9

VII, 1. Au dire de certains, Ulysse erra au large de la Libye ; d’autres disent vers la Sicile, d’autres encore vers l’Océan, ou peut-être encore dans la mer Tyrrhénienne.

VII, 2. Ayant quitté Ilion, il aborda à Ismaros, la ville des Cicones, dont il s’empara par la force et qu’il mit à sac, épargnant seulement Maron qui était le prêtre d’Apollon. Quand les Cicones, qui habitaient à l’intérieur des terres, vinrent à l’apprendre, ils prirent les armes contre lui ; il s’enfuit par la mer, après avoir perdu six hommes par navire.

VII, 3. Il débarqua dans le pays des Lotophages et envoya quelques-uns de ses compagnons en éclaireurs. Mais ils goûtèrent au loto, et demeurèrent là où ils étaient. Car en ce pays poussait un fruit très doux, nommé loto, qui faisait perdre la mémoire à celui qui le mangeait. Quand il apprit cela, Ulysse retint ses autres compagnons, et ramena de force aux navires ceux qui avaient mangé du loto. Il leva l’ancre et arriva au pays des Cyclopes.

VII, 4. Ayant laissé tous ses autres navires près d’une île voisine, c’est avec un seul qu’il gagna la terre des Cyclopes ; il y débarqua en compagnie de douze hommes. Non loin de la mer se trouvait une caverne ; Ulysse y pénétra, avec une outre du vin que lui avait donné Maron. C’était la caverne de Polyphème, fils de Poséidon et de la nymphe Thoosa, un géant sauvage et cannibale, qui avait un oeil unique au milieu du front.

VII, 5. Ils allumèrent un feu, sacrifièrent des chevreaux et mangèrent à volonté. C’est alors qu’arriva le Cyclope ; il poussa ses brebis à l’intérieur de la caverne, dont il ferma l’entrée par un énorme rocher ; apercevant  des hommes, il mangea quelques-uns d’entre eux.

VII, 6. Alors Ulysse lui donna à boire un peu du vin de Maron ; il but et en redemanda ; et quand il eut bu, il demanda à Ulysse comment il s’appelait. Ulysse lui répondit qu’il s’appelait Personne. Polyphème répondit qu’il mangerait Personne après tous les autres, que c’était là l’hospitalité qu’il lui offrait en échange. Puis, vaincu par l’ivresse, il s’endormit.

VII, 7. C’est alors qu’Ulysse trouva par terre un bâton ; il l’aiguisa avec l’aide de quatre de ses compagnons, en fit durcir la pointe au feu et aveugla le Cyclope. Polyphème hurla, et appela à son secours tous les autres cyclopes des environs. Ils arrivèrent et lui demandèrent qui lui faisait mal ; « Personne ! » répondit-il. Persuadés que personne ne lui faisait du mal, ils s’en allèrent.

VII, 8. Quand son troupeau bêla pour aller au pâturage, Polyphème ouvrit la porte de la caverne, mais il resta sur le seuil et, les mains tendues, il tâtait toutes ses bêtes. Ulysse attacha ensemble trois moutons, et se glissa sous le ventre du plus gros ; ainsi il put sortir caché au milieu du troupeau. Puis il libéra ses compagnons des liens qui les maintenaient aux moutons, poussa ces derniers vers les navires et, tandis qu’il prenait le large, il cria au cyclope qu’il était Ulysse et qu’ils avaient réussi à lui échapper.

VII, 9. Un devin [1] avait dit au cyclope qu’il serait aveuglé par Ulysse ; quand il entendit ce nom, il saisit des rochers énormes qu’il jeta dans la mer. Le navire les évita de justesse. C’est depuis lors que la colère de Poséidon poursuivit Ulysse.


[1] Ce devin s’appelle Télémos (Belfiore, Dictionnaire de mythologie grecque et romaine, Larousse 2003)