APOLLODORE

La Gigantomachie (suite)

Ugo Bratelli, 2001

Livre I, 6, 3

I, 6, 3. Ainsi les dieux réussirent à vaincre les Géants. Mais Gaia, toujours plus furieuse, s’unit à Tartare et engendra Typhon, en Cilicie, une créature mi humaine et mi bête. Sa force et sa stature dépassaient de loin celles de tous les enfants de la Terre. Jusqu’aux cuisses il avait une forme une humaine, mais d’une énormité effrayante : il était plus grand que toutes les montagnes, et sa tête souvent effleurait les étoiles. Les bras écartés touchaient d’un côté le couchant, et de l’autre l’Aurore, et se terminaient en cent têtes de serpents. Des cuisses jusqu’en haut, il avait des spires démesurés de vipère : s’il les étirait, elles lui arrivaient jusqu’à la tête, et elles émettaient d’horribles sifflements. Son corps tout entier était ailé ; un poil hirsute ondoyait sur sa tête et sur ses joues, et ses yeux étincelaient de flammes. De toute sa monstrueuse grandeur, Typhon se mit à lancer des rochers enflammés contre le ciel lui-même, entre des cris et des sifflements. Et de sa bouche jaillissaient des torrents de feu. Les dieux, quand ils virent qu’il donnait ainsi l’assaut au ciel, s’enfuirent tous en Égypte, et pour n’être pas découverts, ils se métamorphosèrent en animaux. Mais Zeus, de loin, frappa Typhon avec sa foudre, puis il s’approcha de lui et le frappa avec sa faucille d’acier. Typhon se réfugia sur le Mont Casios, qui domine la Syrie, et Zeus le poursuivit et, le voyant ainsi blessé, il l’attacha. Mais Typhon l’enveloppa dans ses spires, l’immobilisa, lui arracha sa faucille avec laquelle il lui coupa les tendons des bras et des jambes. Puis il le mit sur son dos, traversa la mer, le mena en Cilicie, et le déposa dans l’antre Corycien. Il y cacha également les tendons, dans une peau d’ours, et il plaça, comme gardienne, le dragon femelle Delphynès, qui était une jeune fille mi femme mi animal. Mais Hermès et Égypan dérobèrent les tendons et les réadaptèrent en cachette sur le corps de Zeus. Ayant retrouvé sa force, Zeus, aussitôt, gagna le ciel, il monta sur un char tiré par des chevaux ailés et, en lançant ses foudres, il poursuivit Typhon sur la montagne appelée Nysa, où les Moires trompèrent le fuyard et le persuadèrent de manger les fruits de la mort, en lui faisant croire qu’ainsi il retrouverait toute sa force. Et à nouveau Zeus le poursuivit jusqu’en Thrace, où Typhon, pendant le combat qui eut lieu près du mont Hémos lança sur lui des montagnes entières. Mais les foudres de Zeus les firent rebondir vers l’arrière sur lui, et des fleuves de sang inondèrent la montagne, qui, justement, à cause de cet épisode, prit son nom. Typhon chercha à fuir à travers la mer de Sicile, mais Zeus jeta sur lui le très haut mont Etna, et il l’écrasa. Et depuis ce jour, on dit que l’Etna crache du feu, à cause de tous ces foudres lancés. Mais nous avons assez parlé de ces événements.