APOLLODORE

Amycos, Phinée, les Harpyes, Zétès et Calaïs, les Symplégades

Ugo Bratelli, 2001

Livre I, 9, 20-22

I, 9, 20. Partis de Mysie, ils arrivèrent aux pays des Bébryces, où régnait Amycos, le fils de Poséidon et d'une Nymphe de Bithynie. C'était un homme fort et violent, et il défiait tous les étrangers qui s'aventuraient là, dans un concours de pugilat : de cette façon il les tuait tous. Ainsi, même ce jour-là, Amycos s'approcha du navire Argos, et lança un défi au plus brave du groupe pour qu'il se batte contre lui. Le défi fut accepté par Pollux. Et sans tarder son poing frappa le roi à un coude et il le tua[1]. Alors les Bébryces l'attaquèrent, mais ses valeureux compagnons arrachèrent aux ennemis leurs armes, les mirent en fuite et en tuèrent plusieurs.

I, 9, 21. Repartis de là, ils arrivèrent à Salmydessos, en Thrace, où habitait Phinée, le devin aveugle. Certains disent qu'il était le fils d'Agénor, d'autres de Poséidon ; et l'on raconte qu'il fut frappé de cécité par les dieux, parce qu'il prédisait leur avenir aux mortels ; ou bien que ce furent Borée et les Argonautes eux-mêmes à le faire, parce que Phinée avait d'abord rendu aveugles ses fils, sur l'instigation de leur belle-mère ; mais il existe encore une autre version, suivant laquelle Poséidon le priva de la vue, parce qu'il avait révélé aux fils de Phrixos la route qui menait de Colchide en Grèce. Les dieux lui avaient aussi envoyé, pour accroître son tourment, les Harpyes : créatures ailées, chaque fois que Phinée se mettait à table, elles tombaient du ciel pour lui voler toutes les choses, et le peu qu'elles laissaient s'imprégnait d'une telle puanteur qu'on ne pouvait même pas s'en approcher. Les Argonautes voulaient apprendre de Phinée la bonne route pour leur voyage, et le devin promit de tout leur révéler, à condition qu'ils le libèrent des Harpyes. Alors les Argonautes préparèrent une table garnie : aussitôt les Harpyes s'y précipitèrent en poussant d'horribles cris, et elles emportèrent toute la nourriture. Quand ils les virent, Zétès et Calaïs, les fils de Borée, qui étaient ailés, brandirent leur épée et se mirent à leur poursuite à travers le ciel. Ainsi le voulait le destin, que les Harpyes meurent de la main des Boréades. Mais également pour ces deux jeunes gens, ce jour devait être leur dernier, parce qu'ils mourraient sans avoir réussi à les capturer. Dans leur fuite, une des Harpyes (de son nom Nicothoé ou Aellopoda) tomba dans le Tigris, qui maintenant, de son nom, est appelé Harpys ; l'autre, (que l'on appelle Ocypété, ou bien Ocythoé, mais Hésiode la nomme Ocypode[2]) s'enfuit au-delà de la Propontide et rejoignit les îles Échinades, celles qu'à présent nous appelons Strophades, justement parce que la Harpye, quand elle y arriva, changea de direction (estràphe) et vola vers la terre ferme, où elle tomba d'épuisement, en même temps que son poursuivant. Apollonios, dans ses Argonautiques, soutient pour sa part que les Boréades réussirent à les rejoindre, précisément aux îles Strophades, mais ils ne leur firent ensuite aucun mal, parce que les Harpyes jurèrent de ne plus tourmenter Phinée.

I, 9, 22. Finalement, libéré des Harpyes, Phinée révéla aux Argonautes comment se préparer au voyage, et il les mit en garde contre les roches Symplégades, qu'ils rencontreraient sur la mer. Ces deux énormes rochers, mus par la violence du vent, se heurtaient l'un l'autre, interdisant la route de la mer. Ils étaient toujours enveloppés de brume et d'un fracas épouvantable, et pas même les oiseaux ne parvenaient à les franchir. Phinée conseilla aux Argonautes de faire voler une colombe au milieu des rochers ; s'ils la voyaient saine et sauve, alors eux aussi pouvaient se risquer à passer. Mais si elle échouait, il était préférable d'éviter toute tentative. Sachant cela, les Argonautes reprirent la mer. Et quand ils furent proches des Symplégades, de la proue ils libérèrent une colombe, et elle réussit à voler jusque de l'autre côté, laissant uniquement, quand les deux rochers se refermèrent, l'extrémité de sa queue. Alors les Argonautes attendirent que les Symplégades s'ouvrent à nouveau, puis, en ramant de toutes leurs forces (avec l'aide d'Héra), ils franchirent le défilé : seule l'extrémité de l'aplustre fut coupée. Depuis lors, les Symplégades sont immobiles : c'était en effet le destin que, si un navire réussissait à les franchir, ces rochers demeureraient immobiles pour toujours.


[1] Curieuse façon de tuer quelqu'un... (NDT)
[2] Hésiode, Théogonie, (267) : « les Harpyes à la grande chevelure, Aello et Ocypété... »