SUR AULUS SABINUS

D’après le témoignage d’Ovide, Aulus Sabinus avait promené sa muse dans toutes les parties du monde, et était rentré à Rome chargé d’un riche butin littéraire. Mais une mort prématurée l’avait empêché de mettre la dernière main à ses travaux, particulièrement à sa tragédie de Trézène et à son poème des Jours.

Ovide lui attribue les héroïdes suivantes : Ulysse à Pénélope, Hippolyte à Phèdre, Énée à Didon, Démophon à Phyllis, Jason à Hypsipyle.

S’il nous était permis d’exprimer notre jugement sur l’auteur des trois héroïdes dont nous donnons la traduction, nous trouverions en lui plus à louer qu’à reprendre. Il n’a pas sans doute le génie facile, la brillante poésie et l’élégante diction de son modèle ; il manque parfois de liaisons dans ses idées, de moelleux dans ses phrases et de clarté dans son style ; il abuse de l’érudition à un tel point, qu’on ne saurait ; en quelque sorte, le comprendre qu’à l’aide d’un dictionnaire de l’antiquité. Mais, quoique ses vers n’offrent pas constamment une latinité pure et correcte, ils sont généralement doux et coulants. Quant au fond des pensées, il fait preuve d’esprit, et cet esprit n’est pas dénué de malice ; c’est celui des contes de Boccace et de La Fontaine. Outre cela, il ne s’attache pas tellement à subtiliser ses idées, qu’il ne laisse quelque place à la passion et aux douces émotions de l’âme. Dans chacune de ses héroïdes, et particulièrement dans l’épure de Démophon à Phyllis, il déploie une vive imagination et une sensibilité délicate ; il émeut, il attendrit ; et, surpris de l’heureuse inspiration du poète, le lecteur s’imagine un instant qu’Aulus Sabinus lui est rendu, ou qu’Ovide lui-même s’est fait l’ingénieux interprète des sentiments de son ami.

Afin de répandre à la fois plus d’intérêt et de clarté sur les héroïdes de Sabinus, nous allons donner une rapide analyse de celles d’Ovide. La connaissance de ces lettres fera mieux apprécier et comprendre les réponses de notre auteur.

Dans la lettre que Pénélope écrit à Ulysse, elle se plaint de la lenteur du retour de son époux, et s’abandonne à de tendres alarmes. Le sort de Troie est décidé ; les Grecs sont de retour ; les femmes entendent de la bouche de leurs maris le récit de leurs exploits ; et cependant Pénélope n’a rien appris sur la destinée d’Ulysse. Elle est en proie à une vive perplexité. La prise de Troie n’a nullement influé sur son sort ; Ilion a péri pour les autres, mais non pour elle.

Elle ignore où est son époux, et ne cesse de lui écrire sans pouvoir obtenir aucun renseignement sur le lieu qu’il habite. Son imagination inquiète lui fait supposer un motif coupable à son retard. Ulysse est sans doute retenu loin d’elle par un amour étranger.

Néanmoins Pénélope sera toujours la fidèle épouse d’Ulysse en dépit des poursuivants qui aspirent à sa main. Quoiqu’elle n’ait pour appui qu’un vieillard et un enfant, elle trouvera dans sa vertu assez de force pour leur résister. Elle conjure son époux de ne pas tarder davantage : l’instruction de Télémaque réclame sa présence, et le vieux Laërte attend qu’Ulysse vienne lui fermer les yeux.

On remarque plus de chaleur dans la seconde héroïde que dans la première. Ce n’est plus une femme vertueuse qui accuse les retards de son époux, c’est une amante passionnée qui se plaint de son amant. Démophon, prince grec, avait promis, par des engagements sacrés, de venir, après le siège de Troie, se fixer auprès de Phyllis dans le royaume de Thrace, et depuis quatre mois il avait manqué à sa parole.

La princesse attendait, mais en vain. Pour excuser le retard de son amant, elle maudit tour à tour les vents contraires, et Thésée qui le retient à Athènes. Cependant Démophon ne reparaît pas. Que sont devenus ces serments auxquels Phyllis ajoutait. tant de foi ?

Elle a trop aimé Démophon : sa tendresse et ses bienfaits sont également méprisés. Dans son désespoir, elle invoque la mort ; elle veut recourir aux flots, au poison, au fer ou au lacet. Le dédaigneux oubli de son amant sera la seule cause de son trépas.

Si la lettre de Phyllis respire l’amour, la colère a dicté celle d’Oenone. L’infortunée reproche à Pâris de s’être indignement joué de ses promesses. Elle avait daigné répondre aux voeux d’un simple berger, et l’ingrat l’a trahie.

Le retour de Pâris était l’objet de ses plus ardents désirs ; mais Pâris était revenu de Troie avec Hélène. L’amertume éclate d’abord dans les plaintes qu’elle lui adresse. Cependant l’attendrissement succède peu à peu à l’indignation : Oenone revient à des sentiments plus doux ; elle évoque de touchants souvenirs et rappelle à Pâris les moments de leurs premières amours. Son inconstance ne l’a point rendue elle-même volage.

Elle implore la tendresse du fils de Priam, et paraît compter bien plus sur la générosité de ses sentiments que sur l’art magique qu’elle tient d’Apollon : don fatal et stérile qui ne lui offre contre l’amour que des remèdes impuissants.