Le système fiscal à Athènes comprenait en premier lieu les taxes douanières perçues à l’entrée ou à la sortie sur les marchandises, puis un impôt sur le revenu, non permanent, mais que le vote populaire établissait pour une courte période en cas de guerre ou de crise pressante. De plus, les citoyens les plus riches étaient astreints à des liturgies qui étaient de différentes sortes. Ils devaient : 1. équiper et entretenir les galères fournies par l’État ; 2. réunir et instruire les choeurs pour les représentations scéniques ; 3. organiser les fêtes où se disputaient les couronnes gymniques ; 4. pourvoir aux frais des repas publics qui avaient lieu aux fêtes des tribus. Ces différentes liturgies étaient assez coûteuses, mais la plupart des citoyens de la classe aisée s’en acquittaient en général volontiers, parce que c’était pour eux un moyen de se faire connaître du peuple et de se recommander à ses suffrages. Quelques-uns jouissaient d’exemptions qui leur avaient été concédées pour services rendus à la cité, et qui se transmettaient assez souvent à leurs descendants. Mais elles ne portaient en général que sur les liturgies ; ainsi elles ne compromettaient pas les revenus publics, puisque d’autres citoyens étaient obligés de concourir aux frais du théâtre, des jeux gymniques, ou des repas communs, à la place de ceux qui en étaient exemptés.
Cependant l’inégalité des charges choquait certains esprits, d’autant plus que le peuple avait depuis quelque temps prodigué les immunités.
Leptine se fit le représentant de ces plaintes, et proposa un décret qui supprimait toutes les exemptions et interdisait, sous les peines les plus sévères, d’en réclamer jamais le rétablissement. Cette proposition fut votée par l’assemblée ; mais, comme elle était en désaccord avec la législation en vigueur, elle ne pouvait être appliquée, d’après la constitution athénienne, qu’après l’abrogation des lois préexistantes contradictoires. Jusque-là l’auteur d’une proposition de ce genre pouvait être cité en justice pour illégalité ; c’est une accusation de ce genre que Bathippe et deux autres citoyens intentèrent à Leptine. Bathippe étant mort sur ces entrefaites, la poursuite fut interrompue, mais elle fut reprise, l’année suivante, par Apséphion, fils de Bathippe, et Ctésippe, fils de Chabrias ; tous deux, fort jeunes, se firent assister, l’un par Phormion, l’autre par Démosthène qui, à peine âgé de trente ans et encore assez peu connu, saisit l’occasion de porter pour la première fois la parole dans un grand procès politique. L’orateur soutient que la loi de Leptine porte atteinte à la souveraineté du peuple, en lui enlevant le droit de récompenser, s’il le juge à propos, les services rendus, qu’elle est contraire à l’honneur de la cité, en violant les engagements solennellement contractés ; enfin, qu’elle est impolitique, parce qu’elle découragera les meilleurs citoyens.
Démosthène et Phormion obtinrent gain de cause. Leptine lui-même était mis à l’abri de toute peine par la prescription, la responsabilité de l’auteur d’une proposition ne dépassant pas la période d’une année ; mais sa loi fut abrogée. Les immunités subsistèrent, avec cette restriction que des poursuites pourraient être exercées contre ceux qui les auraient obtenues frauduleusement, ou s’en seraient ensuite montrés indignes.
Juges, c’est surtout parce que je crois l’abrogation de la loi utile à Athènes, et aussi dans l’intérêt du fils de Chabrias[2], que j’unis mes efforts à ceux des orateurs[3] qui ont déjà abordé ce sujet. Il est clair, Athéniens, que Leptine ou tout autre défenseur de la loi, n’ayant pas de motif légitime à invoquer, ne manquera pas de dire que certains hommes ont obtenu l’exemption sans la mériter, et se sont ainsi soustraits aux charges publiques ; c’est l’idée sur laquelle nos adversaires insisteront le plus. Mais n’est-il pas inique, parce que quelques-uns sont blâmables, de dépouiller tous les autres de vos dons ? C’est ce qu’on a déjà dit, et vous en êtes sans doute convaincus ; je n’y insisterai donc pas ; mais voici une question que j’adresserais volontiers à Leptine : Quand même tous ceux qui ont obtenu des faveurs en seraient aujourd’hui indignes, faut-il frapper le peuple en même temps qu’eux ? Proposer en effet que nul ne puisse jouir de l’exemption, c’est enlever ce privilège à ceux qui le possèdent ; mais ajouter qu’à l’avenir il ne sera pas permis de l’accorder, c’est vous interdire de faire aucun don. Si Leptine a cru que tous ceux qui jouissent de l’exemption en sont indignes, pensait-il que le peuple aussi est indigne de disposer de ses dons ? Mais, répliquera-t-il, le peuple se laisse facilement tromper ; et c’est là ce que vise la loi. Qui empêche, à ce compte, de vous enlever absolument tout pouvoir politique ? Car il n’est aucun de vos droits dans l’exercice duquel vous n’ayez été parfois induits en erreur. C’est ainsi que vous vous êtes souvent laissé entraîner à voter des résolutions funestes, à choisir pour allié le peuple le plus faible de préférence au plus fort : parmi tant de questions qui vous sont soumises, de tels accidents sont inévitables. Faut-il pour cela porter une loi qui décide qu’à l’avenir il sera interdit au Sénat et au peuple de rien proposer et de rien voter ? Je ne le pense pas ; il n’est pas juste que nous soyons dépouillés d’un droit, parce qu’un jour, nous laissant égarer, nous en avons mal usé ; ce qu’il faut, c’est que nous soyons éclairés de façon à ne plus retomber dans la même erreur, et qu’une loi, sans nous enlever notre pouvoir suprême, châtie celui qui nous aura trompés[4].
Mais laissons cela et examinons en elle-même cette question : Qu’y a-t-il de mieux pour vous ? Rester maîtres de disposer de vos dons, au risque d’être quelquefois dupés et d’en gratifier un mauvais citoyen, ou bien vous dépouiller complètement de vos droits et vous interdire d’accorder une distinction à celui même que vous en reconnaissez le plus digne ? Je ne doute pas que de ces deux alternatives vous préfériez la première. Et pour quel motif ? C’est qu’en honorant plus de gens qu’il n’est à propos, vous excitez chez beaucoup le désir de bien faire, tandis qu’en ne récompensant personne, même ceux qui le méritent le plus, vous éteindrez chez tous l’émulation. En outre, c’est naïveté sans doute d’honorer qui n’en est pas digne, mais ne pas rendre le bien pour le bien, c’est un acte coupable. Si donc il vaut mieux être taxé de naïveté que d’ingratitude, il est plus honorable aussi d’abroger la loi de Leptine que de la ratifier[5].
Ainsi, en y réfléchissant, il me paraît peu raisonnable, parce que certaines faveurs peuvent être justement critiquées, de dépouiller de bons citoyens des privilèges que leurs services ont mérités. Car si, avec le système actuel, il y a, au dire de nos adversaires, des hommes pervers et indignes de vos dons, à quoi faut-il s’attendre, quand il n’y aura plus nul avantage réservé aux bons citoyens ?
Songez aussi qu’en vertu d’anciennes lois encore en vigueur, et que Leptine lui-même n’oserait critiquer, quiconque a exercé une charge publique, en est affranchi pour l’année suivante, de sorte qu’il jouit d’une immunité pendant la moitié du temps. Eh bien ! ce privilège dont profitent une année sur deux tous ceux même qui ne vous ont rendu aucun service, vous en dépouilleriez vos bons serviteurs, après les en avoir gratifiés ? Non certes ! ce serait un manque de foi qui vous siérait moins qu’à tout autre peuple. Voyez, en effet, Athéniens : la loi punit la fraude dans les marchés, alors que cette fraude n’entraîne aucun dommage public ; ne serait-il pas honteux que la ville, dans ses actes politiques, violât cette loi qu’elle a elle-même imposée aux particuliers et trompât ses meilleurs serviteurs, alors surtout qu’une telle conduite peut lui être si gravement nuisible[6] ?
Sans doute, il n’y a pas perte d’argent, mais vous risquez votre bonne renommée qui vous est plus chère que l’argent ; et vos ancêtres pensaient comme vous à cet égard ; ce qui le prouve, c’est que, possesseurs d’immenses richesses[7], ils ont tout sacrifié à l’honneur ; pour soutenir leur renom, ils n’ont reculé devant aucun péril, et n’ont cessé même de prodiguer leurs fortunes privées. Aujourd’hui, cette loi change votre gloire si pure en une honte indigne de vous-mêmes autant que de vos ancêtres ; elle est cause qu’on vous taxera des trois vices les plus dégradants : l’envie, la déloyauté, l’ingratitude.
Il n’est donc nullement conforme à votre caractère de ratifier une pareille loi ; c’est ce que j’essaierai de prouver brièvement ; mais je veux d’abord rappeler un fait tiré de notre histoire. Les Trente[8], dit-on, avaient emprunté de l’argent aux Lacédémoniens pour combattre le parti démocratique qui tenait le Pirée. Quand la concorde fut rétablie, les troubles apaisés, les Lacédémoniens envoyèrent une ambassade pour réclamer la somme prêtée. Il y eut de longs pourparlers : les uns voulaient que les emprunteurs, c’est-à-dire les habitants d’Athènes, acquittent seuls la somme due, les autres pensaient que la meilleure preuve de concorde était de s’associer tous pour acquitter la dette. Le peuple assemblé décida, dit-on, que chacun contribuerait et accepterait une part dans la dépense, afin de ne compromettre en rien l’accord établi. Eh bien ! Athéniens, quand, par respect de la parole donnée, vous vous êtes imposés au profit de ceux dont vous aviez tant à vous plaindre, ne serait-il pas étrange si aujourd’hui que vous pouvez gratuitement vous montrer justes envers vos bienfaiteurs, en abrogeant la loi, vous préfériez trahir leurs intérêts ?
Notre cité est, par nature, loyale et honnête, Athéniens ; bien des faits l’attestent, entre autres celui que je viens de vous rappeler ; elle examine non ce qui rapporte le plus, mais ce qu’exige l’honneur. Quant à l’auteur de la loi, quels furent ses autres actes ? je ne le sais ; et je me ferais un reproche de mal parler de lui[9] ; mais, en portant cette loi, il me semble que son caractère est bien en désaccord avec celui de la ville ; or, il vaut mieux, à mon sens, que Leptine se conforme à vos habitudes en renonçant à sa loi, que vous aux siennes, en la confirmant ; il est plus utile et pour vous et pour Leptine lui-même de le persuader de paraître vous ressembler, que de décider la ville à se faire semblable à lui. Si honnête qu’il soit, et, pour ma part, je l’admets volontiers, on ne peut prétendre qu’il ait dans sa conduite plus de droiture qu’Athènes.
Je crois, juges, que vous serez mieux à même de délibérer sur la question présente, si vous comprenez que la loi de Leptine détruit la seule supériorité qu’aient les faveurs des démocraties sur celles des autres régimes. Les rois et les chefs de gouvernements aristocratiques disposent de dons plus importants : ils peuvent enrichir à l’instant qui bon leur semble ; mais ceux que dispensent les démocraties sont plus honorables et plus solides. Qu’on puisse les accepter sans rougir, parce qu’on ne les doit pas à la flatterie ; que l’honneur obtenu sous un régime égalitaire paraisse plus certainement le prix du mérite, ce sont là de précieux avantages. L’estime spontanée de nos égaux a plus de prix que les dons d’un maître, quelle qu’en soit la valeur. Dans le dernier cas en effet, l’incertitude de l’avenir efface la joie présente, tandis que chez vous ce qu’on a obtenu, on ne redoute pas de le perdre, au moins jusqu’à présent. Celui donc qui ébranle la confiance qu’inspiraient vos faveurs, en détruit la seule supériorité. Otez à quelque gouvernement que ce soit le droit de récompenser ceux qui sont attachés au régime établi, vous le privez par là d’un de ses plus solides appuis.
Peut-être Leptine essaiera-t-il de faire dévier la discussion, en vous disant qu’aujourd’hui les charges publiques retombent sur des pauvres, et que, grâce à sa loi, les plus riches seuls auraient à les supporter. Cette objection semble, à première vue, de quelque poids ; mais, si on l’examine de près, ce n’est qu’un leurre. Il y a chez nous deux espèces de liturgies, les unes incombent aux métèques[10], les autres aux citoyens ; et dans ces deux classes il y a des immunités que la loi en discussion supprime. Quant aux contributions[11] et aux triérarchies qui intéressent la préparation à la guerre et le salut de l’État, nul, comme il est à propos et juste, n’en est exempté d’après les anciennes lois, même ceux qu’exempte Leptine, les descendants d’Harmodios et d’Aristogiton[12]. Calculons donc à combien de nouveaux chorèges il impose les liturgies ordinaires, et combien s’en trouveront déchargés, si nous n’adoptons pas sa loi. D’un côté, les plus riches citoyens, alors qu’ils sont triérarques, sont toujours exempts de liturgies, et ceux qui possèdent moins que le minimum fixé[13] en sont également déchargés. Voici donc deux classes qui n’ajouteront pas un seul chorège d’après la loi nouvelle. Mais, réplique-t-on, elle en fait entrer beaucoup dans la liturgie des métèques. — Ah ! je me reconnais pour un sot, si l’on m’en indique seulement cinq. Mais supposons qu’il n’en soit pas ainsi, que la loi introduise dans les liturgies un plus grand nombre de métèques, et que parmi les citoyens, il n’y en ait plus un seul qui jouisse de l’immunité, en qualité de triérarque[14].
Examinons ce que l’État gagnera à l’admission de ces nouveaux membres dans les liturgies. Le profit, à coup sûr, sera bien inférieur à la honte qui résultera d’une telle mesure. Voyons en détail : Parmi les étrangers admettons qu’il y ait dix exemptés, et, par tous les dieux, comme je le disais tout à l’heure, je ne crois pas qu’il y en ait cinq. Parmi les citoyens, il n’y en a pas plus de cinq ou six : en tout donc, seize. Supposons encore qu’il y en ait vingt, ou même trente. Combien sont ceux qui, chaque année, s’acquittent des liturgies régulières, comme chorèges, gymnasiarques, ou organisateurs de festins publics ? Ils sont soixante, ou peut-être un peu davantage. Eh ! bien, pour que trente personnes en plus participent à des charges réparties sur un long cycle d’années, nous consentirions à ce que tous soient mis en défiance contre nous. Nous savons bien d’ailleurs que, si notre constitution subsiste telle qu’elle est, les liturgies ne manqueront pas de titulaires ; nul au contraire ne voudra plus nous rendre de services, si nous traitons mal ceux qui nous en ont rendu dans le passé. Et si même, par impossible, les chorèges venaient à faire défaut, ne vaudrait-il pas, certes, bien mieux former des associations pour les chorégies, comme il y en a pour les triérarchies[15], que d’enlever à nos bienfaiteurs le don que nous leur avons fait ? Maintenant c’est seulement pendant que chacun, à tour de rôle, s’acquitte d’une liturgie, que les autres en sont déchargés, et, quand viendra leur tour, il leur faudra faire des dépenses fort considérables ; mais si, dans les associations que je propose, chacun n’était appelé à contribuer que d’après ses facultés, nul ne serait gravement atteint, alors même que son avoir serait très modique.
Il y a, Athéniens, des gens de si peu de sens qu’ils ne trouvent rien de mieux à dire que ceci : « Il est étrange que dans une cité dont les finances sont épuisées, des particuliers s’enrichissent en jouissant, de l’immunité. » Parler ainsi est doublement erroné. D’abord si un citoyen a de grands biens, sans avoir fait tort à aucun de vous, il n’y a pas lieu de lui porter envie ; peut-on prouver au contraire que sa fortune provient de rapines ou de quelque autre procédé coupable, il y a des lois d’après lesquelles on le peut châtier. Si on ne le poursuit pas, on ne peut non plus parler ainsi de lui. D’un autre côté, Athènes n’a pas de trésor public ; c’est regrettable ; mais serez-vous plus riches, en supprimant les immunités ? Les dépenses qu’entraînent les liturgies n’ont aucun rapport avec les revenus ou la fortune de la ville. En outre, si la richesse est un bien, l’estime de tous en est un autre ; or, le renom de loyauté, Athènes le possède. De ce que nous n’avons pas de richesses, est-ce à dire que nous ne jouissions pas d’une bonne réputation ? ce serait un étrange raisonnement. Pour moi, je prie les dieux de tout coeur, que, grâce à leur protection, nous acquérions de grandes richesses ; mais je veux au moins que l’on continue de voir en nous un peuple loyal et fidèle à ses engagements.
Quant aux ressources que, selon nos adversaires, certains citoyens acquerront grâce aux immunités, je vais vous montrer que c’est à vous qu’elles reviendront, quand vous en aurez besoin. Vous n’ignorez pas que nul n’est exempt de la triérarchie ou des contributions de guerre. Celui donc qui a de grands biens, qu’il jouisse ou non d’immunités, contribue largement sous ce double rapport ; c’est de toute nécessité. Or, ce sont là les ressources les plus importantes pour la ville. Les dépenses faites pour les chorégies ne procurent aux spectateurs qu’un plaisir de quelques heures, tandis que des préparatifs militaires largement dotés assurent à jamais le salut de la cité tout entière. Ainsi ce que vous remettez d’un côté, vous le retrouverez de l’autre ; et vous accorderez à titre honorifique une exemption que possèdent, sans que vous la leur ayez concédée, ceux que leur fortune inscrit parmi les triérarques. J’ai dit que l’immunité ne s’étend jamais aux triérarchies : vous le savez sans doute ; en tout cas, on va vous lire l’article de la loi qui règle cette question.
Loi.
Nul n’est exempt des triérarchies, excepté les neuf Archontes.
Vous le voyez, Athéniens, la loi dit expressément que nul n’est exempt des triérarchies, à l’exception des neuf Archontes. Ainsi, des exemptés ceux dont l’avoir est inférieur au cens établi pour la triérarchie contribueront, mais seulement en cas de guerre, et ceux que leur fortune classe parmi les triérarques vous seront doublement utiles, comme triérarques et comme contribuables. Quel soulagement, Leptine, ta loi apporte-t-elle donc au public, en ajoutant par chaque tribu ou plutôt par deux tribus[16] un unique chorège qui, après avoir exercé une fois cette fonction, à la place d’un autre, s’en trouvera libéré[17] ? Je ne le vois pas. Mais la loi frappe la cité tout entière d’un honteux renom de déloyauté. Si donc elle nuit bien plus qu’elle n’est utile, ce tribunal[18] ne doit-il pas en provoquer l’abrogation ? oui, il le doit !
En outre, Athéniens, la loi de Leptine stipule expressément que nul parmi les citoyens, les isotèles[19] ou les étrangers n’est exempt ; elle ne distingue pas de quel genre d’exemption il est question, s’il s’agit de chorégie ou de telle autre charge publique ; elle dit simplement : nul n’est exempt, excepté les descendants d’Harmodios et d’Aristogiton ; le mot « nul » est absolument général ; et pour les étrangers la loi ne spécifie pas ceux qui habitent à Athènes. Il en résulte qu’elle enlève aussi à Leucon, souverain du Bosphore[20], et à ses fils l’immunité dont nous les avions gratifiés. En effet, Leucon est étranger par sa naissance, vous en avez fait un citoyen. A ce double titre la loi en question lui refuse l’immunité. Et cependant vos autres bienfaiteurs ne vous ont rendu que des services passagers, tandis que, si vous y réfléchissez, vous reconnaîtrez que Leucon ne cesse de vous en rendre, et vous assiste dans ce qu’il y a de plus important pour Athènes. Vous savez que nous sommes de tous les peuples celui qui fait le plus usage de blé importé ; or, le Pont-Euxin nous fournit à lui seul autant de blé que tous les autres marchés réunis. La raison en est d’abord que cette contrée produit beaucoup de blé, mais aussi que son souverain Leucon a accordé l’exemption de tous droits aux négociants qui importent ce blé à Athènes, et décrété que les navires, en destination de votre port, chargeraient les premiers. Tel est le privilège que Leucon vous a concédé, en retour de l’immunité dont il jouit pour lui-même et pour ses enfants. Et voyez de quelle importance est ce privilège. Ce prince prélève un droit du trentième sur les cargaisons qui sortent de ses états. Or, la quantité de blé que vous en importez s’élève environ à quatre cent mille médimnes ; c’est ce que constatent les registres des agents préposés aux céréales. Ainsi, sur trois cent mille médimnes Leucon vous en donne dix mille, et, par chaque centaine de mille, un peu plus de trois mille. Et loin de songer à nous retirer un don si généreux, il a établi à Théodosie[21] un autre marché qui, au dire de nos marins, vaut presque celui du Bosphore, et, là aussi, il nous a accordé l’immunité ! Sans parler de tant d’autres bienfaits que nous devons à ce prince et à ses ancêtres, je rappellerai seulement qu’il y a deux ans, alors que la disette sévissait partout, il ne vous en a pas moins envoyé le blé nécessaire à votre subsistance, et, en telle abondance même, que vous avez pu en revendre pour une somme de quinze talents, que Callisthène[22] a encaissée. Eh ! bien, ce Leucon qui se conduit de la sorte à votre égard, que fera-t-il, s’il apprend qu’une loi lui retire l’immunité, et que, quand même vous regretteriez cette mesure, vous n’aurez plus le droit de lui rien accorder ? Ne comprenez-vous pas que cette même loi, si elle est confirmée par vous, enlèvera l’immunité à ce prince, et, en même temps leur privilège aux négociants qui importent le blé de ses états ? Car vous n’imaginez pas que, la faveur qu’il tient de vous une fois supprimée, il maintienne celle que vous tenez de lui. Ainsi, outre tant de dommages évidents qu’elle vous cause, la loi de Leptine vous dépouille d’un précieux avantage. Eh ! bien, avez-vous encore à examiner si vous devez l’abroger ? n’y êtes-vous pas dès longtemps décidés ? — Qu’on lise les décrets qui s’appliquent à Leucon.
DÉCRETS
Combien Leucon a obtenu de vous à juste titre l’immunité, c’est ce qui ressort des décrets que vous venez d’entendre, Athéniens. Le texte en est reproduit sur des colonnes qui ont été érigées par vous et par lui, l’une au Bosphore, une autre au Pirée, une troisième au Port sacré[23]. Voyez donc à quelle infamie vous entraîne une loi qui fait tout un peuple moins loyal qu’un seul homme. Sur ces colonnes on peut dire que se dressent les avantages que vous avez échangés ; elles montreront que Leucon reste fidèle à ses engagements, toujours empressé à vous être utile, tandis que vous, après avoir dressé ces colonnes, vous n’en tenez nul compte, ce qui est bien plus grave que de les détruire ; car, restant debout, elles donneront à ceux qui veulent mal parler de la ville, une preuve qu’ils disent la vérité. Et si Leucon nous envoie demander : « Que me reprochez-vous ? pour quel grief m’avez-vous retiré l’immunité ? » Que lui répondrez-vous, au nom des dieux ? comment sera rédigé le décret proposé à votre vote[24] ? — Quelques-uns de ceux qui ont obtenu l’exemption en étaient indignes, direz-vous. — « Mais, répliquera Leucon, je sais qu’il y a des hommes vicieux à Athènes ; ai-je pour cela dépouillé ceux qui sont honnêtes ? Non certes, et convaincu que le peuple en son ensemble est honnête, je laisse tous les Athéniens en possession de leurs privilèges. » Son langage ne sera-t-il pas plus équitable que le nôtre ? c’est mon avis. Chez tous les peuples l’usage a prévalu de rendre la pareille aux bienfaiteurs, au risque de comprendre quelques hommes peu honorables dans les faveurs accordées, plutôt que, pour écarter ces hommes déshonnêtes, d’enlever leurs dons à ceux qui en sont manifestement dignes. Et s’il plaisait à tel ou tel citoyen désigné pour une liturgie de proposer à Leucon l’échange des fortunes[25], à moins que celui-ci n’acceptât de la remplir, je ne vois pas qui pourrait l’en empêcher ; car Leucon a toujours à Athènes des sommes d’argent lui appartenant ; et, si l’on mettait arrêt sur elles, Leucon d’après la loi de Leptine devrait ou y renoncer, ou s’acquitter de la liturgie. En ce cas, ce qui aurait le plus d’importance aux yeux du prince, ce ne serait pas la dépense qui lui serait imposée, mais la perte de la faveur qu’il tient de vous.
Ce n’est pas seulement à Leucon que vous devez vous préoccuper de ne pas faire tort ; pour lui, s’il recherche vos dons, c’est par point d’honneur, non par besoin ; mais il est tel autre de vos bienfaiteurs qui, jadis riche, est tombé maintenant dans l’indigence, et à qui vous avez alors accordé l’immunité. Voyez par exemple Épicerdès de Cyrène, il a mérité, plus qu’aucun autre, l’honneur que vous lui avez accordé, non par l’extrême importance des services, mais parce qu’il les a rendus à une époque où il était difficile de trouver parmi ceux que vous aviez assistés quelqu’un qui consentît à s’en souvenir. Eh bien ! Épicerdès, ainsi que l’indique le décret porté en sa faveur, intervint auprès de nos concitoyens prisonniers en Sicile[26], et réduits à la dernière misère. Il leur donna cent mines qui les empêchèrent de mourir tous de faim. Plus tard, quand, pour ce motif, vous lui eûtes décerné l’immunité, voyant, un peu avant les Trente, que notre cité manquait de ressources pour la guerre, il lui fit don spontanément d’un talent. Est-il, j’en atteste Zeus et les dieux, un homme qui ait mieux fait éclater sa bienveillance à votre égard, et qui dût moins s’attendre à un mauvais traitement de votre part ? D’abord, témoin de l’infortune d’Athènes, il préfère, en assistant des malheureux, mériter une reconnaissance qui pouvait se faire longtemps attendre, que de se déclarer pour ceux qui triomphaient alors, et au milieu desquels il vivait. Plus tard, touché de votre dénuement, il donne, sans se préoccuper de sauvegarder ses biens personnels, mais désireux avant tout qu’autant qu’il dépendait de lui, les ressources pour la guerre ne vous fissent point défaut. Cet homme qui, dans des circonstances si graves, a fait part de ses biens au peuple athénien, vous l’avez récompensé par l’immunité qui n’est pour lui qu’une distinction nominale[27]. Ce n’est donc pas, à vrai dire, l’immunité que vous lui enlèverez puisqu’il n’en use pas, mais toute confiance en vous ; quelle honte pour notre cité ! On va vous lire le décret voté à cette époque en faveur d’Épicerdès. Considérez, Athéniens, que de décrets abroge cette loi, que d’hommes elle lèse, et dans quelles circonstances ces hommes vous avaient rendu des services. Elle fait tort précisément à ceux qui devaient être le plus respectés. Greffier, lis le décret.
DÉCRET.
Vous voyez, juges, d’après les termes du décret, quels bienfaits avaient valu l’immunité à Épicerdès. Qu’il ne vous ait donné que cent mines d’abord, et ensuite un talent, qu’importe ? Ce n’est pas la valeur en argent du don que vous devez estimer, mais l’empressement, la spontanéité du donateur et les conjonctures où l’acte s’est produit. Tous ceux dont les bienfaits s’offrent à nous, sont dignes d’en être récompensés, surtout ceux qui nous assistent dans un pressant besoin ; et il est évident qu’Épicerdès est de ceux-là. Ne rougiriez-vous pas, Athéniens, si sans tenir nul compte de tout cela, vous retiriez vos dons aux fils d’un tel homme, sans avoir rien à leur reprocher ? On dira peut-être que ceux qui lui retirent aujourd’hui l’immunité ne sont plus les mêmes que ceux qui lui durent alors leur salut, et qui la lui avaient décernée ; mais c’est là précisément ce qu’il y a de plus grave. Si ceux qui ont reconnu et éprouvé son sentiment généreux pensaient qu’on devait le payer de retour, ne serait-ce pas, de notre part, l’acte le plus insultant que d’en dépouiller aujourd’hui ses fils, comme s’ils en étaient devenus indignes ? J’en dirai autant de ceux qui ont renversé le pouvoir des Quatre Cents[28] et de ceux qui ont aidé le peuple, quand il se retirait au Pirée[29] ; je pense que ce serait faire à tous ces hommes la plus grave insulte que d’abroger les mesures décrétées alors en leur faveur.
Si quelqu’un de vous croit que nous sommes bien loin d’avoir besoin de pareils services, qu’il en remercie les dieux, comme je le fais moi-même ; mais réfléchissez d’abord que vous avez à voter sur une loi qu’il faudra appliquer, si elle n’est pas repoussée ; ensuite que les mauvaises lois sont nuisibles aux villes mêmes qui se croient en sûreté. Que de changements en effet dans les cités ! Telle était en grand péril ; mais de belles actions, de bonnes lois, la vertu de ses citoyens, l’examen attentif des moindres mesures ont rétabli ses affaires ; telle autre semblait jouir d’une complète prospérité ; mais des habitudes de négligence l’ont minée peu à peu. On acquiert la fortune le plus souvent par une conduite réfléchie, en ne négligeant aucune précaution ; mais il est rare qu’on emploie les mêmes procédés pour la conserver.
N’agissez pas ainsi ; ne croyez pas devoir voter une loi, qui, si notre ville reste prospère, lui inflige un mauvais renom, et qui, s’il survient quelque revers, écartera ceux qui auraient pu nous assister.
Ce n’est pas seulement aux particuliers dont les sentiments généreux à notre égard se sont manifestés dans de graves conjonctures, et dont Phormion[30] tout à l’heure et moi-même venons de rappeler les services, qu’il faut se garder de faire tort ; mais à beaucoup d’autres aussi qui ont décidé des cités entières à s’allier à nous contre les Lacédémoniens, et dont le langage et les actes ont soutenu nos intérêts ; quelques-uns ont payé de l’exil la bienveillance qu’ils nous ont témoignée. J’examine d’abord le cas des bannis de Corinthe, en me fondant sur les récits que je tiens des vieillards. Je laisse de côté les services qu’ils nous ont rendus en d’autres circonstances pour rappeler seulement ce qui arriva lors du grand combat de Corinthe livré par nous aux Lacédémoniens[31]. Le parti aristocratique avait résolu, après la bataille, de ne pas recevoir nos soldats dans les murs de Corinthe, et de traiter avec les Lacédémoniens ; mais nos partisans, malgré le revers subi par nos armes, et quoiqu’ils vissent les Lacédémoniens maîtres des accès de la place, ne trahirent pas notre cause ; et, sans se préoccuper de leur salut personnel, alors que tous les Péloponésiens en armes enveloppaient la place, ils nous ouvrirent les portes malgré leurs concitoyens, et préférèrent souffrir, s’il le fallait, avec ceux d’entre vous qui faisaient alors campagne, plutôt que d’éviter tout péril, en séparant leur sort du vôtre. Ils introduisirent votre armée dans Corinthe, et vous sauvèrent ainsi, vous et vos alliés. Après la paix d’Antalcidas[32], les Lacédémoniens punirent cette conduite en les exilant. Vous les reçûtes alors, agissant ainsi en hommes de coeur, et leur accordâtes tout ce qu’ils pouvaient désirer. Eh ! bien, ces décisions bienveillantes, nous examinerions aujourd’hui si elles doivent être maintenues ? Mais ce simple examen serait déjà une honte pour nous. Eh ! quoi, on pourrait dire que les Athéniens discutent s’ils doivent conserver à leurs bienfaiteurs les dons qu’ils leur ont faits ! Mais une telle question a été étudiée et résolue depuis longtemps. Qu’on lise le décret qui se rapporte aux exilés de Corinthe.
DÉCRET.
Voilà, juges, ce que vous avez décidé en faveur de ceux qui, à cause de vous, avaient été bannis de leur patrie. Si donc quelqu’un, instruit des événements de cette époque, soit qu’il y ait assisté, soit qu’il en ait entendu le récit, venait à savoir qu’une loi supprime les dons que vous aviez faits alors, de quelle perversité ne seraient pas convaincus à ses yeux les auteurs d’une pareille loi ! Ainsi, quand le besoin nous presse, nous nous montrons généreux, prêts à tout accorder ; mais dès que la fortune a comblé nos désire, nous devenons assez ingrats et durs pour dépouiller nos bienfaiteurs, et porter une loi qui nous interdit toute largesse à l’avenir ! — Mais quelques-uns de ceux qui détenaient ces faveurs n’en étaient pas dignes. — Car c’est là leur perpétuelle réplique. — Ah ! c’est au moment de faire un don que nous devons examiner le mérite, et non plus tard après un si long temps. Refuser un don dans le principe c’est une décision raisonnée ; mais l’enlever à qui en jouit, c’est jalousie déloyale ; or, il ne faut pas qu’on puisse vous taxer d’un tel vice. Je n’hésiterai même pas à traiter la question de mérite. A cet égard, selon moi, l’État ne doit pas agir de la même façon qu’un particulier. Dans la vie privée, pour choisir un gendre ou former telle autre alliance, on fonde son examen sur les coutumes et sur l’opinion. Au contraire l’Etat, à l’égard d’un bienfaiteur, d’un sauveur, ne considère ni sa nationalité ni sa réputation ; il ne voit que ses actes. Quoi ! s’il s’agit d’un service à recevoir, nous laisserons qui le voudra nous le rendre, et, une fois nos désirs satisfaits, nous examinerions les mérites du bienfaiteur ! Étrange conduite !
Mais, dira-t-on, ceux-là seuls dont je viens de parler auront à se plaindre. Loin de là ! Il me serait impossible d’énumérer tous ceux qui, ayant bien agi à notre égard, se trouveraient dépouillés par la loi de Leptine, si elle n’est pas annulée, des dons qu’ils tiennent de nous. Parmi les décrets de ce genre, j’en choisis un ou deux, avant de passer à un autre ordre d’idées. — Voici les Thasiens dont Ecphantos était le chef[33] ; ne leur ferez-vous pas tort, si vous leur retirez l’immunité, à eux qui vous ont livré Thasos, en ont chassé, les armes à la main, la garnison lacédémonienne, pour y introduire Thrasybule, et, en vous donnant l’amitié de leur patrie, vous ont en même temps assuré l’alliance des habitants de la côte Thrace ? — Voici encore Archébios et Héraclide, qui ont livré Byzance à Thrasybule[34], et vous ont rendus maîtres de l’Hellespont, au point que vous avez pu y prélever de suite l’impôt du dizième, et qu’ainsi munis d’argent, vous avez contraint les Lacédémoniens à accepter une paix telle qu’il vous a plu de la leur imposer[35]. Quand ensuite ces hommes[36] eurent été bannis, vous avez rempli votre devoir envers eux, en leur concédant le titre d’hôtes publics, celui de bienfaiteurs de la ville, enfin l’exemption de toutes charges. Eh ! bien, ceux qui ont été exilés à cause de vous, et que vous aviez si justement récompensés, vous les dépouilleriez de ces avantages, sans avoir rien à leur reprocher ? Ce serait une honte ; et vous en serez parfaitement convaincus, si vous vous faites le raisonnement suivant : Pydna, Potidée[37] et telle autre vide de Thrace sont maintenant soumises à Philippe, et, comme telles, ennemies d’Athènes, de même qu’autrefois Thasos et Byzance dépendaient de Lacédémone, et restaient en dehors de votre influence. Supposons que quelques-uns des habitants de Pydna ou de Potidée vous promettent de vous livrer leurs cités, à condition que vous leur accordiez les privilèges qu’Ecphantos de Thasos et Archébios de Byzance ont obtenus de vous, mais que tel ou tel ami de Leptine repousse ces offres, en déclarant qu’il serait très grave qu’entre tous les métèques, ceux-là seuls fussent exemptés des chorégies, comment traiteriez-vous ceux qui parleraient ainsi ? Il est clair que vous leur imposeriez silence, comme à des traîtres. Ainsi, au moment de recevoir un service, vous regarderiez comme des traîtres ceux qui tiendraient un pareil langage, et quand ils prétendent dépouiller les hommes dont vous avez accepté les bienfaits, vous les écouteriez ! Quelle honte ! — Examinons encore ceci : ceux qui livraient Pydna et les autres places à Philippe, quel mobile les poussait à nous faire ainsi tort ? Ils cédaient évidemment à l’appât des récompenses qu’ils espéraient obtenir. Ne valait-il pas mieux, Leptine, persuader nos ennemis, si tu le pouvais, de ne pas honorer ceux qui leur ont été utiles en nous faisant tort à nous-mêmes, plutôt que de porter cette loi qui prive nos bienfaiteurs des dons qu’ils tenaient de nous ? Mais je ne veux pas m’écarter de la question réelle. Greffier, lis les décrets qui se rapportent aux habitants de Thasos et de Byzance.
DÉCRETS.
Vous avez entendu la lecture des décrets. On objectera que, sans doute, quelques-uns de ceux qui en ont été l’objet n’existent plus. Mais les actes, une fois accomplis, subsistent. Il convient donc que les colonnes où sont inscrits les décrets[38] restent à jamais debout ; pour que, vivants, ceux qui y sont honorés, soient respectés dans leurs droits, et qu’après leur mort, elles rappellent la générosité de notre ville ; il faut qu’aux yeux de ceux qui veulent nous rendre un service, elles se dressent pour attester de quelle façon nous avons su toujours reconnaître les bienfaits. Eh ! quoi, toute la Grèce aurait vu ou appris que les souffrances endurées par ces hommes, pour votre service, ils les ont subies jusqu’au terme de leur vie, tandis que les faveurs que nous leur avons accordées en retour seraient si vite anéanties ! Ce serait pour nous le comble de la honte. Ah ! ce qui conviendrait, ce serait de leur laisser nos dons, alors même qu’ils seraient arrachés au malheur, et non de les leur retirer, alors qu’ils restent dans l’infortune. Qui voudrait encore, grands dieux, nous rendre des services, si, en cas d’échec, il était immédiatement châtié par nos ennemis, tandis qu’en cas de succès, il ne pourrait compter sur les marques de votre réconnaissance ?
Je serais fort désolé, juges, si pour combattre la loi, je croyais ne pouvoir citer que des étrangers, bienfaiteurs de la cité, à qui la loi de Leptine enlève l’immunité, et qu’aucun citoyen ne méritât d’être nommé parmi ceux qui ont obtenu cette faveur. Entre autres voeux que je forme pour la prospérité d’Athènes, je souhaite surtout qu’elle trouve dans son sein beaucoup d’hommes de coeur, dévoués à son service. Et elle n’en manque pas. Voyez d’abord Conon[39] : avez-vous lieu de blâmer cet homme ou ses actes ? a-t-il mérité, en quoi que ce soit, d’être déchu des faveurs que vous lui avez accordées ? Voici ce que rapportent ceux d’entre vous qui ont été ses contemporains : Après que le peuple fut rentré du Pirée dans la ville[40], Athènes était faible, elle ne possédait plus un seul navire. Conon alors se fit général au service du roi de Perse, et, sans recevoir de vous aucun appui, il livra bataille sur mer aux Lacédémoniens ; ceux-ci, jusque-là commandaient aux autres peuples : il les habitua à écouter vos avis ; il chassa les harmostes[41] des îles, puis, rentrant à Athènes, en releva les murs, et le premier osa de nouveau disputer l’hégémonie aux Lacédémoniens. On lui dressa une colonne où, par une distinction toute spéciale, étaient inscrits ces mots : « Après que Conon eut affranchi les alliés des Athéniens... » Une telle inscription, juges, est pour lui un titre d’honneur à vos yeux, elle l’est aussi pour vous en face de tous les Grecs ; quand un de vos citoyens est cause de quelque bien pour les autres peuples, sa gloire rejaillit sur votre nom. Aussi les contemporains de Conon ne se sont pas bornés à lui conférer l’immunité ; il est le premier, après Harmodios et Aristogiton, à qui ils aient élevé une statue de bronze ; ils pensaient, en effet, que c’était une lourde tyrannie que Conon avait renversée, en abattant la domination lacédémonienne. Pour que vous vous reportiez mieux aux faits que je rappelle, on vous lira les décrets votés en sa faveur.
DÉCRETS.
Ce n’est pas seulement vous, Athéniens, qui avez honoré Conon pour les actes que j’ai passés en revue, mais beaucoup d’autres cités qui croyaient, à juste titre, devoir lui témoigner leur reconnaissance. Et quand ces dons étrangers lui resteront à jamais acquis, ne rougiriez-vous pas, Athéniens, que les vôtres fussent les seuls dont il serait dépouillé ? Il n’est pas généreux, après lui avoir prodigué, de son vivant, toutes les distinctions que j’ai énumérées, de venir, après sa mort, oublieux de ce glorieux passé, lui ravir un de vos dons. Beaucoup de ses actes sont dignes de louanges, et vous défendent de lui retirer les récompenses qu’ils lui ont méritées de votre part ; mais le plus beau de tous, est la reconstruction de vos murs. On le reconnaîtra, en comparant Conon à Thémistocle, l’homme le plus illustre de son siècle, qui avait exécuté le même travail[42]. Celui-ci, dit-on, invita ses concitoyens à relever les murs, au plus vite, ajoutant que, si quelque Lacédémonien venait à Athènes, ils devraient le retenir ; puis il partit lui-même pour Sparte comme ambassadeur. Là, des pourparlers s’engagèrent, et, comme certains orateurs annonçaient que les Athéniens rétablissaient leurs murailles, Thémistocle le nia et engagea les Lacédémoniens à envoyer une députation pour constater les faits ; comme celle-ci ne revenait pas, il demanda qu’on en envoyât une autre. Vous savez tous, sans doute, comment il réussit, dit-on, à les tromper. Eh ! bien, je déclare, (et n’allez pas croire, Athéniens, en écoutant ce qui me reste à dire, que je prétende dénigrer ce grand homme, examinez seulement si ce que je dis est vrai) je déclare que s’il est plus honorable d’agir à découvert qu’en secret, de triompher par la force que par la ruse, la reconstruction de nos murs honore plus Conon qu’elle n’a honoré Thémistocle. Ce dernier, en effet, l’accomplit en se cachant, l’autre, après avoir vaincu ceux qui auraient pu s’y opposer. Oseriez-vous donc léser les droits d’un tel homme ? Seriez-vous moins soucieux de sa gloire que des sophismes de ces orateurs qui prétendent vous obliger à le dépouiller d’un des dons qu’il tient de vous ?
Et le fils de Chabrias[43], souffrirez-vous qu’on lui enlève l’immunité que son père tenait de vous, et qu’il lui a si légitimement transmise ? Je ne crois pas qu’aucun homme sensé puisse approuver une telle spoliation. Vous savez certainement, sans que je vous en instruise, que Chabrias était un grand citoyen ; rien ne m’empêche cependant de vous rappeler brièvement ses exploits. A votre tête, devant Thèbes, il sut, grâce à sa tactique, tenir tête à tous les Péloponnésiens, il tua Gorgopas à Égine[44], dressa de nombreux trophées dans l’île de Chypre, puis en Egypte, et, parcourant presque tous les pays, il n’eut jamais à rougir ni pour lui, ni pour Athènes. Il est difficile que la parole égale son mérite, et j’aurais grande honte qu’en voulant le louer, je le rabaisse au-dessous de l’opinion que vous avez conçue de lui ; je me bornerai donc à rappeler ce que ma parole ne peut pas amoindrir : dans le combat naval où il vainquit les Lacédémoniens, il captura quarante-neuf galères, puis il s’empara de la plupart des îles voisines[45], et, d’hostiles qu’elles étaient auparavant, vous en fit des alliées ; il amena ici trois mille prisonniers, et versa dans le trésor plus de cent dix talents enlevés aux ennemis : de ces faits les plus âgés d’entre vous peuvent porter témoignage. En outre, il prit plus de vingt autres galères isolément, ou deux par deux, et les conduisit toutes dans vos ports. En résumé, il est le seul de vos généraux qui n’ait jamais perdu une ville, une forteresse, un vaisseau, un soldat[46], quand il était à votre tête ; vos ennemis n’ont dressé aucun trophée conquis sur vous et sur lui, tandis que, sous ses ordres, vous en avez érigé un grand nombre conquis sur beaucoup de peuples. Mais, comme je craindrais d’omettre quelques-uns de ses exploits, on va vous lire la liste des vaisseaux, des villes et des richesses dont il s’est emparé, en relatant le lieu où chacun de ces faits a été accompli.
EXPLOITS DE CHABRIAS.
Eh ! bien, juges, ce héros qui a battu vos ennemis sur mer, et leur a pris tant de villes et de galères, qui a conquis tant de gloire à Athènes, sans lui infliger jamais aucune honte, il mériterait d’être dépouillé de cette immunité qu’il a obtenue de vous et transmise à son fils ! Non sans doute. Étrange façon de raisonner, en effet ! Si Chabrias avait perdu seulement une ville ou dix vaisseaux, Leptine et ses amis l’accuseraient de trahison et, s’il était condamné, ce serait fait de lui à jamais. Tout au contraire, il a pris dix-sept villes, soixante-dix vaisseaux, fait trois mille prisonniers et enrichi votre trésor de cent dix talents, il a dressé de nombreux trophées, et, après tant d’exploits, voici que vous lui retirez les dons qu’il avait ainsi mérités ! Est-ce possible ? Non ! Chabrias s’est toute sa vie consacré à vos intérêts, il est mort pour vous ; il est donc juste qu’en retour de tant d’actes qui ont illustré sa vie, et aussi de son glorieux trépas[47], vous témoigniez de la bienveillance à son fils ; sinon, vous semblerez plus ingrats envers vos bienfaiteurs que les habitants de Chios. Ceux-ci, en effet, contre lesquels Chabrias marcha en ennemi, ne lui ont rien retiré aujourd’hui des dons qu’ils lui avaient faits naguère, mais ils ont attaché plus d’importance aux services anciens qu’aux griefs récents ; et vous, pour qui il a trouvé la mort en combattant sur cette terre de Chios, au lieu de l’honorer plus encore, vous lui enlèveriez une partie des faveurs que lui avaient méritées ses services antérieurs ! N’en rougiriez-vous pas ? Quelle indignité de dépouiller son fils, alors que dans de si nombreuses expéditions, nul de vos fils n’est devenu orphelin, et que ce jeune homme seul a pleuré son père, mort pour vous servir ! Ah ! que Chabrias a fait vraiment éclater un profond amour de sa patrie ! Il avait le juste renom, quand il vous commandait, d’être plus ménager, qu’aucun autre général, de la vie de ses soldats ; mais quand vint l’heure de s’exposer lui-même, il méprisa le péril et préféra perdre la vie que de ne pas se montrer digne des distinctions que vous lui aviez conférées. Et ces distinctions à cause desquelles il croyait devoir vaincre ou mourir, vous les retireriez à son fils ! Et ces trophées qu’il a dressés en votre honneur, quand il commandait vos armées, ils resteraient debout aux yeux de tous, alors qu’on vous verrait lui retirer quelques-uns de vos dons, récompense de ces trophées ! Songez-y, Athéniens, il ne s’agit pas aujourd’hui de juger seulement si la loi est bien ou mal fondée ; c’est vous qui êtes en cause : trouverez-vous encore, ou ne trouverez-vous plus à l’avenir des gens qui se dévouent à votre service ? Voilà la question.
Greffier, prends le décret rendu en faveur de Chabrias... Vois, cherche bien, il doit être là quelque part....
D’ailleurs il me reste un mot encore à dire sur Chabrias. Quand vous avez autrefois, Athéniens, honoré Iphicrate, ce n’est pas lui seul qui a reçu ces honneurs, mais aussi, à cause de lui, Strabrax et Polystrate[48] ; et quand vous avez accordé vos dons à Timothée, vous avez, aussi, à sa requête, concédé le droit de cité à Cléarque et à plusieurs autres[49] ; Chabrias est le seul que vous ayez honoré isolément. Mais si, quand il a reçu vos dons, il vous avait priés de faire pour lui ce que vous aviez fait pour Iphicrate et pour Timothée, c’est-à-dire de lui associer dans vos faveurs quelques-uns de ceux qu’aujourd’hui les amis de Leptine veulent dépouiller en masse, parce qu’ils en accusent un certain nombre d’avoir démérité, n’auriez-vous pas accédé à sa demande ? Et ceux à qui vous auriez alors accordé vos dons sur sa requête, seraient maintenant cause que vous lui retireriez à lui-même l’immunité ? Ce serait étrange ; et il y aurait peu d’accord dans vos actes, si, après avoir montré à vos bienfaiteurs tant de libéralité que, sans vous contenter de les honorer eux-mêmes, vous honoriez aussi leurs amis, vous veniez, si peu de temps après, leur retirer tous vos dons.
DÉCRET SUR LES HONNEURS A RENDRE A CHABRIAS.
Voilà donc des hommes qui seront lésés, je vous l’ai montré, si vous n’abrogez pas la loi de Leptine ; et il y en a beaucoup d’autres. Supposez maintenant que quelques-uns de ceux qui sont morts soient instruits de ce qui se passe ici, quelle colère ils en ressentiraient ! Que leurs actes généreux en effet soient discutés par la parole, que tant d’actes glorieux, s’ils ne trouvent pas pour les faire valoir un habile avocat, ne soient plus pour eux qu’un inutile effort, n’est-ce pas leur infliger un indigne traitement ?
Pour que vous soyez convaincus, Athéniens, que notre langage ne nous est vraiment inspiré que par la passion de la justice, que nous ne cherchons nullement à égarer, à tromper votre suffrage, on va vous lire la loi que nous désirons substituer à celle de Leptine que nous déclarons mauvaise. Vous reconnaîtrez ainsi que, par de prévoyantes mesures, nous veillons à ce que votre renommée reste pure, et que nous permettons que chacun de ceux qui ont reçu vos dons soit soumis à la critique. Si l’accusation est fondée, votre jugement déclarera déchu celui qui aura démérité, ceux au contraire auxquels on n’aura rien pu reprocher, continueront à jouir de vos dons. Il n’y a là d’ailleurs, nulle innovation qui nous soit personnelle ; mais la loi ancienne, que Leptine a transgressée, émet les prescriptions suivantes : « Si une loi existante paraît mauvaise, on en poursuit l’abrogation, et en même temps on en propose une autre qui y sera substituée. » A vous alors, juges, après discussion, de choisir entre les deux textes. Solon, qui a établi cette façon de procéder, pensait en effet que si les thesmothètes[50], désignés par le sort pour faire respecter les lois, ne peuvent exercer leur charge qu’après que leur moralité a été examinée d’abord au Sénat, puis devant vous au Tribunal, à plus forte raison, les lois, au nom desquelles les thesmothètes décident, et qui règlent la vie de tous les citoyens, ne doivent pas être établies selon les circonstances, au hasard, et s’imposer, sans avoir été mûrement contrôlées. Au temps où prévalaient ces prescriptions, on appliquait les lois anciennes, on n’en créait pas de nouvelles à la légère ; mais depuis que certains hommes politiques puissants se sont arrogé le droit de légiférer[51] quand et comme il leur convient, il y a tant de lois contradictoires que dès longtemps déjà vous nommez des commissions pour les trier, et que ce travail n’en avance guère plus. Les lois maintenant ne diffèrent pas des décrets ; ou plutôt les lois, sur lesquelles doivent être fondés lès décrets, sont au contraire précédées par eux[52]. Et pour vous prouver que je ne parle pas au hasard, on va vous lire la loi qui réglait autrefois les travaux des nomothètes.
Loi.
Vous comprenez, Athéniens, avec quelle sagesse Solon avait établi la confection des lois. Elles devaient vous être présentées d’abord, à vous, juges assermentés, à qui seuls il appartient de valider toutes les mesures ; puis on devait abroger les lois contradictoires aux nouvelles, afin qu’il n’existât sur chaque point qu’une loi unique ; ainsi, nulle confusion dans l’esprit des simples citoyens ; ils ne se trouvaient pas en état d’infériorité vis-à-vis de ceux qui ont fait une étude spéciale du droit ; la loi était établie d’une façon claire et équitable, chacun pouvait la lire et la comprendre. Mais, avant tout, les propositions devaient être affichées devant les statues des héros éponymes[53], et déposées entre les mains du greffier de la ville qui en donnait lecture dans les assemblées, afin que chacun de vous en entendît plusieurs fois le texte, les étudiât à loisir, et votât celles qui lui sembleraient justes et utiles. Eh ! bien, de toutes ces formalités Leptine n’a rempli aucune ; autrement, vous ne vous seriez pas laissé persuader, à ce que je crois, d’adopter une pareille loi. Nous au contraire, Athéniens, nous nous conformons à toutes ces formalités, et substituons à la loi de Leptine une autre loi meilleure et plus juste, que vous allez connaître. Mais auparavant le greffier va vous lire les articles de la loi contre lesquels est dirigée notre accusation ; il lira ensuite ceux que nous croyons devoir vous proposer pour le remplacer.
Loi.
Voilà ce que nous condamnons, comme mauvais, dans sa loi. Voici maintenant ce que nous proposons comme meilleur. Prêtez bien toute votre attention, juges, à ce qu’on va vous lire.
Loi.
Greffier, arrête-toi. — Notre proposition reproduit le texte des sages lois qui régissent souverainement la matière. Le texte en est clair : « Les dons que le peuple a conférés sont imprescriptibles. » Et c’est justice, j’en atteste la Terre et les Grands Dieux[54]. Leptine devait donc proposer un décret pour que cette loi fût abolie, avant de présenter la sienne. Or en présentant sa loi, il portait témoignage contre lui-même qu’il violait la loi établie ; et cela, quand une autre loi ordonne que la présentation d’une loi nouvelle peut être l’objet d’une poursuite judiciaire, si elle est contraire aux lois existantes. On va lire cette dernière loi.
Loi.
Eh ! bien, entre l’ancien texte qui déclare : « Les dons du peuple sont imprescriptibles, » et cet autre qui proclame que nulle exemption n’est maintenue à ceux que la cité avait voulu récompenser, il y a évidente contradiction. Mais il n’en est pas de même pour le texte qu’Apséphion veut présenter. Tout en reconnaissant que les dons sont imprescriptibles, ce texte admet qu’on poursuit justement ceux qui ont obtenu l’immunité par fraude, ou qui, après l’avoir obtenue, ont commis quelque acte coupable, ou qui enfin en sont complètement indignes. On peut invoquer tel motif que l’on croit fondé pour retirer le don. Qu’on lise notre texte.
Loi.
Vous avez entendu, Athéniens ; vous comprenez que, d’après notre loi, les dons restent acquis à ceux qui en sont dignes, et qu’à ceux qui n’ont pas été jugés tels on enlève ce qu’ils avaient injustement reçu ; quant à l’avenir, vous gardez, comme il est juste, le droit de donner ou de ne pas donner. Voici une bonne et juste loi. Leptine lui-même ne pourra le nier, ou, s’il le nie, il ne pourra prouver son assertion. Mais, pour vous donner le change, il répétera peut-être ce qu’il alléguait devant les thesmothètes : « C’est pour vous duper, dit-il, qu’on met cette loi en avant ; mais si la mienne est abrogée, l’autre ne sera pas soumise à vos suffrages. » A quoi je répondrai que, la loi de Leptine une fois abrogée par votre vote, celle qu’on lui substitue se trouve par cela même adoptée ; c’est ce qu’énonce clairement l’ancienne loi, en vertu de laquelle les thesmothètes vous ont transmis la nôtre. Mais je n’insiste pas, pour ne point prolonger la discussion[55], et je passe à ceci : Leptine, en parlant comme il le fait, reconnaît que notre loi est meilleure et plus juste que la sienne ; mais notre proposition sera-t-elle convertie en loi ? C’est ce qu’il discute. D’abord il a plusieurs moyens pour forcer, s’il le veut, l’auteur de la proposition substituée, à demander lui-même qu’elle prenne force de loi. Ensuite nous nous engageons, moi, Phormion, ou tel autre qu’il voudra, à faire ces démarches. Or, d’après une de vos lois, celui qui a pris un engagement devant l’assemblée du peuple, le sénat ou le tribunal, et manque à sa parole, encourt les plus graves châtiments. Eh ! bien, nous promettons, nous nous engageons. Que les thesmothètes en prennent note, et qu’ils nous poursuivent, si nous ne tenons pas notre promesse. Nous voulons que vous ne preniez pas une mesure générale qui vous déshonorerait ; mais nous voulons aussi que, si quelqu’un de ceux qui ont obtenu vos dons a démérité, il ne continue pas d’en jouir, et que pour chaque cas intervienne un jugement particulier. Et si Leptine prétend que ce sont là de pures paroles en l’air, voici au moins qui n’est pas un vain mot : que lui-même propose la loi, au lieu de dire que nous ne la proposerons pas. Il sera plus honorable pour lui de proposer une loi par vous jugée bonne, que celle qu’il présente en son nom. Pour moi, Athéniens, Leptine me semble (et qu’il ne s’irrite pas contre moi ; je ne dis rien là qui l’outrage) ou n’avoir pas lu ou ne pas comprendre la loi par laquelle Solon a établi qu’on peut léguer ses biens à qui l’on veut, au cas où l’on n’a pas d’enfants légitimes[56]. Ce n’est pas que Solon veuille priver de leurs droits ceux qui sont le plus rapprochés par le sang, mais il a pensé qu’en offrant ainsi une récompense aux services rendus, il exciterait chez tous une émulation à s’assister mutuellement. Toi, au contraire, Leptine, tu proposes que le peuple n’ait plus le droit d’accorder aucun de ses dons à personne. Prétends-tu donc avoir lu ou compris les lois de Solon, alors que tu écartes tous ceux qui auraient l’ambition de servir le peuple, en déclarant par avance que nulle distinction ne récompensera le dévouement ? Il y a encore une autre loi de Solon, et non des moins admirées, qui défend de mal parler d’un mort, alors même que ses enfants vous auraient outragé ; et toi, ce n’est pas en paroles, c’est par des actes que tu fais tort à ceux de nos bienfaiteurs qui ont cessé de vivre. Et ce n’est pas à eux que tu fais quelque reproche ; il te suffit pour les dépouiller, d’alléguer l’indignité de tel ou tel qui n’a avec eux aucun lien de parenté. N’est-ce pas t’éloigner complètement des intentions de Solon ?
J’apprenais tout à l’heure que pour désarmer le peuple du droit de faire aucun don, Leptine et ses amis allaient très sérieusement mettre en avant l’exemple des Lacédémoniens, si sagement gouvernés[57], et des Thébains, chez lesquels nul n’obtient de distinction spéciale, et qui pourtant comptent dans leur sein de bons citoyens. On parle de la sorte, c’est évident, pour vous exciter à supprimer chez vous toute immunité ; mais ce n’est pas bien raisonner. Je n’ignore pas en effet que par les lois, les moeurs, la constitution, les Thébains et les Lacédémoniens, diffèrent fort de nous. Et d’abord, si nos adversaires prétendent chercher là un appui, ce qu’ils vont faire précisément serait interdit à Sparte. On ne pourrait pas y louer les institutions d’Athènes ou de telle autre cité ; on y est contraint au contraire de vanter celles qui régissent Sparte, et d’y conformer ses actes. En second lieu, si les Lacédémoniens n’admettent pas de distinctions analogues aux nôtres, il en existe d’autres chez eux que tout le peuple d’Athènes repousserait avec horreur : quelles sont ces distinctions ? Sans les énumérer l’une après l’autre, j’en citerai une qui les résume toutes : quand un Spartiate, remplissant les conditions voulues, a été admis dans le corps qu’on appelle assemblée des vieillards, il devient le maître despotique du peuple. Car à Sparte, c’est la récompense de la vertu, que de gouverner souverainement, avec ses pairs[58] : tandis que chez nous c’est le peuple qui gouverne ; et des lois, des imprécations solennelles garantissent cette souveraineté de toute usurpation ; mais nous avons les couronnes, les immunités, la faveur d’être nourris au Prytanée, d’autres distinctions du même genre, auxquelles peut prétendre le bon citoyen. Ces deux systèmes sont également louables, et celui de Sparte, et le nôtre. Pourquoi ? c’est que dans les oligarchies l’égalité de pouvoir assure la concorde entre les détenteurs de l’autorité publique ; dans les démocraties, la liberté est maintenue par l’émulation des bons citoyens, qui se disputent les dons du peuple. Quant aux Thébains, s’ils n’honorent personne, c’est qu’à dire vrai, ils sont plus fiers de leur cruauté et de leur perversité que vous ne l’êtes de la douceur de vos moeurs et de votre amour de la justice[59]. Souhaitons donc que les Thébains continuent de n’honorer ni admirer ceux de leurs citoyens qui leur rendent d’utiles services, et de traiter les peuples du même sang qu’eux, comme ils l’ont fait pour Orchomène[60] ; souhaitons aussi que, par une conduite toute contraire, Athènes persiste à honorer ses bienfaiteurs, et à ne faire appel qu’à la discussion et aux lois pour obtenir de ses citoyens le respect de la justice. En général, vous ne devez, selon moi, vanter les façons d’agir et les moeurs des autres peuples, en critiquant les vôtres, qu’au cas où nous les verrions plus prospères que nous ; mais puisqu’en pratiquant une politique généreuse vous êtes plus puissants, plus unis que ceux-ci, plus prospères sous tous les rapports[61], pourquoi délaisseriez-vous vos coutumes pour imiter celles d’autrui ? Et quand même ces usages étrangers sembleraient théoriquement meilleurs, vous devriez rester fidèles aux vôtres, puisqu’avec eux la fortune vous est favorable : s’il m’est permis de dire sur tous ces points ce que je crois légitime, voici comment je m’exprimerai : il n’est pas juste, Athéniens, de mettre en avant les lois de Lacédémone et de Thèbes, pour décrier les nôtres. Quoi ! si quelqu’un voulait mettre en pratique chez vous les procédés oligarchiques et despotiques qui ont fait la grandeur de ces deux peuples, vous le condamneriez à mort ; et vous prêteriez l’oreille à ceux qui vous conseillent de détruire les institutions auxquelles le peuple Athénien doit sa félicité !
On dit volontiers aussi que dans notre cité même, au temps de nos ancêtres, les citoyens qui nous avaient rendu les plus grands services ne recevaient aucune récompense de ce genre, et qu’ils se contentaient d’une inscription aux Hermès[62] ; on vous lira peut-être même celle-ci[63]. C’est, ce me semble, faire peu d’honneur à la ville que de parler ainsi, et de plus, ce n’est pas juste. Si l’on prétend que ces héros eux-mêmes n’étaient pas dignes de couronnes ou d’exemptions, qui donc le serait ? Car ce serait dire qu’il n’y a pas eu un citoyen qui en fût digne dans les temps passés, pas plus qu’il n’y en aura dans l’avenir. Si l’on affirme qu’il n’y en a aucun, je plains Athènes de ce que dans tout le cours de son histoire nul n’ait mérité une récompense. Reconnaître, au contraire, que chez nos aïeux il y a eu de grands citoyens, et qu’aucun n’a été récompensé, c’est accuser la ville d’ingratitude. Or, il n’en est pas ainsi ; loin de là. Mais quand un orateur perfide détourne la discussion vers des idées étrangères au sujet, son langage devient odieux. Ce qui est vrai, ce qui est juste, je vais vous le dire. Il y avait beaucoup de bons citoyens dans les âges passés, Athéniens, et notre ville honorait alors aussi les hommes de bien ; seulement les honneurs qu’on leur rendait étaient conformes aux moeurs du temps, comme les distinctions actuelles le sont à nos moeurs présentes. Pourquoi parlé-je ainsi ? C’est que, je l’affirme, les bons citoyens de cette époque ont obtenu de la ville tout ce qu’ils désiraient. Quelle preuve en donnerai-je ? Lysimaque, un des hommes qui avaient bien servi Athènes, a obtenu en Eubée cent arpents de bois et cent de terre non plantée, en outre, cent mines d’argent, et quatre drachmes par jour. Ces dons se trouvent consignés dans un décret d’Alcibiade[64]. La ville alors avait en abondance terre et argent ; aujourd’hui on peut espérer que cette abondance renaîtra ; je parle ainsi pour ne pas médire du temps présent. Eh ! bien, qui n’échangerait volontiers l’immunité contre le tiers de telles largesses ? Pour prouver l’exactitude de mes paroles, qu’on donne lecture du décret.
DÉCRET.
Ce décret montre, Athéniens, que l’habitude d’honorer les gens de bien existait déjà chez nos ancêtres : que ce ne fût pas de la même façon que de notre temps, c’est une autre question. Mais quand même nous admettrions que ni Lysimaque ni aucun autre citoyen n’ont rien obtenu de nos aïeux, nous n’en aurions pas plus le droit de retirer ce que nous avons donné. Ce qui est mal, ce n’est pas de ne rien donner, si on le juge à propos, c’est de donner d’abord, puis, sans avoir aucun reproche à formuler, de retirer le don. Qu’on me cite un seul homme à qui nos ancêtres ont enlevé la moindre part de ce qu’ils lui avaient donné, et je vous concède de faire de même, si honteux que ce soit ; mais si, dans tout le cours de notre histoire, un tel fait ne s’est pas produit, pourquoi donneriez-vous les premiers un tel exemple ?
Veuillez réfléchir, Athéniens, que vous venez au tribunal, après vous être engagés par serment à juger non d’après les lois de Lacédémone et de Thèbes, mais en vertu de celles qui concédaient les immunités, et que Leptine prétend détruire aujourd’hui. Vous avez juré aussi, dans les cas qu’aucune loi ne régirait, de décider dans toute l’équité de votre conscience. Appliquez donc cette conscience à examiner la loi dans tous ses détails. Est-il juste, Athéniens, d’honorer ses bienfaiteurs ? Oui. — Est-il juste, une fois qu’on a donné, de laisser le donataire en possession du don ? Oui : — agissez donc ainsi, juges, pour être fidèles à votre serment ; et que ceux qui prétendent que vos ancêtres n’agissaient pas de la sorte, encourent votre colère[65]. Quant à ceux qui citent des exemples pour prouver que vos aïeux ne récompensaient pas les plus grands services, regardez-les comme des hommes pervers et grossiers, parce qu’ils calomnient leurs ancêtres, en les taxant d’ingratitude, comme des ignorants, parce qu’ils ne comprennent pas qu’en tout cas, le fait fût-il vrai, il leur conviendrait de le nier plutôt que de le révéler.
Sans doute Leptine pourra dire encore que sa loi ne supprime pas le droit d’être reproduit en effigie ou nourri au Prytanée ; qu’ainsi la ville conserve le droit d’honorer ceux qui en sont dignes, de leur dresser des statues de bronze, de les admettre au Prytanée, qu’elle peut accorder tout ce qu’elle veut, excepté l’immunité. Mais pour les droits qu’il déclare laisser à la ville, voici ce que je dis : qu’on m’enlève une partie des dons que j’ai reçus, je perds toute confiance pour le reste. Pourquoi compter sur l’effigie, ou sur le Prytanée, quand l’immunité a été donnée, puis retirée ? Quand même de cette incertitude il ne résulterait rien de fâcheux, il est regrettable, à mes yeux, d’imposer à l’État l’obligation de laisser sans récompense les services de moindre valeur, ou de les payer à l’égal des plus grands bienfaits. Or pour ceux-ci, il n’est pas à souhaiter que l’occasion s’en présente souvent, et il est peu d’hommes qui en soient capables ; mais les services ordinaires, ceux qu’on peut rendre en temps de paix, quand la vie politique suit son cours, des actes de bienveillance, de justice, de zèle, et autres semblables, voilà ce qui me semble sans cesse utile, voilà ce qu’on doit récompenser. Il faut donc répartir les faveurs, de façon que les dons du peuple soient proportionnés aux services. Quant à cette assertion de Leptine, que la loi laisse certaines distinctions à ceux qui les ont obtenues[66], les uns diraient une chose nette et juste, en réclamant à un égal titre toutes les faveurs que vous leur avez décernées pour les mêmes bienfaits, les autres se déclareraient simplement dupés, quand on prétend leur laisser quelque chose. Tel en effet, étranger ou citoyen, a semblé au peuple avoir par ses services mérité l’immunité, et c’est la seule faveur que vous lui ayez accordée : on la lui retire ; quel don lui reste alors, Leptine ? Ne va donc pas, parce que tu accuses ceux-ci comme indignes, dépouiller ceux-là, ni parce que tu dis laisser quelque chose aux uns, enlever aux autres la seule distinction qu’ils possèdent. Mais, à vrai dire, ce qu’il y a de plus grave, ce n’est pas de faire plus ou moins tort à tel ou tel, c’est d’ôter toute stabilité aux honneurs par lesquels nous récompensons des services. Ce qui me préoccupe surtout, ce n’est pas la question de l’immunité, c’est le fâcheux précédent créé par la loi et qui frappera de discrédit tous les dons que décerne le peuple.
Mais ce que nos adversaires ont trouvé de plus malicieusement habile, pour vous persuader de supprimer les immunités, je préfère vous le dire d’avance, pour que vous ne vous laissiez pas innocemment abuser. Ils soutiendront que les dépenses qu’entraînent les fonctions de chorège, de gymnasiarque, ou autres analogues, se rattachent au culte, et qu’il serait déplorable que l’on pût être exempté des cérémonies sacrées. Pour moi, que quelques personnes soient exemptées par le peuple des dépenses de ce genre, cela me semble légitime ; mais ce que je trouve vraiment déplorable, c’est ce que vont faire ceux qui parleront ainsi. N’ayant aucune bonne raison à donner pour vous enlever les immunités, ils vont mettre en avant le nom des dieux : est-il rien de plus impie, de plus déplorable ? Il faut, à mon sens, que les actes qu’on abrite ainsi sous l’autorité du nom des dieux, apparaissent au moins comme étant honnêtes, au point de vue humain. En outre, l’exemption des cérémonies sacrées n’est pas du tout la même que celle des liturgies, et c’est pour vous tromper qu’on prétend inscrire les liturgies parmi les rites du culte ; c’est Leptine lui-même qui va en témoigner. Voici ce qu’il inscrit en tête de sa loi : « Leptine a dit qu’afin que les plus riches soient astreints aux liturgies, nul n’en sera exempt, excepté les descendants d’Harmodios et d’Aristogiton. » Or, si l’exemption des cérémonies sacrées était la même que celle des liturgies, pourquoi a-t-il ajouté cette exception ? car les fils de ces héros eux-mêmes ne jouissent pas de l’immunité pour les choses sacrées. Et pour que vous sachiez bien qu’il en est ainsi, on va vous lire d’abord l’inscription de la colonne, puis le début du texte de Leptine.
INSCRIPTION DE LA COLONNE.
Vous entendez bien : les descendants de ces héros jouissent de l’immunité, excepté pour les choses sacrées.
Loi.
Bien. Arrête-toi. — Leptine a écrit ceci : « Afin que les plus riches soient astreints aux liturgies, nul ne sera exempt », et il ajoute : « excepté les descendants d’Harmodios et d’Aristogiton. » Pourquoi ajouterait-il cette clause, si les dépenses faites pour le culte étaient une liturgie ? En parlant ainsi, il se mettrait en contradiction avec l’inscription de la colonne. Je demanderais volontiers à Leptine, quelle est l’immunité qu’il leur laisse ou qu’on leur a donnée jadis, s’il prétend que les liturgies sont comprises dans les rites sacrés[67]. Car ces descendants ne sont exempts, d’après les anciennes lois, ni des contributions militaires, ni de la triérarchie ; et ils ne le sont pas non plus des liturgies, si celles-ci sont du domaine sacré, et ils ne l’ont même jamais été. Cependant le texte de Leptine porte qu’ils sont exempts : exempts de quoi ? du tribut des métèques[68] ? c’est tout ce qui resterait. Non, mais ils le sont en réalité des liturgies qui reviennent à tour de rôle, comme l’indique la colonne, comme Leptine l’a défini lui-même dans sa loi, comme en témoigne toute notre histoire, puisque dans une si longue période jamais tribu n’a osé inscrire comme chorège un descendant des deux héros ; et aucun de ceux qu’on a inscrits à leur place ne leur a proposé l’échange des biens[69]. Leptine oserait-il prétendre le contraire ? on ne l’écouterait pas.
On va peut-être encore insinuer que certains Mégariens et Messéniens, se prétendant proxènes, sont par là exemptés en masse, ainsi que des esclaves marqués du fouet, et on met en avant les noms d’un Lycidas, d’un Denys[70] ; mais à ceux qui parlent ainsi ordonnez, pour appuyer leur assertion, de montrer les décrets en vertu desquels ces gens-là seraient exemptés. Car nul chez vous n’est exempt, s’il ne tient cette exemption d’un décret ou d’une loi. Sans doute, grâce à vos hommes d’État, il y a beaucoup de gens de cette sorte qui sont devenus proxènes ; et Lycidas est du nombre. Mais autre chose est d’avoir le titre de proxène ou d’avoir reçu l’immunité. Qu’on ne vienne donc pas indûment arguer de ce que tel ou tel esclave, un Lycidas, un Denys, à la faveur d’un décret obtenu à prix d’or, est devenu proxène, pour prétendre qu’il faut enlever à des hommes libres, à des hommes d’honneur qui vous ont rendu de grands services les dons qu’ils tiennent justement de vous. Ne serait-ce pas une indignité pour Chabrias ? Quoi ! Il ne suffirait pas que ces politiques criminels eussent fait un proxène de Lycidas, son esclave ; mais, à cause de lui, ils retireraient à Chabrias une partie des faveurs qui lui ont été décernées, et cela, en alléguant un motif mensonger ! Car ni Lycidas ni aucun autre proxène n’a jamais joui de l’immunité, à moins qu’elle ne lui ait été expressément octroyée par le peuple. Or, elle n’a pas été conférée à Lycidas, on ne peut le prouver ; le prétendre, ce serait le comble de l’impudence[71].
Voici encore ce dont vous devez vous garder par-dessus tout, Athéniens : Quand même on admettrait pour vrai tout ce qu’avance Leptine, afin de vous prouver l’excellence de sa loi, elle a toujours un côté honteux qu’il ne peut en aucune façon supprimer, et qui se manifestera dès qu’elle aura été promulguée. C’est qu’elle semble frustrer nos bienfaiteurs. Or, c’est là une chose honteuse, nul ne le niera, mais plus honteuse encore pour vous que pour tout autre. Il y a une de vos anciennes lois les plus estimées ainsi conçue : « Celui qui, ayant pris un engagement envers le peuple, y aura manqué, sera cité en justice ; si sa culpabilité est prouvée, le châtiment sera la mort. » Eh ! quoi, Athéniens, cette faute contre laquelle vous avez édicté la peine capitale, ne rougirez-vous pas de la commettre vous-mêmes ? Si l’on doit se garder de tous les actes qui semblent et sont réellement honteux, c’est surtout quand ils sont de ceux qu’on a condamnés chez les autres ; car, dans ce cas, il ne reste nul doute qu’on ne doit pas faire ce qu’on a soi-même jugé criminel.
En outre, ce qui vous répugnerait dans la vie privée, ne le pratiquez pas dans la vie publique. Il est certain que nul de vous, comme particulier, ne reprendrait ce qu’il a donné ; il ne l’essaierait même pas : ne le faites pas non plus au nom de l’Etat ; mais dites aux défenseurs de la loi : « Croyez-vous qu’un de ceux qui jouissent de l’immunité en est indigne, ou qu’il n’a pas accompli en réalité l’acte pour lequel il a été récompensé, ou avez-vous quelque autre reproche à lui faire, assignez-le, au nom de la loi que nous voulons substituer à la vôtre, soit que nous la proposions, ainsi que nous en prenons l’engagement formel, ou que vous la proposiez vous-mêmes, dès qu’une assemblée de nomothètes aura été réunie[72]. » Chacun a bien un ennemi qui prenne l’initiative de l’accuser ; pour l’un, ce sera Diophante, pour l’autre, Eubule[73], pour un troisième, tel autre citoyen. Et si ceux-là même s’y refusent, considérez, Athéniens, ce contraste : chacun de ces hommes répugnerait à sembler dépouiller un ennemi d’une faveur qu’on va vous voir arracher à vos bienfaiteurs, sans que vous ayez rien à leur reprocher. Eh ! quoi, une mesure générale, votée par vous, leur enlèvera vos dons, alors que si un d’entre eux, ou deux, ou plusieurs en sont indignes, Leptine et ses amis pourraient les assigner, et leur faire infliger ce même traitement par jugements individuels. Agir autrement n’est ni honorable, ni digne de vous.
Je reviens encore à ce que j’ai dit plus haut, que c’est au moment où la faveur a été accordée, qu’il fallait apprécier les titres du candidat ; mais si nul alors n’y a contredit, on ne doit plus la retirer, à moins que vous n’ayez eu depuis lors à vous plaindre du titulaire. Et si nos adversaires affirment, sans pouvoir d’ailleurs le prouver, que ce cas s’est en effet présenté, nous répondrons que c’est au moment où la faute a été commise qu’il faut nous montrer qu’elle a été punie. Mais si, sans que cette affirmation soit appuyée par aucun fait, vous ratifiez la loi, on dira que par envie vous avez dépouillé des innocents. Or, c’est peut-être de tous les reproches, celui qu’il vous faut le plus éviter, Athéniens. Pourquoi ? C’est que l’envie est le signe d’une mauvaise nature, et que celui qui y cède ne peut mettre en avant aucun prétexte qui lui gagne l’indulgence. Si notre ville répugne à tout ce qui est honteux, il n’est pas un reproche dont elle se soit toujours tenue plus à l’abri que celui d’envie. Que de preuves on en pourrait donner ! D’abord, vous êtes la seule de toutes les cités où l’on prononce l’éloge funèbre des guerriers morts pour la patrie, où l’on célèbre leurs exploits. Or, une telle institution indique une émulation de vertu, et non un sentiment d’envie, à l’égard de ceux dont on honore les qualités. Ensuite vous avez donné de tous temps de magnifiques récompenses aux athlètes qui méritent une couronne dans les jeux gymniques, et, quoiqu’il n’y ait que quelques hommes d’une nature exceptionnelle qui les puissent briguer, vous ne portez pas envie à ceux qui les ont obtenues, et ne leur avez pas pour cela décerné de moindres honneurs. En outre de si nobles sentiments, notre ville ne s’est jamais laissé vaincre par aucune autre en générosité ; et les récompenses qu’elle décerne en retour des services reçus dépassent de loin la mesure ordinaire. Elle n’a donc cessé de donner des preuves éclatantes de justice, de bonté, de grandeur d’âme. Eh bien ! ces vertus qui l’ont de tous temps illustrée, ne les rejetez pas aujourd’hui ; et pour que Leptine satisfasse ses rancunes privées contre ceux qui ont eu le malheur de lui déplaire, ne ravissez pas à la ville, c’est-à-dire à vous-mêmes, la bonne renommée qui lui a toujours été acquise. Songez-y, toute autre question disparaît, c’est l’honneur d’Athènes qui est en jeu. Restera-t-il intact, aussi pur, qu’aux temps passés, ou le laisserez-vous dégénérer et se corrompre ?
Une chose m’étonne par-dessus tout chez Leptine à propos de sa loi : quand on édicté de sévères châtiments contre les fautes, c’est, semble-t-il, qu’on n’a pas l’intention d’en commettre ; de même, supprimer les honneurs qui récompensent les services, c’est laisser croire qu’on ne songe guère à en rendre. S’il l’ignore, ce qui n’est pas impossible, il prouvera sa bonne foi, en vous permettant d’abroger les mesures qu’il a eu le tort de proposer. Mais si nous le voyons s’obstiner dans ses efforts pour faire ratifier la loi, je n’ai pas lieu de l’en féliciter, si je n’ose pas le blâmer[74]. Ne t’acharne donc pas, Leptine, à poursuivre une victoire qui ne ferait honneur ni à toi, ni à ceux qui suivraient tes conseils ; renonces-y d’autant plus que la lutte est maintenant pour toi sans danger. Bathippe t’avait accusé quand tu étais encore responsable, il est mort ; Apséphion, son fils, a repris l’affaire, mais les délais légaux sont écoulés ; il ne s’agit plus maintenant que de la loi ; tu es personnellement hors de péril[75].
Mais, diras-tu, trois autres citoyens m’avaient accusé avant Apséphion, et ils se sont désistés. Si tu leur reproches de ne t’avoir pas mis en péril, c’est que tu es le plus intrépide de tous les hommes ; mais si de ces circonstances tu prétends tirer une preuve de la justice de ta cause, c’est grande simplicité de ta part. En quoi ta loi est-elle meilleure, parce que l’un de ceux qui t’avaient actionné, est mort avant que l’affaire s’engageât et que tel autre a retiré sa plainte, sur tes instances, ou plutôt parce qu’il était simplement d’entente avec toi ? Invoquer de tels motifs n’est pas fort honorable.
On a choisi comme défenseurs de la loi quatre habiles avocats, Léodamas d’Acharnée, Aristophon d’Azénie, Céphisodote de Céramée et Dinias d’Erchiée[76]. Voici les réflexions que vous pourriez, je crois, faire sur chacun d’eux ; à vous de juger si elles vous semblent fondées. Parlons d’abord de Léodamas. Il s’est inscrit contre les faveurs accordées à Chabrias, et dans lesquelles était comprise l’immunité, aujourd’hui en discussion ; l’affaire a été portée devant les juges, et il a succombé ; or les lois ne permettent pas d’intenter deux fois contre la même personne et pour les mêmes causes des procès civils, ni des poursuites au sujet de reddition de comptes, ou de revendication, ou autres du même genre. Il serait du reste des plus étranges que les services de Chabrias aient alors triomphé devant vous des attaques de Léodamas, et qu’aujourd’hui, quand à ces services qui subsistent s’ajoutent ceux des autres bienfaiteurs de la ville, un tel faisceau se trouvât trop faible pour résister à sa parole. Au sujet d’Aristophon, il y a, je le crois, quelques objections fondées à présenter. Il a obtenu un don du peuple, qui comprenait l’immunité. Je ne vous en fais pas un reproche, Athéniens ; vous avez droit de disposer à votre gré de ce qui vous appartient. Mais voici ce que je ne trouve pas juste : quand il prenait possession pour lui-même de ce privilège, il n’y voyait aucun mal, et, quand il est accordé à d’autres, voici qu’il s’indigne, et veut vous persuader de le leur enlever. Il a aussi proposé de rendre à Gélarque[77] cinq talents, que celui-ci réclamait, comme les ayant fournis au peuple, alors qu’il s’était retiré au Pirée ; en cela Aristophon agissait bien. Mais comparez : une dette qui n’était attestée par aucun témoin, il veut qu’on l’acquitte, en invoquant l’honneur du peuple athénien, et quand il s’agit de faveurs dont le peuple a rendu témoignage en les inscrivant sur des monuments sacrés, aux yeux de tous[78], il vous invite à les abolir. Ainsi d’un côté il propose de restituer ce qui est dû, et de l’autre, ce que le peuple a donné, il veut qu’on le retire. De Céphisodote[79] voici ce que j’ai à dire : il n’est inférieur en éloquence à aucun autre orateur. Mais il est honorable d’employer ce talent à châtier ceux qui vous font tort, Athéniens, plutôt qu’à attaquer ceux qui vous servent. On doit, selon moi, poursuivre de sa haine ceux qui font tort au peuple, non ceux de qui il a reçu quelque bien. J’en viens enfin à Dinias : il va peut-être nous parler de ses triérarchies et de ses liturgies. Si Dinias a rendu de grands services à Athènes, ce que je reconnais assurément, c’est une raison de plus pour que je lui conseille de réclamer de vous quelque honneur pour lui-même, plutôt que de chercher à enlever à d’autres les faveurs qui leur ont été octroyées ; il est plus digne d’un bon citoyen de désirer qu’on récompense ses services, que d’envier à d’autres les honneurs qu’ils ont mérités. Il y a une remarque, la plus importante de toutes, que j’applique en commun aux quatre défenseurs : chacun d’eux a déjà joué souvent le même rôle dans certaines affaires ; or vous avez une loi excellente, qui ne les vise pas spécialement, mais a pour but d’empêcher que cette fonction ne devienne une sorte de métier qui prêterait à de honteux trafics : elle édicté que le peuple ne peut pas confier plus d’une fois au même citoyen le titre de défenseur d’office[80]. Or, ceux qui soutiennent une loi, qui veulent vous convaincre qu’elle est parfaite, doivent eux-mêmes se montrer soumis aux lois existantes ; sinon, il serait bizarre de défendre une loi, quand on en viole soi-même une autre. On va leur lire la loi que je rappelle.
Loi.
Telle est, Athéniens, cette ancienne et sage loi. Si nos adversaires sont sensés, ils se garderont de l’enfreindre.
Je n’ai plus que peu de mots à ajouter, et je descends de la tribune. Vous devez, Athéniens, attacher un grand prix à ce que toutes vos lois soient excellentes, mais surtout celles desquelles dépend l’abaissement ou la grandeur de l’Etat. Quelles sont ces lois ? Ce sont celles qui honorent les services, et punissent le contraire. Si tous les citoyens, redoutant réellement les châtiments qu’édictent les lois, s’abstenaient de faire le mal, et si tous aussi, désireux des dons qui récompensent les belles actions, s’empressaient de faire leur devoir, qui empêcherait qu’Athènes n’atteignît le comble de la grandeur, ne comptant que des hommes de bien et pas un méchant ? Or la loi de Leptine est injuste non seulement parce qu’en supprimant les honneurs, prix des services rendus, elle décourage l’ambition honnête, mais aussi parce qu’elle inflige à la ville le plus honteux renom, celui de violer ses propres lois. Vous savez que les plus graves délits ne peuvent être frappés que d’une peine unique, d’après la loi qui dit expressément : « L’arrêt ne formulera jamais qu’une seule peine, corporelle ou pécuniaire, au gré du tribunal. » Leptine n’a pas observé cette limite : « Si quelqu’un réclame de vous une faveur, dit-il, qu’il soit déchu de tous ses droits, et que ses biens soient confisqués au profit de l’Etat. » — Cela fait double peine. — « Il pourra être déféré aux juges, et appréhendé ; s’il est déclaré coupable, il tombera sous le coup de la loi édictée contre le débiteur du fisc qui exercerait une fonction publique. » Or, la peine infligée dans ce cas, c’est la mort. — Ainsi la peine est triple[81]. N’est-il pas étrange et déplorable, Athéniens, qu’on traite chez vous avec plus de rigueur le bon citoyen qui réclame une faveur en retour de ses services, que le criminel convaincu des plus horribles forfaits.
Une telle loi, Athéniens, est inique, honteuse, et semble dictée par l’envie, la rancune[82] et autres passions mauvaises ; et celui qui la propose a l’air de céder à de semblables mobiles. Il ne convient pas que vous suiviez un tel exemple, et fassiez montre de sentiments indignes de vous. Que devons-nous en effet souhaiter par-dessus tout ? Quel est le but principal où tendent les lois ? C’est qu’il ne se produise pas de meurtres entre citoyens, et, pour y veiller, on a institué le tribunal suprême de l’Aréopage ; dans les lois qui visent ce genre de crime, Dracon a édité des peines redoutables. Le meurtrier est tenu à l’écart de l’eau lustrale[83], des libations, des repas communs, des sacrifices, de la place publique : Dracon énumère toutes les autres pénalités qu’il croyait les plus propres à empêcher les crimes de ce genre ; mais il ne supprime pas le droit de légitime défense ; il précise les circonstances où il est permis de donner la mort, et où le meurtrier reste pur. Ainsi, vos lois reconnaissent parfois le droit de tuer, et, d’après celle de Leptine, on ne pourrait réclamer légitimement une faveur, en aucun cas. Ce n’est pas possible, Athéniens ; quoi ! vous seriez préoccupés d’empêcher qu’aucun de vos bienfaiteurs pût obtenir de vous la moindre distinction, plus que de prévenir des meurtres dans votre cité[84]. Non, vous ne le voudrez pas ; vous vous rappellerez les services qui avaient mérité vos faveurs, vous vous rappellerez le décret de Démophante, dont vous parlait Phormion, par lequel le peuple s’engage par serment à décerner à tous ceux qui auront souffert pour la défense de la démocratie les mêmes récompenses qu’à Harmodios et à Aristogiton ; et vos suffrages rejetteront la loi. Agir autrement, ce serait vous parjurer[85].
Puis écoutez encore ceci : Une loi n’est pas bonne, qui prétend régler l’avenir sur le passé : « Nul n’est exempté, dit-elle, excepté les descendants d’Harmodios et d’Aristogiton. » — Bien. « Il ne sera permis dorénavant au peuple de faire aucun don. » — Quoi, Leptine ! pas même s’il surgissait des hommes tels que ces deux héros ? Que tu aies critiqué le passé, je le veux bien ; mais connaissais-tu l’avenir ? — Nous ne pouvons certes supposer, diras-tu, que de pareils temps renaissent[86]. Je le souhaite, Athéniens ; cependant il ne faut pas que notre langage et nos lois fassent montre d’une si orgueilleuse confiance. Espérons une heureuse destinée, prions les dieux de nous l’accorder ; mais n’oublions pas que l’humanité n’est à l’abri d’aucun revers. Les Lacédémoniens non plus ne s’attendaient pas à être jamais réduits où ils en sont[87]. Et les Syracusains, quand autrefois ils vivaient libres en démocratie, quand ils imposaient tribut aux Carthaginois, régnaient sur tous les peuples d’alentour, et nous avaient nous-mêmes vaincus dans un combat naval, supposaient-ils qu’un misérable greffier, appliqué, dit-on, aux plus bas emplois, les courberait sous sa tyrannie[88] ? Et le second Denys, notre contemporain ? Quand Dion vint sur un vaisseau marchand l’attaquer, avec une poignée de soldats, Denys s’attendait-il à être chassé du trône, lui qui commandait à tant de galères, de mercenaires et de cités[89]. L’avenir est caché aux yeux de tous les hommes ; les moindres accidents entraînent les plus graves conséquences. Aussi, devons-nous rester modérés dans la prospérité, et montrer que nous nous préoccupons de l’avenir.
Je pourrais énumérer encore de nombreux motifs pour établir que cette loi n’est bonne en rien, dans aucun cas, et vous est nuisible en tout ; mais je préfère terminer par une remarque qui résumera tout. Faites ceci, Athéniens : Examinez, comparez ce qui résultera ou du rejet ou du vote de la loi. Gardez dans votre mémoire ce qui vous apparaîtra dans l’un ou l’autre cas, et choisissez le meilleur parti. Si vous abrogez la loi, comme nous vous y invitons, les hommes honorables jouiront des droits qu’ils tiennent justement de vous ; si quelqu’un en est indigne, car j’admets qu’il s’en peut trouver, on lui retirera tout privilège, et de plus il subira tel châtiment que vous jugerez à propos, en vertu de la loi que nous substituons à celle de Leptine ; et la cité se montrera fidèle, équitable, loyale envers tous. Mais si vous rejetez notre avis, ce qu’à Dieu ne plaise ! les bons citoyens seront lésés, à cause des mauvais ; les hommes tarés entraîneront la déchéance des autres, sans subir eux-mêmes aucune peine[90] ; et la cité, contrairement à ce que j’indiquais tout à l’heure, semblera déloyale, envieuse, coupable à l’égard de tous. Non, Athéniens, vous ne voudrez pas renoncer à de belles et utiles institutions, si bien d’accord avec votre caractère, pour encourir un si injurieux renom. Car chacun de vous sera responsable en particulier des décisions arrêtées en commun. Nul, en effet, dans l’assistance qui nous écoute, nul aussi, parmi les autres citoyens, n’ignore que si au tribunal Leptine lutte contre nous, de même dans la conscience de chacun de vous, juges, c’est la générosité qui lutte contre l’envie, la justice contre la perfidie, tous les bons sentiments contre les plus mauvais. Suivez donc les inspirations les plus nobles, conformez vos suffrages à nos conseils ; l’opinion publique approuvera votre décision ; de plus vous aurez rendu, par un tel vote, le plus grand service à Athènes ; et si les circonstances l’exigent, vous ne manquerez pas de citoyens prêts à s’exposer pour vous au péril. En vertu de tous ces motifs je crois que vous devez être attentifs à ne pas subir la contrainte de ceux qui veulent vous faire commettre une faute si grave. Souvent, en effet, Athéniens, sans qu’on vous eût convaincus que telle mesure était juste ou ne l’était pas, vous vous êtes laissé entraîner par les clameurs, la violence, l’impudence des orateurs. Qu’il n’en soit pas ainsi aujourd’hui : ce serait indigne de vous. Arrêtez dans votre conscience la décision qui est juste ; gardez-la dans votre mémoire jusqu’au moment où vous aurez à déposer votre suffrage ; et alors, fidèles à votre serment, vous condamnerez par votre vote ceux qui vous conseillent des actes criminels. Eh ! quoi, contre ceux qui altèrent la monnaie, vous édictez la peine de mort ; et à ceux qui altèrent la réputation d’honneur et de loyauté de notre cité, vous prêteriez une oreille docile[91] ! Non, ce n’est pas possible : j’en atteste Zeus et tous les dieux !
Je ne sais ce que l’on pourrait dire de plus ; je crois que vous n’ignorez rien de ce qui importe à la cause.