DÉMOSTHÈNE

Discours judiciaires

Traduction C. Poyard

DISCOURS CONTRE MIDIAS

ARGUMENT

Midias jouissait à Athènes d’un grand crédit, grâce à ses richesses et à ses libéralités ; mais son orgueil et son insolence étaient extrêmes. Démosthène, dès le début de sa carrière, avait encouru son inimitié. Lors du procès contre ses tuteurs, Midias avait pris parti contre lui, et était venu l’insulter jusque dans son domicile, ainsi que sa mère et sa soeur. Pour ce fait, traduit en justice, Midias avait été condamné à une amende qu’il se refusa toujours à payer. Ensuite, quand la question d’Eubée fut portée devant le peuple, Démosthène s’opposa à une expédition militaire que Midias conseillait et fit voter, au grand préjudice d’Athènes.

Plus tard, en 349, Démosthène, s’étant volontairement chargé d’une chorégie, n’épargnait rien pour donner de l’éclat à la représentation, et assurer le succès de son choeur sur ceux de ses rivaux. Midias eut recours à tous les moyens pour faire échouer ses projets : il désorganisa le choeur en réclamant pour le service en Eubée les principaux de ses membres ; recourant même aux procédés les plus mesquins et les plus condamnables, si l’on en croit Démosthène, il décida le chef du choeur à rompre son contrat, fit déchirer et dégrader les vêtements et les couronnes, ameuta les autres chorèges contre Démosthène ; enfin, on ne sait à la suite de quelle discussion, en plein théâtre de Dionysos, devant le peuple assemblé, il s’oublia jusqu’à le frapper violemment au visage.

C’en était trop ; Midias fut hué ; et, dans l’assemblée qui, d’après la loi, se réunissait au théâtre même, aussitôt après les grandes Dionysiaques, pour décider des plaintes qui avaient pu être soulevées à propos de ces solennités, Démosthène accusa Midias « pour délit commis au sujet de la fête », et le fit déclarer coupable. Mais ce genre de vote, purement moral, n’entraînait aucune sanction. Démosthène, pour obtenir complète satisfaction, s’adressa aux tribunaux. Midias essaya d’arrêter l’affaire, en traitant à l’amiable avec son adversaire. Sur son refus, il chercha à le perdre par tous les moyens : l’accusant d’abord de désertion en face de l’ennemi, parce que Démosthène avait dû quitter l’armée pour venir remplir à Athènes ses fonctions de chorège, puis d’assassinat ou au moins de complicité, à la suite du meurtre d’un certain Nicomède, agent de Midias. Toutes ces entreprises échouèrent, et Démosthène écrivit son plaidoyer dans la seconde année qui suivit l’insulte. Mais il ne fut pas prononcé ; et l’orateur finit par accepter une misérable somme de trente mines, pour retirer sa plainte. Eschine, dans le discours sur la Couronne, le lui reproche, avec une justice apparente ; mais Plutarque, plus impartial, explique que, si Démosthène se résigna à cet abandon de ses droits et de son honneur, c’est qu’il désespérait de triompher d’un adversaire si riche et si accrédité. Sa résolution fut peut-être dictée aussi par un motif politique. Après avoir longtemps soutenu la nécessité d’une lutte armée contre Philippe, nous le voyons à cette époque se rallier au parti de la paix, auquel Midias appartenait ; et il est possible, probable même que le chef de ce parti, Eubule, lui avait demandé, comme gage de ce ralliement, l’abandon de la poursuite dirigée contre Midias. Le plaidoyer ne fut donc pas publié, et il semble même, d’après certaines négligences de détail, que Démosthène n’y mit pas la dernière main. Tel qu’il nous est parvenu, c’est une oeuvre admirable par la composition générale, la vigueur de l’argumentation, l’étroite liaison des idées, et la beauté d’un style simple, net, serré, vraiment attique. Nous y admirons par-dessus tout la longue discussion par laquelle il établit la gravité de l’insulte. Ce n’est pas seulement Démosthène qui a été outragé, c’est le chorège dans l’exercice de ses fonctions, c’est-à-dire le peuple même qui les lui avait confiées, et le dieu en l’honneur duquel la fête était célébrée. Puis, autour de l’acte principal qui a motivé la poursuite judiciaire, Démosthène groupe habilement tous les faits qui l’ont précédé ou suivi, et qui prouvent l’acharnement de son ennemi. Il essaie aussi d’amoindrir son crédit, en montrant que les libéralités qui l’ont rendu populaire, et qui étaient de si médiocre importance par rapport à sa grande fortune, n’ont fait que masquer les plus vils sentiments : l’égoïsme, la cupidité, la lâcheté même et l’insolence qui, appuyée sur la calomnie, s’est exercée non seulement sur de simples citoyens, mais sur le peuple tout entier, dont Midias a affecté de mépriser les arrêts. Toutes les ressources de l’art sont mises en oeuvre dans ce discours, un de ceux qui attestent le mieux le génie du grand orateur.

DISCOURS CONTRE MIDIAS

Nul de vous, juges, ni des autres citoyens n’ignore sans doute combien Midias ne cesse de se montrer impudent et insolent à l’égard de tous[1]. Eh bien ! ce que chacun de vous n’eût pas manqué de faire, s’il eût été outragé, je l’ai fait moi-même : j’ai déféré Midias au peuple, comme ayant commis un délit au sujet de la fête. Non seulement, en effet, il m’a frappé pendant la célébration des Dionysiaques ; mais j’ai eu à subir de sa part bien d’autres actes de violence, dans le cours de ma chorégie. Mû par un noble sentiment d’équité, le peuple tout entier a manifesté contre lui son irritation et sa colère ; il s’est vivement intéressé à ce qu’il m’avait vu souffrir. Malgré les efforts de Midias et de quelques autres citoyens qui travaillaient pour lui, le peuple ne s’est pas laissé persuader ; il n’a tenu nul compte de la grande fortune de mes adversaires[2], ni de leurs promesses ; mais d’un accord unanime il a voté contre lui. Alors, juges, beaucoup de ceux qui siègent ici aujourd’hui, beaucoup aussi d’autres citoyens sont venus me demander, me conseiller de poursuivre Midias, de le traduire devant votre tribunal ; ils agissaient ainsi pour deux motifs, bien fondés, Athéniens ; j’en atteste les dieux : d’abord parce qu’ils pensent que j’ai été indignement traité, et aussi parce qu’ils veulent châtier l’odieuse insolence qui le rend insupportable à tous les autres. J’ai donc placé tous mes intérêts sous votre équitable protection, et, puisqu’un magistrat consent à instruire l’affaire[3], me voici, vous le voyez, qui me présente comme accusateur. On m’a proposé de grosses sommes, Athéniens, pour que je renonce à la poursuite ; je les ai refusées ; que de prières aussi ! que de démarches officieuses ! et aussi, que de menaces ! J’ai résisté à tout. A vous de prononcer ; et, plus on vous a importunés, sollicités, — (je voyais encore tout à l’heure les intrigues de Midias à l’entrée du tribunal) — plus j’ai l’espoir que vous suivrez la voie de la justice. Car je ne voudrais faire à aucun de vous l’injure de croire qu’après vous être de vous-mêmes intéressés à ma cause, vous la négligeriez maintenant, ou que par tendresse pour Midias, afin qu’il puisse sans crainte à l’avenir renouveler ses violences, il se trouverait un citoyen pour émettre, en dépit de son serment, un vote contraire à ce qu’il croit juste. Si je devais, Athéniens, accuser Midias pour violation de la loi, ou concussion dans une ambassade, ou pour quelque autre cause analogue, je croirais n’avoir à vous adresser aucune prière, pensant que dans de tels cas l’accusateur n’a qu’à formuler les preuves, tandis que c’est à l’accusé d’avoir recours aux supplications. Mais dans le cas présent, Midias a corrompu les juges du concours[4], et ma tribu a ainsi été privée du trépied qu’elle avait mérité ; en outre, j’ai été frappé et outragé de telle façon qu’aucun autre chorège ne l’avait été jusqu’ici ; au point que l’indignation, la colère du peuple contre Midias s’est manifestée par un vote ; dans ces conditions, je n’hésiterai pas à vous adresser mes prières. Car, à vrai dire, c’est moi aujourd’hui qui suis digne de pitié ; ne pas obtenir justice quand on a été outragé, ne serait-ce pas un réel malheur ? Je vous prie donc tous, juges, et je vous supplie, d’abord, de m’écouter avec bienveillance, et ensuite, si je prouve que ce Midias a outragé non seulement moi, mais vous, et les lois, et tous les citoyens[5], de me prêter secours, et à vous, en même, temps. Car, en vérité, Athéniens, j’ai bien subi un outrage personnel, mais ce qui est en discussion, ce qui va être décidé, c’est de savoir si de tels actes doivent être permis, si l’on peut ou non outrager impunément l’un quelconque d’entre nous. Quelques-uns de vous, juges, pouvaient supposer que c’était une affaire privée qui vous était soumise. Rendez-vous bien compte qu’il est de l’intérêt public de n’accorder à personne une telle licence. Il s’agit d’une affaire publique, écoutez-moi donc avec attention, et décrétez ce qui vous apparaîtra comme le plus juste.

On va d’abord lire la loi qui règle les plaintes déférées au peuple. J’essaierai ensuite de vous instruire des autres points de la cause. Greffier, lisez la loi.

Loi.

« Les prytanes doivent réunir l’assemblée dans le temple de Dionysos le lendemain des Pandies[6]. On y traitera d’abord les questions qui touchent le culte ; puis les prytanes soumettront à l’assemblée les plaintes formulées à l’occasion de la cérémonie ou des spectacles célébrés dans les Dionysiaques, si ces plaintes n’ont pas enoore reçu satifaction. »

Telle est, Athéniens, la loi qui règle les plaintes déférées au peuple. Elle déclare, comme vous venez de l’entendre, que l’assemblée doit se réunir dans le temple de Dionysos, à la suite des Pandies, et qu’après que les proèdres[7] auront traité les questions qui leur sont soumises par l’archonte, l’assemblée s’occupera des délits ou des illégalités dont la fête aura été l’occasion. Voilà qui est bien, Athéniens, et cette loi est utile ; la cause actuelle en porte témoignage. Car si, sous la menace même de cette loi, il est encore des gens qui osent se livrer à des insultes, que ne pourrait-on attendre de leur part au cas où ils n’auraient à risquer aucune poursuite ?

Je veux maintenant vous lire la loi qui suit celle-là ; elle fera voir clairement à tous la prudence de vos règlements et l’audace de Midias. Greffier, lisez la loi.

Loi.

« Evégoras a dit : quand ont lieu les fêtes de Dionysos au Pirée[8], avec les représentations comiques et tragiques, ou les fêtes du mois Lénéen, avec ces mêmes spectacles, ou les Dionysiaques de la ville, avec les jeux de la jeunesse, le festin public et les représentations comiques et tragiques, ou pendant les cérémonies et les jeux du mois Thargélion[9], on n’a le droit ni de demander des gages, ni de rien recevoir, quand même il s’agirait de dettes qui ont dépassé l’échéance. Si quelqu’un enfreint cette règle, la partie molestée a droit de le déférer à l’assemblée réunie dans le temple de Dionysos, comme ayant commis un délit, et dans la forme prescrite pour les autres délits. »

Vous comprenez, juges, que si la première de ces deux lois défère au peuple les auteurs de délits commis à l’occasion de la fête, par la seconde vous lui déférez aussi ceux qui réclament l’acquit de dettes non payées à l’échéance, ou qui acceptent ou exigent d’un autre quoi que ce soit. Non seulement, en effet, pendant ces périodes, vous avez pensé qu’on ne doit pas outrager un citoyen dans sa personne, ou dans les objets qu’il a payés de ses deniers, pour s’acquitter d’une liturgie ; de plus les biens échus par sentence judiciaire au réclamant doivent rester, du moins pendant la fête, à la partie qui les avait d’abord possédés. Telles sont, en effet, Athéniens, et votre humanité et votre piété que vous avez différé, durant ces journées, la punition même des délits précédemment commis ; et c’est précisément alors que Midias s’est rendu coupable d’actes dignes du dernier châtiment : je vais l’établir. Je veux vous montrer d’abord, en détail tout ce qu’il m’a fait souffrir ; puis je parlerai des coups qu’il a fini par m’infliger ; vous verrez clairement qu’il n’y a pas un seul de ses actes à mon égard qui ne mérite la mort[10].

Il y avait deux ans que la tribu Pandionide[11] n’avait pas désigné de chorège, et le jour était venu de l’assemblée où, d’après la loi, l’archonte doit désigner par le sort les joueurs de flûte pour les différents choeurs. Après bien des pourparlers et des querelles, comme l’archonte voulait assigner les commissaires de la tribu, et ceux-ci assigner l’archonte[12], je me présentai, offrant de remplir volontairement les fonctions de chorège, et le sort me désigna le premier pour choisir le joueur de flûte. Tous alors vous avez accueilli avec la plus grande faveur et ma déclaration, et l’avantage que je devais au hasard[13]. Vos acclamations, vos applaudissements ont témoigné que vous approuviez mon offre, et en étiez charmés. Midias seul, entre tous, s’en irrita et, dans tout le cours de ma liturgie, il ne cessa de me prodiguer les avanies, grandes ou petites. Que n’a-t-il pas fait pour me contrecarrer, tantôt s’opposant à ce que mes choreutes fussent dispensés du service militaire, tantôt se présentant lui-même et demandant à être nommé commissaire pour les fêtes de Dionysos ; sans parler de tant d’autres avanies ; mais laissons cela. Je n’ignore pas, en effet, que si, provoqué, insulté, j’étais aussi sensible à ces taquineries que je l’eusse été aux plus violentes attaques, vous, au contraire, qui êtes désintéressés dans l’affaire, vous ne les trouveriez pas dignes en elles-mêmes d’être discutées ; mais ce qui soulèvera votre indignation à tous autant que la mienne, je vais vous le dire : Les faits qui suivirent sont si incroyables, que je n’aurais pas entrepris d’en accuser aujourd’hui Midias[14], si je ne les avais tout d’abord prouvés devant le peuple. Les costumes sacrés, — je regarde, en effet, comme sacré tout ce qui est préparé pour la fête, avant même qu’on en ait fait usage, — les couronnes d’or que j’ai fait fabriquer pour en orner les choreutes, Midias a comploté de les détruire, en se glissant de nuit dans la maison de l’orfèvre ; il y a en partie réussi, et, s’il n’a pas tout détruit, c’est qu’il ne l’a pas pu. Ce n’était pas assez ; il a encore, Athéniens, corrompu à prix d’or le maître qui instruisait le choeur ; et si le joueur de flûte Téléphane ne s’était montré pour moi le meilleur des hommes, et, s’apercevant de ce qui se passait, n’avait chassé le misérable, et n’avait cru de son devoir de dresser les choreutes et d’établir l’accord parmi eux, nous n’aurions pu concourir, Athéniens ; mon choeur se serait présenté sur la scène sans être instruit ; c’eût été pour nous le comble de la honte. Midias ne s’en est pas encore tenu là dans ses violences, mais il en est venu jusqu’à corrompre l’archonte au front ceint de la couronne[15], et à liguer contre moi les chorèges ; il a crié, menacé ; il a cherché à circonvenir les juges du concours, au moment où ils prêtaient serment ; il a fermé, verrouillé les coulisses ; Midias, simple particulier, dispose de ce qui appartient au peuple, et il ne cesse de me nuire, de me créer, des embarras inouïs. De tous ces actes qui se sont passés en public ou devant les juges au théâtre, je vous prends tous à témoin, vous qui siégez ici ; votre témoignage attestera la vérité des assertions de l’orateur[16]. Après avoir corrompu les juges du concours, il a couronné ses prouesses par deux faits capitaux ; il m’a outragé dans ma personne, et il est la cause principale que la tribu qui l’emportait par le mérite n’a pas obtenu la victoire.

Tels sont les délits sacrilèges commis, à l’occasion de la fête, contre moi et les citoyens de ma tribu, et que j’ai de suite déférés au peuple, et bien d’autres encore ; je vais, autant que j’en serai capable, les passer de suite en revue devant vous. J’ai à parler d’actes innombrables qui attestent la perversité et l’insolence de ce misérable ; sa prodigieuse audace s’est exercée contre beaucoup d’entre vous. Parmi ceux qui en ont souffert, les uns, juges, redoutant son impudence, les amis qui l’entourent, sa richesse ; toutes les ressources dont il dispose, n’ont pas osé se plaindre ; les autres ont essayé d’obtenir justice, et n’y ont pas réussi ; il en est encore qui ont cru, sans doute, plus utile de s’entendre avec lui à l’amiable. Ceux qui ont consenti à un arrangement ont ainsi obtenu une satisfaction personnelle. Quant à celle que réclament les lois qu’il a violées en lésant ses autres victimes, et maintenant moi-même, c’est à vous que revient cette tâche : appréciez le tout ensemble, et décidez comme vous le croirez équitable. Je prouverai d’abord les outrages qu’il m’a faits, puis, ceux que vous avez subis, j’examinerai ensuite le reste de sa vie, Athéniens, et je montrerai qu’il a mérité mille morts, et non une seule. Greffier, lisez le premier témoignage de l’orfèvre :

Témoignage.

« Je me nomme Pamménès, fils de Pamménès, du bourg d’Erchie. J’ai une boutique d’orfèvrerie sur l’agora : j’y demeure, et y pratique mon art. Démosthène, à qui je porte témoignage, m’avait chargé de fabriquer une couronne d’or, et de confectionner un manteau doré, pour s’en orner dans la cérémonie des fêtes de Dionysos. J’exécutai cette double commande, et je gardais chez moi ces deux objets, quand Midias, le personnage que Démosthène traduit en justice, se précipita de nuit dans ma boutique, avec plusieurs compagnons, et essaya de détruire la couronne et le manteau. Il les endommagea en partie ; et, s’il ne put achever son oeuvre, c’est que je survins et l’en empêchai[17]. »

J’ai à citer, Athéniens, comme je l’ai dit au début de ce discours, beaucoup d’actes iniques commis par Midias à l’égard d’autres citoyens, et j’ai recueilli une longue série d’outrages et d’infamies que je vais énumérer devant vous. Il m’était facile de les réunir ; car, ceux mêmes qui en ont été victimes se sont adressés à moi. Mais je veux auparavant rappeler tout ce que j’ai appris au sujet des menées qu’il a ourdies pour vous tromper[18] ; il est nécessaire à ma cause de vous en informer, et très utile pour vous de les connaître : Pourquoi ? c’est qu’en vous mettant en garde contre ses artifices, je vous disposerai à voter selon la justice et le serment que vous avez prêté. Il importe donc, par-dessus tout, que vous écoutiez mes paroles avec attention, et que vous les graviez dans votre souvenir, afin d’avoir réponse à chacun de ses arguments, quand il parlera.

Il dira d’abord, évidemment (et j’en ai été instruit d’après le langage qu’il a tenu dans des entretiens particuliers), que si j’avais réellement subi ce dont je l’accuse, j’aurais dû lui intenter un procès privé, pour détérioration du manteau et des couronnes dorées, pour dommage, à cause de toutes les avanies dont il a accablé le choeur, enfin, pour outrage, en retour des violence », dont je déclare avoir été victime ; mais il prétendra que je n’ai nullement le droit d’intenter une action publique, pouvant entraîner châtiment ou amende. Pour moi, il y a une chose que je sais bien, et qu’il faut que vous sachiez vous-mêmes : si je n’avais pas déféré Midias au peuple, mais intenté simplement un procès privé, il n’aurait pas manqué de soutenir la thèse contraire ; il aurait dit : « Si ce que Démosthène articule était vrai, il lui fallait me déférer au peuple, et réclamer un châtiment pour les délits par moi commis, puisque le choeur dépendait de la ville, que tous les costumes étaient préparés en vue de la fête, qu’enfin Démosthène, qui se prétend victime, était chorège ; il n’y avait pas d’autre châtiment à demander que celui que la loi édicte contre les délits commis à propos de la fête. » Voilà, je le sais parfaitement, le langage qu’il aurait tenu dans ce cas. Il est naturel en effet, à mon avis, que le défendeur, celui qui a commis le délit, pour se dérober à la voie légale suivant laquelle il est poursuivi, soutienne que celle qui a été écartée était précisément celle qu’il fallait employer ; mais des juges éclairés ne doivent pas se prêter à cette tactique ; ils n’ont qu’à châtier l’insolent dont les outrages leur sont prouvés. Ne lui permettez donc pas de détourner la question en disant que la loi m’autorise à intenter une action civile et à le poursuivre pour violence ; sans doute, j’ai ce droit ; mais ce qu’il lui faut démontrer, c’est qu’il n’a pas fait ce dont je l’ai accusé, ou que, l’ayant fait, il n’a pas commis un délit qui intéresse la fête ; car c’est sur ces griefs que je l’ai déféré au peuple, et c’est sur eux que vous avez à voter. D’ailleurs si, renonçant aux avantages que j’aurais pu tirer d’un procès privé[19], je préfère laisser à l’État le soin de me venger, si j’ai choisi le mode d’action d’où je n’ai aucun profit à tirer, ce sacrifice de ma part, loin de me nuire, doit m’assurer votre faveur.

Il est encore un point sur lequel il ne manquera pas d’insister : « Ne me livrez pas à Démosthène, dira-t-il ; ne me condamnez pas à cause de Démosthène. De ce que je suis en guerre avec Démosthène, est-ce une raison pour que vous me condamniez ? » C’est ce qu’il va dire et répéter, j’en suis sûr, et il essaiera, par là, de me discréditer auprès de vous. Mais rien n’est plus faux que ce langage. En effet, on ne peut dire que vous livriez le criminel à l’accusateur ; quand un citoyen a été lésé, ce n’est pas en cédant à ses conseils que vous prononcez telle ou telle punition ; mais vous avez établi, en principe, des lois qui précèdent tout délit, en vue de coupables à venir que vous ne connaissiez pas plus que ceux qui seraient lésés. Et ces lois, quel est leur rôle ? Elles promettent à tous les citoyens qu’ils pourront, s’ils sont lésés, les invoquer pour obtenir justice. Quand vous châtiez tel ou tel qui a violé les lois, vous ne le livrez pas à ses accusateurs, mais vous confirmez vos lois, en leur donnant une sanction.

A cette autre assertion, « c’est Démosthène qui a été outragé », voici ce qu’il est juste de répondre dans l’intérêt commun, au nom de tous : « Non, ce n’est pas seulement Démosthène que Midias a insulté dans ce jour solennel, c’est aussi votre chorège ». Je vais vous faire comprendre la valeur de cette distinction. Vous savez que parmi les thesmothètes qui président cette audience, aucun ne s’appelle « Thesmothète » ; chacun a son nom particulier. Si l’on outrage l’un d’eux par des actes ou des paroles, en tant qu’homme privé l’insulteur sera poursuivi pour violences ou pour diffamation ; ce sera un procès privé ; mais s’il a insulté le thesmothète, il sera déchu, pour ce seul fait, de tous ses droits civils. Pourquoi ? c’est que celui qui insulte un thesmothète, outrage, en même temps, les lois et la couronne sacrée dont la ville a ceint son front, et la cité elle-même ; le nom de thesmothète, en effet, ne désigne pas tel ou tel, mais le représentant de la Cité. Il en est de même de l’archonte ; celui qui le frappe ou le diffame, quand il porte la couronne, est déchu de ses droits ; si l’outrage a lieu quand l’archonte est rentré dans la vie privée, l’insulteur ne doit répondre qu’à une action civile. Et il en est ainsi, non seulement du thesmothète et de l’archonte, mais de tous ceux qui sont inviolables, en tant que portant la couronne, ou investis, par la ville, de quelque honneur. Ainsi pour moi. En toute autre circonstance, quand je suis simple citoyen, que Midias me fasse tort, il n’est passible que d’une poursuite privée. Mais comme j’étais votre chorège dans ce jour de fête où il m’a publiquement outragé, c’est la colère et la vengeance du peuple qui le poursuivent justement ; car, en même temps que Démosthène, c’est le chorège qui était insulté, c’est-à-dire, le représentant de la ville, et dans la période fériée où les lois le protègent. Cest quand vous édictez les lois qu’il faut examiner ce qu’elles valent, mais, une fois qu’elles sont établies, vous devez les défendre et les appliquer ; vous l’avez juré, et cela est juste à tous égards. Il existait dès longtemps des lois sur les dommages, les voies de fait, les outrages. S’il suffisait que ceux qui se rendent coupables d’un de ces actes pendant les Dionysiaques fussent poursuivis en vertu de ces lois, il n’y avait pas lieu d’y ajouter cette autre loi spéciale. Or, cela ne suffisait pas. Et ce qui le prouve, c’est que vous avez établi une loi sacrée qui règne, au nom du dieu lui-même, pendant les jours de fête. Si donc un homme est justiciable, à la fois, et des lois préexistantes et de la loi spéciale, qui y a été ajoutée, est-il juste qu’il soit plus sévèrement puni ? oui, je l’affirme.

J’ai entendu dire que Midias s’informait de tous ceux à qui il est arrivé d’être outragés, et qu’il se proposait de les nommer et d’exposer leur cas devant vous : il citera, par exemple, le proèdre qui fut, dit-on, frappé par Polyzélos, et ce thesmothète[20] qui fut frappé, tout récemment, en essayant de délivrer la joueuse de flûte, et tels ou tels encore. Croit-il, parce qu’il vous aura montré beaucoup d’autres citoyens gravement maltraités, que vous deviez être moins irrités de ce que j’ai souffert ? A mes yeux, Athéniens, c’est tout le contraire qui arrivera, si l’intérêt public vous préoccupe. Qui de vous ne le voit en effet ? Si tant de faits de ce genre se sont produits, l’impunité des coupables en est la cause ; et, pour que de telles violences ne se reproduisent pas à l’avenir, il suffira que celui qui en est convaincu n’échappe jamais au châtiment mérité. Ainsi, pour détourner les autres d’agir de même, il faut condamner Midias, à cause des délits qu’il a commis à mon égard, et d’autant plus sévèrement qu’ils ont été plus nombreux et plus graves ; si vous préférez, au contraire, l’exciter à la violence, et avec lui, tous les autres, laissez-le aujourd’hui impuni. D’ailleurs, n’est-il pas bien moins digne d’indulgence que ceux qu’il nous cite ? D’abord, celui qui a frappé le thesmothète avait une triple excuse : l’ivresse, l’amour, enfin les ténèbres qui l’empêchaient de reconnaître son adversaire. Quant à Polyzélos, il a déclaré que la colère, l’emportement de sa nature avaient devancé chez lui toute réflexion ; car il n’était pas l’ennemi du proèdre, et il n’a pas frappé avec le dessein d’outrager. Midias n’a rien de pareil à alléguer. Il était mon ennemi, et il m’a outragé, sciemment, en plein jour : tout prouve qu’il m’a outragé avec préméditation. Le fait du proèdre et celui du thesmothète n’ont aucun rapport avec le mien. Celui-ci n’a pas montré qu’il se souciât des lois, qu’il regardât l’insulte qui lui était faite, comme intéressant la cité ; c’est comme simple citoyen, et à prix débattu qu’il a abandonné la poursuite. Le proèdre, frappé par Polyzélos, a agi de même ; à la suite d’un accord tout privé, il n’a fait nul cas ni de vous, ni des lois, et n’a même pas engagé d’action. S’il s’agit de blâmer la conduite de ces deux citoyens, voilà ce qu’on peut rappeler ; mais si l’on prétend faire de leur désistement un argument contre ma poursuite, il est absolument sans valeur. Tout au contraire de ces gens, je n’ai rien reçu, rien désiré recevoir, c’est un fait évident ; mais c’est au nom des lois, du dieu, de vous-mêmes que j’ai réclamé justement la punition du coupable ; c’est un devoir dont je m’acquitte aujourd’hui. Ne lui permettez donc pas d’articuler un tel moyen, ou, s’il passe outre à votre défense, ne prêtez pas l’oreille à un langage si mal fondé. Que telle soit votre résolution, et il sera confondu. Quelle excuse, en effet, donnera-t-il à ses actes, de celles que peut invoquer un honnête homme ? la colère ? c’est ce qu’il dira peut-être ; sans doute, si quelqu’un est entraîné soudain, sans réflexion, à quelque violence de ce genre, il a le droit d’alléguer la colère ; mais si, depuis longtemps, pendant bien des jours de suite, un homme viole ostensiblement des lois, loin qu’il puisse se prétendre emporté par la colère, il est clair que ses violences sont préméditées. Puisqu’il est évident que Midias a commis les actes dont je l’accuse, et que ces actes sont des outrages, examinons le texte des lois, juges ; car vous êtes engagés par serment à juger selon les lois. Voyez combien elles frappent avec plus de force et de rigueur les délits volontaires en vue d’outrager, que ceux d’autre nature. D’abord, toutes les lois qui visent un dommage, à commencer par celle-là, déclarent que la réparation du dommage sera double de sa valeur, s’il a été volontaire ; simple, dans le cas contraire. Et c’est justice ; car si celui qui a subi le dommage a droit, en tout cas, d’obtenir assistance, la loi se montre inégalement rigoureuse, selon que l’acte a été volontaire ou non. Quant aux lois sur le meurtre, elles édictent contre le meurtre volontaire la mort, l’exil perpétuel, la confiscation des biens ; mais elles se montrent pleines de clémence et d’humanité pour le meurtre involontaire. Et ce ne sont pas seulement ces deux sortes de lois sur le dommage et le meurtre qui frappent avec sévérité les actes volontaires, mais toutes les lois sans exception. Qu’un débiteur condamné refuse de s’acquitter[21], et soit poursuivi de nouveau ; il ne s’agit plus d’une simple restitution privée ; ne doit-il pas en outre verser une amende au trésor ? Et encore si, à la suite d’un accord volontaire, tel ou tel a reçu un talent, ou deux, ou dix, et ne les a pas restitués, il n’y a pas lieu à action publique ; qu’il s’agisse, au contraire, d’un objet de la plus mince valeur, s’il a été ravi par violence[22], les lois exigent qu’on paie au trésor la même somme qu’à la personne frustrée. Pourquoi ? c’est que tout acte de violence est considéré par le législateur, comme un délit d’ordre public, intéressant même ceux qui sont en dehors de l’affaire : la force, en effet, n’appartient qu’à quelques-uns ; mais le droit, à tous ; celui qui a cédé à la persuasion ne peut réclamer qu’un secours privé ; mais la victime d’un acte violent a droit à l’assistance publique. Aussi, la loi permet à tout citoyen d’intenter une poursuite pour violence, mais l’amende tout entière revient à l’État ; parce que celui qui outrage est regardé comme faisant tort non seulement à sa victime, mais à l’État ; pour la personne maltraitée, le châtiment du coupable est une réparation suffisante, car il n’est pas convenable de tirer profit d’une injure. La loi va jusqu’à reconnaître le droit à une poursuite politique, même si l’outragé est un esclave ; elle a pensé qu’on ne doit pas considérer quelle est la victime, mais quel est le fait en lui-même. Si elle le trouve délictueux, elle ne le permet ni à l’égard d’un esclave, ni en aucun cas. C’est qu’il n’y a rien, juges, de plus insupportable au monde que l’outrage, rien qui doive provoquer plus légitimement votre colère. Greffier, lisez la loi sur l’outrage : il n’y a rien de tel que d’entendre la loi elle-même.

Loi.

« Si tel ou tel a outragé quelqu’un, enfant, femme, homme, de condition libre ou servile, ou commis un acte illégal à l’égard d’un de ceux-là, tout Athénien, jouissant de ses droits, peut, s’il le veut, le dénoncer aux thesmothètes, et ceux-ci l’assigneront devant les héliastes[23] dans les trente jours qui suivront la dénonciation, à moins que quelque affaire publique n’y fasse obstacle, et, dans ce cas, le plus tôt possible. Les héliastes, s’ils condamnent, préciseront aussitôt la peine ou l’amende qui leur semblera méritée. Si celui qui a dénoncé, suivant la loi, se désiste ensuite, ou, ayant poursuivi l’affaire, ne recueille pas le cinquième des suffrages, il paiera mille drachmes au trésor public. Celui qui aura été frappé d’une amende pour outrage, sera emprisonné, si l’outragé est un homme libre, jusqu’à ce qu’il se soit acquitté. »

Quelle loi humaine, Athéniens, qui défend d’outrager même les esclaves ! Grands dieux ! si l’on faisait connaître cette loi aux barbares des pays d’où nous tirons nos esclaves[24], et qu’en faisant l’éloge de notre ville, on leur dît : « Il y a des hommes grecs, de moeurs si douces et si humaines, que, malgré tout le mal que vous leur avez fait, malgré leur haine patriotique contre vous, ils ne laissent pas même outrager les esclaves qu’ils ont achetés à prix d’argent, mais ils ont établi une loi qui prohibe de tels actes, et ont puni de mort plus d’une fois ceux qui l’avaient enfreinte ; » si ces barbares entendaient et comprenaient un tel langage, ne pensez-vous pas qu’ils vous décerneraient à tous le titre d’hôtes publics ? Si donc une telle loi non seulement vous honore auprès des Grecs, mais ne serait pas moins admirée chez les barbares, voyez de quel châtiment est digne celui qui l’a transgressée !

Si je n’avais pas été chorège, Athéniens, quand Midias m’a fait subir un tel traitement, on pourrait se contenter de le condamner pour outrage ; mais il me semble qu’il mériterait encore d’être condamné pour impiété[25]. Vous savez en effet que tous ces choeurs, ces hymnes que vous avez institués en l’honneur du dieu, ne l’ont pas été seulement d’après les lois qui règlent les Dionysiaques, mais aussi d’après tous les oracles, où vous trouverez qu’il est enjoint à la ville, du fond des sanctuaires de Dodone et de Delphes, de créer des choeurs, suivant les usages de nos pères, d’immoler des victimes dans les rues, et de se ceindre le front de couronnes. Greffier, lisez le texte même des oracles.

ORACLES

« J’invite le peuple d’Erechthée, qui habite la ville de Pandion[26] et règle les fêtes d’après les usages de ses pères, de ne pas oublier Dionysos, et, dans les larges rues, de se réunir tous pour célébrer en son honneur des cérémonies solennelles, immolant des victimes sur les autels, et se ceignant le front de couronnes. »

Pour obtenir la santé, offrez des sacrifices et des prières à Zeus souverain, à Héraclès, à Apollon Protecteur[27]. Pour que la fortune vous soit favorable, sacrifiez à Apollon, dieu des carrefours, à Léto, à Artémis ; déposez des cratères dans les rues[28], formez des choeurs, et portez des couronnes, suivant les rites de, vos pères, en l’honneur de tous les dieux et de toutes les déesses de l’Olympe ; levez en suppliant mains droites et mains gauches, et offrez des actions de grâces. »

Oracle de Dodone[29]

« Le prêtre de Zeus invite le peuple athénien, parce qu’il a laissé passer l’époque du sacrifice et de la fête, à envoyer promptement des députés choisis, chargés d’offrir à Zeus, protecteur des navires, trois boeufs et six brebis, à Aphrodite un boeuf et un agneau, et, en outre, une plaque de bronze où seront inscrits les dons présentés par le peuple athénien. » « Le prêtre de Zeus à Dodone déclare qu’on doit célébrer aux frais de l’État, en l’honneur de Dionysos, des solennités sacrées, mélanger le vin dans le cratère, et former des choeurs ; qu’on immole un boeuf à Apollon qui détourne les fléaux, que tous se ceignent le front d’une couronne, hommes libres et esclaves, qu’on chôme enfin pendant un jour. A Zeus, dieu du foyer, on offrira un boeuf blanc. »

Tels sont ces oracles, et il y en a beaucoup d’autres, non moins favorables, qui s’adressent à la cité. Qu’y voyez-vous ? C’est qu’entre autres honneurs religieux spéciaux aux dieux indiqués par chacun des oracles, ils vous prescrivent également dans tous, de former des choeurs et de vous couronner, suivant les usages de nos pères. Il est donc évident que, pendant la durée des jeux, en vue desquels nous nous réunissons, cho-reutes ou chorèges, nous ceignons tous la couronne, comme représentants de la cité, aussi bien ceux qui seront relégués au dernier rang, que ceux qui doivent triompher, tandis que le vainqueur ceint, seulement en son nom, la couronne triomphale. Ainsi celui qui outrage, par haine, un de ces choreutes ou de ces chorèges, et cela, pendant la célébration même des jeux, et dans le temple du dieu, se rend, par là, coupable d’impiété.

Vous savez que, tout en interdisant aux étrangers de concourir, vous n’avez pas expressément accordé à un chorège le droit de citer devant l’archonte les choreutes d’un choeur rival, pour examiner s’ils sont vraiment citoyens ; mais vous avez édicté une amende de cinquante drachmes, si le chorège citait ainsi un choreute, et de mille, s’il lui avait ordonné de se retirer parmi les spectateurs. Pourquoi ? c’est afin que nul ne puisse, dans cette journée solennelle, citer, en justice, menacer, outrager de propos délibéré aucun de ceux qui ont ceint la couronne, et prennent part à la fête du dieu. Eh ! quoi, on ne peut impunément, d’après la loi, citer en justice un simple choreute, et, quand on a accablé de coups un chorège, on échapperait au châtiment, au mépris de toutes les lois ! que servent nos lois, si belles, si humaines, établies dans l’intérêt du peuple, si ceux qui leur désobéissent et les violent échappent à votre colère ? Auriez-vous donc cessé d’être investis de l’autorité souveraine ?

Examinons encore ceci, juges. (Et d’abord je vous prie de ne pas m’en vouloir, si je rappelle, en désignant des noms, telles ou telles circonstances qui vous ont été pénibles. Ce n’est pas, grands dieux ! que je veuille faire insulte, ni causer du désagrément à personne ; je désire seulement montrer que tous, sauf Midias, vous répugnez à la violence, aux outrages, à tous les actes de cette sorte.) Un certain Sannion[30] instruisait les choeurs tragiques ; il fut convaincu de s’être soustrait au service militaire. Après qu’il eut été condamné pour ce fait, un chorège, désireux de vaincre, le prit à ses gages ; il se nommait, je crois, Théodorès. Les chorèges rivaux s’indignèrent d’abord et déclarèrent qu’ils empêcheraient Sannion de diriger son choeur tragique ; mais quand ils virent que les gradins se remplissaient, que la foule se réunissait pour assister aux jeux, ils hésitèrent, laissèrent faire ; aucun d’eux ne voulut porter la main sur Sannion, et tels sont les scrupules religieux de chacun de vous que, depuis cette époque, il a continué d’instruire les choeurs sans qu’aucun de ses ennemis privés, et, à plus forte raison, aucun chorège s’y soit jamais opposé[31]. Il y a encore un certain Aristidès de la tribu (Enéide qui avait éprouvé une disgrâce analogue ; maintenant fort âgé, il n’est plus, sans doute, qu’un choreute de seconde classe[32], mais naguère il dirigeait le choeur de sa tribu. Or, vous savez que c’en est fait d’un choeur, si on lui enlève celui qui le dirige. Eh bien ! parmi tant de chorèges rivaux, il n’y en a jamais eu un seul qui, pour s’assurer un tel avantage, ait Osé enlever Aristidès au choeur qu’il dirigeait ; comme il aurait fallu pour cela porter la main sur lui, et qu’il n’était pas permis de le citer devant l’archonte, ainsi qu’on l’aurait pu faire â l’égard d’un étranger, chacun hésitait à se mettre personnellement en avant par un tel coup d’audace. Étrange contraste ! Voici des chorèges qui se croyaient sûrs de vaincre, en recourant à un tel moyen ; plusieurs sans doute avaient dépensé tout leur patrimoine pour s’acquitter de leurs fonctions, et cependant, nul d’entre eux n’osa jamais user du droit que lui attribuait la loi[33], mais telle était leur réserve, leur piété, leur modération, que, malgré tant de dépenses, malgré l’ardeur de la lutte, ils se sont abstenus d’agir, sacrifiant leur intérêt a vos désirs, se refusant à entraver une fête qui vous est chère. Que fait au contraire Midias ? Il ne remplit aucune fonction, il n’a rien dépensé, et, parce qu’il a eu des démêlés avec un chorège, qui a beaucoup dépensé, qui d’ailleurs jouit de tous ses droits civiques, parce qu’il est son ennemi, il ose l’outrager, le frapper, sans tenir aucun compte ni des lois, ni de ce que vous pourrez dire, ni de la majesté du dieu ! n’est-ce pas abominable ?

Bien des inimitiés, Athéniens, se sont manifestées dans votre ville, fondées sur des causes non seulement privées, mais politiques ; nul cependant n’en est venu à ce point d’impudence d’oser rien de pareil. On dit, par exemple, que le célèbre Iphicrate ressentait une haine violente contre Dioclès, de Pitthée ; en outre, il arriva que Tisias, le frère d’Iphicrate, fut chorège, en rivalité avec ce Dioclès. Certes, Iphicrate avait beaucoup d’amis, et de grandes richesses ; il avait de lui-même la haute opinion qu’on devait naturellement concevoir d’un homme qui s’était couvert de gloire, et que vous aviez comblé d’honneurs. On ne le vit cependant ni pénétrer de nuit dans les maisons des orfèvres, ni mettre en pièces les costumes qu’on préparait pour la fête, ni corrompre le maître qui instruisait le choeur, et empêcher celui-ci de s’instruire, ni se porter à aucun des actes que Midias a commis ; mais, se soumettant aux lois et à la volonté de ses concitoyens, il se résigna à ce que son ennemi triomphât et reçût la couronne. Reconnaissant de la haute situation qu’il devait à la Constitution athénienne, il croyait ne pas devoir en entraver les règlements[34]. Nous savons tous encore que Philostrate de Colone fut le plus violent de tous les accusateurs de Chabrias, et réclama contre lui la peine capitale dans le procès d’Orope[35] ; plus tard, Philostrate fut chorège aux Dionysiaques, pour la fête des enfants ; vit-on alors Chabrias le frapper, lui arracher la couronne, pénétrer là où il n’en avait pas le droit ? Je pourrais citer bien d’autres Athéniens séparés par la haine pour tel ou tel motif ; jamais aucun d’eux, à ma connaissance, n’a poussé l’insolence jusqu’à rien faire de pareil. Et je ne sache pas qu’aucun de vous se rappelle que des haines privées ou politiques aient jamais poussé un citoyen, quand les juges se réunissaient, à se mêler dans leurs rangs, au moment où ils prêtaient le serment, à leur en dicter la formule, ni à faire éclater son inimitié par aucun acte de ce genre. Qu’un chorège, emporté par l’ardeur de la lutte, s’abandonne à de telles violences, il a du moins ce titre pour excuse ; mais qu’un citoyen, par haine, de propos délibéré, en maltraite un autre en toute occasion, et prétende montrer que son pouvoir personnel est supérieur aux lois, voilà, certes, Athéniens, ce qui est intolérable, et aussi injuste que périlleux pour vous. Si chaque chorège savait d’avance que le premier venu, Midias ou tout autre citoyen audacieux et riche comme il est, lui enlèverait d’abord toute chance de vaincre, quand même son choeur mériterait la couronne, et de plus ne cesserait de l’humilier et de l’outrager ; est-il un homme assez peu réfléchi, assez inepte pour consentir à dépenser une seule drachme ? Non, il n’en est pas un seul. Ce qui fait, à mon avis, que tous briguent la chorégie, au prix de grandes dépenses, c’est qu’ils croient pouvoir compter sur l’égalité des droits dans une démocratie. C’est ce que je n’ai pas obtenu, Athéniens, à cause de cet homme, et, outre les insultes dont il m’a accablé, j’ai été privé de la victoire. Je montrerai clairement à vous tous, juges, que, sans commettre aucun acte criminel, sans m’outrager, sans me frapper, Midias avait, un moyen de m’être désagréable ; il n’avait qu’à me disputer devant vous le prix, conformément aux lois et je n’aurais pas aujourd’hui un mot à dire contre lui. Il fallait, Athéniens, quand je me présentai comme chorège dans l’assemblée du peuple, au nom de la tribu Pandionide, qu’il en fît autant au nom de la sienne, la tribu Érechthide, qu’il luttât à égalité, de ses deniers, comme je l’ai fait moi-même, et me ravît ainsi la victoire ; mais m’insulter, me frapper, c’est ce qui ne lui était pas permis. Non, ce qui eût été un acte de déférence à votre égard, il ne s’est pas mis en avant ; mais une fois que je me fus porté chorège, que ce fût une folie, si l’on veut (car n’est-ce pas une folie de tenter une chose qui est au-dessus de vos forces !), ou que ce fût une émulation excusable, il n’a cas cessé de me poursuivre de ses outrages, aux yeux de tous, poussant l’infamie jusqu’à n’épargner ni les costumes sacrés, ni les choreutes, et, en dernier lieu, jusqu’à porter la main sur ma personne.

Si quelqu’un de vous, Athéniens, bien qu’irrité contre Midias, songe à lui appliquer une autre peine que la mort, il se trompe. Il n’est ni juste, ni convenable en effet, que la réserve gardée par l’offensé contribue à sauver la vie de celui qui n’a reculé devant aucune forme de l’outrage. On doit châtier sans pitié celui qui aurait pu être cause d’irréparables malheurs, et témoigner à sa victime une faveur secourable. Qu’on n’objecte donc pas qu’il n’est rien résulté de grave des provocations de Midias, et que je grossis l’affaire pour vous effrayer ; loin de là. Voici des faits que tous connaissent, ou du moins beaucoup d’entre vous : Euthynos, un jeune homme qui s’était illustré à la lutte, eut un démêlé avec Sophile, l’athlète au pancrace, très fort, très brun de teint, quelques-uns doivent se le rappeler. La scène se passa à Samos, dans une réunion toute privée[36]. Sophile frappa Euthynos qui, se croyant outragé, se défendit de telle façon qu’il tua son adversaire. Plusieurs d’entre vous savent encore qu’Événos, frère de Léodamas, dans un festin intime, tua un Béotien pour un seul coup reçu. Ce n’est pas le coup qui excita sa colère, mais il y voyait pour lui un déshonneur. Ce qui est grave aux yeux d’un homme libre, ce n’est pas d’être frappé, quoique la chose ait sa gravité, c’est qu’on frappe avec le dessein d’outrager. Il y a bien des variétés dans la façon de frapper, et que l’on a peine à préciser, une fois le coup reçu ; il y a le geste, le regard, le ton de la voix : tantôt l’adversaire frappe pour outrager, tantôt comme ennemi déclaré ; tantôt à coups de poings, tantôt sur la joue. C’est la forme de l’attaque qui émeut, qui met hors de lui un homme peu habitué aux insultes. Un simple récit éclaire mal les auditeurs, c’est en face de l’acte lui-même que la victime, que les témoins ressentent nettement tout ce qui s’y trouve d’outrageant.

Je vous en conjure, Athéniens, par Zeus, par tous les dieux, réfléchissez, appréciez en vous-mêmes combien j’avais le droit d’être plus irrité, en subissant de Midias un tel traitement, qu’Événos, quand, frappé par le Béotien, il le tua. C’était un homme de son entourage, et un homme ivre, qui le frappait devant six ou sept personnages, non moins connus de lui, qui devaient certes blâmer le meurtre, et qui auraient au contraire loué Événos, s’il n’avait pas riposté, s’il s’était contenu, en outre Événos était entré dans une maison pour s’asseoir à un banquet, alors qu’il n’y avait pas obligation pour lui de s’y rendre. Mais moi, j’ai été frappé par un ennemi à jeun, dès le matin, par un homme poussé par le désir d’outrager, et non par l’ivresse, en présence d’un grand nombre d’étrangers et de citoyens, et cela, dans un temple, où mes fonctions de chorège me forçaient de me rendre. Pour moi, Athéniens, j’ai eu la sagesse ou plutôt le bonheur de supporter l’injure sans me laisser entraîner à un acte irréparable ; mais pour Événos ou tout autre qui, outragé, a vengé son honneur, je me sens plein d’indulgence. Ce fut aussi l’opinion de beaucoup de ses juges, puisqu’Événos ne fut condamné qu’à la majorité d’une seule voix, et cela, sans qu’il eût eu recours aux larmes, aux supplications, sans qu’il eût absolument rien fait pour séduire les membres du tribunal. Admettons donc ceci : les uns se prononcèrent contre lui, non parce qu’il s’était défendu, mais parce qu’il a poussé la riposte jusqu’à tuer son adversaire ; quant à ceux qui l’ont absous, c’est qu’ils reconnaissaient à l’homme outragé dans sa personne, un droit de vengeance sans limite. Eh bien ! lorsque, résolu à éviter tout acte irréparable, je ne me suis pas défendu, à qui revient le soin de venger mon injure ? à vous, juges, et aux lois. Que mon exemple prouve à tous que, quand un impudent nous outrage, il ne faut pas le châtier, en cédant à la colère, mais le traduire devant vous, puisque c’est vous qui maintenez et sanctionnez la protection que les lois assurent à l’opprimé.

Je pense que quelques-uns d’entre vous, juges, désirent connaître la cause de la haine qui nous divisait ; qui peut imaginer, en effet, qu’un homme ait agi envers un concitoyen avec tant d’effronterie et de violence, s’il n’avait pas de sérieux comptes à régler avec lui ? Je veux donc vous exposer en détail les principes de cette haine, et vous verrez clairement que par là même il est digne de châtiment. Je serai bref ; mais je crois devoir reprendre les choses à leur début.

Lors du procès que j’engageai contre mes tuteurs au sujet des biens paternels, j’étais encore extrêmement jeune, je ne connaissais pas Midias, ni ne soupçonnais même son existence ; que n’en est-il encore de même ? La cause allait être appelée dans trois ou quatre jours, quand le frère de Midias fit invasion avec Midias lui-même dans ma maison, réclamant l’antidose[37], pour échapper à la triérarchie. Il donna son nom : c’était Thrasyloque qui demandait l’antidose ; mais c’était Midias qui menait toute l’affaire. Tout d’abord ils brisèrent les portes de la maison, comme si elle leur appartenait déjà, en vertu de l’antidose ; et, en présence de ma soeur, une toute jeune fille, qui habitait encore avec moi, ils vociféraient des paroles grossières, telles qu’en peuvent dire de pareils hommes, et dont je rougirais de répéter une seule devant vous : on ne peut imaginer toutes les injures dont ils accablaient ma mère, et moi-même, et nous tous ; mais leur conduite était pire que leur langage ; comme si nos créances leur eussent été déjà cédées[38] ils donnèrent décharge à mes tuteurs. Ces faits sont anciens ; je pense cependant que quelques-uns d’entre vous s’en souviennent encore ; la ville entière s’occupa de cet impudent complot. J’étais très jeune, complètement isolé ; je ne voulais pas renoncer à ce que je réclamais de mes tuteurs ; car je m’attendais à tirer d’eux, non le peu qu’il m’a été possible de recouvrer, mais la totalité des biens dont je savais qu’ils m’avaient dépouillé : bref, je déboursai vingt mines, prix que le frère de Midias était convenu de verser pour sa part de triérarchie[39]. Telles sont les violences dont je fus alors victime. Plus tard j’intentai à Midias une action pour propos injurieux[40] ; il ne se présenta pas et fut condamné par défaut. Il laissa passer le délai d’appel ; je le tenais donc, et pourtant je n’ai jamais rien touché de l’amende ; je le poursuivis ensuite en restitution[41], mais je n’ai pu encore obtenir jusqu’ici que l’affaire fût instruite ; tant il a mis en oeuvre d’artifices et de prétextes dilatoires. Tandis que j’ai toujours professé dans mes actes le plus scrupuleux respect pour la justice et pour les lois, Midias, au contraire, vous le voyez, se complaisait aux plus insolents outrages non seulement contre moi et les miens, mais aussi contre ma tribu tout entière[42], à cause de moi. Huissier, appelez les témoins qui attesteront la vérité de mes paroles ; ainsi, vous saurez, Athéniens, qu’avant d’obtenir justice du tort qu’il m’a fait, j’ai réellement subi les outrages dont vous venez d’entendre le récit.

Témoignages

« Nous, Callisthène de Sphette, Diognète de Thoricie, et Mnésithée d’Alopex, nous savons que Démosthène, en faveur de qui nous témoignons, ayant intenté une action pour usurpation de biens à Midias, cité aujourd’hui par lui devant l’assemblée du peuple, n’a pu, en huit années, obtenir encore de sentence, et que ce délai a uniquement pour cause les manoeuvres employées par Midias pour différer le jugement ».

Ecoutez, juges, ce qu’il a fait pour entraver le cours de la justice, et voyez tout oe qu’il y a de violence et d’insolence dans chacun de ses actes. Lors du procès, je veux parler de celui où je fis condamner Midias, l’arbitre était un certain Straton de Phalère, homme pauvre et indolent. Ce n’est pas d’ailleurs un méchant homme ; loin de là, il est très honnête ; c’est précisément ce qui l’a perdu, contre toute justice, et de la façon la plus honteuse. Quand vint le jour du jugement définitif, après que tous les moyens légaux, réclamations et remises, eurent été épuisés, Straton, notre arbitre, me demanda d’abord d’arrêter l’affaire ensuite de la différer au lendemain ; enfin, comme je n’y consentais pas, et que Midias ne se présentait pas, la journée touchant à son terme, Straton prononça contre Midias le jugement arbitral. Le soir, à la nuit close, Midias se présente au local où siégeaient les archontes[43], et les arrête au passage, à mesure qu’ils sortent, ainsi que Straton, qui venait de leur remettre le jugement de condamnation par défaut ; je tiens ces renseignements d’un témoin oculaire. D’abord il eut le front de demander aux archontes d’annuler la condamnation prononcée, et de l’effacer sur leurs registres ; pour ce service il leur offrait cinquante drachmes. Et comme ils repoussaient sa requête, et qu’il ne réussissait à séduire ni les archontes ni Straton, il se mit à les menacer, à les injurier. Puis il part, et que fait-il ? Voyez sa perversité. Il demande la cassation de la sentence arbitrale, mais ne prête pas le serment exigé en pareil cas. Il laisse ainsi la sentence devenir définitive contre lui, et, n’ayant pas protesté par serment, il est déféré comme débiteur de l’État[44]. Puis, pour bien dissimuler son projet, il attend le jour où expirent les fonctions des arbitres (c’était le dernier du mois Thargélion ou du mois Scirophorion), jour où il se produit parmi eux de nombreuses absences, et persuade le président du Conseil[45] de se prononcer contrairement à toutes les lois, alors que sa plainte n’était contresignée par aucun témoin[46] ; il accuse Straton absent, et que personne ne représentait, il le fait exclure du collège des arbitres et priver de ses droits civiques. Ainsi, parce que Midias a été condamné par défaut, voici qu’un Athénien est déchu de tous ses droite et dégradé à jamais, de sorte qu’il y a péril grave d’abord à se plaindre d’avoir été lésé par Midias, ensuite à se prononcer comme arbitre dans une affaire qui l’intéresse, en tout cas, à se rencontrer sur sa route.

Vous vous demanderez, juges, quel traitement si cruel avait donc subi Midias, pour comploter de tirer d’un citoyen une telle vengeance ; si ce qu’il avait souffert était réellement terrible, inouï, vous lui serez indulgent ; mais s’il n’a rien souffert du tout, que dire de tant d’insolence, de tant de cruauté â l’égard de tous ceux qui se trouvent sur son chemin ? Mais enfin de quoi s’agissait-il ? Avait-il été frappé d’une amende assez énorme pour le ruiner ? Non, il devait payer seulement mille drachmes. — A la bonne heure ; mais ce qui l’irrite, dira-t-on, c’est qu’il lui faille payer injustement ; or, s’il a laissé passer le délai, sans interjeter appel, c’est par ignorance, ayant été condamné par défaut[47]. Mais c’est le jour même de la condamnation qu’il en a été informé, ce qui est la meilleure preuve qu’il n’a pas subi d’injustice et (soit dit en passant) il n’a pas jusqu’ici payé une seule drachme. D’ailleurs il pouvait se pourvoir contre la condamnation par défaut, pour cause de nullité, et se tourner contre moi avec qui il était, dans le principe, en procès[48]. Il ne l’a pas voulu : que Midias discutât sur l’amende fixe de dix mines contre laquelle d’ailleurs il n’a pas réclamé ; qu’il la subît, s’il était reconnu fautif, sinon, en fût déchargé, voici la marche naturelle. Non, son bon plaisir, c’est qu’un citoyen athénien soit déclaré déchu de tous ses droits, indigne de pardon, qu’on n’ait même pas pour lui la compassion, les égards qu’on témoigne souvent aux vrais coupables. Mais après qu’il eut ainsi déshonoré celui qu’il voulait frapper, après qu’il se fut donné cette satisfaction, et eut assouvi l’impudent esprit de rancune qui le pousse à agir de la sorte, alors au moins il solde l’amende, suite de la condamnation dont il s’est fait une arme pour perdre Straton. Nullement ; il n’a pas encore payé une obole, et il regarde l’arrêt comme non avenu ; l’affaire, à ses yeux, est encore pendante. Ainsi, l’un est déshonoré, perdu ; l’autre n’a encouru aucune peine ; il peut, selon son caprice, bouleverser toutes les lois, et se jouer des arbitres. Son action contre l’arbitre[49], qu’il a intentée sans citation préalable, il lui assigne une valeur décisive ; et la condamnation qu’il a encourue lui-même, après citation, et sans s’être présenté, quoiqu’il fût instruit de la poursuite, il n’en tient nul compte[50]. Et cependant s’il croit devoir châtier si rudement ceux qui l’ont condamné par défaut, quelle punition ne mériterait pas l’insolent qui transgresse vos lois aux yeux de tous ? Si la déchéance, qui met un citoyen hors la loi, qui le prive de tous ses droits devant la justice, n’est que le châtiment proportionné à la faute commise par Straton, la mort n’est qu’une peine trop faible pour l’insolence de Midias. Appelez les témoins qui attesteront la vérité de mes paroles, et lisez la loi qui se rapporte aux arbitres.

Témoignages.

« Nous, Nicostrate de Myrrhine,et Phanias d’Aphidné, nous savons que Démosthène, en faveur de qui nous témoignons, et Midias que poursuit Démosthène, choisirent Straton pour arbitre, lorsque Démosthène intenta un procès à Midias pour propos injurieux ; quand vint le jour où la sentence devait être rendue, Midias ne se présenta pas devant l’arbitre. Nous savons que, Midias, ayant été condamné par défaut, fit une démarche auprès de l’arbitre Straton, et de nous-mêmes qui étions archontes à cette époque, pour que nous annulions la sentence prononcée, et nous offrit, à cet effet, cinquante drachmes ; et, comme nous repoussâmes sa requête, il nous adressa des menaces, puis se retira. Et, pour ce motif, Straton fut poursuivi par Midias, et déclaré déchu de ses droits civiques, contre toute justice. » Lisez maintenant la loi qui règle l’arbitrage.

Loi.

« Quand des citoyens sont en désaccord sur des questions d’intérêt privé, et qu’ils veulent choisir un arbitre, ils ont le droit de désigner qui bon leur semble. Mais, une fois le choix arrêté d’un commun accord, ils doivent s’en tenir à ce qui aura été décidé par cet arbitre ; il ne leur est plus permis de reporter les mêmes griefs devant un autre tribunal. La sentence de l’arbitre est sans appel. »

Faites venir maintenant Straton lui-même, la triste victime de Midias ; on lui permettra au moins de comparaître de sa personne[51].

Voyez cet homme, Athéniens ; il est pauvre, mais honnête. Il est citoyen, il a servi, au temps de sa jeunesse, dans toutes nos expéditions, il n’a rien fait de mal ; et le voici devant vous, condamné au silence, non seulement privé de tous les biens dont nous jouissons en commun, mais ne pouvant ni ouvrir la bouche, ni exhaler une plainte. Le traitement qu’il a subi est-il juste ou injuste ? C’est ce qu’il n’a pas même le droit de vous dire. Voilà ce que le riche, l’orgueilleux Midias a fait de Straton pauvre, isolé, confondu dans les rangs du vulgaire. Si, au mépris des lois, Straton avait accepté les cinquante drachmes qui lui étaient offertes, s’il avait annulé la sentence prononcée, il serait honoré, heureux, et jouirait des mêmes droits que nous ; mais parce qu’honnêtement il a repoussé les offres de Midias, et redouté les lois, plus que ses menaces, voyez dans quel abîme de maux Midias l’a précipité. Eh bien ! juges, cet homme si cruel, si peu scrupuleux, qui tire une telle vengeance du dommage qu’il prétend avoir subi, — et, en réalité, il n’en a subi aucun, — quand il est convaincu d’avoir outragé un de vos concitoyens, vous le renverriez absous ; quand il ne respecte ni la fête, ni les rites sacrés, ni la loi, ni rien au monde, vous ne le frapperiez pas de votre suffrage, vous ne donneriez pas son châtiment en exemple ? Mais enfin, juges, au nom des Dieux, si vous l’épargniez, pourriez-vous alléguer à votre indulgence un prétexte juste et honnête ? La vérité, c’est qu’il est aussi impudent que pervers ; eh bien ! de tels hommes, ne devez-vous pas les haïr plutôt que les protéger. Il est riche ! mais sa richesse est la principale cause de son insolence ; c’est ce qui fait sa force pour outrager ; il convient donc de la lui enlever, plutôt que de l’épargner, parce qu’il en est muni ; laisser de grandes richesses aux mains d’un homme tel que Midias, audacieux et effronté, c’est lui fournir des armes contre vous-mêmes. Il lui reste d’implorer votre pitié : il traînera ses enfants devant vous, il pleurera, il demandera grâce en leur nom. Mais, vous le savez, juges, ceux qui méritent la pitié, ce sont les innocents injustement frappés de maux qu’ils ne peuvent supporter, et non les coupables punis selon leurs mérites. Et quel droit à la compassion peuvent avoir les enfants de Midias, alors qu’il n’en a pas eu pour ceux de Straton, qui, en outre de ce qu’ils souffrent, voient encore qu’il n’y a nul allégement possible au malheur de leur père ? Car il ne s’agit pas pour Straton d’une somme à payer, après quoi il rentrerait en possession de tous ses droits. Non, il en est à jamais déchu, victime de la terrible colère, de l’impitoyable violence de Midias. Est-il un seul homme dont vous réprimerez l’insolence, en est-il un seul à qui vous enlèverez ces richesses qui font sa force pour molester autrui, si vous avez pitié de Midias, comme d’un innocent injustement frappé, si quand un homme pauvre, et qui n’a rien fait de mal, est précipité par Midias dans un abîme d’infortunes, vous ne vous associez pas à sa colère pour frapper le coupable ? Non, il ne doit pas y avoir de pitié pour qui n’a eu pitié de personne, pas de pardon pour qui n’a pas pardonné. Quant à moi, je crois que tous les hommes, par les actes de leur vie, se constituent pour l’avenir une sorte de fonds de réserve. Par exemple, j’ai été modéré à l’égard de tous, miséricordieux, bienfaisant ; il convient que les autres me traitent à mon tour, comme je les ai traités moi-même, quand le besoin s’en fera sentir pour moi. Tel autre au contraire est violent, il n’a de pitié pour personne ; nul, en un mot, n’est un homme à ses yeux ; il est juste que chacun lui rende la pareille ; c’est ainsi, Midias, qu’après avoir versé une telle somme de haines, il est juste maintenant que tu les recueilles[52].

Je pense, Athéniens, que, si je n’avais pas d’autres griefs à articuler contre Midias, si ce qui me reste à dire n’était pas encore plus grave, vous auriez déjà lieu de le condamner et de lui infliger la peine suprême. Mais il ne s’en est pas tenu là ; je ne manque pas de nouveaux arguments, tant il s’est plu à accumuler contre lui les chefs d’accusation. Ainsi il a machiné contre moi une action pour désertion, et il a salarié, pour la présenter au tribunal, ce mauvais drôle d’Euctémon, qui se laisse si aisément suborner. Ce calomniateur attitré a abandonné l’affaire, mais Midias l’avait simplement salarié pour qu’il se présentât devant les magistrats éponymes, et que tous pussent lire affiché ceci : « Euctémon de Leusis a accusé Démosthène de Péonée, pour désertion. » Je crois que, s’il eût été possible, Midias, dans son impudence, aurait volontiers fait ajouter au décret qu’il en avait payé les frais. Mais je laisse cela. Puisque Euctémon s’est frappé lui-même de la dégradation civique, en ne donnant pas suite à sa requête, je n’ai plus besoin d’autre arrêt, celui-là me semble suffisant. Il est une autre manoeuvre de Midias, aussi cruelle que perfide, qui m’associe à un crime, un acte non seulement inique, mais impie ; je vais en parler. Quand le malheureux Aristarque, fils de Moschos, était sous le coup d’une grave, d’une terrible accusation, Midias d’abord allait de l’un à l’autre sur la place publique, et ne craignait pas de répandre sur moi d’indignes calomnies, prétendant que j’étais le coupable ; puis, comme ses propos n’aboutissaient à rien, il se rendit auprès des parents du mort, qui avaient intenté une action, et leur promit de l’argent, s’ils m’accusaient d’être le meurtrier. Au mépris de toutes les lois divines, il ose tenir un tel langage ; il n’hésite pas. Sans respect pour ceux mêmes à qui il adresse ses offres insultantes, en les invitant à dénoncer un innocent, il n’a qu’un but : me perdre ! et, pour l’atteindre, tous les moyens lui sont bons. Du moment qu’un homme, insulté par lui, prétend obtenir justice et parler haut, il doit être mis hors la loi ; Midias ne lui laissera nul répit ; il le poursuivra pour désertion, pour homicide ; il le clouera au pilori. Quand donc il est convaincu de telles manoeuvres, en outre des outrages qu’il m’a prodigués pendant ma chorégie, quel pardon, quelle pitié pourra-t-il réclamer de vous ? Pour moi, Athéniens, tels sont ses actes à mon égard que je vois en lui un véritable assassin. Naguère, aux Dionysiaques, il m’insultait dans ma personne, et dans les coûteux préparatifs que j’avais faits en vue de la fête ; aujourd’hui, par ses menées de toute sorte, il veut m’arracher à ma patrie, à ma famille, me ravir l’honneur, avec toutes mes espérances. Car, si un seul de ses complots avait réussi, non seulement je perdais tous les biens de la vie, mais je n’aurais pas même été enseveli dans le sol de l’Attique[53]. Et pourquoi, juges ? C’est que celui qui, outragé par Midias, essaie de se défendre, sera voué à toutes les tortures. Faudra-t-il donc, comme chez les barbares, adorer ceux qui nous outragent ? N’y aura-t-il de salut que dans le silence ? Pour bien établir que je dis la vérité, et que cet infâme impudent a réellement fait ce que je dénonce, qu’on appelle les témoins qui l’attesteront.

Témoins.

« Nous, Denys d’Aphidné, et Antiphile de Péanée, après la mort violente de Nicomède, notre parent, tué par Aristarque, fils de Moschos, nous avons poursuivi pour meurtre Aristarque. Instruit de cette action judiciaire, Midias, cité en justice aujourd’hui par Démosthène, en faveur de qui nous témoignons, nous a offert de l’argent pour laisser Aristarque impuni, et reporter l’accusation de meurtre sur Démosthène. »

Qu’on lise la loi qui se rapporte aux présents.

Pendant que l’on cherche le texte de la loi, Athéniens, j’ai quelques mots à vous dire, une prière à vous adresser : au nom de Zeus et des Dieux, en prêtant l’oreille aux débats, juges, demandez-vous ce que vous feriez, si quelqu’un de vous avait été traité comme je l’ai été moi-même, et quelle colère il ressentirait contre l’auteur de ses maux. Les outrages que j’ai subis, quand j’étais chorège, m’avaient déjà fort irrité ; j’ai été encore bien plus indigné des menées dont il s’est ensuite rendu coupable à mon égard. N’est-ce pas vraiment le comble de la perversité, le plus odieux excès d’impudence, de cruauté, de violence ? Un homme chargé de tant de forfaits devrait s’en repentir, chercher à les réparer. Loin de là ! il en commet de bien plus graves encore ; il ne fait pas simplement usage de sa richesse, pour se procurer les agréments de la vie, sans nuire à personne, tout au contraire ; expulser de la cité un innocent, le couvrir de boue, telles sont les joies qu’il demandera à son opulence. Voilà, Athéniens, la conduite qu’il a tenue à mon égard. Il m’a poursuivi pour meurtre, accusation mensongère, dénuée de tout fondement, comme le fait l’a prouvé ; il m’a cité aussi pour désertion, alors qu’il a lui-même abandonné trois fois son poste[54]. Pour les affaires d’Eubée[55] (j’allais omettre d’en parler), tout ce qu’a fait Plutarque, son hôte et son ami, il intriguait pour m’en rendre responsable, jusqu’au temps, où la perfidie de Plutarque a éclaté au grand jour. Enfin, comme le sort m’avait désigné pour faire partie du Sénat, et qu’on revisait la liste, il m’a accusé, et le cas était pour moi d’une extrême gravité ; au lieu en effet de tirer une juste vengeance de tout ce qu’il m’avait fait souffrir, c’était moi qui risquais d’être puni pour des affaires[56] qui m’étaient absolument étrangères. Ainsi traité par Midias et poursuivi devant votre tribunal, comme je viens de l’indiquer, je ne sais ce que je dois faire, Athéniens ; et cependant je ne suis pas parmi les plus obscurs et les plus dénués de ressources. Dois-je parler ? Réfuter ses calomnies ? Hélas ! Athéniens, nous autres, gens du vulgaire, nous ne luttons pas à armes égales contre les riches ; non, certes ! mais ils peuvent obtenir tels délais[57] qu’il leur plaît, et, quand l’affaire vient devant votre tribunal, elle paraît surannée, sans intérêt ; nous, au contraire, si nous sommes impliqués dans un procès, c’est séance tenante qu’on nous juge. Ces gens ont toujours des témoins, des défenseurs, tout prêts, à leur disposition ; tandis que vous n’en voyez guère qui consentent à attester la vérité en ma faveur. Mais que sert de se lamenter sans fin ? — Greffier, lisez de suite la loi que j’indiquais tout à l’heure.

Loi.

« Si un Athénien reçoit ou donne de l’argent, ou cherche à corrompre par des promesses, en vue de nuire au peuple ou à un citoyen, de quelque façon et par quelque manoeuvre que ce soit, il sera déchu de ses droits, lui et ses enfants, et ses biens confisqués. »

Voyez à quel point cet homme est impie, pervers, capable de tout dire, de tout faire, employant vérité ou mensonge à l’égard d’un ennemi ou d’un ami, sans reculer devant rien : après m’avoir accusé de meurtre, et avoir introduit contre moi une si grave affaire, il m’a laissé accomplir les rites sacrés pour le nouvel an, au nom du Sénat, et offrir les prémices des sacrifices en votre nom, et au nom de la cité tout entière ; il m’a laissé, comme chef des théores, diriger la procession officielle en l’honneur de Zeus Néméen ; il a permis que, choisi, avec deux collègues, entre tous les Athéniens comme pontife, aux fêtes des augustes Déesses, je préside aux sacrifices[58]. Mais, s’il avait eu l’ombre d’une preuve des accusations qu’il échafaudait contre moi, m’eût-il laissé remplir toutes ces hautes fonctions ? Je ne le pense pas. Il est ainsi prouvé clairement que c’est seulement pour satisfaire ses instincts violents qu’il cherche à m’expulser de ma patrie.

Quand, retournant sur toutes ses faces l’affaire du meurtre de Nicomède, il reconnut qu’il n’avait pas l’ombre d’un prétexte pour m’y impliquer, il lança sa calomnie contre Aristarque, évidemment en vue de me perdre[59]. Je choisis quelques faits : Alors que les sénateurs[60] siégeaient pour instruire l’affaire, Midias se présenta devant cette assemblée, et dit : « Ignorez-vous donc la vérité ? mais le meurtrier, c’est Aristarque ; et vous tardez, et vous cherchez. Êtes-vous donc aveugles à ce point ? Allez à sa maison, saisissez-le, mettez-le à mort ! » Et le misérable impudent parlait ainsi, alors que la veille on l’avait vu sortir de la maison d’Aristarque, alors que jusque-là il l’avait toujours traité en ami, et qu’Aristarque, en des temps plus heureux, avait fait auprès de moi les plus vives instances pour me réconcilier avec Midias. Or, s’il pensait qu’Aristarque était coupable du fait qui a causé sa perte, s’il ajoutait foi aux discours de ceux qui l’accusaient, ce n’est pas ainsi qu’il eût dû agir ; si l’on croit qu’un ami a commis une faute grave, on le traite encore avec quelque réserve ; sans doute on cesse avec lui toute relation intime, mais on laisse la vengeance, les violentes attaques à ceux qui ont été maltraités et aux ennemis. Encore pourrait-on pardonner ce défaut de mesure à un homme tel qu’est Midias. Mais quand on le voit causer avec Aristarque, sous son toit même, comme s’il n’avait rien à lui reprocher, puis, quelques heures après, le dénoncer, l’accuser, et cela, en vue de me calomnier moi-même, n’a-t-il pas dix fois, mille fois, mérité la mort ? Mais que la veille du jour où il devait le déférer au Sénat, il soit entré chez Aristarque, et se soit entretenu avec lui, ce n’est pas encore pour Midias le comble de l’infamie. Le lendemain, il a osé l’aller retrouver chez lui, s’y asseoir aussitôt, comme d’habitude, lui tendre la main, devant plusieurs assistants, et, après avoir prononcé dans le Sénat ce discours où il le désignait comme le meurtrier de Nicodème, et appelait sur lui les plus terribles vengeances, il lui jurait qu’il n’avait rien dit qui fût à son détriment et qui pût causer sa perte, il se souciait peu de se parjurer, et cela, devant ceux qui savaient la vérité ; il alla jusqu’à le prier de s’entremettre auprès de moi pour mettre fin à nos différends. Je vais appeler les témoins qui attesteront tous ces faits. Quelle abomination, ou plutôt quel sacrilège de déclarer qu’un homme est un assassin, puis de jurer qu’on ne l’a pas dit, de reprocher un meurtre à quelqu’un, et de s’arrêter sous le même toit que lui ! Si j’avais abandonné l’action judiciaire contre Midias, si j’avais infirmé ainsi votre vote[61], alors, paraît-il, je n’aurais commis aucun délit ; que je persiste au contraire dans ma poursuite, j’ai déserté mon poste, je suis complice d’un meurtre ; il faut que je sois arraché à mon foyer ! Pour moi, je pense, tout au contraire, Athéniens, qu’en me désistant, j’aurais déserté le poste que m’assignait l’honneur, que je serais justiciable d’un meurtre sur moi-même ; car, si je faisais cela, la vie ne me serait plus supportable[62]. Appelez les témoins qui attesteront la vérité de mes paroles.

TÉMOINS.

«  Nous, Lysimaque d’Alopex, Déméas de Sunium, Charès de Thoricie, Philémon de Sphette, Moschos de Péanée, à l’époque où Aristarque, fils de Moschos, fut poursuivi devant le Sénat, comme meurtrier de Nicodème, nous savons que Midias, cité aujourd’hui en justice par Démosthène, eu faveur de qui nous témoignons, est venu au Sénat, et y a déclaré qu’il n’y avait d’autre meurtrier de Nicodème qu’Aristarque, qui l’avait frappé de sa main ; nous savons qu’il a conseillé d’aller l’arrêter dans sa maison. Et il parlait ainsi dans le Sénat, alors que la veille il s’était assis à la même table qu’Aristarque et que nous. Nous savons aussi que Midias, en sortant du Sénat où il avait tenu un tel langage, vint de nouveau chez Aristarque, lui tendit la main, lui jura qu’il n’avait rien dit qui lui fût défavorable, et qui pût causer sa perte, et pria Aristarque de le réconcilier avec Démosthène.  »

N’est-ce pas le comble de la perversité ? Y a-t-il eu en aucun temps, peut-il y avoir rien de pareil ? Voilà un malheureux, qui ne lui a fait aucun tort ; je n’ajoute même pas que c’était son ami ; il croit devoir le calomnier, en même temps qu’il lui demande de le réconcilier avec moi, et il agit ainsi, et il dépense son argent, afin de me chasser de la cité en même temps qu’Aristarque, contre toute justice !

Ces perfides manoeuvres de Midias, cette habitude qu’il a de redoubler ses coups contre ceux qui, forts de leur droit, osent lui tenir tête, ce ne sont pas choses qui m’atteignent seul, qui doivent m’indigner seul, et dont vous puissiez peu vous soucier ; non, vous devez tous partager ma colère, si vous réfléchissez, Athéniens, et considérez que les plus pauvres et les plus faibles d’entre nous sont ceux qui sont le plus facilement exposés aux mauvais traitements ; les riches[63], au contraire, s’ils sont pervers, ont toute liberté de nous outrager ; leurs forfaits resteront impunis, parce que leur or achètera le silence de ceux qui pourraient leur faire obstacle : voilà ce que vous ne devez pas perdre de vue. Celui qui, par la crainte, la terreur qu’il inspire, empêche qu’on ne le châtie des injustices qu’il nous a fait subir, celui-là, en réalité, vous dépouille de vos droits à l’égalité et à la liberté. Moi,  sans doute,  et quelques autres,   nous avons échappé aux mensonges, aux calomnies de Midias, nous n’avons pas été sa proie ; mais vous, citoyens perdus dans la foule, que pourrez-vous, à moins qu’une loi n’édicte, au nom de l’État, une peine redoutable contre ceux qui feraient de leur richesse un usage coupable ? Que l’on commence par rendre compte de sa conduite, par répondre aux accusations, alors seulement on aura le droit de se défendre contre ceux qui vous ont attaqué, et encore dans le cas où il aura été prouvé qu’ils sont dans leur tort[64] ; mais il ne faut pas les insulter par avance, ni introduire des accusations mensongères, en cherchant ainsi à se soustraire soi-même au jugement ; il ne faut pas s’irriter si l’on est condamné, et l’on doit s’interdire, dès le principe, toute violence.

Les outrages que j’ai subis dans mes fonctions et dans ma personne, les machinations de toute sorte et les mauvais traitements auxquels j’ai eu peine à me soustraire, je vous les ai exposés, Athéniens, mais j’en ai omis une grande part ; car il ne me serait guère facile de tout dire. En réalité, ce n’est pas moi seul qui ai à me plaindre des procédés de Midias ; mais les iniquités qu’il a commises à l’égard du choeur s’adressent, en même temps qu’à moi, à ma tribu, c’est-à-dire à la dixième partie de la population athénienne ; et, quant aux outrages, aux complots ourdis contre ma personne, ce sont les lois qui ont été insultées avec moi, ces lois qui veillent sur la sécurité de chacun de vous ; le dieu aussi, dont j’étais le chorège, et la majesté sacrée du droit, dans toute son étendue, ont été associés à ce que j’ai souffert d’inique. Tout ceux donc qui voudront apprécier les actes de Midias à leur juste valeur devront, dans leur colère, considérer que ce n’est pas moi seul qui suis en cause, mais qu’en même temps les lois aussi, le dieu, l’État, et tous les citoyens ont été outragés ; et ils devront mesurer le châtiment à la grandeur du crime. Quant à ceux qui l’assistent, qui se rangent à ses côtés, vous devez les regarder, non seulement comme des défenseurs, mais comme des apologistes de sa conduite[65]. Si Midias s’était montré en toute autre circonstance, discret et modéré ; s’il n’avait fait tort à aucun autre citoyen, et que j’eusse été seul victime de son audace et de ses violences, je verrais là pour moi une mauvaise chance, et je craindrais que, grâce à sa renommée de modération et d’humanité, mon adversaire n’échappât au châtiment que lui auraient mérité les outrages qu’il m’a fait subir. Mais il s’est rendu coupable, à l’égard de beaucoup d’entre vous, de tant d’actes iniques, et d’une telle gravité, que je suis affranchi de cette crainte. Je redouterais plutôt que, quand vous saurez tout ce que d’autres ont souffert par son fait, vous ne fassiez ce raisonnement : « Mais tu n’as rien souffert de plus grave que tel ou tel autre. Pourquoi t’irriter ainsi ? » Non, Athéniens, je ne pourrais énumérer tous ses méfaits, vous n’en pourriez supporter le récit, et, quand on réunirait toute l’eau de nos deux clepsydres[66], elle ne suffirait pas : je vais seulement vous parler des plus graves de ces méfaits, et des plus notoires ; ou plutôt, je vais vous lire la liste que je m’en suis dressée ; vous m’arrêterez au premier qui vous intéressera, et je vous en ferai le récit ; puis à tel autre, et ainsi de suite, tant que vous n’en serez pas las. Il y en a de toute espèce : beaucoup d’actes de violence, des perfidies à l’égard de ses proches, des impiétés à l’égard des dieux, il n’y a pas un endroit où il n’ait commis des actes dignes d’être punis de mort.

NUMÉRATION DES MÉFAITS DE MIDIAS.

Voilà, juges, comment il s’est conduit envers ceux qui se rencontraient sur sa route ; et j’omets beaucoup ; car on ne pourrait, en une fois, citer tous les actes de violence qu’il n’a cessé de commettre pendant une longue vie ; on peut voir à quel degré d’infatuation il en était venu, n’ayant jamais encouru aucun châtiment pour ses iniquités[67]. Il paraissait croire que son audace ne se manifestait pas avec assez d’éclat, qu’il restait au-dessous de lui-même, s’il s’en prenait à un seul adversaire[68]. C’est une tribu entière, une assemblée, tout un corps, qu’il lui fallait outrager ; c’est un grand nombre d’entre vous, réunis, qu’il se plaisait à poursuivre ; sinon, la vie ne lui eût pas semblé supportable. J’aurais des milliers d’exemples à citer ; je m’en tiens à celui-ci : Vous savez tous, au sujet de l’escadron de cavalerie qui marcha contre Argura, quel langage il tint devant le peuple, à son retour de Chalcis[69]. Il soutenait que cette expédition était une honte pour la ville ; et, à ce sujet, il accablait d’outrages Cratinos, qui aujourd’hui, m’assure-t-on, va lui prêter assistance. Et c’était sans motif qu’il dirigeait ses attaques haineuses contre un si grand nombre de ses concitoyens ; quelle perversité, quelle audace insolente le poussaient à agir ainsi ? En quoi, Midias, sont-ils une honte pour la ville, ces hommes qui passent la mer, en bon ordre, bien équipés, comme il convient, alors qu’ils marchent contre des ennemis, et vont se réunir à des alliés. Toi, au contraire, le jour du tirage au sort, tu souhaitais hautement de n’être pas un de ceux qui seraient désignés pour cette expédition ; jamais tu n’as revêtu la cuirasse ; tu te prélassais sur une selle d’Eubée, à dossier, garnie d’argent ; tu emportais avec toi d’élégantes tuniques, des coupes, des tonneaux, que les douaniers saisissaient au passage[70]. Voilà ce que l’on nous racontait à nous, les hoplites ; car nous n’avions pas franchi la mer sur le même point que les cavaliers. Et de ce qu’Archétion ou quelque autre t’ait raillé à ce sujet[71], était-ce une raison pour que tu t’en prennes à tous ? Si, en effet, Midias, tu as fait ce que disent les autres cavaliers, ces critiques étaient méritées , car ce n’étaient pas eux seulement, ces cavaliers, tes compagnons, que tu déshonorais, c’étaient les autres citoyens, c’était la ville tout entière. Si, au contraire, ces critiques n’étaient pas fondées, que tu aies été victime de manoeuvres calomnieuses, et si cependant le reste des soldats, loin de blâmer tes accusateurs, se réjouissaient à tes dépens, c’est que, d’après les autres actes de ta vie, tu méritais un si mauvais renom. Tu aurais dû, en tout cas, te montrer plus modéré, ne pas insulter tes camarades. Mais tu menaces, tu attaques tout le monde ; tu veux que les autres partagent tes manières de voir, et tu te soucies peu, par tes actes, d’affliger les autres. Voilà bien ce qui est la preuve la plus certaine et la plus lamentable de ton humeur violente : tu montes à la tribune, misérable, pour accuser en masse tout un corps si nombreux ; qui n’eût frémi de jouer un tel rôle ?

Dans tous les autres procès, qui ne reposent que sur un ou deux griefs, on entend très souvent l’accusé dire : « A qui de vous ai-je confié un tel projet ? Qui de vous m’a vu faire ce qu’on me reproche ? Il n’y a là rien de vrai ; c’est par haine qu’on m’accuse et qu’on porte contre moi de faux témoignages, ou autres assertions semblables. » Pour Midias, c’est tout le contraire[72]. Je pense que vous connaissez tous son caractère, son impudence, son orgueil, et sans doute quelques-uns s’étonnent de ne pas m’entendre relater des faits dont ils sont instruits. Ja vois que beaucoup de ceux qu’il a lésés ne sont guère désireux de témoigner des méfaits dont ils ont été victimes ; ils connaissent sa violence, son humeur remuante, et les ressources dont dispose ce misérable, et qui la rendent fort et redoutable. Le crédit et la richesse sont pour l’homme pervers et insolent comme un rempart qui le protège contre tous les assauts. Qu’on lui enlève donc ses biens, il n’insultera plus personne ; ou, s’il l’ose encore, on se souciera moins de ses attaques que de celles du moindre d’entre vous ; qu’importeront ses outrages et ses cris ? Et s’il commet quelque délit, il en sera puni, selon le droit commun. Mais aujourd’hui il s’abrite derrière Polyeucte, Timocrate, et ce scélérat d’Euctémon[73] ; il a ainsi autour de lui bien des gens à ses gages. En outre, il s’est constitué toute une troupe de témoins, qui ne font pas de bruit, mais sont dressés à confirmer ses mensonges par des signes de tête silencieux. Et je ne prétends pas qu’ils en tirent profit ; mais il y a des gens empressés à se laisser attirer par les riches, à les assister, à témoigner en leur faveur. Tout cet appareil, je le crois, épouvante le citoyen qui vit isolé, se suffisant comme il peut. C’est pour cela qu’il faut vous associer, si chacun de vous, pris à part, est inférieur à ces insolents par le nombre de ses amis, par sa fortune, ou sous tout autre rapport ; mais en vous groupant, vous serez plus forts que chacun d’eux, et vous réprimerez son arrogance.

Peut-être Midias va-t-il vous dire : « Pourquoi tel qu’on prétend avoir été lésé par moi en ceci ou en cela ne tirait-il pas vengeance de moi ? Pourquoi ? » et il nommera sans doute tel autre de ceux qu’il a lésés. Vous savez tous, je le pense, les motifs pour lesquels chacun s’abstient de se défendre : on est très occupé, ou indolent, on est incapable de prendre la parole ; il y a encore la pauvreté, et mille autres raisons. Mais aujourd’hui, Midias n’a plus lieu de tenir un tel langage ; il a seulement à prouver qu’il n’a pas fait ce dont je l’ai accusé, et, s’il n’y réussit pas, l’impunité dont il a joui concourt plus encore à sa perte. S’il a été assez puissant pour dépouiller chacun de nous du droit d’obtenir justice de ses méfaits, maintenant que nous le tenons, c’est au nom de la Cité que nous devons, d’un commun accord, le punir de tout le mal qu’il a fait, le frapper comme l’ennemi public.

Jadis, à Athènes, au temps de sa grandeur, vivait Alcibiade ; de quels précieux bienfaits la Cité ne lui était-elle pas redevable ? voyez cependant comment il fut traité par nos ancêtres, quand il se crut permis de se montrer hautain et violent. Et ne croyez pas, qu’en rappelant cet exemple, je veuille comparer Midias à Alcibiade ; je ne suis pas à ce point dénué de sens et de raison. Je veux seulement vous montrer que naissance, richesse, puissance, rien ne prévaut, ni ne prévaudra jamais auprès du peuple d’Athènes, jusqu’à lui faire tolérer les outrages. Alcibiade, par son père, descendait des Alcméonides[74] ; ceux-ci, dit-on, s’étaient soulevés contre les tyrans pour défendre les droits populaires, et avaient été expulsés ; ils empruntèrent alors les trésors de Delphes, délivrèrent la ville, et en chassèrent les fils de Pisistrate ; par sa mère, il descendait d’Hipponicos dont la famille rendit tant et de si grands services à Athènes. En outre, Alcibiade lui-même avait pris deux fois les armes à Samos[75] et une troisième fois à Athènes pour soutenir les intérêts du peuple ; ce n’était pas seulement de son or et de sa parole, mais aussi de sa personne qu’il avait montré son dévouement à la patrie. De plus ses chevaux luttaient dans les jeux olympiques, et y obtenaient victoires et couronnes ; il était le meilleur général, et aussi le plus habile orateur. Et cependant, malgré tant de mérites, vos ancêtres ne lui permirent pas de les outrager ; ils le condamnèrent à l’exil, et le chassèrent de la Cité, à l’époque même où les Lacédémoniens étaient les plus puissants, où ils avaient fortifié Décélie en face d’Athènes, et s’étaient emparés de notre flotte. Rien ne put arrêter la décision de vos aïeux ; ils crurent plus honorable de supporter tous les malheurs dont ils n’étaient pas responsables, que de consentir à subir des outrages. Mais ces outrages étaient-ils comparables à ceux dont Midias vient d’être convaincu ? Il avait frappé à la joue Tauréas, qui était chorège. C’est vrai, mais Alcibiade l’était lui-même ; et d’ailleurs il n’avait pas enfreint la loi qui règle les insultes de ce genre, puisqu’elle n’existait pas alors. On dit enfin qu’il avait fait mettre en prison le peintre Agatharque ; mais on assure que celui-ci avait commis des malversations ; il n’y a donc pas lieu de reprocher ce fait à Alcibiade. Enfin il avait mutilé les hermès[76]. A mon avis, tous les actes d’impiété doivent, à égal titre, provoquer notre colère ; mais enfin, détruire complètement des objets sacrés, est plus grave que de les mutiler. Or, c’est le crime dont Midias est convaincu[77]. Et lui, qui est-il, en face d’Alcibiade ? quels services compensent ses forfaits ? Croyez donc, juges, vous, les descendants de tels ancêtres[78], que ni l’honneur, ni les lois humaines, ni les lois divines ne vous permettent d’hésiter. Cet homme pervers, violent, insolent, qui n’est rien par lui-même, ni par sa famille, ne mérite ni pardon, ni clémence, ni grâce. Qu’objectera-t-il ? Ses charges militaires ? Mais ce n’est pas même un soldat de la moindre valeur, loin qu’il puisse commander aux autres. Sa naissance ? Et qui ne sait pas qu’elle est mystérieuse, comme pour nos héros de tragédie. Étrange contraste ! sa vraie mère, celle qui lui a donné le jour, a fait preuve du plus grand sens ; sa mère supposée, au contraire, celle dont il passe pour être le fils, était la plus insensée de toutes les femmes. La preuve en est que la première l’a vendu, dès qu’il fut né, tandis que la seconde, alors qu’elle aurait pu s’en procurer un autre au même prix, a acheté celui-là. Par ce fait, Midias est en possession de biens qui ne lui revenaient pas ; il a acquis une patrie qui, par ses institutions, est à la tête de toutes les cités ; mais il ne peut se plier à nos moeurs, ni user de l’heureuse fortune qui lui est échue ; sa nature barbare et impie l’entraîne, le domine ; on voit clairement, ce qui est la vérité, qu’il est mêlé à un monde qui n’est pas le sien.

Et quand toute la vie de cet homme pervers et impudent n’est qu’un long tissu de tels méfaits, quelques-uns de ses familiers sont venus me prier de me désister, d’abandonner la poursuite[79], et, ayant échoué dans leur démarche, ils n’ont pas osé nier que Midias eût commis beaucoup d’actes criminels, et qui méritaient le plus sévère châtiment ; mais voici le subterfuge auquel ils ont eu recours : « Supposons, disaient-ils, qu’il soit convaincu et condamné. Quelle est, croyez-vous, la peine que prononcera le tribunal ? Il est riche et ne manquera pas d’énumérer les triérarchies et les liturgies dont il s’est acquitté. A ce titre, il obtiendra l’indulgence ; l’amende qu’on lui infligera sera bien moindre que la somme qu’il vous offre à l’amiable, et il se moquera de vous ! » Mais d’abord, juges, je ne peux supposer de vous rien qui ne soit honorable, et je n’admets pas que vous prononciez une autre peine que celle qui mettra Midias dans l’impossibilité de continuer ses outrages ; or, cette peine, c’est spécialement la mort, ou, tout au moins, la confiscation de la totalité de ses biens. Quant à ses liturgies, à ses triérarchies, à tout ce qu’on allègue en sa faveur, voici ce que je puis dire : Si la liturgie consiste à répéter devant vous dans les assemblées, ou en toute occasion : « Nous qui nous acquittons des liturgies, nous qui vous avançons l’impôt[80], nous qui sommes riches » ; si les mots tiennent lieu du fait, je reconnais que Midias est le plus libéral de tous les citoyens d’Athènes ; car c’est le refrain dont il nous rebat les oreilles et nous assomme, à chaque assemblée ; mais s’il y a lieu d’examiner quelles sont réellement les liturgies dont il s’est acquitté, je vais vous le dire. Et considérez avec quelle équité je ferai cet examen ; je le jugerai en le comparant à moi : Midias n’a guère moins de cinquante ans, et il ne peut pas citer plus de liturgies que moi qui n’ai que trente-deux ans. J’ai été triérarque, presque au sortir de l’enfance[81] ; à l’époque où l’on s’associait à deux pour fournir une trirème[82], où nous devions prélever toutes les dépenses sur notre fortune privée, et réunir nous-mêmes l’équipage. Midias, à l’âge que j’ai atteint maintenant, ne s’était encore acquitté d’aucune liturgie ; c’est à cet âge seulement qu’il remplit sa première charge, et à une époque où vous aviez créé la classe des douze cents contribuables qui remboursaient un talent aux triérarques, pour chaque talent avancé par ceux-ci[83]. En outre, la ville fournit les équipages, et donne les agrès, de sorte que les triérarques n’ont souvent en réalité aucune dépense à faire ; ils sont cependant réputés avoir rempli une liturgie, et se trouvent par là déchargés de toutes les autres. Qu’a-t-il encore fait ? Il a été chorège dans un concours de tragédie ; moi je l’ai été dans un concours de flûte, ce qui est infiniment plus coûteux, nul ne l’ignore. De plus, j’étais chorège volontairement, tandis que Midias y avait été contraint par l’antidose[84] ; il n’y a donc à lui en savoir aucun gré. J’ajouterai que j’ai offert un banquet à ma tribu, et que j’ai été chorège aux fêtes des Panathénées, double charge qu’il n’a pas supportée. J’ai été chef de symmorie pendant dix ans, c’est-à-dire aussi longtemps que Phormion, Lysithidès, Calleschros et les plus riches de la cité. J’ai contribué aux discours prononcés dans l’assemblée, il paraissait qu’on n’aurait pas encore besoin de ce renfort de cavaliers, et que le projet d’expédition semblait abandonné, Midias ne s’embarqua pas sur le navire dont il avait fait don ; il y envoya le métèque égyptien Pamphile ; lui-même resta à Athènes, et y commit, lors des fêtes de Dionysos, le méfait pour lequel il est aujourd’hui en jugement. Puis, quand le stratège Phocion manda les cavaliers d’Argura[85], alors dans leurs foyers, pour relever les autres, Midias se vit pris dans ses propres finesses. Que fait alors ce lâche scélérat ? Il abandonne son poste, et s’embarque sur son vaisseau, sans se soucier de rejoindre les cavaliers qu’il prétendait commander aux parades. Si le péril eût été sur mer, il est évident qu’il serait descendu à terre. Ce n’est pas ainsi que se conduisit Nicirate, le fils chéri de Nicias, qui n’avait pas d’enfants[86] et était de si faible santé, ni Euctémon, le fils d’OEsion, ni Euthydème, le fils de Stratoclès ; chacun de ces citoyens avait spontanément fait don d’une galère, mais n’en tira pas occasion de se dérober au service militaire. C’était un don gracieux qu’ils avaient fait ; la galère navigua au service de la ville ; mais eux-mêmes se rendirent de leurs personnes où la loi l’ordonnait. Midas l’hipparque ne les imita point ; il abandonna le poste que les lois lui assignaient, et de cette faute que la Cité doit châtier, il osera se targuer comme d’un service rendu ! Mais s’acquitter ainsi d’une triérarchie, grands dieux, c’est imiter ceux qui affirment le droit du cinquantième, afin d’en tirer profit[87], c’est une désertion, un procédé pour échapper au service militaire, tout excepté un acte de générosité. Midias, n’ayant aucun autre moyen de se soustraire au service dans la cavalerie, a inventé cette spéculation d’un nouveau genre. Jugez-en : tandis que tous les autres triérarques escortaient, au retour de Styros[88], les navires chargés de vos troupes, lui seul, sans se soucier de vous, a transporté pour son usage personnel pieux, bétail, matériaux, jusqu’à des supports de bois pour ses mines d’argent : sa triérarchie est devenue pour ce misérable une affaire commerciale, au lieu d’un service public. Vous savez par vous-mêmes, que la plupart de ces détails sont absolument vrais ; je vous présente cependant des témoins qui les confirmeront.

TÉMOINS.

« Nous, Cléon de Sunium, Aristoclès de Péanée, Pamphile, Nicérate d’Acherdon, Euctémon de Sphette, à l’époque où tout notre corps expéditionnaire revenait par mer de Styros à Athènes, nous étions triérarques, en même temps que Midias, cité aujourd’hui en justice par Démosthène, en faveur de qui nous témoignons. Toute la flotte naviguait en bon ordre, et les triérarques avaient mission de ne pas s’écarter, jusqu’à ce que nous eussions atteint le port ; mais Midias se sépara de la flotte, et, chargeant son navire de poutres, de pieux, de bétail, il débarqua au Pirée, seul, deux jours après les autres, sans avoir opéré de conserve avec ses collègues. »

Si les liturgies et les services de Midias étaient réellement tels qu’il va tout à l’heure s’en vanter devant vous, Athéniens, et non tels que je vous les ai montrés, il n’en aurait pas pour cela le droit d’échapper au châtiment que lui méritent ses outrages envers moi. Que de citoyens, en effet, vous ont rendu de grands services, bien supérieurs aux liturgies de Midias, soit qu’ils aient remporté des victoires navales, soit qu’ils aient pris des villes d’assaut, ou dressé au nom de la ville des trophées magnifiques ! Mais à aucun d’eux vous n’avez donné, ni n’auriez consenti jamais à donner le droit d’outrager leurs ennemis privés, quand ils le voudraient, et de telle façon qu’ils le pourraient. Non, pas même à Harmodios et à Aristogiton, qui ont obtenu de vous de si grandes faveurs, les plus grandes que vous ayez pu imaginer. Si sur la stèle qui les relate quelqu’un avait voulu ajouter ; « Il leur est permis d’outrager qui bon leur semble, » vous ne l’auriez pas supporté ; car s’ils ont reçu tant de privilèges, c’est précisément parce qu’ils ont mis fin aux outrages que nous subissions[89].

D’ailleurs, Athéniens, vous avez récompensé Midias, non pas en proportion de la faveur de ses liturgies, car il n’eût alors mérité que bien peu, mais comme s’il vous avait rendu les plus éclatants services ; c’est ce que je veux montrer, afin que vous ne croyiez pas rester les obligés de ce misérable. Vous l’avez nommé d’abord trésorier de la galère paralienne[90],— un homme tel que lui ! — puis hipparque, alors qu’il ne savait pas même se tenir à cheval dans les cérémonies sur la place publique. Il est encore, de par vos suffrages, surveillant des Mystères, sacrificateur, acheteur des boeufs qui doivent être immolés ; que d’autres titres n’a-t-il pas encore ! Eh bien ! au nom des dieux, en relevant ainsi la bassesse, la lâcheté, la perversité de sa nature par les charges et les honneurs qu’il tient de vos votes, est-ce un faible don, une médiocre faveur que vous lui avez accordée ? Si l’on retranchait ces deux titres qui lui permettent de dire : « Je suis hipparque, je suis trésorier de la galère paralienne, » que lui resterait-il ? Or, sachez-le, comme trésorier de la galère paralienne, il a volé à la cité de Cyzique plus de cinq talents[91] ; et, pour n’être pas puni de ce larcin, on l’a vu attaquer, persécuter de toute façon ceux qu’il avait dépouillés, et déchirer les traités. Qu’en est-il résulté ? Cyzique est devenue l’ennemie d’Athènes ; mais Midias garde le produit de son vol. Nommé hipparque, il a désorganisé votre cavalerie par des règlements dont il nie maintenant être l’auteur. Comme trésorier de la galère paralienne, au temps de l’expédition contre Thèbes, lorsque vous vouliez faire une descente en Eubée, vous lui aviez ouvert un crédit de douze talents ; mais quand le peuple décida que la galère mît à la voile pour escorter vos soldats, Midias ne répondit pas à l’appel ; c’est seulement quand Dioclès eut conclu une trêve avec les Thébains, que Midias se montra ; encore fut-il gagné de vitesse par une des galères équipées par les particuliers ; tant il avait mis en bon état la galère sacrée ! Et, comme hipparque, est-il croyable que cet homme riche et fastueux, n’ait pu se résoudre à s’acheter un cheval, mais se soit toujours servi, dans les cérémonies, du cheval de Philomèle de Péanée. C’est ce que n’ignore aucun des cavaliers. Je vais d’ailleurs établir par des témoignages la vérité de mes assertions.

Témoins.

Je veux, maintenant, Athéniens, vous citer les nombreuses condamnations prononcées par le suffrage du peuple pour fautes commises à l’occasion de la fête, vous rappeler les faits, et la colère qu’ils avaient soulevée parmi vous, afin que vous compariez ces actes si sévèrement châtiés à ceux de Midias. D’abord, pour citer en premier lieu l’arrêt le plus récent, le peuple condamna Évandre, le Thespien, pour profanation des Mystères[92], sur la dénonciation de Ménippe, un Carien. Des lois analogues réglementent les Mystères et les Dionysiaques ; celle-ci même est plus ancienne. Pour quel fait, Athéniens, avez-vous frappé cet Évandre ? Écoutez-le : Il avait obtenu un arrêt contre Ménippe dans un procès commercial ; n’ayant pu, a-t-il dit, le saisir auparavant, il avait profité de sa présence aux Mystères pour s’emparer de lui. C’est pour cet unique motif que vous l’avez condamné ; quand il parut devant le tribunal, vous vouliez le frapper de la peine de mort ; l’accusateur s’étant désisté, vous avez forcé Évandre à faire complet abandon des deux talents qui lui avaient été antérieurement octroyés[93] ; vous avez de plus mis à sa charge les frais occasionnés à Ménippe par la prolongation de son séjour à Athènes en attendant le jugement. Ainsi, dans une affaire privée, sans qu’aucune violence eût été exercée, une condamnation si sévère fut prononcée pour cela seul que la loi avait été violée. Et avec raison ; car vous devez défendre les lois, et respecter le serment que vous avez prêté. C’est le double dépôt sacré que les juges se transmettent les uns aux autres, et que tous ceux qui se présentent devant vous, appuyés sur leur bon droit, doivent retrouver intact. Un autre fut poursuivi à l’occasion des fêtes de Dionysos, quoiqu’il fût assesseur de l’archonte, son fils[94], parce qu’il avait porté la main sur un spectateur, pendant les exercices du théâtre ; et il était le-père du vertueux archonte Chariclide !

Voici ce que l’accusateur[95] semblait avoir tout droit de dire : « Si, quand je vais occuper une place, je ne me soumets pas aux règlements, que pouvez-vous, d’après la loi ? que peut l’archonte ? ordonner à ses agents de m’exclure, et non me frapper lui-même. — Mais supposez que je n’obéisse pas encore. — Il peut m’infliger une amende, ou employer tout moyen autre que de porter lui-même la main sur moi. Car les lois ont bien des moyens d’action, sans permettre qu’un citoyen soit outragé dans sa personne. » Voilà ce que votre vote a confirmé. Du reste, l’accusé ne comparut pas devant le tribunal, il mourut auparavant. Une autre condamnation fut encore prononcée par l’assemblée du peuple pour délit commis à propos de la fête : un certain Ctésiclès comparut et fut condamné à mort ; il faisait partie de la procession bachique, une lanière à la main[96] et, étant ivre, il s’en était servi pour frapper un de ses ennemis ; on jugea en effet que cet acte était le fait non de l’ivresse, mais de la violence, et qu’il avait pris occasion de la cérémonie sacrée et de l’ivresse pour excuser sa faute, alors qu’il traitait les hommes libres comme des esclaves. Ainsi, Athéniens, l’un dut faire abandon de la somme qui lui avait été octroyée, l’autre fut condamné à mort, pour des fautes bien moins graves, à coup sûr, que celles qu’a commises Midias. Celui-ci en effet ne faisait pas partie d’une procession, il n’avait pas gagné un procès, et n’était pas assesseur[97], il n’avait aucune excuse ; c’était pure violence, il était donc plus coupable. Autre exemple : Pyrrhus, de la famille des vrais fils de Boutès[98], avait été désigné comme juge ; il siégea, quoiqu’il fût débiteur du trésor. Quelques-uns de vous pensèrent qu’il devait encourir la peine capitale ; appelé en justice, condamné, il fut mis à mort. Je pourrais citer encore beaucoup de citoyens, dont les uns furent mis à mort, les autres privés de leurs droits civiques, quoique bien moins coupables que ne l’est Midias. C’est encore ainsi, Athéniens, que vous avez infligé une amende de dix talents à Smicros, une autre de même valeur à Sciton, pour avoir proposé des mesures illégales. En vain se sont-ils présentés, entourés de leurs enfants, d’amis et parents ; rien n’a pu vous toucher. Eh ! quoi une proposition illégale excite ainsi votre colère ; et vous vous montrerez indulgents, si, au lieu de paroles ce sont les actes qui sont illégaux ! Mais de simples paroles, quelles qu’elles soient, doivent-elles irriter le peuple autant que des actes outrageants infligés à tout venant ? Ne portez donc pas, Athéniens, un tel témoignage contre vous-mêmes : Qu’un homme modéré, un bon citoyen commette un délit même léger ; il n’obtiendra de vous nulle pitié ; il sera condamné, mis à mort, ou dégradé ; mais qu’un riche prodigue l’outrage, vous lui pardonnerez ! Non, cela ne peut pas être, car ce serait inique. Montrez contre tous une égale colère.

Il me reste à traiter certains points non moins importants que ceux dont je me suis occupé jusqu’ici. J’en parlerai brièvement, avant de quitter la tribune. Votre indulgence naturelle, Athéniens, est, en grande partie, responsable du développement que le vice a pris dans notre cité ; or, il ne convient pas que Midias ait la moindre part à cette bienveillance. Je crois en effet que tous les hommes, par les actes de leur vie, se constituent, pour l’avenir, comme un fonds de réserve, et je ne parle pas seulement des réserves que chacun accumule, et dont il reste le détenteur, mais des autres aussi. Par exemple, un homme s’est toujours montré modéré, humain, miséricordieux, il est juste que tous lui rendent la pareille, quand le besoin s’en fera sentir pour lui dans un temps de crise. Tel autre est impudent, se plaît à outrager ; pour lui ceux-ci sont des loqueteux, ceux-là des ordures, des hommes de rien ; il est à propos qu’on le paie de la même monnaie dont il a payé les autres. Regardez-y de près, et vous verrez que c’est ce second genre de réserve que s’est constitué Midias, et non le premier[99]. Je sais qu’il cherchera à vous attendrir sur le sort de ses enfants ; son langage sera des plus humbles, il pleurera, implorera votre pitié. Mais plus il se fera humble, plus vous devrez le haïr, Athéniens. Si en effet il s’était montré à ce point insolent et violent dans sa vie passée, parce qu’il lui est absolument impossible de courber le front, on reconnaîtrait que c’est sa nature, sa destinée qui l’a fait tel, et votre colère pourrait s’en relâcher quelque peu. Si au contraire, sachant se montrer modéré, quand il le veut, il a préféré adopter des moeurs toutes contraires, il est évident qu’au cas où il réussirait à échapper au châtiment, il redeviendrait bientôt tel que vous le connaissez. Il ne faut donc pas que l’heure, présente, où il porte un masque mensonger, ait plus d’importance, vous inspire plus de confiance, que toute une vie qui est bien connue de vous. Pour moi, je n’ai pas d’enfants à traîner devant votre tribunal, en gémissant et pleurant sur les outrages que j’ai subis. Est-ce une raison pour que l’insulté soit moins bien accueilli par vous que l’insulteur ? Non certes ; et quand il viendra, entouré de ses enfants, vous demander un vote favorable, songez alors que je me présente devant vous, sous le patronage des lois et du serment que vous avez prêté, et que je les invoque en priant et suppliant chacun de me donner son suffrage. N’est-ce pas à de tels défenseurs[100] qu’il est juste de prêter l’oreille, bien plutôt qu’aux paroles de cet homme ? Car vous avez juré, Athéniens, d’obéir aux lois ; ce sont les lois qui vous assurent l’égalité des droits ; tous les biens dont vous jouissez, vous les devez aux lois, non à Midias, ni aux enfants de Midias.

« C’est un orateur de profession »[101], dira-t-il peut-être en me désignant. Pour moi, si l’homme qui conseille ce qu’il vous croit utile, et cela sans aller jusqu’à vous importuner ou vous faire violence, est un orateur, je ne prétends ni repousser ni renier ce titre ; mais si l’orateur ressemble aux gens que vous et moi voyons monter à la tribune, impudents, enrichis de vos dépouilles, non, je déclare ne pas l’être. Je n’ai jamais rien reçu de vous, et j’ai dépensé tout mon patrimoine, à bien peu près, pour vous servir. Mais quand même je serais le plus pervers de ces gens-là, il faudrait me punir, en vertu des lois, non m’outrager dans l’exercice de ma liturgie. Vous remarquez aussi qu’aucun des habitués de la tribune ne soutient ma cause ; je ne leur en fais pas un reproche ; moi-même je n’ai jamais pris la parole devant vous en faveur d’aucun d’eux, mais je me suis résolu à parler et à agir uniquement en vue de ce que je pense vous être utile. Autour de lui au contraire tout allez voir tout à l’heure se grouper tous les orateurs. Est-il juste qu’il m’applique ce titre comme une insulte, et qu’il confie son salut aux hommes qui le portent ?

Il dira peut-être aussi que toutes mes paroles sont réfléchies, préparées. Oui, j’ai réfléchi, Athéniens, je ne cherche pas à le nier, j’ai même étudié ma cause, autant qu’il m’était possible. Il serait déplorable qu’ayant subi, que subissant encore un tel traitement, je ne fusse pas préoccupé du langage que je dois tenir devant vous à ce sujet. Mais c’est en réalité Midias qui a écrit mon discours : c’est lui en effet qui m’a fourni les faits dont j’ai à vous entretenir. C’est donc à lui que le reproche s’adresserait à meilleur titre, non à celui qui n’a préparé et étudié son plaidoyer, qu’en vue de parler au nom de la justice. Voilà mon but, Athéniens, je le proclame. Quant à Midias, il n’est pas à croire qu’il se soit jamais, dans toute sa vie, préoccupé de ce qui est juste ; car s’il y avait le moins du monde arrêté sa pensée, il ne s’en serait pas éloigné à ce point dans la pratique.

Je crois qu’il n’hésitera pas à censurer le peuple et l’assemblée[102] ; ce qu’il osait dire, lorsque ma plainte eut été accueillie, il le répétera aujourd’hui. Il soutiendra que l’assemblée qui vota contre lui était composée des hommes qui restaient à Athènes, alors qu’ils auraient dû partir en campagne, de ceux qui avaient déserté leur poste, de choreutes, d’étrangers ou autres gens aussi peu qualifiés. Il en vint alors en effet à un tel point d’audace et d’impudence, comme le savent ceux d’entre vous, juges, qui siégeaient à cette époque, qu’il s’emportait en calomnies, en menaces, les regards tournés vers le côté orageux de l’assemblée, espérant frapper de terreur le peuple tout entier. Aussi ne pouvons-nous que rire des larmes qu’il répand. Que viens-tu nous dire, misérable ? tu voudrais que ceux que tu as publiquement outragés aient aujourd’hui pitié de tes enfants et de toi, et soutiennent tes intérêts ! Ce serait un exemple unique : tu étales un tel faste, tu manifestes sans cesse un si hautain orgueil que ceux mêmes à qui tu n’as pas affaire, sont choqués de ton impertinence, du son de ta voix, de ta tenue, du nombre de tes serviteurs, de ta richesse et de ta violence, et tu prétendrais, du jour au lendemain, qu’on te prît en pitié ! Te crois-tu un tel pouvoir ? Es-tu donc si habile ? Quoi tu aurais trouvé le moyen d’accorder si vite à ton profit deux sentiments absolument contradictoires, la répulsion qu’inspirent tes actes, et la pitié qu’obtiendraient tes lamentations mensongères. Non, non ; tu n’as pas le moindre droit à la compassion ; tout au contraire, la haine, la répulsion la colère, voilà ce que tu mérites. Mais j’en reviens à ceci, que Midias va accuser le peuple et l’assemblée. Quand il ose agir ainsi, souvenez-vous, juges, que, lors du secours envoyé à Olynthe[103], il vint accuser devant l’assemblée les cavaliers qui avaient servi avec lui ; et aujourd’hui il accusera ceux qui, comme lui, étaient restés à Athènes devant ceux qui alors faisaient campagne. Consentirez-vous donc à reconnaître que, quoi que vous fassiez, que vous restiez ou que vous partiez à la guerre, vous soyez tels que Midias vous représente ? N’allez-vous pas plutôt déclarer que Midias est partout et toujours un ennemi des dieux, un infâme ? Ah ! certes, il est bien tel, celui que les cavaliers, que les officiers, ses collègues, que ses amis mêmes ne peuvent supporter. De quel nom doit-on l’appeler ? Pour moi, j’en atteste Zeus, Apollon et Athéna, je parlerai, quoi qu’il en puisse résulter pour moi : quand Midias allait et venait, répétant partout que je me désistais, j’ai vu clairement que son bavardage fatiguait jusqu’à ceux qui causent le plus volontiers avec lui. C’est qu’en effet il est insupportable. Lui seul est riche, lui seul est éloquent ; tous les autres, à l’entendre, ne sont que des ordures, des gueux, ce ne sont pas même des hommes. Avec cet orgueil insensé, s’il se soustrait aujourd’hui au châtiment, que n’osera-t-il pas ? Pour s’en convaincre, on n’a qu’à examiner quelle fut sa conduite, après sa condamnation. Quel homme, frappé par vos votes, et cela, quand il s’agit d’une impiété commise à propos d’une fête sacrée, alors même qu’aucune autre question ne le mettrait en péril, quel homme, dis-je, ne se serait tenu à l’écart pour ce seul motif, et ne se serait montré modéré au moins jusqu’au jour du jugement définitif ? Ainsi ne fait pas Midias ; mais, depuis ce premier vote, il ne fait que parler, injurier, crier. Y a-t-il une élection ? Midias d’Anagyrase se porte candidat. Il patronne Plutarque[104] ; la politique n’a pas de secrets pour lui ; Athènes ne peut le contenir. En tout cela, il n’a évidemment qu’un but : « Je me soucie peu de votre vote, pense-t-il ; je n’ai nulle appréhension, nulle crainte sur l’issue de la lutte. » Eh bien ! Athéniens, l’homme qui regarde comme une honte de vous redouter, et se glorifie de ne point se soucier de vous, celui-là ne mérite-t-il pas dix fois la mort ? Il s’imagine que vous ne seriez pas de force à venir à bout de lui, parce qu’il est riche, hardi, orgueilleux, vantard, violent, impudent. Quand le réduirez-vous, s’il échappe aujourd’hui ?

Pour moi, quand il n’y aurait aucun autre grief contre Midias, ses perpétuels discours dans l’assemblée, et les circonstances où il les prononce suffiraient pour lui mériter le dernier châtiment. Vous le savez en effet, quand on nous annonce quelque événement favorable à la ville, et de nature à nous réjouir tous, Midias ne se montre jamais parmi ceux qui s’associent à la joie du peuple. Est-ce au contraire une fâcheuse nouvelle qui afflige les autres citoyens ? Midias se lève le premier, il prend la parole, il insulte notre malheur, c’est une jouissance pour lui de nous voir silencieux dans la douleur qui nous accable. « Ah ! que voilà bien les Athéniens, s’écrie-t-il ; vous refusez de quitter vos foyers, de contribuer de vos deniers ; puis vous vous étonnez que vos affaires aillent mal ! A votre sens, c’est moi qui dois remplir le trésor, et vous vous partagerez mon argent ; c’est moi qui dois équiper des galères, et vous ne vous y embarquerez pas ! » — Voilà comme il vous insulte, et son humeur amère, la malveillance, qu’il dissimule d’ordinaire, éclatent au grand jour, dès que l’occasion s’en présente. Maintenant donc, Athéniens, que l’hypocrite cherche à vous duper, en se lamentant, pleurant et priant devant vous, payez-le de sa monnaie. « Ah ! que voilà bien Midias[105], lui direz-vous, tu fais l’insolent, tu ne veux pas retenir ta violente humeur ; et tu t’étonnes ensuite, misérable, de périr misérablement ! Tu t’imaginais que nous te supporterions, afin que tu te livres encore aux voies de fait ; que nous te renverrions absous, pour que tu continues tes outrages ! »

Si les orateurs[106] lui prêtent secours, ce n’est pas qu’ils veuillent lui faire plaisir ; c’est plutôt pour m’être désagréable, à cause de la haine dont Eubule[107], quoi que je puisse dire, se déclare animé contre moi, haine sans aucun fondement ; tandis que moi, quelque mal qu’il m’ait fait, je ne le considère pas comme mon ennemi. Je lui pardonne, qu’il me pardonne aussi. Mais non ! dans les questions mêmes où il n’est pas engagé, il se range contre moi. Tout à l’heure, il montera à la tribune, et me refusera le droit, commun à tous, de demander protection aux lois. N’est-ce pas s’arroger un rôle importun, et se hausser plus qu’il n’est utile à chacun de nous ? D’ailleurs, Athéniens, Eubule était présent, il siégeait dans le théâtre, quand le peuple vota contre Midias. Celui-ci eut beau l’interpeler par son nom, le prier, le supplier, comme vous vous en souvenez, il ne se leva pas. Mais si Eubule croyait qu’il n’y avait pas délit, que ma poursuite n’était pas fondée, il devait, lui surtout, l’ami de Midias, parler en sa faveur, lui prêter secours. Si, au contraire, il ne s’est pas alors rendu à sa prière, parce qu’il le reconnaissait coupable, et qu’aujourd’hui il cherche à le faire absoudre, pour l’unique raison que Midias est en lutte contre moi, une telle conduite ne doit pas lui concilier votre faveur. Gardons-nous de permettre que dans une démocratie un homme devienne assez puissant pour que, grâce à l’appui de sa parole, l’un subisse l’outrage, et l’autre n’en soit pas puni. Si tu tiens à me faire du mal, Eubule, et, j’en jure par les Dieux, je ne soupçonne pas pour quel motif, use de ton influence politique, réclame contre moi tel châtiment que tu voudras, au nom des lois ; mais, quand j’ai été outragé, en violation des lois, ne m’arrache pas ma vengeance. Sur aucun autre terrain ne trouves-tu lieu de m’attaquer ? ce sera alors une preuve de ma droiture, si, toi qui poursuis si aisément les autres citoyens, tu n’as rien à articuler contre moi.

J’apprends que Philippide, Mnésarchide, Diotime d’Evonymie, et d’autres riches triérarques vont aussi vous prier d’acquitter Midias, en vous le demandant comme une faveur personnelle. Je me garderai de mal parler d’eux, ce serait folie de ma part ; mais, en regard de leurs prières, considérez, juges, examinez ceci : s’il arrivait, (ce qu’aux Dieux ne plaise, et cela n’arrivera pas), que ces hommes disposent du pouvoir souverain avec Midias et ceux qui lui ressemblent, supposez que l’un de vous, un simple et vulgaire citoyen, eût commis à l’égard de l’un d’eux un acte moins grave même que l’outrage dont j’accuse Midias, et qu’il comparût devant un tribunal où siégeraient ces hommes puissants ; y serait-il accueilli par d’indulgentes paroles ? Croyez-vous qu’on lui serait de suite favorable, qu’on prêterait l’oreille aux prières de cet humble citoyen ?— « Ah ! s’écrieraient plutôt ses juges, voyez cet envieux, ce misérable : il a outragé, et il ose encore élever la voix. Lui laisser la vie, est-ce possible ? » Ceux qui vous traiteraient ainsi, Athéniens, ne les traitez pas autrement ; ne vous extasiez pas devant la richesse ou la renommée ; songez à vous-mêmes. Ces hommes possèdent de grands biens, qu’ils les gardent, nul ne s’y oppose ; mais la sécurité, ce bien commun que nous assurent les lois, qu’ils ne prétendent pas nous la ravir ! Midias ne subira pas un sort rigoureux, et qui lui mérite la pitié, parce qu’il sera placé, pour la fortune, au niveau de la plupart d’entre vous, qu’aujourd’hui il outrage et traite de gueux, parce qu’on le dépouillera de cette opulence qui le gonfle d’orgueil et le pousse à l’insolence[108]. Est-elle juste cette prière que vous allez entendre ?

« Rendez, dira-t-on, un arrêt contraire aux lois, refusez votre appui à celui qui a été molesté, manquez à votre serment, accordez-nous cette grâce. » Ce serait là le sens de la prière qu’on vous adresserait pour Midias, si tels n’en sont pas les termes. D’ailleurs, ces hommes sont les amis de Midias, et ils s’indignent qu’il cesse d’être riche ; eh bien ! puisqu’ils sont eux-mêmes extrêmement riches, et je les en félicite, qu’ils prélèvent une part de leur propre fortune, et la lui donnent ! Ainsi vous serez fidèles au serment que vous avez prêté, en entrant ici, de juger équitablement, et ces gens accorderont, sur leurs propres deniers, une faveur à Midias, sans que vous ayez à en rougir. Mais s’ils ne veulent pas faire le sacrifice de leur fortune, pourquoi feriez-vous celui de votre honneur ?

Ainsi, tout un cortège de riches, s’imaginant que leur fortune leur donne un certain relief, va venir vous prier. Ne me sacrifiez à aucun d’eux, Athéniens ; mais, de même que chacun de ces hommes songera à ses intérêts particuliers, en même temps qu’à ceux de Midias[109], vous aussi songez à vous-mêmes, aux lois, à moi enfin qui n’ai de refuge qu’auprès de vous, et restez fidèles aux sentiments qui vous animent. Si, à l’époque où j’ai présenté ma plainte, Athéniens, le peuple, après avoir entendu le récit des faits, avait acquitté Midias, mon échec m’eût été moins douloureux. Si vous aviez alors déclaré qu’il n’y avait pas eu outrage ni délit commis à l’occasion de la fête, il aurait pu y avoir là pour moi quelque motif de consolation[110]. Mais l’absoudre maintenant, ce serait le coup le plus terrible. Eh ! quoi ! alors que le délit venait d’être commis, vous avez tous montré la plus violente colère, un acharnement tel que quand Néoptolème, Mnésarchide, Philippide et quelques autres de nos plus riches citoyens m’adressaient leurs prières, ainsi qu’à vous, les clameurs de la foule m’invitaient à ne point me désister ; puis quand Blépoeos le banquier s’approcha de moi, vous protestiez à grands cris, comme si j’allais, séance tenante, accepter de l’argent. Effrayé de tout ce tumulte, je laissai mon manteau aux mains de Blépoeos qui cherchait à m’entraîner, je lui échappai presque nu sous ma courte tunique. Plus tard aussi, on ne me rencontrait pas sans me dire : « Ne cède pas à ce misérable, ne t’arrange pas avec lui ; les Athéniens ont les yeux sur toi. » Quoi ! après que votre vote a reconnu que l’acte de Midias était bien un outrage, que les juges qui siégeaient dans l’enceinte sacrée l’ont déclaré, après que j’ai persisté, sans vouloir trahir ni vous, ni moi-même, vous pourriez abroger vos propres suffrages ! Non, vous ne le ferez pas ; ce serait la dernière des hontes. Je ne mérite pas d’être ainsi désavoué, non certes ! alors que j’appelle devant le tribunal un homme connu pour sa violence et son insolence, qui a attenté au caractère sacré de la fête, et dont la brutalité a éclaté non seulement à vos yeux, mais aussi aux yeux de tous les Grecs que la solennité avait attirés à Athènes. Le peuple, informé de l’acte criminel, en a, par son vote, livré l’auteur à votre justice. Il n’est pas possible que votre décision soit annulée, reste dans l’ombre, que vous ne teniez plus compte de ce que vous avez résolu, quand l’affairé vous fut soumise. Si vous châtiez le coupable, vous montrerez ainsi votre sagesse, votre droiture, votre haine des méchants ; si vous l’acquittez, on dira que vous avez cédé à des sentiments tout contraires. Ce n’est pas ici une cause politique ; ce n’est pas non plus le cas d’Aristophon[111], qui, en rendant les couronnes, obtint que la première action n’eût pas de suites. Il s’agit d’un outrage, et Midias est mis en jugement, parce qu’il ne lui serait pas possible d’annuler ce qu’il a fait. Cela étant, vaut-il mieux le punir aujourd’hui ou plus tard ? Aujourd’hui, certes ; nous sommes tous intéressés dans le jugement, parce que les délits nous ont tous atteints.

Ce n’était pas moi seul en effet qu’il frappait, Athéniens, qu’il avait l’intention d’outrager, mais tous ceux qu’il croit moins capables que moi d’obtenir justice. Si vous n’étiez pas tous frappés et insultés comme chorèges, sachez-le, c’est parce que vous n’étiez pas tous à la fois chorèges, et qu’une seule main n’aurait pu vous souffleter tous. Mais quand l’individu qui a été molesté n’obtient pas vengeance, chacun doit s’attendre à ce qu’il lui en arrive autant au premier jour ; aussi ne faut-il pas regarder un tel déni de justice avec insouciance, et attendre que le mal vienne jusqu’à nous, mais nous en garantir du plus loin possible. Midias me hait, mais chacun de vous sans doute a aussi un ennemi qui le hait. Lui concéderez-vous le droit d’agir à votre égard comme Midias l’a fait envers moi ? Je ne le pense pas. Ne me livrez donc pas non plus à Midias. Et voyez : Quand le tribunal lèvera la séance, chacun de vous, l’un plus vite, l’autre plus lentement, s’acheminera vers sa maison, sans se retourner, sans rien craindre, sans se soucier si ceux qu’il rencontrera seront amis ou ennemis, grands ou petits, forts ou faibles. Pourquoi chacun est-il si calme ? C’est que, confiant dans notre constitution, il sait, il a conscience que nul ne l’entraînera de force, ne l’outragera, ne le frappera. Eh bien ! cette sécurité, grâce à laquelle vous allez et venez sans crainte, vous séparerez-vous sans me l’assurer à moi-même ? Sur quel raisonnement me fonderai-je pour survivre à l’outrage que j’ai subi, si vous dédaignez ma cause ? « Reprenez courage, me dira-t-on, vous ne serez plus outragé. » Et si je le suis, après avoir acquitté aujourd’hui, châtierez-vous alors ? Non, Athéniens, ne me trahissez pas, ne vous trahissez pas vous-mêmes, et les lois avec vous ; car si vous vouliez examiner et rechercher d’où provient pour ceux de vous qui se succèdent dans les tribunaux, l’autorité souveraine que les juges exercent sur toutes les affaires de la cité, quel que soit d’ailleurs leur nombre, qu’ils soient deux cents ou qu’ils soient mille[112], vous trouveriez que, s’ils sont puissants, ce n’est pas que, seuls entre les citoyens, ils soient organisés et armés,ce n’est pas qu’ils soient plus beaux, plus robustes, plus jeunes que les autres ; non, rien de pareil ; c’est seulement parce qu’ils s’appuient sur la force des lois. Et en quoi consiste cette force des lois ? Si quelqu’un de vous est molesté et appelle à l’aide, est-ce qu’on verra les lois accourir, se réunir autour de lui pour le défendre ? Non ; elles ne sont que des textes écrits, et ne pourraient prêter un secours matériel. Comment donc sont-elles puissantes ? Elles le sont, parce que vous fortifiez leurs bases, et leur assurez une souveraineté absolue à l’égard de ceux qui les implorent. Ainsi les lois sont fortes par vous, et vous êtes forts par les lois. Il faut donc les défendre, car c’est comme si on se défendait soi-même ; il faut penser que les injures faites aux lois sont communes à tous, alors qu’un seul semble atteint, et qu’il ne doit y avoir ni services rendus, ni pitié, ni protection, ni habileté qui puisse empêcher que le violateur des lois soit puni.

Ceux d’entre vous qui assistaient aux fêtes de Dionysos ont sifflé et hué Midias à son entrée au théâtre ; ils lui ont témoigné leur haine de toutes façons ; et cependant ils ne m’avaient pas encore entendu vous parler de lui. Ainsi, avant que le délit eût été prouvé, vous lui manifestiez votre colère, vous excitiez l’offensé à la vengeance, vous m’applaudissiez quand je le citai devant le peuple ; et maintenant que le fait a été prouvé, que le peuple, siégeant dans l’enceinte sacrée[113], s’est prononcé une première fois contre lui, que les autres méfaits de ce misérable ont été constatés, que le sort vous a désignés pour le juger, et que la décision suprême dépend de votre seul suffrage, vous hésiteriez à me prêter secours, à être ainsi agréables au peuple, à enseigner à tous la modération, à vous assurer à vous-mêmes pour l’avenir une entière sécurité, en donnant Midias comme exemple aux autres citoyens !

Ainsi donc, d’après tout ce que j’ai dit, et surtout pour rendre hommage au Dieu dont l’acte impie de Midias a troublé la fête, votez selon les règles sacrées de la justice, châtiez cet homme.


[1] Démosthène, dès le début, cherche à établir qu’il ne s’agit pas d’une cause privée, que tous les citoyens ont à se plaindre de l’insolence de Midias, que l’orateur défend les intérêts communs.
[2] Midias est ici représenté comme ayant groupé autour de lui des citoyens riches et puissants.
[3] Démosthène laisse entendre que d’autres magistrats n’ont pas eu assez de courage pour s’attaquer à un si redoutable adversaire.
[4] Accusation nette et hardie que Démosthène avait sans doute formulée au jour même où le jugement avait été prononcé entre les choeurs concurrents.
[5] Parce qu’il a été outragé dans l’exercice de ses fonctions, et que, comme chorège, il représentait le peuple qui l’avait élu.
[6] Qu’était cette fête des Pandies ? On ne le sait pas précisément ; on suppose que c’était une solennité en l’honneur de Zeus, qui suivait immédiatement les grandes Dionysiaques, et leur servait comme de conclusion.
[7] Il y a ici une apparente contradiction, puisque les proèdres semblent investis, dans le texte de Démosthène, des fonctions que la loi qu’il commente attribue aux prytanes. On l’explique, en disant que la loi était antérieure, qu’elle avait été votée avant qu’eussent été créés les proèdres qui présidaient les assemblées du Sénat et du peuple, tandis que le droit de les convoquer avait été maintenu aux prytanes.
[8] Les Dionysiaques du Pirée étaient une fête rurale, moins solennelle, mais du même genre que les Dionysiaques de la ville ; nous voyons, par ce texte de loi, que les représentations avaient lieu trois fois par an, aux deux Dionysiaques et aux fêtes du mois Lénéen.
[9] Le texte de la loi n’indique pas pour les fêtes du mois Thargélion des représentations théâtrales ; il semble au moins qu’elles étaient fort solennelles, puisque la loi les inscrit à la suite des trois grandes fêtes précitées, qui entraînaient la suspension des engagements commerciaux.
[10] Pour le délit d’outrage, la loi laissait aux juges le droit de fixer la peine, depuis la plus légère, l’amende, jusqu’à la plus grave, la mort. Cette dernière était sans doute édictée bien rarement, en supposant qu’elle l’ait jamais été pour ce genre de délit. Démosthène ne pouvait guère supposer que la peine de mort fût infligée à Midias ; mais il demandait le plus pour obtenir le moins.
[11] Tribu à laquelle Démosthène appartenait.
[12] Les fonctions de chorège étant fatigantes et coûteuses, chaque tribu s’efforçait de s’y soustraire.
[13] Un joueur de flûte était attaché à chaque choeur. Le sort désignait l’ordre dans lequel chaque chorège pouvait choisir son joueur de flûte parmi les musiciens qui se présentaient pour remplir cette fonction. C’était donc un avantage pour un chorège d’être désigné le premier pour faire son choix, qui naturellement portait sur le meilleur.
[14] Parce que ces avanies sont si nombreuses et si étranges que les auditeurs de Démosthène pourraient supposer qu’il exagère ou qu’il invente, s’il n’avait par avance prouvé la réalité des faits qu’il énumère.
[15] Un des neuf archontes était spécialement désigné pour présider à la fête. Il portait une couronne de myrte comme insigne de ses fonctions. L’accusation de corruption portée ainsi par Démosthène contre un des magistrats les plus importants de la cité paraît bien audacieuse.
[16] La plupart des juges devaient avoir assisté à la représentation où Démosthène avait subi l’insulte.
[17] Il y a ici une lacune. L’orateur doit présenter de nombreux témoignages pour établir la vérité des faits énumérés dans le paragraphe précédent. Nous remarquons aussi que dans le témoignage de l’orfèvre, il n’est question que d’une seule couronne, et d’un manteau, ceux sans doute que devait porter le chorège, tandis que plus haut l’orateur parle des costumes et des couronnes destinés aux choreutes. Cette lacune tient sans doute à ce que Démosthène, ayant composé avec Midias, avant de prononcer son discours, n’y a pas mis la dernière main.
[18] C’est toujours le même système de confondre sa cause avec celle de la cité.
[19] Si la poursuite conservait un caractère privé, l’amende infligée à l’adversaire appartiendrait à Démosthène ; il renonce à tout avantage particulier en intentant une action publique politique.
[20] Ce thesmothète avait cherché à arracher une joueuse de flûte aux brutalités d’un jeune homme ivre. Nous ne connaissons pas les circonstances particulières où s’est produit le fait cité ici, non plus que les motifs, qui avaient animé l’insulteur du proèdre.
[21] La première action contre le débiteur reste privée ; elle vise une simple restitution ; la seconde, s’il n’a pas opéré la restitution, est publique, et, comme telle, s’aggrave d’une amende au profit du trésor.
[22] Démosthène continue de distinguer les cas qui entraînent action privée ou action publique, et établit que toutes les fois qu’il y a eu violence, l’action publique est de droit, parce que l’ordre social a été ainsi attaqué ; es n’est donc pas seulement l’individu outragé qui a droit à une réparation, mais la cité elle-même.
[23] Le tribunal des héliastes jugeait les causes criminelles.
[24] La Thrace, la Scythie, le Pont, la Cappadoce, la Paphlagonie, et autres contrées de l’Asie Mineure.
[25] Démosthène ne formule pas expressément contre Midias une accusation d’impiété ; celui-ci n’a pas, en effet, commis d’outrage direct à l’égard d’un dieu ; mais il a cependant violé la loi dionysiaque, et commis un délit « à l’occasion de la fête ».
[26] C’est-à-dire les Athéniens ; Érechthée était un des plus anciens rois d’Athènes ; Pandion avait aussi régné à Athènes.
[27] Ce surnom provient de ce qu’on érigeait souvent un buste d’Apollon auprès de la porte des maisons, comme pour les protéger contre les entreprises criminelles.
[28] Les cratères étaient de grands vases où l’on mélangeait avec le vin de l’eau et différents autres ingrédients. Dans certaines fêtes on plaçait des cratères pleins dans les rues, à la disposition du public.
[29] Quelques-uns des juges avaient été mêlés aux scènes que va raconter l’orateur, soit comme chorèges, soit à quelque autre titre, et pouvaient en avoir conservé un désagréable souvenir que l’orateur s’excuse de réveiller.
[30] L’homme qui s’était dérobé aux devoirs militaires était déchu de ses droits civiques, par suite, ne pouvait diriger un choeur.
[31] On s’étonne que le scrupule religieux, qui désarmait les citoyens en face du chef de choeur, dans l’exercice de ses fonctions, se soit prolongé une fois qu’il les avait cessées.
[32] Il y avait des choreutes de différentes classes, suivant le talent.
[33] La loi permettait d’exclure, séance tenante, tout choreute frappé par avance d’indignité, ou qui commettait quelque acte répréhensible.
[34] On peut s’étonner qu’Iphicrate soit ici loué d’avoir fait simplement son devoir.
[35] On accusait Chabrias d’avoir livré aux ennemis la ville d’Oropos, limitrophe de la Béotie.
[36] L’outrage était par là moins grave. Démosthène avait au contraire été insulté dans une solennité publique.
[37] Un peu avant que fût plaidée la cause de Démosthène contre ses tuteurs, Thrasyloque, frère de Midias, et alors triérarque désigné, déclara que cette charge devait frapper Démosthène, comme étant plus riche que lui, et, en cas de refus de Démosthène, demanda l’antidosis, c’est-à-dire l’échange des fortunes, comme le permettait la loi athénienne.
[38] Au cas où Démosthène eût accepte l’antidosis, avec sa fortune il cédait ses créances contre ses tuteurs, et par cette manoeuvre Thrasyloque, ami Démosthène, avait précisément pour but de le dégager, ainsi que les autres tuteurs. Il semble cependant que Thrasyloque te pressait beaucoup de donner décharge à Démosthène, puisque l’échange n’avait pas été encore accepté, et qu’en effet il ne le fut pas.
[39] A cette époque, plusieurs citoyens étaient associés pour l’équipement d’une seule galère. La part contributive à laquelle consent Démosthène était, dit le scholiaste, la moitié de la dépense totale. L’équipement d’une galère coûtait donc alors quarante mines, soit un peu moins de quatre mille francs.
[40] A cause des propos inconvenants et insultants tenus dans la maison de Démosthène devant sa mère et sa soeur.
[41] Quand il n’avait pas été fait appel d’une sentence, mais que le condamné ne payait pas l’amende qui lui avait été infligée, on avait le droit de le poursuivre à nouveau ; mais, dans ce cas, ce n’était plus une simple action civile ; le nouveau procès rentrait dans la catégorie de ce qu’on appelait éxoulês, c’est-à-dire actions en vue de restitution ; ce genre d’action entraînait pour le condamné une amende envers l’État, ce qui le rendait créancier du trésor public, et le fisc était impitoyable.
[42] Démosthène, comme chorège, était le représentant officiel de la tribu à laquelle il appartenait.
[43] C’est là que les arbitres devaient se rendre pour faire signer aux archontes les sentences qu’ils avaient rendues.
[44] Midias s’était abstenu de prêter le serment, faute duquel son pourvoi n’avait pas de valeur légale. Nous avons vu plus haut que dans le cas d’éxoulês, le condamné devait une amende à l’Etat.
[45] Il s’agit du président du Conseil des Cinq-Cents.
[46] Le plaignant devait être assisté de deux témoins qui signaient avec lui au bas de la plainte ; cette formalité était nécessaire pour que le jugement par défaut pût être légalement obtenu. Mais Midias ne se soucie pas d’observer les formes régulières.
[47] Le texte porte : ayant été condamné injustement. Le scholiaste et les commentateurs croient que cette expression dia tò adikêthênai, dénuée de sens ici, a été interpolé par la négligence d’un copiste.
[48] Midias craignait, en s’attaquant de nouveau à Démosthène, de se heurter à de graves difficultés ; tandis qu’en face d’un adversaire comme Straton, pauvre et sans crédit, la victoire était aisée.
[49] C’est-à-dire contre Straton.
[50] Le jugement qui l’avait condamné pour propos injurieux à l’égard de Démosthène, de sa mère et de sa soeur.
[51] Déchu de ses droits, Straton ne pouvait témoigner en justice. Démosthène espère, quoique ce soit contraire à l’usage, qu’il pourra au moins paraître de sa personne devant le tribunal, mais sans ouvrir la bouche.
[52] L’orateur suppose une association, où chacun aura fait son apport, une sorte de bourse commune, et où il pourra puiser à son tour, quand ses besoins l’exigeront ; mais il ne pourra, en tout cas, retirer au-delà de ce qu’il a versé. De même la société, au point de vue moral, reçoit des individus services ou méfaits, qui sont comme emmagasinés ; au jour de la liquidation, chacun retire ce qu’il a déposé ; il est traité selon ses moules.
[53] Parce qu’à la suite de l’arrêt rendu contre lui, il eût été exilé, sans que ses cendres mêmes pussent être ramenées dans sa patrie.
[54] Midias aurait accepté la triérarchie pour se soustraire au service personnel dans la cavalerie ; il aurait ensuite tardé à monter sur sa galère ; enfin il aurait abandonné la flotte pour vaquer à ses affaires personnelles : triple délit.
[55] Midias avait patronné l’intervention d’Athènes en Eubée sur la demande de Plutarque, d’Érétrie. Démosthène, au contraire, l’avait déconseillée ; et son adversaire s’efforçait de le rendre responsable des revers d’Athènes, jusqu’au jour où la trahison de Plutarque fut manifeste.
[56] L’assassinat de Nicomède et les échecs des Athéniens en Eubée.
[57] Par leur influence, et aussi par leurs dons d’argent.
[58] Démosthène rappelle volontiers tous les honneurs que ses concitoyens lui ont décernés, comme une preuve de l’estime où il était tenu. Chaque peuple de la Grèce envoyait des théores à Némée, chargés d’assister aux jeux qui y étaient célébrés tous les quatre ans, en l’honneur de Zeus, à l’occasion de la victoire d’Heraclès sur le lion, un des douze travaux : — Les augustes déesses, ce sont les Euménides, qui châtient les crimes. — L’aréopage élisait le pontife chargé de présider aux sacrifices offerts à ces déesses vengeresses, parmi les citoyens jugea les plus irréprochables.
[59] Ne pouvant accuser directement, il voulait au moins, en perdant Aristarque, compromettre Démosthène, son ami, en laissant supposer une complicité.
[60] Le sénat des Cinq-Cents.
[61] Midias avait été condamné par le tribunal ; se désister de sa poursuite, c’était pour Démosthène une sorte d’injure adressée au premier juge.
[62] Parce qu’il aurait manqué à l’honneur, qui est le plus précieux de tous les biens.
[63] Démosthène revient sans cesse sur cette facilité qu’ont les riches de rester impunis, quoi qu’ils fassent, grâce à leur or ; cette assertion, sans cesse répétée, fait peu d’honneur à la moralité athénienne.
[64] Si l’on a prouvé, dans sa défense, que l’agression était injuste.
[65] Et, à ce titre, ils doivent inspirer la défiance par leurs éloges, qui les associent étroitement à la cause de Midias.
[66] La clepsydre mesurait la durée des plaidoyers, et mettait un frein à la loquacité des avocats.
[67] Toujours pour le même motif, indiqué plus haut à plusieurs reprises, parce qu’il achetait le silence ou le vote favorable.
[68] En insultant un chorège dans l’exercice de ses fonctions, il attaque en réalité ainsi de nombreux adversaires, tous les citoyens de la tribu que représente le chorège.
[69] Argura était une ville d’Eubée, qui dépendait de Chalcis ; Cratinos, maintenant réconcilié avec Midias, avait défendu contre lui les cavaliers insultés par lui.
[70] Ces détails indiquent le faste de Midias, qui, même en campagne, emportait tout l’attirail nécessaire aux banquets.
[71] Archétion était un des cavaliers qui avaient servi sous Midias, quand celui-ci était hipparque.
[72] C’est-à-dire que, pour Démosthène, les griefs sont multiples, et de toute nature, comme il s’est attaqué à des gens de toutes classes.
[73] Hommes politiques, de réputation médiocre.
[74] Généalogie contestée. Il est vrai qu’Alcibiade descendait des Alcméonides par Dinomaque, sa mère, fille de Mégaclès ; mais c’est le fils d’Alcibiade, portant le même nom, qui s’allia à la famille d’Hipponicos, en épousant Mégarite, sa fille.
[75] En 412, une révolution éclata à Samos, et y institua le régime démocratique ; quelques années plus tard, une révolte aristocratique fut réprimée avec l’aide d’Athènes ; entre ces deux événements, la démocratie avait également triomphé à Athènes ; mais l’histoire ne nous montre pas Alcibiade jouant un grand rôle dans ces trois événements.
[76] Les hermès étaient des bustes d’Hermès qu’on érigeait dans les carrefours, où ils servaient en quelque sorte de bornes.
[77] Parce qu’il avait souillé et déchiré les costumes des choreutes, brisé les couronnes, détérioré tout le matériel acquis par Démosthène et destiné à la fête.
[78] Qui s’étaient montrés si sévères, pour la défense de leurs droits, contre les citoyens les plus illustres.
[79] On sait que Démosthène finit par entrer en composition avec Midias.
[80] Les citoyens les plus riches d’une symmorie avançaient l’impôt et se faisaient ensuite rembourser peu à peu par les autres membres.
[81] Il l’avait été fort à regret, pour échapper à l’antidosis, réclamée par Thrasyloque, frère de Midias, lors du procès de Démosthène contre ses tuteurs ; mais il fut ensuite volontairement triérarque à plusieurs reprises.
[82] Le triérarque primitivement équipait seul une galère ; plus tard, la dépense semblant trop lourde, on y associait deux citoyens. L’un des deux montait la galère, et l’autre devait le remplacer au bout de six mois. Du reste, de tout temps, le trésor avait fourni la solde, la nourriture de l’équipage et le corps du navire.
[83] Ces douze cents citoyens étaient répartis en symmories de quinze membres environ, chacune chargée de l’équipement d’une trirème. Le chef de chacune de ces symmories avançait les frais d’équipement, mais ils lui étaient ensuite remboursés par les autres membres ; il est probable qu’il en payait du moins sa quote-part, quoique Démosthène semble affirmer le contraire, sans doute pour dénigrer Midias.
[84] C’était de la même façon que Démosthène lui-même dans sa jeunesse, avait subi sa première triérarchie.
[85] C’est-à-dire les cavaliers qui avaient auparavant tenu garnison à Argura, et étaient depuis rentrés dans leurs foyers.
[86] Sa vie était par là plus précieuse, puisque sa race se serait éteinte avec lui.
[87] Midias, en faisant don d’une galère, imitait les fermiers des impôts, et en particulier des droits du cinquantième (deux pour cent) sur les grains importés, qui versaient tout d’abord une somme au trésor, mais en retiraient ensuite beaucoup plus qu’ils n’avaient versé, et jouissaient en outre de l’immunité militaire.
[88] Ville de l’Eubée, où les Athéniens s’étaient embarqués au retour de leur expédition.
[89] Sous la tyrannie de Pisistrate et de ses fils, Hippias et Hipparque.
[90] Il y avait au Pirée deux galères de premier rang, l’une appelée galère paralienne, l’autre galère salaminienne, que montaient les théories envoyées à Delphes ou dans d’autres centres religieux. Elles étaient, en quelque sorte, des galères sacrées, et c’était un grand honneur d’être appelé à les commander.
[91] Dans la guerre sociale les Athéniens arrêtaient et confisquaient les vaisseaux des cités hostiles. Midias, comme chef de la galère paralienne, pilla plusieurs navires marchands de Cyzique ; or, cette ville était restée dans l’alliance d’Athènes. Les habitants de Cyzique envoyèrent des députés à Athènes, mais Midias, menacé de rendre gorge, fit si bien que leurs réclamations ne furent pas admises. Irritée d’un tel traitement, cette cité abandonna la cause d’Athènes.
[92] Il s’agit sans doute de la fête des Mystères de Déméter à Éleusis.
[93] Évandre, sans doute métèque, c’est-à-dire étranger domicilié, avait gagné ses procès contre le Carien Ménippe, et l’arrêt forçait celui-ci à verser deux talents à Évandre.
[94] Les trois premiers archontes, l’archonte éponyme, l’archonte roi et l’archonte polémarque avaient le droit de choisir chacun deux assesseurs.
[95] C’est-à-dire celui qui avait été violemment expulsé du théâtre par l’assesseur de l’archonte.
[96] Cette lanière de cuir faisait partie du costume bachique ; s’il en fit usage, étant ivre, sa responsabilité est par là atténuée.
[97] Comme le père de l’archonte, dont il est parlé plus haut.
[98] Les Etéoboutades (vrais descendants de Boutès, fils d’Érechthée) formaient une vieille et illustre famille dans laquelle on choisissait toujours la prêtresse d’Athéna Poliade.
[99] La même comparaison, presque dans les mêmes termes, se trouve déjà plus haut. Cette répétition est une preuve de plus que Démosthène, ayant abandonné sa poursuite contre Midias n’a pas mis la dernière main à son discours.
[100] Les défenseurs ici invoqués, ce sont les lois et le serment prêté par les juges.
[101] Les rhêtorès étaient des politiciens toujours prêts à prendre la parole dans toutes les causes privées ou publiques, qui en faisaient métier et en tiraient parti. Mais il y avait aussi des orateurs, comme prétend être Démosthène, qui déclaraient ne faire usage de leur crédit et de leur éloquence que pour le bien de la cité.
[102] Il s’agit de l’assemblée réunie avant le terme de la fête, chargée d’instruire les affaires qui s’y rapportaient, et qui avait condamné l’acte de Midias. Mais ce n’était qu’une condamnation en quelque sorte morale, susceptible d’appel ; et la pénalité en tout cas restait à fixer.
[103] Il s’agit du secours envoyé à Olynthe pendant la seconde campagne d’Eubée.
[104] Plutarque, tyran d’Érétrie, qui avait ensuite trahi la cause d’Athènes.
[105] La phrase est construite ironiquement dans le même mouvement que celle que l’orateur a mise un peu plus haut dans la bouche de Midias.
[106] Ces mêmes orateurs de profession dont il est parlé plus haut.
[107] Eubule était un des citoyens les plus importants et les plus honorés de la cité, et il se déclarait en faveur de Midias. Démosthène se garde bien de rien dire qui le puisse froisser.
[108] Démosthène qui a réclamé si souvent contre Midias la peine de mort, semble se contenter maintenant de la confiscation de ses biens.
[109] Il ne leur suppose pas une opinion désintéressée.
[110] Parce qu’il y eût eu là une décision de principe, tandis que maintenant la personnalité de Démosthène est seule engagée.
[111] Aristophon, collecteur d’impôts, garda pour lui les dîmes recueillies pour consacrer des couronnes à Athéna. Accusé pour ce fait par Eubule, il n’attendit pas que l’affaire fût discutée, et se hâta de faire fabriquer les couronnes, qu’il suspendit dans le temple de la déesse.
[112] Les tribunaux étaient, à Athènes, de véritables assemblées, dont les membres étaient tirés au sort. Le plus important, le sénat (Boulê) comptait cinq cents membres. Ce nombre même pouvait être doublé ; d’autres tribunaux contenaient moins de juges ; il semble, par ce passage, que le nombre n’en était pas inférieur à deux cents ; du reste la décision du peuple était, à cet égard, souveraine.
[113] Dans le temple ou plutôt, dans le théâtre de Dionysos, à la fin de la célébration des fêtes.