Philippe, qui ne croyait pas encore le temps
venu d'engager contre Athènes la lutte suprême, affectait le désir
de rester en bons termes avec elle. A cet effet, Python de Byzance, envolé
en 343 à la tête, d'une ambassade, avait offert, au nom du roi,
de modifier celles des clauses du traité de paix de 346 qui déplaisaient
aux Athéniens. Cette offre n'était pas sincère ; Philippe
ne voulait sans doute que prolonger des pourparlers qui le mettaient en relations
avec les principaux personnages d'Athènes, et lui donnaient l'occasion
de nouer des intelligences au coeur de la place. Les Athéniens, cependant,
affectèrent de prendre au sérieux les ouvertures du roi ; ils
demandèrent que la clause attribuant à chacune des deux parties
les pays qu'elles occupaient, fût ainsi modifiée : " A chacune
les pays qui lui appartiennent de droit. " - C'était réclamer
pour Athènes toutes ses anciennes possessions, y compris Amphipolis.
Philippe ne pouvait acquiescer à une telle clause, qui lui enlevait tout
le bénéfice de ses succès militaires. Mais il consentit
à examiner séparément les points en litige, et envoya,
en 342, une nouvelle ambassade, chargée de faire part de ses propositions.
Elles touchaient des questions très variées. L'une se rapportait
à la petite île d'Halonnèse, située au nord de l'Eubée,
et à proximité de la côte macédonienne. Elle appartenait
à Athènes ; mais, comme elle n'avait nulle importance, la métropole
s'en était peu souciée, et elle était devenue un repaire
de brigands. Philippe les en délogea et l'occupa. Athènes en réclama
la possession, le roi déclara qu'elle était sienne. Cependant
il offrait d'en faire don à Athènes, ce qu'Athènes acceptait,
mais à condition qu'elle lui fût non donnée, mais rendue.
C'est cette question qui est discutée dans les premiers paragraphes du
Discours sur l'Halonnèse ; puis l'orateur y répond à plusieurs
autres propositions de Philippe, qu'il rejette également.
L'authenticité de cette harangue est contestée ; déjà
Denys d'Halicarnasse, sans affirmer qu'elle ne soit pas de Démosthène,
y relève un décousu dans la composition, et une sécheresse
de style, qui la rendent peu digne du grand orateur. Libanios, le célèbre
sophiste, contemporain de Julien, et qui eut pour disciples saint Basile et
saint Jean Chrysostome, fait les mêmes remarques ; plus hardi que Denys,
il affirme que le Discours sur l'Halonnèse n'est pas de Démosthène,
mais d'Hégésippe, orateur de la même époque et du
même parti ; et il se fonde, pour soutenir cette affirmation, sur des
arguments historiques et littéraires qui paraissent décisifs.
Athéniens, les accusations dirigées
par Philippe contre les orateurs qui défendent vos droits ne sauraient
nous empêcher de vous donner des conseils conformes à vos intérêts
: il serait des plus regrettable que ses lettres détruisent la liberté
de la tribune. Pour moi, Athéniens, je veux discuter d'abord les arguments
qu'il y présente ; nous parlerons ensuite des discours de ses ambassadeurs.
Philippe s'occupe d'abord de l'Halonnèse(1),
il prétend vous l'offrir en don gracieux, comme étant sa propriété
; il déclare que vous n'avez aucun titre pour la réclamer, et
que ce n'est pas votre bien qu'il a pris et occupe maintenant. C'est aussi le
langage qu'il nous a tenu, lors de notre ambassade en Macédoine(2)
: " J'ai conquis, disait-il, cette île sur les pirates, il en résulte
qu'elle est à moi. " Ce langage, il est aisé de le réfuter
et de montrer l'injustice de cette prétention. Que font d'ordinaire les
pirates ? Ils s'établissent sur une terre qui n'est pas la leur, fortifient
la position conquise, et, de là, répandent de tous côté
la dévastation. Or, celui qui les châtie et en triomphe serait
mal fondé à s'attribuer la propriété d'un sol que
ceux-ci avaient injustement usurpé. Si vous admettiez une telle règle,
que des pirates vinssent à occuper un point de l'Attique, ou de Lemnos,
d'Imbros ou de Scyros(3), et qu'on les en
délogeât, il arriverait que ce pays, qui est notre bien, mais qui
aurait été aux mains des pirates, deviendrait de suite la propriété
de celui qui les aurait châtiés ? Philippe n'ignore pas que son
assertion est mal fondée, il le sait mieux que personne ; mais il espère
que vous vous laisserez duper par ceux qui lui ont promis de régler nos
affaires au gré de ses désirs, et qui s'y efforcent. Il ne lui
échappe pas non plus que, sous un nom ou sous un autre, vous aurez l'île,
qu'elle vous soit donnée, ou qu'elle vous soit rendue. Or, quel intérêt
y a-t-il donc pour lui à ne pas vous la rendre, ce qui serait le terme
juste, mais à vous en faire don, ce qui est le terme impropre ? Ce n'est
pas qu'il prétende s'inscrire comme notre bienfaiteur ; - le bienfait
serait de mince valeur -, mais il veut montrer à tous les Grecs que les
Athéniens sont heureux de recevoir en don du Macédonien des places
maritimes : n'y consentez pas, citoyens.
Et quand il dit qu'il accepte de remettre la question à un arbitre, c'est
pure plaisanterie de supposer que vous, le peuple d'Athènes, en face
d'un prince sorti des retraites de Pella, vous admettriez un arbitrage, pour
savoir si telle ou telle île est à vous ou à lui. Ainsi
cette puissante cité, qui a affranchi la Grèce, est incapable
de défendre ses possessions maritimes, et le tribunal que vous aurez
accepté ne vous les conservera que s'il n'a pas été acheté
par Philippe(4). De telles négociations
ne seraient-elles pas l'aveu que vous abandonnez tout empire continental, ne
prouveraient-elles pas à tous qu'il n'est plus une seule question au
sujet de laquelle vous luttiez contre Philippe, puisque, même sur la mer,
où vous prétendez régner, loin de combattre, vous vous
soumettriez à un arbitrage !
Quant aux traités de commerce, il dit qu'il vous a envoyé des
députés pour les conclure, et qu'ils seront valables, non lorsqu'ils
auront été ratifiés devant vos magistrats, comme le veut
la loi, mais quand on en aura référé à lui-même,
s'attribuant ainsi le droit de reviser vos décisions. Il veut, par là,
se prémunir contre vous ; ces traités seront comme un aveu que,
malgré toutes les iniquités commises à Potidée,
vous ne lui reprochez rien, et ne vous regardez pas comme lésés,
mais que vous en confirmez la légitimité, et déclarez qu'il
avait le droit de prendre cette ville, et de la garder. Et cependant les Athéniens
qui résidaient à Potidée, alors qu'il n'y avait pas guerre,
mais alliance avec Philippe, et que des serments, prêtés par Philippe,
garantissaient la sécurité des habitants de Potidée, se
sont vus dépouillés par lui de leurs biens. Son but est que vous
sanctionniez ces iniquités, en témoignant, à plusieurs
reprises et sous des formes variées, que vous ne lui reprochez rien,
et ne vous croyez point lésés. Car, pour les traités en
eux-mêmes, ils ne sont nullement nécessaires entre la Macédoine
et Athènes, le passé en témoigne. Ni Amyntas, le père
de Philippe, ni les autres rois n'ont jamais conclu de conventions de ce genre
avec notre cité, et cependant il y avait plus de relations entre les
deux peuples qu'il n'en existe aujourd'hui ; la Macédoine était
dans notre dépendance, et nous payait tribut ; nous fréquentions
davantage leurs marchés, et eux les nôtres ; et les différends
commerciaux n'étaient pas jugés régulièrement, comme
au temps actuel, où les sessions sont mensuelles, rendant ainsi inutile
tout traité entre des nations si éloignées l'une de l'autre.
Il n'en existait pas alors, et on n'imaginait pas que l'utilité s'en
fît sentir, et qu'on dût aller de Macédoine à Athènes,
ou d'Athènes en Macédoine pour se faire rendre justice, nous nous
soumettions aux lois des Macédoniens dans leur pays, et, à Athènes,
ils se soumettaient aux nôtres. Ne doutez donc pas que l'unique but de
Philippe, en nous proposant ces traités, est de faire croire que nous
n'avons pas à soutenir de réclamations légitimes au sujet
de Potidée.
Pour les pirates, il est à propos, dit-il, de surveiller en commun ces
ennemis, qui vous nuisent aussi bien qu'à lui ; mais ce qu'il veut, c'est
simplement que vous l'établissiez vous-mêmes comme puissance maritime,
et reconnaissiez ainsi que, sans l'aide de Philippe, vous n'êtes pas capables
même de faire la police de la mer. En outre, il obtiendrait ainsi le droit
de naviguer autour des îles, de débarquer dans leurs ports, et,
sous prétexte de surveiller les pirates, pourrait impunément séduire
les insulaires, les détacher de vous, et non seulement ramener à
Thasos, par l'entremise de vos généraux, les exilés qui
avaient trouvé un refuge dans ses États, mais encore s'approprier
les autres îles, en y envoyant des équipages destinés à
naviguer de concert avec vos stratèges, et d'exercer en commun avec eux
la surveillance de la mer. Il y a pourtant des gens qui prétendent qu'il
se soucie peu de la mer ; mais, alors, pourquoi le voyons-nous équiper
des galères, construire des arsenaux, préparer des expéditions
navales, et engager de fortes dépenses en vue d'entreprises maritimes,
s'il n'a nulle visée ambitieuse de ce côté ?
Et pensez-vous, Athéniens, que Philippe réclamerait de vous de
pareilles concessions, s'il ne vous méprisait et n'avait confiance en
ces traîtres, dont il s'est assuré ici les services, qui ne rougissent
pas de se consacrer à lui, au mépris d'Athènes, et qui,
en recevant les dons de Philippe, croient enrichir leur maison, alors qu'ils
la vendent avec leur patrie ? Quant aux articles du traité de paix que
ses députés nous avaient autorisés à amender, nous
les avons, en effet, amendés en stipulant, ce qui est généralement
reconnu comme juste, que chacune des deux parties possédera ce qui lui
appartient de droit ; et voici qu'il discute et prétend que ses envoyés
n'ont pas tenu ce langage. Les amis qui le servent l'ont persuadé que
vous ne vous rappelez pas ce qui a été dit devant le peuple. Mais
c'est la seule chose que vous ne pouvez avoir oubliée : les députés
de Philippe ont pris la parole dans la même séance où le
décret a été porté ; il n'est pas possible, puisque
la proposition de décret a été lue, au moment même
où les discours venaient d'être prononcés, que vous ayez
voté une motion qui aurait travesti les paroles des députés.
Ce n'est donc pas contre moi, mais contre vous qu'est dirigée cette assertion
de sa lettre, puisque c'est vous qui auriez répondu, en formulant votre
motion, à ce qui ne vous aurait pas été dit. Mais les députés
- dont le décret, dit-il, travestissait la pensée, - alors que
vous leur répondiez par la lecture du décret, et que vous les
invitiez au banquet hospitalier, n'auraient pas osé monter à la
tribune et dire : " Athéniens, vous travestissez nos paroles, nous
n'avons rien dit de ce que vous nous prêtez ". Non : ils se sont
retirés en silence. Athéniens, vous vous souvenez du succès
oratoire qu'obtint alors, dans l'assemblée du peuple, Python(5),
le chef de cette ambassade ; eh bien ! je veux vous rappeler les paroles mêmes
qu'il a prononcées, je sais que vous ne les avez pas oubliées.
Elles se rapprochent, d'ailleurs, des termes de la lettre que Philippe vient
de vous adresser. Il nous accusait, nous, les orateurs, de calomnier Philippe,
et se plaignait de vous : " Alors que le roi s'empresse à vous être
utile, disait-il, et recherche votre amitié, de préférence
à celle des autres Grecs, vous faites obstacle à son désir,
en prêtant l'oreille à ces sycophantes, pour qui la calomnie est
un moyen de réclamer de lui un salaire. Quand on lui rapporte ces discours,
où il est si fort maltraité, et que vous applaudissiez, il change
de sentiments, en voyant qu'il n'inspire pas de confiance à ceux dont
il aspire à être le bienfaiteur. " Python invitait donc les
orateurs à ne pas attaquer la paix devant le peuple ; il n'y avait pas,
selon lui, lieu de rompre la paix, puisque, s'il se trouvait dans le traité
quelques clauses vicieuses, il nous invitait à les amender, Philippe
étant disposé à ratifier tout ce que vous auriez décrété.
Quant à accuser sans cesse le roi, sans rien proposer qui pût assurer
la paix et dissiper la défiance qu'inspirait Philippe, c'était,
ajoutait-il, ce qu'il lui était impossible de comprendre. Vous accueilliez
de telles paroles avec faveur, vous déclariez que ce langage était
juste, et il l'était en effet. - Eh bien s'il parlait ainsi, ce n'était
pas pour qu'on effaçât du traité les conditions favorables
à Philippe, et qu'il avait payées à si haut prix ; mais
ses conseillers d'Athènes lui avaient fait la leçon, convaincus
qu'il ne se trouverait personne pour proposer des clauses contraires au décret
de Philocrate qui nous a enlevé Amphipolis. Quant à moi, Athéniens,
je n'avais pas certes l'audace de proposer rien qui fût illégal,
mais il n'était pas illégal de vous soumettre des clauses contraires
à ce décret, c'est ce que je vais vous démontrer : le décret
de Philocrate, qui vous ôtait Amphipolis, était en opposition avec
les précédents décrets, d'après lesquels vous étiez
entrés en possession de ce pays. Le dernier décret, celui de Philocrate,
était donc illégal, et il n'était pas possible de rester
dans la légalité, en proposant une motion d'accord avec un décret
illégal. Mais quand j'ai mis en avant des mesures d'accord avec ces précédents
décrets, qui étaient légaux et salutaires pour votre pays,
j'ai fait une proposition légale. J'y établissais que Philippe
vous trompait, qu'il ne voulait pas amender le traité de paix, mais vous
mettre en défiance contre les orateurs qui défendaient vos droits
; qu'après vous avoir autorisés à modifier le traité,
il s'y refusait maintenant, c'est ce que vous savez tous. II dit qu'Amphipolis
lui appartient, parce que vous auriez décrété vous-mêmes
que cette ville lui appartenait, en votant cet article : " Philippe gardera
ce qu'il détient. " Oui, vous avez voté cette clause, mais
vous n'avez pas admis pour cela qu'Amphipolis lui appartînt. Car on peut
détenir le bien d'autrui : tous les détenteurs ne détiennent
pas seulement leur bien, ils détiennent souvent aussi celui d'autrui.
Cette habileté de Philippe est donc sans valeur. Il rappelle le décret
de Philocrate ; mais la lettre qu'il nous a adressée à l'époque
où il assiégeait Amphipolis, il l'oublie : dans cette lettre il
reconnaissait qu'Amphipolis était à vous ; il y disait, en effet,
que, une fois la place prise, il vous la rendrait, comme étant à
vous, et non à ceux qui l'occupaient. Eh quoi ! ceux qui habitaient cette
ville, avant que Philippe s'en emparât, occupaient une possession d'Athènes,
et, après qu'il l'a prise, ce n'est plus une possession d'Athènes
qu'il occupe ; elle est devenue son bien ! Mais alors Olynthe, Apollonie, Pallène,
ce ne sont plus des possessions étrangères qu'il a conquises,
c'est son bien propre ! Ah ! dans sa dernière lettre, Philippe vous semble-t-il
soucieux qu'aucune de ses paroles, aucun de ses actes ne se montre en désaccord
avec l'idée que tous les hommes se font de la justice ? Quel dédain,
au contraire, de la morale commune ! Cette contrée que les Grecs, que
le roi de Perse ont reconnue, déclarée vôtre, Philippe ose
prétendre que c'est à lui qu'elle appartient, non à vous
!
Passons à la seconde correction que vous apportez au traité de
paix. Vous voulez que les Grecs, qui n'y sont pas compris, soient libres et
indépendants, et que, si on les attaque, les parties contractantes se
portent à leur secours. La justice, l'humanité n'exigent pas seulement,
selon vous, que la paix règne entre nous et nos alliés d'un côté,
et Philippe et ses alliés, de l'autre, tandis que les peuples qui ne
sont ni nos alliés ni ceux de Philippe, seraient exposés à
périr sous les coups du plus fort : la paix conclue entre nous doit aussi
assurer le salut de ceux-ci ; une fois que nous avons posé les armes,
c'est une paix réelle que nous devons observer. Cette modification, Philippe,
dans sa lettre, qu'on vous a lue, reconnaissait qu'elle était juste,
il l'acceptait ; et voici qu'il a enlevé la ville de Phères, et
qu'il a mis garnison dans sa citadelle, sans doute pour assurer son indépendance
; et voici qu'il marche contre Ambracie ; et, quant aux trois villes de la Cassopie
: Pandosie, Bouchète, Elatée, colonies des Eléens, il a
mis leurs territoires à feu et à sang, il s'est introduit de force
dans les places mêmes, et les a livrées en servitude à Alexandre,
son beau-frère, Ah ! comme il désire vivement la liberté
et l'indépendance des Grecs ! les faits le prouvent !
Au sujet des promesses qu'il vous répète sans cesse, en s'engageant
à vous combler de bienfaits, Philippe prétend que c'est mensongèrement
que je l'accuse de perfidie devant les Grecs, et qu'il ne vous a jamais rien
promis. Quelle impudence ! n'a-t-il pas écrit, dans une lettre déposée
maintenant dans les archives du Sénat : " Je veux, si la paix est
conclue, vous procurer assez d'avantages pour fermer la bouche à mes
détracteurs ; et je les indiquerais dès maintenant, si j'étais
assuré que la paix dût se faire " ? Il est donc évident
qu'il tenait tout étudiées et préparées les faveurs
dont nous allions jouir, une fois la paix faite. Mais, depuis qu'elle est conclue,
il n'en est plus question ; ce que nous voyons se produire, c'est la ruine de
la Grèce, telle que vous la voyez. - Et dans sa lettre toute récente,
nouvelles promesses encore : " Si vous ajoutez foi à ses amis et
aux orateurs qui le soutiennent ; si vous nous châtiez, nous qui le calomnions,
il vous accablera, dit-il, de bienfaits. " - Or voilà ce qu'ils
seront, ces bienfaits-là : il ne vous rendra pas ce qui est votre propriété,
puisqu'il s'en dit lui-même le légitime possesseur. D'ailleurs,
les présents qu'il vous destine ne se manifesteront pas dans notre monde,
car il craindrait d'exciter la jalousie des Grecs, mais c'est quelque autre
contrée, sans doute, un coin reculé de la terre, qui en sera témoin,
et dont il s'est emparé, après la paix conclue, en violation des
clauses du traité. Comme, à cet égard, il n'a rien à
objecter, et que l'iniquité de sa conduite est manifeste, il se dit prêt
à s'en rapporter à un tribunal constitué sur des bases
équitables ; mais il n'est nul besoin de cet arbitrage ; ce qui décide
la question, c'est un simple calcul de jours. Nous savons tous dans quel mois,
et à quelle date du mois, la paix a été conclue, et nous
savons également quel mois et quel jour le fort de Serra, Ergiscé
et le Mont Sacré ont été pris. Ce sont des faits qui n'ont
rien d'obscur, et ne réclament la décision d'aucun juge ; il est
connu de tous que le mois où la paix fut conclue a précédé
celui où ces places furent prises.
Philippe dit encore qu'il a rendu tous les prisonniers que la guerre avait mis
entre ses mains, mais il oublie Carystios, l'hôte d'Athènes ; trois
fois nous avons envoyé des députés pour le réclamer,
et le roi était si désireux de nous être agréable
que, au lieu de le rendre, il l'a fait périr, et ne nous a même
pas remis son corps, pour que nous le fissions ensevelir.
Au sujet de la Chersonèse, les termes de sa lettre méritent d'être
examinés, ainsi que ses actes. Tout le territoire au delà d'Agora(6),
il le réclame comme, n'étant nullement votre propriété,
mais la sienne, et, à ce titre, il en a donné les revenus au Cardien
Apollonide. Cependant la limite de la Chersonèse, ce n'est pas Agora,
mais l'autel de Jupiter Terminal, qui s'élève entre Ptélée
et le rivage de Leucé, à l'endroit où devait être
creusé le canal ; c'est ce que témoigne l'inscription même
de l'autel, ainsi conçue " Cet autel magnifique, les habitants du
pays l'ont dressé pour indiquer la limite entre Leucé et Ptélée
; c'est le fils de Saturne, le roi des Bienheureux, qui marque lui-même
la frontière. "
Et ce territoire si étendu, comme vous le savez tous, il en recueille
les revenus, ou en fait don ; tout ce qui était votre bien, il se l'approprie.
Et, non content d'usurper le pays au delà d'Agora, il vous invite encore,
dans sa lettre, à régler vos différends avec les Cardiens,
qui habitent en deçà de cette ville. Eh bien ! n'est-ce pas sur
votre territoire qu'ils habitent ? - Et le différend n'est pas de médiocre
importance. Les Cardiens prétendent que le pays qu'ils habitent est leur
propriété, non la vôtre ; que les biens qu'y possèdent
vos nationaux n'appartiennent à ceux-ci qu'à titre d'étrangers,
et qu'eux-mêmes, au contraire, possèdent leurs biens à titre
de citoyens ; ils ajoutent que c'est un des vôtres, Callipe, du bourg
de Péanée(7), qui a consigné
ces clauses dans un décret. Et, à cet égard, ils sont dans
le vrai : ce Callipe a, en effet, proposé un décret dans ce sens
; alors je l'ai accusé d'illégalité, mais vous l'avez absous
: ce qui fait que la question de propriété est restée en
litige. Mais si vous n'avez pas honte d'entrer en pourparlers avec les Cardiens,
pour rechercher si cette contrée est à vous ou à eux, pourquoi
les autres habitants de la Chersonèse ne feraient-ils pas valoir des
droits semblables ! Et Philippe pousse l'insolence jusqu'à dire que,
si les Cardiens se refusent à entamer cette discussion, il les y contraindra,
comme si vous ne pouviez pas les y obliger vous-mêmes ; ainsi il prêterait
secours à votre impuissance ! Ah ! le grand bienfait dont nous lui serions
redevables ! Et il y a des gens ici pour s'extasier sur les termes de cette
lettre ! ne sont-ils pas plus justement dignes de notre haine que Philippe lui-même
? Le roi, en effet, quand il fait tout pour vous nuire, acquiert à la
fois gloire et profit ; mais que dire de ceux qui, nés Athéniens,
sont de coeur avec Philippe et contre leur patrie ? Ah ! ces coupables, frappez-les
sans pitié, si vous avez encore le cerveau entre les tempes, si vous
ne le foulez pas sous vos talons !
A cette admirable(8) lettre, et aux discours
des ambassadeurs, je me réserve d'opposer la réponse que je crois
juste et utile, et de la consigner dans un décret.