Quelques mois à peine se sont écoulés, depuis que Démosthène a prononcé le discours sur les affaires de la Chersonèse. Les mesures conseillées n'ont pas été écoutées. Byzance et la Chersonèse sont de plus en plus menacées ; mais, dans cette nouvelle harangue, où le génie de l'orateur s'élève à son apogée, Démosthène s'occupe moins des faits particuliers que de la situation générale, du rôle patriotique qui incombe à Athènes. Il n'y a plus à choisir entre la paix et la guerre : Philippe, abrité sous le traité de 346, agit en ennemi ; il pousse ses approches de tous côtés : en Thrace, en Eubée, jusqu'à Mégare et, le jour où il lui plaira, il se démasquera, et Athènes, enveloppée de toutes parts, sera impuissante à lui résister. La Grèce, si jalouse naguère de son indépendance, en face d'Athènes, de Sparte, de Thèbes, n'a pas su se concerter pour arrêter l'essor de ce tyran, qui n'est pas même un Grec. Et cependant Philippe n'a pas aujourd'hui la puissance qu'avait Sparte. Qu'on le veuille, et il est encore facile de lui barrer la route, de le harceler jusque dans ses États. Pour cela, il faut, déclare l'orateur, que la Grèce se coalise à notre appel ; il faut que nous occupions fortement la Chersonèse ; et que, prêts à tous les sacrifices, nous ne nous laissions pas décevoir par les charmes éphémères d'une vie douce et facile qui aboutit à l'abîme ; il faut, surtout, châtier les traîtres qui rongent le coeur de la cité. Et, cette fois, ce ne sont plus seulement des conseils que l'orateur fait entendre à ses concitoyens ; mais il prend la responsabilité d'une proposition de décret, qui les résume.
Souvent, Athéniens, presque dans chaque
assemblée, on rappelle les attentats dont Philippe, depuis la conclusion
de la paix(1), se rend coupable et envers
vous, et à l'égard des autres Grecs. Tous, je le sais, vous êtes
prêts à déclarer, sans d'ailleurs joindre les actes aux
paroles, qu'il faut proposer et prendre des mesures pour faire cesser ces outrages
et en châtier l'auteur ; mais nous en sommes venus, pour toutes nos affaires,
à un tel degré de négligence, que ce qui semble une grave
injure est, je le crains, une pure vérité, quand je dis : Si tous
conspiraient, vos orateurs par leurs discours, et vous par vos votes, à
consommer la ruine de la patrie, je crois que nous ne pourrions pas être
en pire situation que nous ne le sommes aujourd'hui. Ce mal a sans doute des
causes multiples : une ou deux ne suffiraient pas pour nous précipiter
si bas ; mais, à y regarder de près, ce qui nous perd surtout,
c'est que, à la tribune, on aime mieux vous plaire que d'ouvrir les plus
sages avis. De vos orateurs, les uns, tenant à maintenir un état
de choses auquel ils doivent renom et puissance, se soucient fort peu de l'avenir,
et croient, par suite, que vous ne devez pas vous en soucier davantage ; les
autres, poursuivant de leurs accusations et de leurs calomnies ceux qui s'occupent
des affaires publiques, n'ont qu'un but : c'est que les citoyens se châtient
entre eux, et, absorbés par ces querelles, laissent Philippe parler et
agir à sa guise. Une telle politique, qui ne vous est que trop habituelle,
est la cause de tous nos maux.
Athéniens, si j'ose vous dire franchement ce qui est vrai, n'en concevez
pas, je vous prie, de colère contre moi. Réfléchissez,
en effet : la franchise, dans la vie privée, est si chère à
tous les habitants de cette ville, que vous croyez devoir la concéder
même aux étrangers et aux esclaves, et que nous voyons souvent
nos serviteurs s'exprimer plus librement que les citoyens dans d'autres villes
; or, cette liberté de langage, vous l'avez absolument exclue de vos
délibérations. Qu'en est-il résulté ? C'est
que, dans les assemblées, votre orgueil s'enivre de flatteries ; vous
ne voulez entendre que ce qui vous plaît, tandis que l'état de
vos affaires et la suite des événements vous exposent, dès
aujourd'hui, aux plus grands périls. Si donc vous êtes encore dans
les mêmes dispositions, je n'ai qu'à me taire ; mais si vous consentez
à entendre d'utiles conseils d'une bouche qui ne flatte pas, je suis
prêt à parler. Si fâcheuse que soit votre situation, et malgré
ce que vous a coûté jusqu'ici votre négligence, tout peut
encore se réparer, si vous voulez faire votre devoir. Ce que je vais
dire semble un paradoxe, et c'est une vérité : plus le passé
a été déplorable, plus l'avenir nous donne d'espoir. Pourquoi
? c'est que vos affaires vont mal, alors que vous ne faites absolument
rien de ce qu'il faudrait faire. Si elles étaient en pareil état,
sans que vous eussiez rien à vous reprocher, on ne pourrait espérer
qu'elles s'améliorassent ; mais, aujourd'hui, c'est de votre indolence
et de votre incurie qu'a triomphé Philippe : il n'a pas triomphé
d'Athènes ; vous n'avez pas été vaincus, puisque vous n'avez
pas même essayé de lutter.
Si nous reconnaissions tous que Philippe fait la guerre à notre cité,
qu'il viole la paix, l'orateur n'aurait qu'à vous conseiller les moyens
de défense les plus sûrs et les plus faciles. Mais, alors que Philippe
prend des villes et détient beaucoup de nos possessions, il y a des gens
capables de prêter l'oreille à ceux qui, dans les assemblées,
répètent sans cesse que certains de vous sont responsables de
la guerre. Il est donc nécessaire de nous mettre en garde, et de réfuter
cette erreur. Car il est à craindre que, si l'on proposait un décret
pour organiser la défense, on ne s'exposât à être
taxé de provocation à la guerre. Voici donc le point que je veux
avant tout établir nettement : s'il dépend de nous de délibérer
sur la paix ou la guerre, je nie qu'il faut maintenir la paix, mais que l'orateur
qui soutient cette opinion doit l'appuyer par un décret précis,
et non nous leurrer de vaines paroles. Si, au contraire, il est réel
que notre adversaire, les armes en main, entouré de nombreux soldats,
met en avant le nom de paix, et agit comme en guerre, il ne nous reste plus
qu'à nous défendre ; à moins que vous ne vouliez imiter
ses actes, tout en prétendant que nous restons en paix ; s'il vous plaît
ainsi, j'y souscris.
Mais y a-t-il paix, alors que Philippe met la main sur le reste de la Grèce,
pour marcher ensuite contre nous ? Le soutenir, c'est folie, c'est admettre
que nous gardions la paix à son égard, alors qu'il la viole envers
nous. Or, voilà ce que Philippe achète au prix de tout son or
: vous faire la guerre, sans que vous la lui fassiez.
Attendre, pour agir, le jour où il reconnaîtra qu'il est en guerre
avec nous, c'est le comble de la simplicité. Il n'en conviendra pas,
marchât-il directement contre l'Attique et le Pirée. Voyez, en
effet, quelle a été sa conduite à l'égard des autres
peuples. C'est quand il était à quarante stades(2)
d'Olynthe, qu'il a fait dire aux habitants de cette ville : " Il faut de
deux choses l'une, ou que vous quittiez votre cité, ou que je sorte de
la Macédoine. " Jusque-là, si on l'accusait de machiner un
tel complot, il s'irritait et envoyait des députés pour se justifier.
Et en Phocide, encore, il se présentait à titre d'allié,
des députés phocidiens l'accompagnaient dans sa marche, et, chez
nous, on soutenait, en général, que les Thébains ne gagneraient
rien à ce qu'il eût passé les Thermopyles. Pour Phères,
même procédé : il entre dans la Thessalie, en allié,
en ami, occupe la ville et la garde. Et, en dernier lieu, qu'arriva-t-il aux
malheureux Oritains(3) ? Philippe leur
dit qu'il leur envoyait ses soldats, par bienveillance, pour s'assurer de leur
état, parce qu'il avait appris qu'ils souffraient de dissensions intérieures,
et que, en de telles circonstances, c'est le devoir d'un allié, d'un
véritable ami, de prêter son assistance. Eh bien ! voici des
peuples dont il n'aurait rien eu à redouter, qui, sans doute même,
n'auraient pu guère essayer de lui résister ; cependant il aime
mieux user à leur égard de duplicité que d'employer ouvertement
la force ; et, à vous, il déclarerait d'avance la guerre, alors
que vous vous laissez si volontiers duper ! Ce n'est pas possible, ou il
serait le plus stupide de tous les hommes ! Loin de lui reprocher le mal
qu'il vous fait, vous ne songez qu'à en accuser quelques-uns d'entre
vous, et il irait mettre fin à vos luttes, à vos discussions,
en vous invitant à vous réunir contre lui-même ; et il réfuterait
ainsi les discours, grâce auxquels ses salariés vous arrêtent,
en affirmant que Philippe ne vous fait pas la guerre !
Est-il, grands dieux, un homme ayant le sens commun, qui s'en rapporte aux paroles,
plutôt qu'aux faits, quand il s'agit de distinguer la paix de la guerre
? Non certes. Eh bien ! rappelez vos souvenirs : la paix venait d'être
conclue, Diopithe n'était pas encore à la tête de son armée,
nos colons, qui sont maintenant dans la Chersonèse, n'avaient pas quitté
Athènes, et déjà Philippe occupait Serrhie et Dorisque,
il chassait de la citadelle de Serrhie et du Mont-Sacré(4)
les garnisons que votre général y avait placées ; agir
ainsi, n'était-ce pas violer la paix qu'il avait jurée ?
Et qu'on ne dise pas : " Qu'est-ce que cela ? Qu'importe à
Athènes ? "- Que ces places fussent peu importantes, que vous
n'en prissiez nul souci, c'est une autre question ; mais que l'on manque à
la loyauté, à la justice pour des intérêts petits
ou grands, la faute morale est la même. Et maintenant, lorsqu'il envoie
des mercenaires dans cette Chersonèse, que le Grand Roi, que tous les
Grecs ont reconnue comme notre propriété, lorsqu'il avoue qu'il
prête secours aux révoltés, et le déclare dans sa
lettre même, que dire de tels actes ? Il prétend ne pas nous
faire la guerre ; mais, pour moi, il m'est impossible d'admettre que, se conduire
de la sorte, ce soit garder la paix avec nous. Et quand, de plus, je le vois
diriger une tentative sur Mégare, établir des tyrans dans l'Eubée,
et, en ce moment même, pénétrer en Thrace, envelopper le
Péloponnèse de ses intrigues, et partout appuyer ses actes sur
la force des armes, je dis qu'il viole la paix, qu'il vous fait la guerre ;
sinon, ce serait dire que ceux qui dressent des machines restent en paix jusqu'au
moment précis où ils commencent à battre les murailles.
Oui certes ! Qui prépare ma perte est déjà en guerre
avec moi, alors même qu'il ne lance encore ni pierre, ni javelot. En cas
d'échec, ne seriez-vous pas exposés aux plus graves périls,
si l'Hellespont était passé en d'autres mains(5),
que votre adversaire fût devenu maître de Mégare et de l'Eubée,
qu'enfin le Péloponnèse fût gagné à sa cause.
Et celui qui dresse de telles machinations contre Athènes, je dirais
qu'il est en paix avec nous ! Non, mille fois non ! mais du jour où
il a anéanti la Phocide date à mes yeux l'état de guerre.
Mettez-vous donc en garde dès aujourd'hui ; ce sera sage ; si vous laissez
faire, quand, plus tard, vous voudrez vous défendre, vous ne le pourrez
plus. Et voyez combien je diffère, Athéniens, de vos autres conseillers
: il ne s'agit plus, selon moi, de délibérer sur la Chersonèse
ou sur Byzance ; mais l'heure est venue où il faut en défendre
les habitants, veiller à ce qu'il ne leur arrive pas malheur, et munir,
en Thrace, vos généraux de tout ce qui leur est nécessaire
: c'est le salut de toute la Grèce qui est en péril : ne l'oubliez
pas. Je vais vous dire sur quels motifs se fondent mes craintes : Écoutez-moi
: si je vous semble raisonner juste, suivez mes avis, préoccupés,
sinon du sort des autres cités, au moins de vos propres intérêts
; si, au contraire, je vous semble en proie au délire d'une vaine terreur,
traitez-moi désormais comme un malade dont les paroles ne méritent
nulle attention.
Voyez combien Philippe a grandi, de si faible et si humble qu'il était
au début, tandis que la défiance et la discorde règnent
entre les Grecs ! S'il est surprenant que, de ce qu'il était, il
soit devenu ce qu'il est, il le serait moins que, aujourd'hui, après
qu'il a déjà tant pris, il soumît le reste à sa domination
; mais ce sont là des questions que je laisserai de côté,
ainsi que bien d'autres analogues. Je remarque seulement que tous les peuples,
à commencer par vous, ont concédé à Philippe un
droit qui, en tous temps, a provoqué les guerres entre Grecs : on lui
accorde la liberté de tout faire ; il peut impunément mutiler,
dépouiller les cités les unes après les autres, les attaquer
et les asservir. Et cependant vous avez exercé l'hégémonie
sur la Grèce pendant soixante-treize ans, et les Lacédémoniens
pendant vingt-neuf(6) : les Thébains
ont aussi été assez puissants, dans ces derniers temps, après
la bataille de Leuctres. Mais jamais ni à vous, ni aux Thébains,
ni aux Lacédémoniens, les Grecs n'ont donné le droit d'agir
au gré de leur caprice : loin de là ! Et d'abord, quand vous
sembliez, ou plutôt, quand les Athéniens d'alors semblaient agir
avec peu de mesure à l'égard de telle ou telle cité, tous
les peuples, même ceux qui n'avaient rien à leur reprocher, croyaient
devoir soutenir de leurs armes la cité qui était inquiétée.
Puis, quand la primauté eut passé de vos mains à celles
des Lacédémoniens, et qu'on les vit, pour servir leur ambition,
changer violemment les institutions établies, tous se réunirent
pour les combattre, même ceux qui n'avaient pas à se plaindre d'eux.
Citerai-je encore d'autres exemples ? Nous-mêmes, et les Lacédémoniens,
n'avions, dans le principe, nul grief à articuler les uns contre les
autres, et cependant nous crûmes devoir nous faire la guerre, parce que
nous voyions tel ou tel peuple molesté. Ah ! tous les abus de pouvoir
que les Lacédémoniens ont pu commettre pendant les trente ans
de leur hégémonie, ou nos ancêtres pendant les soixante-dix
ans qu'a duré la nôtre, sont bien inférieurs, Athéniens,
à tous les excès dont Philippe s'est rendu coupable, depuis moins
de treize ans qu'il est sorti de son obscurité, et qui dépassent,
sans comparaison possible, ce qu'on a pu nous reprocher.
Il est facile de le montrer en quelques mots. Je ne parle pas d'Olynthe, de
Méthone, d'Apollonie, de trente-deux villes de Thrace, qu'il a détruites
avec un tel raffinement de cruauté que, en s'approchant du terrain qu'elles
occupaient, on ne saurait dire s'il a été jamais habité
; je passe sous silence la race phocidienne anéantie. Mais la Thessalie,
en quel état se trouve-t-elle ? N'a-t-il pas enlevé à
ses cités leur gouvernement autonome, pour diviser toute la contrée
en tétrarchies ; ainsi, ce n'est plus par villes, c'est par provinces
que les Thessaliens sont esclaves ! Et les cités de l'Eubée
ne viennent-elles pas d'être soumises à des tyrans, et cela dans
une contrée voisine de Thèbes et d'Athènes ? N'écrit-il
pas expressément dans ses lettres : " Je traite en amis ceux-là
seuls qui m'écoutent. " Et ce ne sont pas de vaines paroles, ses
actes les ratifient : le voici qui se porte vers l'Hellespont ; auparavant il
attaquait Ambracie ; il occupe Elis, cette grande ville du Péloponnèse
; naguère il a fait une tentative sur Mégare. La Grèce
et la terre barbare sont trop étroites pour son ambition. Voilà
ce qui se passe à la connaissance, sous les yeux de toute la Grèce,
et nous n'établissons pas une entente entre nos cités indignées
! Non ! notre état est si déplorable, l'égoïsme
de chaque ville la cantonne si étroitement dans ses murailles que, jusqu'ici,
insouciants de nos intérêts, comme de nos devoirs, nous n'avons
pas su nous liguer, établir aucun lien d'assistance et d'amitié,
et nous laissons Philippe grandir ! La perte d'autrui est comme un répit
dont chacun prétend profiter. Quant au salut de la Grèce, nul
n'y songe, nul n'y travaille. Et cependant ce péril n'est-il pas comme
une épidémie, ou quelque autre fléau qui suit une marche
graduelle, et frappe ceux mêmes qui s'en croyaient le mieux à l'abri
? - En outre, si les Grecs ont eu à se plaindre des Lacédémoniens
ou de nous-mêmes, c'étaient, du moins, des fils légitimes
de la Grèce qui leur faisaient tort. Ainsi, le fils de famille opulent
mérite, sans doute, d'être blâmé et accusé,
quand il administre mal sa fortune ; mais on ne peut nier qu'elle lui appartienne,
qu'il en soit l'héritier reconnu, direct. Si un esclave, au contraire,
ou un bâtard, dilapide, dissipe des biens qui ne sont pas à lui,
à coup sûr, un tel acte semblera, aux yeux de tous, beaucoup plus
coupable, et digne d'exciter la colère. Eh bien ! n'en peut-on dire
autant de Philippe et de ses actes ? Non seulement il n'est pas Grec et
ne tient en rien à la Grèce, il n'est pas même né
sur une terre barbare dont on puisse s'honorer ; c'est un misérable Macédonien,
il est de ce pays où jadis on n'achetait pas même un bon esclave.
Et pourtant quel excès d'insolence nous épargne-t-il ? Il
ne lui suffit pas de raser nos cités : ne le voyons-nous pas présider
aux jeux pythiques, cette fête commune des peuples Grecs, et, s'il n'y
assiste pas en personne, envoyer ses esclaves pour y tenir sa place ? N'est-il
pas maître des Thermopyles, ainsi que des passages qui donnent accès
dans l'Hellade, et qu'occupent ses garnisons et ses mercenaires ? ne s'arroge-t-il
pas le droit de consulter le premier l'oracle d'Apollon, privilège dont
il nous a exclus, ainsi que les Thessaliens, les Doriens et les autres membres
du corps amphictyonique, privilège auquel ne participent pas même
tous les Grecs ? II indique, par lettre, aux Thessaliens la forme de gouvernement
qu'ils doivent adopter ; il envoie un corps de mercenaires à Porthmos,
pour y détruire la constitution démocratique établie par
les Erétriens ; un autre à Orée, pour y installer le tyran
Philistide. Les Grecs voient tout cela, et le supportent ! ils regardent,
en quelque sorte, tomber la grêle, chacun souhaitant qu'elle l'épargne,
mais ne faisant rien pour l'empêcher. Ce n'est pas assez de le laisser
outrager la Grèce en général ; chaque cité ne cherche
même pas à repousser les attaques spécialement dirigées
contre elle ; n'est-ce pas le comble de l'incurie ? Il a marché
contre Ambracie et Leucade, qui appartiennent à Corinthe ; il a juré
aux Étoliens de leur livrer Naupacte, possession des Achéens ;
aux Thébains, il a enlevé Echinon(7)
; et le voici qui se met en marche pour attaquer les Byzantins, ses prétendus
alliés. Pour ce qui nous regarde, sans parler de ses autres rapts, il
détient Cardie, notre plus grande ville de la Chersonèse. Eh bien
! en face de ces agressions, tous nous restons hésitants, indolents,
le regard fixé sur nos voisins, nous défiant les uns des autres,
et non de celui qui nous fait tort tous. Et, cependant, cet homme qui nous joue
si insolemment, une fois qu'il nous aura asservis un à un, que croyez-vous
qu'il fasse ?
Pourquoi en sommes-nous venus là ? Ce n'est pas sans raison, sans
une cause sérieuse, que les Grecs, jadis si passionnés pour la
liberté, sont aujourd'hui si résignés à l'esclavage.
Tous alors, Athéniens, gardaient dans leurs âmes un sentiment,
hélas ! éteint aujourd'hui, qui a triomphé de l'or
des Perses et maintenu la liberté de la Grèce, grâce auquel
nous n'avons éprouvé de défaites ni sur terre, ni sur mer
; en périssant, il a tout ruiné, tout bouleversé. Quel
était donc ce sentiment ? Ah ! il n'avait rien de compliqué,
ni de raffiné : mais, à cette époque-là, aider à
prix d'or quiconque essayait d'usurper le pouvoir ou d'abaisser la Grèce,
c'était s'exposer à la haine publique. Malheur à qui était
convaincu de vénalité ! Pas d'excuse, pas de pitié !
le plus terrible châtiment le frappait. - Les occasions favorables que
la fortune offre souvent aux plus négligents, en face des plus vigilants,
nos ennemis ne pouvaient alors nous empêcher d'en profiter, en achetant
nos orateurs ou nos généraux ; ils ne pouvaient détruire,
par les mêmes moyens, et la concorde entre les Grecs, et notre défiance
à l'égard des tyrans et des barbares, et telles autres dispositions
aussi salutaires. Aujourd'hui, toutes ces vertus sont à l'encan ; à
leur place, on a introduit dans nos moeurs des pratiques fatales, dont la Grèce
se meurt.
Quelles sont-elles ? dira-t-on. - C'est l'habitude de porter envie aux
salariés de l'étranger, de railler les simples qui font l'aveu
de leur faute(8) ; c'est l'indulgence à
l'égard des coupables, convaincus de trahison, la haine réservée
à qui les poursuit ; et tant d'autres hontes qu'enfante la vénalité !
Supputez, en effet, le nombre de galères, le chiffre de la population
et des richesses, l'étendue des autres ressources, en un mot tout ce
qui passe pour constituer la puissance des cités : sous ces différents
rapports, tous les peuples grecs sont de beaucoup supérieurs à
ce qu'étaient leurs ancêtres ; mais ces forces restent inutiles,
uns effet, sans profit, parce qu'il y a des gens qui en font trafic. Tel est
l'état actuel ; vous le voyez et vous n'avez pas besoin que je vous en
porte témoignage, mais je vous montrerai que tout le contraire se passait
aux temps anciens ; et, pour le prouver, sans parler en mon nom, je vous citerai
une inscription gravée par nos ancêtres sur une stèle d'airain,
et déposée dans l'Acropole ; non que cette leçon leur fût
utile : leur droiture n'avait pas besoin de s'en inspirer ; mais ils ont voulu,
avec ce monument, vous léguer l'exemple du châtiment rigoureux
qui doit frapper la trahison. Voici le texte de cette inscription : " Arthmios,
fils de Pythonax, de la ville de Zélée, est déclaré
infâme et ennemi du peuple athénien et de ses alliés, lui
et sa race. " Puis, est indiqué le motif de cet arrêt : "
parce qu'il a introduit l'or des Mèdes dans le Péloponnèse
". Tel est le texte. - Examinez, je vous en conjure, quelle était
la pensée, l'intention des Athéniens, quand ils agissaient ainsi
: Arthmios était sujet du Grand Roi, puisque Zélée est
une ville d'Asie ; pour servir son maître(9),
il a apporté de l'or, non à Athènes, mais dans le Péloponnèse,
et, pour ce fait, vos ancêtres ont gravé sur l'airain qu'il était,
ainsi que les siens, leur ennemi et celui de leurs alliés, et que toute
cette race était déclarée infâme. Et il ne s'agit
pas ici de l'infamie telle qu'on pourrait l'entendre maintenant : qu'importerait,
en effet, à un habitant de Zélée d'être exclu de
nos droits civiques ? Mais, en énumérant ceux dont le meurtre
ne doit pas entraîner de poursuite judiciaire, et que l'on peut tuer sans
scrupule, la loi pénale dit : " Que l'homme déclaré
infâme périsse ! " Ce qui signifie qu'en tuant celui
qui est infâme, on reste pur. - On le voit, nos ancêtres pensaient
que leur devoir était de veiller sur le salut commun des Grecs ; car,
sans cela, ils se seraient peu souciés qu'on cherchât à
acheter, à corrompre tel ou tel Péloponnésien ; mais, pénétrés
de ce sentiment de solidarité, ils châtiaient sans pitié
tous les corrupteurs, au point de graver leurs noms sur la stèle d'infamie.
De ces moeurs il résultait naturellement que les Grecs étaient
redoutés des barbares, et non les barbares des Grecs. Il n'en est plus
de même aujourd'hui, parce que vos sentiments ont changé sur ce
point, comme sur les autres. En quoi ? vous le savez vous-mêmes.
Mais pourquoi vous imputer, Athéniens, tout ce qui se fait de mal ?
les autres Grecs vous ressemblent fort, et n'agissent pas mieux que vous. Je
me contente donc de déclarer que les circonstances présentes réclament
tous vos soins, et la prudence la plus éclairée.
C'est une grande naïveté de prétendre nous rassurer, en disant
que Philippe n'est pas encore aussi puissant que l'étaient les Lacédémoniens,
alors qu'ils dominaient partout sur terre et sur mer, alors que le Grand Roi
était leur allié, et que tout pliait devant eux : - Athènes,
cependant, leur a résisté, nous dit-on, et elle n'a pas été
anéantie. - Sans doute ; mais tout a progressé, et, si le présent
ne ressemble en rien au passé, c'est surtout, je le crois, l'art de la
guerre qui s'est modifié et développé. D'abord, j'entends
dire qu'autrefois les Lacédémoniens, comme tous les autres peuples,
ne faisaient campagne que quatre ou cinq mois par an, seulement dans la belle
saison leurs hoplites et leurs troupes de citoyens armés envahissaient
le pays ennemi, le ravageaient, puis se retiraient dans leurs foyers. En outre,
telle était alors l'antique vertu, la droiture politique, qu'on ne songeait
pas à acheter les consciences à prix d'or ; la guerre se faisait
suivant les règles, et au grand jour. Mais voyez ce qui se passe aujourd'hui
: c'est le plus souvent la trahison qui ruine un peuple ; rien ne se décide
en bataille rangée. Vous savez que Philippe, dans ses expéditions,
ne s'embarrasse pas de sa phalange d'hoplites ; des troupes légères,
des cavaliers, des archers, des mercenaires, voilà l'effectif qu'il a
toujours avec lui et lance où bon lui semble. Rencontre-t-il une ville
travaillée par des discordes intestines ? si, par suite de défiance
mutuelle, personne ne sort de ses murs pour la défendre, Philippe dresse
ses machines et l'assiège. Je pourrais ajouter qu'il ne fait nulle distinction
entre l'été et l'hiver, qu'il n'y a pas de saison où il
interrompe ses entreprises. Réfléchissez bien à tout cela,
et gardez-vous d'attirer la guerre dans votre pays. Ne comptez plus sur la bonhomie
de nos anciennes luttes avec Lacédémone ; vous risqueriez de vous
rompre le cou : il faut prévoir de loin, vous mettre en garde, grâce
à votre politique et à vos armements, faire en sorte que Philippe
ne sorte pas de son royaume, et éviter de vous heurter à lui en
bataille rangée. La nature nous assure bien des avantages pour faire
la guerre, et, entre tous, la situation de notre pays, qui nous permet de porter
le ravage, de frapper l'ennemi de tous côtés ; mais Philippe est
mieux préparé que nous pour le combat.
Il ne suffit pas de reconnaître ces vérités, et de nous
défendre par la force des armes ; il faut encore nourrir au fond du coeur
une haine raisonnée contre les orateurs qui soutiennent sa cause, en
songeant qu'il n'est pas possible de triompher de l'ennemi public, avant d'avoir
châtié ceux qui servent ses intérêts au sein même
de notre cité. Or c'est, justes dieux ! ce que vous ne vous déciderez
jamais à faire : tant vous êtes tombés au dernier degré
de l'égarement, de la démence..., je ne sais vraiment de quel
nom qualifier votre conduite ; et, parfois, je me suis demandé avec terreur
si ce n'était pas un mauvais génie qui vous précipitait
à la ruine. Toujours est-il que, par envie, par goût pour l'insulte
ou la raillerie, par je ne sais quel autre mobile, vous accueillez à
la tribune des traîtres vendus, dont quelques-uns même n'oseraient
pas nier qu'ils soient tels, et vous riez des outrages qu'ils lancent contre
tel ou tel. C'est déjà bien grave ; voici qui l'est plus encore
: vous assurez l'impunité à leurs criminelles menées, réservant
vos rigueurs à ceux dont la parole vous est dévouée. Et,
cependant, quels malheurs vous vous préparez en prêtant l'oreille
à de tels conseils ! Je vais rappeler des faits dont vous reconnaîtrez
tous la vérité.
Il y avait à Olynthe des hommes politiques achetés par Philippe,
qui suivaient en tout ses instructions ; d'autres, dévoués au
bien public, veillaient à ce que leurs concitoyens ne fussent pas asservis.
De ces deux partis, lequel a perdu Olynthe, ou plutôt lequel a livré
les cavaliers(10) aux mains de Philippe,
trahison qui a amené la chute d'Olynthe ? Ce sont les amis de Philippe
; ceux qui, tant qu'Olynthe fut debout, calomniaient les sages conseillers avec
une si perfide adresse que le peuple d'Olynthe se laissa persuader d'exiler
Apollonide.
Mais est-ce seulement à Olynthe que ces pratiques ont produit les plus
grands maux ? Non certes : voyez Erétrie. Quand, délivrés
de Plutarque et de ses mercenaires, les Erétriens eurent établi
le régime démocratique dans leur ville, ainsi qu'à Porthmos,
les uns recherchaient notre protection, les autres celle de Philippe. Mais,
hélas ! le malheureux peuple pencha plutôt de ce second côté,
et finit par consentir à expulser les orateurs qui défendaient
sa liberté. Qu'arriva-t-il ? Philippe, le prétendu allié
d'Erétrie, envoya Hipponique, avec mille mercenaires, qui rasa les murs
de Porthmos, et établit trois tyrans : Hipparque, Automédon et
Clitarque ; puis, à deux reprises, le peuple cherchant à échapper
à leur joug, d'abord Euryloque, puis Parménion, à la tête,
de mercenaires, chassèrent de la ville les patriotes.
Faut-il multiplier les exemples ? A Orée, Philistide travaillait
pour Philippe, ainsi que Ménippe, Socrate, Thoas et Agapée, qui
gouvernent maintenant cette ville ; c'était un fait connu de tous. Un
certain Euphrée, qui avait autrefois habité Athènes, voulait
que sa patrie restât libre, qu'aucun joug ne l'asservît. Euphrée
était sans cesse abreuvé par le peuple d'Orée d'insultes
et de mauvais traitements ; l'année qui précéda la prise
de la ville, instruit des menées de Philistide et de ses adhérents,
il les dénonça comme traîtres. Alors s'ameuta une foule
composée de stipendiés de Philippe, qui saluaient en ce roi leur
chorège et leur prytane(11) ; ces
gens traînèrent Euphrée à la prison, comme perturbateur
de la paix publique. A cette vue, le peuple d'Orée, au lieu de prêter
secours à Euphrée, et d'écarter rudement ses adversaires,
ne manifesta à ceux-ci nulle colère, et se réjouit du châtiment
infligé à Euphrée, en déclarant qu'il l'avait mérité.
Dès lors les traîtres purent, en toute liberté, ourdir leurs
complots, pour préparer la chute de la ville ; et si quelque citoyen
pénétrait leur dessein, il gardait le silence, terrifié
par le souvenir de ce qu'Euphrée avait souffert. Quelle lamentable situation !
Quand une telle catastrophe menaçait la ville, aucune voix n'osa s'élever,
jusqu'au jour où les ennemis vinrent se ranger au pied des murailles.
Alors les uns essayèrent de se défendre, les autres consommèrent
leur trahison. Depuis ce triste et honteux événement, les traîtres
gouvernent et tyrannisent Orée : quant aux citoyens qui jadis, dans leur
aveuglement, avaient protégé les coupables et s'étaient
montrés si mal disposés à l'égard d'Euphrée,
les uns ont été exilés, les autres tués ; Euphrée
lui-même s'est donné la mort !, témoignant ainsi de
la droiture et de la pureté des sentiments patriotiques, qui seuls l'avaient
armé contre Philippe.
Mais, peut-être, vous vous étonnez que les citoyens d'Olynthe,
d'Erétrie, d'Orée prêtassent plus volontiers l'oreille aux
partisans de Philippe qu'à leurs propres défenseurs ; vous cherchez
la cause de cette conduite. Considérez donc ce qui se passe ici même
: les orateurs qu'anime l'intérêt public voudraient, sans doute,
tenir un langage qui plût à leurs auditeurs ; mais ils ne le peuvent
: sauver la patrie, voilà ce qu'ils ont en vue ; les autres, en tenant
un langage agréable, font les affaires de Philippe. - " Contribuez
de votre argent ", disaient certains citoyens d'Orée. - " Ce
n'est nullement nécessaire ", répliquaient les autres. -
" Vous êtes en guerre, défiez-vous ", ajoutaient les
premiers. - " Non, vous êtes en paix " ; soutenaient ceux-là
; et ils l'ont répété jusqu'au jour où tout est
tombé aux mains de l'ennemi. Pour me résumer, partout c'était
la même chose : les uns, dans leurs discours, ne cherchaient qu'à
plaire, les autres ne songeaient qu'aux mesures de salut. Et souvent le peuple
a fini par s'abandonner, non pas tant qu'il recherchât son agrément,
ou ignorât le danger ; mais il cédait, se croyant impuissant contre
tout ce qui se faisait pour l'accabler. Fassent Jupiter et Apollon qu'un pareil
sort ne vous atteigne pas, qu'il n'arrive pas un jour où vous vous rendiez
compte que toute résistance vous est devenue impossible ! Puissions-nous,
Athéniens, n'en jamais venir là ! Mais, sachez-le bien, mieux
vaut mille fois mourir que de flatter Philippe en lui sacrifiant quelques-uns
de ceux qui, à la tribune, défendent vos intérêts.
Voyez comme il a bien récompensé les citoyens d'Orée de
s'être livrés à ses amis en expulsant Euphrée de
leurs murs ! bien récompensé aussi les Érétriens
d'avoir chassé vos ambassadeurs, pour se donner à Clitarque !
Ils sont asservis sous le fouet et le glaive. Et comme il a bien ménagé
encore les Olynthiens, qui, pour lui plaire, avaient élu Lasthène
hipparque, et exilé Apollonide ! C'est folie et lâcheté
de concevoir de telles espérances ; malheur à ceux qui ne s'arrêtent
qu'à de mauvaises mesures, qui se refusent à faire leur devoir,
et accueillent les discours des orateurs vendus à l'ennemi, en s'imaginant
habiter une cité si puissante que, quoi qu'il arrive, elle restera intacte
! Et quelle honte, quand, plus tard, on dira : " Qui s'y serait attendu
? Oui, certes, il aurait fallu faire ceci, et ne pas faire cela. "
- " Ah ! " pourraient dire aujourd'hui les Olynthiens, "
si nous avions su prévoir l'avenir, notre cité n'eût pas
péri ! " Et les Oritains en diraient autant, et les Phocidiens,
et tous les peuples qui ont succombé. Mais que leur servent ces regrets ?
Tant que la barque, petite ou grande, se soutient sur la mer, matelots, pilotes,
tous, sans exception, doivent s'empresser à son salut et veiller à
ce que personne, volontairement ou non, ne la fasse chavirer ; mais, quand les
flots l'ont engloutie, tout effort est inutile.
Et nous, Athéniens, qui sommes encore sains et saufs, qui possédons
une très grande ville, d'amples ressources, le plus glorieux renom !,
que devons-nous faire ? Voilà une question que depuis longtemps,
sans doute, plus d'un auditeur aurait plaisir à m'adresser. Je vais y
répondre, par Jupiter ! et je consignerai mon avis dans un projet
de décret, afin que vous puissiez le ratifier par votre vote, s'il vous
plaît ainsi. D'abord, ne comptez que sur vous-mêmes pour lutter
; c'est-à-dire : que galères, argent, soldats, tout soit prêt.
Quand bien même toutes les autres cités consentiraient à
être esclaves, nous, Athéniens, nous devons combattre pour la liberté.
Puis, ces préparatifs une fois achevés et bien mis en évidence,
faisons appel aux autres peuples, et, pour les instruire de nos résolutions,
envoyons des ambassadeurs de tous côtés, dans le Péloponnèse,
à Rhodes, à Chio, j'ajoute même au Grand Roi, dont c'est
aussi l'intérêt que Philippe ne soumette pas tout à ses
lois. Si ces négociations réussissent, vous aurez des alliés,
qui, au besoin, s'associeront à vos périls et à vos dépenses
; si vous échouez, vous aurez du moins gagné du temps. Or, quand
on a pour adversaire, non un état solidement constitué, mais un
homme, tout délai a de l'importance. Elles en avaient aussi les récentes
ambassades envoyées dans le Péloponnèse, et les accusations
que Polyeucte, cet excellent citoyen, lHégésippe et moi-même,
ainsi que les autres députés, avons colportées de ville
en ville : il en est résulté que Philippe a arrêté
sa marche sur Ambracie, et n'a pas attaqué le Péloponnèse.
Mais il est bien entendu que, si nous ne voulions pas faire, nous-mêmes,
ce que réclame impérieusement notre salut, je ne demande pas que
vous fassiez appel aux autres : négliger ses propres affaires, et prétendre
s'intéresser à celles d'autrui, se soucier peu du présent
et effrayer la Grèce sur l'avenir, ce serait le comble du ridicule ;
et telle n'est pas ma pensée. Ce que je soutiens, c'est qu'il faut envoyez
à nos soldats, dans la Chersonèse, de l'argent, et tout ce qu'ils
réclament, vous tenir prêts personnellement à agir, puis
appeler et réunir les Grecs, les instruire de l'état réel,
et les guider de vos conseils ; voilà le rôle d'une cité
qui jouit d'un si grand prestige. Mais vous imaginer que Chalcis ou Mégare
sauvera la Grèce, et que vous-mêmes pourrez vous tenir à
l'écart, quelle erreur ! ce sera déjà beaucoup, si
chacune de ces deux villes peut se préserver elle-même avec ses
seules forces(12). C'est à vous qu'il
incombe de défendre la Grèce ; c'est un glorieux privilège
que vos ancêtres ont conquis et vous ont transmis au prix des plus grands
périls. - Si chacun, ne cherchant que son plaisir, reste les bras croisés,
uniquement occupé de ne rien faire par lui-même, d'abord il ne
trouvera jamais personne pour agir à sa place ; ensuite, tout ce que
nous ne ferons pas de bon gré, je crains fort que la nécessité
ne nous l'impose.
Voilà ce que je soutiens, et ce que j'inscris dans une proposition ;
convaincu que, en suivant cette voie, nous pouvons encore relever nos affaires.
- S'il est un citoyen qui ait mieux à dire, qu'il parle, qu'il donne
son avis ! Quelle que soit votre décision, puissent tous les dieux
en assurer le succès !