Avant de mengager dans lhistorique du culte du Phallus chez différents peuples de la terre, il convient de fixer les idées sur celui quon rendait aux deux animaux qui lui ont donné la naissance, de faire connaître de quelle nature étaient les hommages religieux quon adressait au taureau et au bouc divins, archétypes du Phallus.
Les taureaux, adorés en Égypte sous différents noms, étaient, comme on la dit, limage vivante du taureau céleste, figuré dans la division zodiacale où se trouvait léquinoxe du printemps, et, par cette circonstance, ce signe du zodiaque était le symbole du soleil, qui, à cette époque de lannée, féconde la nature. On attribuait au taureau sacré, non seulement la faculté fécondante, mais le pouvoir de communiquer à lespèce humaine cette même faculté.
Aussitôt quun des taureaux Apis était mort, les prêtres de Égypte sempressaient de lui donner un successeur, qui devait, suivant lopinion populaire, être né dune vache fécondée par un rayon du soleil. Certaines taches de sa peau déterminaient son élection. Sa découverte changeait en allégresse le deuil où la mort de son prédécesseur avait plongé le peuple égyptien. Au lieu même où lon avait trouvé le nouveau dieu, on lui construisait une étable magnifique, tournée du côté du soleil levant. Là, pendant quatre mois, il était abreuvé de lait ; ensuite, une troupe de prêtres le conduisait processionnellement au bord du Nil, lembarquait sur un vaisseau richement décoré, et lamenait à Nicopolis.
Cétait dans cette dernière ville que les femmes avaient le droit de venir, pendant quarante jours, visiter le nouveau dieu. Suivant Diodore de Sicile, elles relevaient leurs vêtements, mettaient en évidence et semblaient offrir au taureau divin ce que la pudeur ordonne de cacher. Le but de ces femmes, dans cette ridicule cérémonie, était évidemment dobtenir du taureau-dieu la fécondité.
Ce récit, conforme à lhistoire, moffre des rapports nouveaux entre le taureau sacré et le Phallus ou Priape, et ajoute, aux preuves que jai déjà produites dans le chapitre précédent, une preuve nouvelle qui confirme lorigine du Phallus, et constate quil est le simulacre de la partie génitale du taureau divinisé. Si lon abreuvait de lait cet animal, on offrait aussi du lait à Priape, et les libations quon faisait en son honneur étaient ordinairement de cette substance. Si les Égyptiennes, pour devenir fécondes, se montraient à nu devant le taureau, des femmes, pour le même motif, observaient cet usage devant lidole de Priape, et faisaient quelquefois pis encore, comme on le verra dans la suite de cet ouvrage.
Le taureau Apis partait de Nicopolis sur un vaisseau dans lequel une chambre dorée lui était destinée ; on le débarquait à Memphis, où un temple magnifiquement bâti par le roi Psamnitichus lui servait détable. On célébrait sa naissance avec pompe, et on le promenait par la ville, accompagné dune escorte de magistrats et précédé denfants qui chantaient des hymnes en son honneur.
Cette dernière cérémonie fut sans doute adoptée par plusieurs peuples lusage de promener un veau gras orné de fleurs et de rubans, accompagné de musique, qui se pratiquait dans plusieurs villes de France, paraît en être une imitation.
Passons au culte du bouc, image vivante du bouc céleste ou du chevrier, qui se trouve dans la division zodiacale du taureau, et qui, comme lui, était le symbole du soleil printanier et de la vertu fécondante et régénératrice de cet astre. Les cultes de ces deux animaux sacrés ont tous les rapports quon doit attendre de leur origine commune.
« Les Mendésiens, dit Hérodote, ont beaucoup de vénération pour les boucs et les chèvres, et plus encore pour ceux-là que pour celles-ci, et cest à cause de ces animaux quils honorent ceux qui en prennent soin. Ils ont surtout en grande vénération un bouc quils considèrent plus que tous les autres. Quand il vient à mourir, tout le Nome mendésien est en deuil.
Il ajoute quen langue égyptienne, mendès signifiait bouc et Pan, et prouve par conséquent lidentité de cet animal et de ce dieu.
Le deuil que causait la mort du bouc rappelle celui que manifestaient les Égyptiens à la mort de leur taureau Apis.
On offrait du lait à ce taureau ; on offrait de même au bouc ou à Pan, qui était son idole, ainsi quà Priape, qui était de la même famille, du lait et du miel.
Pan, dit la fable, accompagnait les dieux-soleil Osiris et Bacchus dans leur expédition de lInde. Priape suivit aussi Bacchus dans son voyage de lInde, et se prit de querelle en voyage avec lâne de Silène, que montait ce dieu.
Le bouc sacré avait avec Priape dautres conformités. Les Grecs, sous les noms de Pan, de Faune, de Sylvain, de Satyre, etc., adoraient des divinités champêtres dont les figures représentaient à la fois les formes du bouc et lattribut le plus caractéristique de Priape. Elles avaient les cornes, quelquefois les oreilles et toujours les cuisses, les jambes et les pieds de cet animal, et en même temps le Phallus, dans un état dénergie. « On leur a érigé des temples, dit Diodore de Sicile, en parlant de ces divinités à cornes et à pieds de bouc ; elles y sont représentées dans un état dénergie et de lubricité, afin quelles parussent imiter le naturel lascif du bouc. » Voilà pourquoi Priape a souvent les formes du bouc ; voilà pourquoi on le confond souvent avec les dieux Pan, Sylvain et Satyre, qui ont la même origine que lui.
Les femmes se découvraient fort indécemment devant le taureau Apis ; elles faisaient la même chose devant le bouc de Mendès ou de Chemnis, et poussaient beaucoup plus loin leur étrange dévotion.
Dans lintention, sans doute, de détruire le charme prétendu qui les maintenait dans un état de stérilité, elles soffraient au bouc sacré, et se livraient à son ardeur brutale.
« Rien de si certain, dit le traducteur dHérodote, que linfâme coutume denfermer des femmes avec le bouc de Mendès. La même chose se pratiquait à Chemnis (ville du Delta). Mille auteurs en ont parlé. »
Des vers du poète Pindare, cités par Strabon, un passage de Clément dAlexandrie, et plusieurs autres écrivains de lantiquité attestent lexistence de cette pratique religieuse et révoltante.
« Il arriva, pendant que jétais en Égypte, dit Hérodote, une chose étonnante dans le Nome mendésien : un bouc eut publiquement commerce avec une femme, et cette aventure fut connue de tout le monde. »
Cette union monstrueuse navait pas lieu toutes les fois quelle était sollicitée ; et ici, linstinct grossier dun animal se montrait supérieur à lesprit humain dégradé par la religion.
« Il ne faut pas sétonner, fait dire Plutarque à un interlocuteur, si le bouc de Mendès en Égypte, enfermé avec plusieurs belles femmes, ne témoigne aucun désir pour elles, et ne senflamme que pour des chèvres. »
Il existe encore à Chemnis quelques traces de cette dégoûtante prostitution. « On y voit, dit Vivant Denon, un édifice enfoui jusquau comble. Cest sans doute le temple dédié au dieu Pan, autrefois consacré à la prostitution. On y rencontre aujourdhui, comme à Métabis, nombre dalmées et de femmes publiques, sinon protégées, au moins reconnues et tolérées par le gouvernement. On ma assuré que, toutes les semaines, elles se rassemblaient à un jour fixe dans une mosquée près du tombeau du cheikh Haridi, et que, mêlant le sacré au profane, elles y commettaient entre elles toutes sortes de lascivités. »
Les Juifs, dont le législateur sétait attaché à former des institutions toutes contraires à celles des Égyptiens, bien loin dadorer les boucs, en présentaient chaque année deux devant le tabernacle. Lun était sacrifié au Seigneur ; et lautre, chargé des imprécations du grand prêtre et des iniquités du peuple, était envoyé dans le désert.
Il nen était pas ainsi des sectaires samaritains. Le premier verset de leur Pentateuque prouve quils adoraient le bouc comme le créateur de lunivers : « Au commencement, y est-il dit, le bouc Azima créa le ciel et la terre. »
Ce culte passa dans lInde. Dans les monuments des grottes dIloura, qui remontent à la plus haute antiquité, on retrouve le culte du bouc, auquel les Indiens donnent le nom de Mendès, quil portait en Égypte.
Le bouc fut adoré en Grèce et en Étrurie. Les Romains modifièrent son culte, et diminuèrent de beaucoup ce quil avait de brutal. Voici ce quà cet égard nous apprend Ovide :
Les Romains, fâchés de voir les Sabines quils avaient enlevées rester stériles, furent invoquer Junon dans la forêt sacrée du mont Esquilin. À peine eurent-ils achevé leurs prières, quils virent la cime des arbres sagiter, et quils entendirent cet oracle : « Que les femmes dItalie soient fécondées par un bouc. » Cétait prescrire aux Romains les pratiques révoltantes du culte de Mendès. Ils ne parurent pas disposés à obéir à loracle. Alors, un devin dÉtrurie linterpréta et en adoucit la rigueur :
Il est avec le ciel des accommodements.
Il proposa aux femmes stériles de se faire frapper le dos ou le ventre avec des lanières formées de peau de bouc. Cest ce qui se pratiqua dans les fêtes des Lupercales.
Le 13 février, jour destiné à cette solennité, des jeunes gens, nus ou presque nus, parcouraient la ville, armés du couteau dont ils avaient immolé des boucs, et dun fouet composé de courroies tirées de la peau de ces animaux, en frappaient ceux quils rencontraient. Les femmes, loin de fuir, accouraient au-devant deux et offraient leur ventre nu aux coups de ces jeunes fouetteurs, dans lespoir de devenir fécondes et de produire de beaux enfants.
On voit que, chez les Romains, la cérémonie était différente : le bouc ny jouait pas, comme à Mendès, le principal rôle, mais il y avait part, et le motif était le même.
Si lon pouvait donner croyance à ces récits, mêlés de tant de contes ridicules que faisaient nos crédules aïeux sur les assemblées nocturnes appelées sabbat, on serait tenté de croire que le culte du bouc sest continué longtemps chez les nations modernes. Dans ces assemblées, cest toujours un bouc qui préside, cest un bouc quon y adore, cest un bouc qui sunit aux femmes assistantes. Si lon pouvait séparer la vérité du chaos de mensonges qui la font méconnaître, la dépouiller des exagérations et du merveilleux dont sont chargées les relations de ces assemblées mystérieuses, on y retrouverait peut-être les pratiques du culte de Mendès ; on fixerait les opinions encore incertaines sur ce point de lhistoire des hommes ; on délivrerait les esprits du scepticisme pénible où ils sont encore sur lexistence des assemblées du sabbat, attestées par tant dautorités, par tant de procédures juridiques, et si fortement contestées par tant décrivains illustres.
Une bonne histoire des sociétés mystérieuses de toutes les nations dissiperait bien des incertitudes, formerait un faisceau de lumières qui éclairerait lorigine obscure des institutions humaines, leur filiation, et serait plus utile et plus curieuse que le tableau toujours uniforme des désastres causés par lambition de quelques souverains.