Deux princes de
sang royal, Ylinos et Scolopitus, chassés de leur pays par la faction
des grands, entraînèrent à leur suite une nombreuse jeunesse,
et vinrent s'établir en Cappadoce, près du fleuve Thermodon,
dans les plaines de Thémiscyre : après s'y être enrichis,
pendant une longue suite d'années, des dépouilles des peuples
voisins, ils furent surpris et mis en pièces par ces nations liguées.
Leurs femmes, à la fois veuves et bannies, courent aux armes, repoussent
l'ennemi, l'attaquent bientôt à leur tour. Elles renoncent au
mariage, qui ne leur semble plus qu'une servitude ; et, donnant un exemple
que nul siècle n'a imité, elles étendent et conservent
leur nouvel empire sans le secours des hommes qu'elles méprisent :
pour prévenir toute jalousie, elles égorgent ceux qui restaient
parmi elles, et vont enfin venger, par la ruine de leurs voisins, le massacre
de leurs époux. Dans la paix qui suivit cette victoire, elles s'unirent
aux nations voisines, pour ne pas laisser éteindre leur race : elles
égorgeaient tous leurs enfants mâles, et élevaient les
filles, non dans l'oisiveté ou dans les travaux des femmes, mais dans
les fatigues où elles-mêmes passaient leur vie ; elles les exerçaient
au maniement des armes, à l'équitation, à la chasse :
pour leur rendre plus facile l'usage de l'arc, elles leur brûlaient,
dès l'enfance, la mamelle droite, d'où leur vint le nom d'Amazones.
Deux de leurs reines, Marpésia et Lampédo, divisant en deux
troupes la nation déjà puissante, se chargeaient tour à
tour de porter la guerre au dehors : une seule restait pour la défense
du pays : afin d'ajouter à l'éclat de leurs succès, elles
se disaient filles de Mars.
Ayant ainsi conquis une grande partie de l'Europe, elles soumettent encore
quelques états de l'Asie, y fondent Éphèse et plusieurs
autres villes, et renvoient en Europe la moitié de l'armée,
chargée de butin. Celles qui étaient restées pour la
défense de l'empire d'Asie, succombèrent sous les efforts réunis
des Barbares ; leur reine Marpésia périt avec elles. Sa fille
Orithye lui succéda, et joignit à ses talents militaires l'honneur
d'une vertu toujours conservée sans tache. Ses exploits couvrirent
de tant de gloire le nom des Amazones, qu'Eurysthée ordonna à
Hercule, en lui imposant ses douze travaux, de lui apporter les armes de leur
reine, qu'il croyait invincible. Hercule conduit avec lui, sur neuf vaisseaux,
l'élite des guerriers de la Grèce, et débarque à
l'improviste. Orithye et sa soeur Antiope étaient alors reines
des Amazones ; mais la première faisait la guerre au dehors. Aussi,
à l'arrivée d'Hercule, la reine Antiope, qui d'ailleurs ne craignait
aucune attaque, n'avait près d'elle qu'une escorte peu nombreuse. Dans
la surprise de cette irruption soudaine, à peine quelques-unes de ces
guerrières purent-elles prendre leurs armes : la victoire fut facile.
La plupart des Amazones furent tuées ou prises. Deux soeurs d'Antiope,
Hippolyte et Ménalippe, tombèrent, l'une aux mains de Thésée,
l'autre au pouvoir d'Hercule : le premier épousa sa captive, dont il
eut un fils qui porta le même nom ; le second rendit Ménalippe
à sa soeur, reçut pour rançon l'armure de la reine,
et retourna vers son frère, dont il avait accompli les ordres. À
la nouvelle de ce désastre, Orithye excite ses compagnes contre le
roi d'Athènes, ravisseur d'Hippolyte : en vain auront-elles conquis
le Pont et subjugué l'Asie, s'il leur faut subir l'outrage de ces pirates
de la Grèce. Elle demande des secours à Sagillus, roi de Scythie
; elle lui rappelle que les Amazones sont filles des Scythes ; privées
de leurs époux, elles ont été forcées de soutenir
par les armes la justice de leur cause, et elles ont montré que chez
les Scythes les femmes ne le cèdent point aux hommes en valeur. Touché
de la gloire de sa nation, Sagillus envoie à leur secours son fils
Panasagore, avec une nombreuse cavalerie ; mais, avant le combat, la discorde
éclate entre les deux peuples, et, abandonnée de ses alliés,
Orithye est battue par les Athéniens : cependant ses troupes trouvèrent
un asile dans le camp des Scythes, et sous cette sauvegarde, traversant l'Asie
sans obstacle, elles rentrèrent dans leur empire. Après Orithye,
régna Penthésilée, qui, au siège de Troie, se
signala si glorieusement contre les Grecs, parmi tant d'illustres guerriers.
Elle y périt enfin avec son armée, et les faibles restes de
la nation, qu'elle avait laissés dans son empire, se maintinrent avec
peine contre les attaques de leurs voisins, jusqu'au temps d'Alexandre le
Grand. Minithye ou Thalestris, leur reine, partagea treize jours le lit de
ce prince, pour en avoir un enfant, et rentra dans son royaume, où
elle mourut peu de temps après. Le nom des Amazones s'éteignit
avec elle.