JUSTIN

Vie et mort des Amazones

Traduction Jules Pierrot, 1883

Deux princes de sang royal, Ylinos et Scolopitus, chassés de leur pays par la faction des grands, entraînèrent à leur suite une nombreuse jeunesse, et vinrent s'établir en Cappadoce, près du fleuve Thermodon, dans les plaines de Thémiscyre : après s'y être enrichis, pendant une longue suite d'années, des dépouilles des peuples voisins, ils furent surpris et mis en pièces par ces nations liguées. Leurs femmes, à la fois veuves et bannies, courent aux armes, repoussent l'ennemi, l'attaquent bientôt à leur tour. Elles renoncent au mariage, qui ne leur semble plus qu'une servitude ; et, donnant un exemple que nul siècle n'a imité, elles étendent et conservent leur nouvel empire sans le secours des hommes qu'elles méprisent : pour prévenir toute jalousie, elles égorgent ceux qui restaient parmi elles, et vont enfin venger, par la ruine de leurs voisins, le massacre de leurs époux. Dans la paix qui suivit cette victoire, elles s'unirent aux nations voisines, pour ne pas laisser éteindre leur race : elles égorgeaient tous leurs enfants mâles, et élevaient les filles, non dans l'oisiveté ou dans les travaux des femmes, mais dans les fatigues où elles-mêmes passaient leur vie ; elles les exerçaient au maniement des armes, à l'équitation, à la chasse : pour leur rendre plus facile l'usage de l'arc, elles leur brûlaient, dès l'enfance, la mamelle droite, d'où leur vint le nom d'Amazones. Deux de leurs reines, Marpésia et Lampédo, divisant en deux troupes la nation déjà puissante, se chargeaient tour à tour de porter la guerre au dehors : une seule restait pour la défense du pays : afin d'ajouter à l'éclat de leurs succès, elles se disaient filles de Mars.
Ayant ainsi conquis une grande partie de l'Europe, elles soumettent encore quelques états de l'Asie, y fondent Éphèse et plusieurs autres villes, et renvoient en Europe la moitié de l'armée, chargée de butin. Celles qui étaient restées pour la défense de l'empire d'Asie, succombèrent sous les efforts réunis des Barbares ; leur reine Marpésia périt avec elles. Sa fille Orithye lui succéda, et joignit à ses talents militaires l'honneur d'une vertu toujours conservée sans tache. Ses exploits couvrirent de tant de gloire le nom des Amazones, qu'Eurysthée ordonna à Hercule, en lui imposant ses douze travaux, de lui apporter les armes de leur reine, qu'il croyait invincible. Hercule conduit avec lui, sur neuf vaisseaux, l'élite des guerriers de la Grèce, et débarque à l'improviste. Orithye et sa soeur Antiope étaient alors reines des Amazones ; mais la première faisait la guerre au dehors. Aussi, à l'arrivée d'Hercule, la reine Antiope, qui d'ailleurs ne craignait aucune attaque, n'avait près d'elle qu'une escorte peu nombreuse. Dans la surprise de cette irruption soudaine, à peine quelques-unes de ces guerrières purent-elles prendre leurs armes : la victoire fut facile. La plupart des Amazones furent tuées ou prises. Deux soeurs d'Antiope, Hippolyte et Ménalippe, tombèrent, l'une aux mains de Thésée, l'autre au pouvoir d'Hercule : le premier épousa sa captive, dont il eut un fils qui porta le même nom ; le second rendit Ménalippe à sa soeur, reçut pour rançon l'armure de la reine, et retourna vers son frère, dont il avait accompli les ordres. À la nouvelle de ce désastre, Orithye excite ses compagnes contre le roi d'Athènes, ravisseur d'Hippolyte : en vain auront-elles conquis le Pont et subjugué l'Asie, s'il leur faut subir l'outrage de ces pirates de la Grèce. Elle demande des secours à Sagillus, roi de Scythie ; elle lui rappelle que les Amazones sont filles des Scythes ; privées de leurs époux, elles ont été forcées de soutenir par les armes la justice de leur cause, et elles ont montré que chez les Scythes les femmes ne le cèdent point aux hommes en valeur. Touché de la gloire de sa nation, Sagillus envoie à leur secours son fils Panasagore, avec une nombreuse cavalerie ; mais, avant le combat, la discorde éclate entre les deux peuples, et, abandonnée de ses alliés, Orithye est battue par les Athéniens : cependant ses troupes trouvèrent un asile dans le camp des Scythes, et sous cette sauvegarde, traversant l'Asie sans obstacle, elles rentrèrent dans leur empire. Après Orithye, régna Penthésilée, qui, au siège de Troie, se signala si glorieusement contre les Grecs, parmi tant d'illustres guerriers. Elle y périt enfin avec son armée, et les faibles restes de la nation, qu'elle avait laissés dans son empire, se maintinrent avec peine contre les attaques de leurs voisins, jusqu'au temps d'Alexandre le Grand. Minithye ou Thalestris, leur reine, partagea treize jours le lit de ce prince, pour en avoir un enfant, et rentra dans son royaume, où elle mourut peu de temps après. Le nom des Amazones s'éteignit avec elle.