DIOGÈNE LAËRCE

CRATÈS

Traduction Robert Genaille, 1933

Cratès[1] (d’Athènes) était fils d’Antigène, et originaire du dème de Thriasos ; il fut à la fois disciple et mignon de Polémon, et lui succéda à la tête de l’école. Et ils s’aimèrent d’une passion si forte que non seulement durant leur vie, mais encore presque à leur dernier souffle, ils firent les mêmes études et s’occupèrent des mêmes choses, et que, morts, ils furent enterrés dans le même tombeau.

C’est pourquoi Antagoras a écrit sur eux les vers que voici :

En ce tombeau, Cratès et le divin Polémon

Sont enfermés, et à ton passage, voyageur, tu peux dire

Que ce furent de grands hommes unis dune forte amitié

Et qui disaient de sages paroles dune voix sacrée.

La pureté de leur vie et leur sagesse fondée

Sur des règles inflexibles font lornement des siècles.

De là vient qu’on rapporte qu’Arcésilas, quittant Théophraste, et venu chez eux, dit qu’ils étaient des dieux ou des survivants de l’âge d’or. En effet, ils n’étaient pas du tout d’esprit commun, mais tels que fut Dionysodore, le joueur de flûte qui déclarait jadis pour se vanter que personne n’avait entendu ses chants ni sur un bateau, ni à la fontaine, pas plus que ceux d’Apollon Isménios.

Antigone rapporte qu’il mangeait souvent chez Crantor, et que tous deux vivaient en bonne intelligence avec Arcésilas, qu’Arcésilas et Crantor habitaient ensemble, et que Polémon habitait en même temps que Cratès chez un de leurs concitoyens nommé Lysiclès. Il ajoute que Cratès était, comme je l’ai écrit plus haut, le mignon de Polémon, et qu’Arcésilas était le mignon de Crantor.

En mourant, Cratès laissa plusieurs ouvrages (cf. Apollodore, Chroniques, liv. III), les uns de philosophie, d’autres sur la comédie, des harangues au peuple et des discours d’ambassade. Il eut des disciples réputés, parmi lesquels Arcésilas, dont je reparlerai, et Bion de Boristhène[2] et plus tard Théodore, qui tira son nom de sa secte, et dont je parlerai aussi après Arcésilas.

Il y eut dix Cratès : le premier était un poète de l’ancienne comédie ; le second un orateur de Tralles, de la famille d’Isocrate ; le troisième un architecte, soldat d’Alexandre ; le quatrième le Cynique dont nous reparlerons ; le cinquième un philosophe péripatéticien ; le sixième l’Académique dont j’expose la vie ; le septième, de Mallotée, un grammairien ; le huitième qui fit un traité de géométrie ; le neuvième un poète auteur d’épigrammes ; le dixième un homme tarse, philosophe académique.


[1] Aussi peu connu que Polémon, dirigea l’École de ~270 à ~265.
[2] Philosophe cynique du ~IIIe siècle, fut en rapport avec les Cyrénaïques. Sa biographie est étudiée après celle d’Arcésilas.