DIOGÈNE LAËRCE

MÉNÉDÈME (Cynique)

Traduction Robert Genaille, 1933

Ménédème [1] fut disciple de Colotos de Lampsaque. Hippobotos raconte qu’il était si prodigieusement adonné à la superstition qu’il se promenait avec un masque de Furie, disant qu’il venait tout droit des Enfers pour surveiller les fautes commises, et qu’il allait y redescendre faire son rapport aux dieux. Voici quelle robe il portait : une longue tunique tombant jusqu’aux pieds, nouée par une ceinture pourpre. Sur la tête un bonnet arcadien portant les douze signes du zodiaque, aux pieds des cothurnes tragiques, une longue barbe au menton et à la main une baguette de frêne.

Voilà donc quelle fut la vie de chacun des philosophes cyniques. Écrivons maintenant les idées essentielles de leur secte, puisqu’à mon avis, ils forment bien une secte philosophique, et non pas, comme on l’a soutenu, un ensemble de gens ayant pris simplement une certaine attitude de vie [2] .

Ils pensent donc qu’il faut supprimer la physique et la logique, d’accord en cela avec Ariston de Chios, et s’attacher seulement à la morale. Dioclès attribue à Diogène ce que d’autres disent de Socrate, qu’il a dit qu’il fallait rechercher

Ce qu’il y a de bien et de mal dans chaque maison [3] .

Ils n’admettent pas davantage les arts libéraux. Antisthène dit même que les gens sensés ne devraient pas apprendre à lire et à écrire, pour n’être pas corrompus par les autres. Ils rejettent encore la géométrie, la musique et les autres sciences. Diogène dit à quelqu’un qui lui montrait une horloge : « Voilà une belle invention pour rappeler l’heure des repas. » De même, il répondit à quelqu’un qui voulait lui apprendre la musique : « C’est par de sages pensées que les hommes régissent les vies et les maisons, mais non pas par des airs de lyre et par des gazouillis [4] . »

Ils croient que le souverain bien est la vertu, comme le dit Antisthène dans son Hercule, en accord avec les Stoïciens, car il y a de grands rapports entre les deux sectes et l’on a dit que le cynisme était un chemin très court pour atteindre la vertu, et Zénon de Citium a vécu comme eux [5] . Ce qu’ils prônent, c’est une vie simple et frugale, des mets qui suffisent à leur nourriture, et de vieux manteaux. La richesse, la noblesse, la gloire, ils s’en moquent. Quelques-uns même ne mangent que des herbes, et se contentent d’eau fraîche pour boisson. Ils dorment là où ils peuvent, dans un tonneau au besoin comme Diogène, qui déclarait que le propre des dieux est de n’avoir besoin de rien, et que ceux qui leur ressemblaient n’avaient besoin de presque rien. Ils pensent encore que la vertu peut s’enseigner (cf. Antisthène, Hercule) et que, quand on l’a, on ne peut la perdre, que le sage peut aimer tout comme un autre, qu’il est infaillible, qu’il aime son prochain, et qu’il ne se laisse pas influencer par la fortune. Ce qui n’est ni vertu ni vice, ils le nomment indifférent (cf. Ariston de Chios).

Voilà donc ce que furent les Cyniques. Il me faut en venir maintenant aux Stoïciens, dont le chef fut Zénon, qui était d’ailleurs un disciple de Cratès.



[1] Il ne faut pas le confondre avec le fils de Clisthène, disciple de Socrate.
[2] D.L. a discuté la question à la fin de son introduction, où il a donné la liste des sectes philosophiques.
[3] Cf. Vie de Socrate, liv. II.
[4] La philosophie cynique est donc une philosophie essentiellement pratique.
[5] Voilà un des rares passages où D.L. essaie de montrer les rapports entre les sectes. Il place les Cyniques à mi-chemin entre la philosophie de Socrate et le stoïcisme.