DIOGÈNE LAËRCE

ANAXARQUE (Isolés et Sceptiques)

Traduction Robert Genaille, 1933

Anaxarque d’Abdère. Il fut disciple de Diogène de Smyrne ou de Métrodore de Chios, qui disait ignorer même qu’il était ignorant. Ce Métrodore fut disciple selon les uns de Nessos de Chios, selon les autres de Démocrite. Pour en revenir à Anaxarque, il fréquenta Alexandre, et avait atteint la quarantaine vers la cent dixième olympiade[1]. Il avait pour ennemi Nicocréon, tyran de Chypre. Un jour, à un banquet, Alexandre lui demanda ce qu’il pensait du dîner. Il répondit : « O roi, tout est splendide, mais il aurait fallu y ajouter la tête d’un satrape » ; ce disant, il regardait Nicocréon. Celui-ci se souvint de l’outrage, et après la mort du roi, quand au cours d’un voyage Anaxarque échoua malgré lui à Chypre, il le fit arrêter, jeter dans un mortier et broyer par un pilon de fer. Mais on conte qu’Anaxarque, indifférent au châtiment, lui disait le mot célèbre : « Broie donc, broie donc le sac qui enveloppe Anaxarque, tu ne broieras pas Anaxarque ! » Là-dessus, Nicocréon ordonna de lui couper la langue, mais la tradition dit qu’il se la coupa lui-même de ses dents et la lui cracha au visage. J’ai écrit à ce sujet cette épigramme :

Broyez, Nicocréon, ce n’est toujours qu’un sac,

Broyez, car Anaxarque est chez Zeus depuis longtemps.

A vous, à votre tour, bientôt Perséphone, en vous cardant sous un peigne,

Dira ces paroles : « Meurs, vilain meunier. »

Sa tranquillité et sa belle façon de vivre l’avaient fait surnommer le Bienheureux. Il avait toute facilité pour enseigner la sagesse. Ainsi, il détrompa Alexandre qui s’imaginait être un dieu, de la façon suivante. Un jour où il avait reçu un coup, son sang coulait et Anaxarque lui dit en lui montrant sa main :

C’est là du sang, et non pas

Cette liqueur qui coule des dieux bienheureux.

Plutarque raconte que c’est Alexandre lui-même qui le dit à des amis, et qu’une autre fois Anaxarque dit à Alexandre qui buvait en lui montrant sa coupe :

Un dieu sera frappé par une main mortelle.


[1] Vers 340.