DIOGÈNE LAËRCE

XÉNOPHANE (Isolés et Sceptiques)

Traduction Robert Genaille, 1933

Xénophane, fils de Dixios, ou, selon Apollodore, d’Orthomène de Colophon[1], est loué par Timon dans ce vers :

Xénophane sans prétention qui a critiqué les fautes d’Homère.

Chassé de son pays, il vécut à Zancle en Sicile et à Catane. Les uns veulent qu’il se soit formé tout seul, d’autres qu’il ait eu pour maître Boton d’Athènes, d’autres Archélaos. Sotion dit qu’il vivait au temps d’Anaximandre. Il a écrit des vers épiques, des élé­gies et des iambes contre Hésiode et contre Homère, où il leur reproche tout ce qu’ils ont dit des dieux. Il chantait lui-même ses propres vers[2]. On rapporte qu’il avait des théories contraires à celles de Thalès et de Pythagore, et qu’il s’attaqua aussi à Épiménide. Il vécut très longtemps et nous l’apprend lui-même :

Déjà soixante-sept années

Ont promené mes pensées sur la terre de Grèce,

Mais depuis ma naissance, avant cela vingt-cinq ans étaient passés,

Si sur ce point toutefois je sais dire la vérité[3].

Il déclare que les choses viennent de quatre élé­ments, que les mondes sont infinis et changeants. Les nuages se forment quand les vapeurs produites par le soleil s’élèvent vers l’air environnant. La substance du divin est sphérique et n’a aucune res­semblance avec celle de l’homme[4]. Il entend tout, il voit tout, et cependant il ne respire pas. Il est enfin, en totalité, esprit, sagesse, éternité. C’est le premier philosophe qui montra que tout ce qui est né est périssable, et que l’âme est un souffle. Il dit que la plupart des choses sont inférieures à l’esprit. Il ne faut fréquenter les princes que le moins pos­sible, ou alors que de la façon la plus agréable. Comme Empédocle disait qu’il ne pouvait trouver un sage :

« Bien sûr, dit-il, car il faut être sage quand on veut trouver un sage. » Sotion rapporte qu’il fut le pre­mier à déclarer que tout est incompréhensible, mais il se trompe. Il a écrit un poème sur la fondation de Colophon et la colonisation italienne en Élide, de deux mille vers. Il avait quarante ans vers la soixantième olympiade[5]. Démétrios de Phalère (livre de la Vieillesse) et Panaetios le Stoïcien (du Calme) disent qu’il enterra ses enfants de ses propres mains, comme fit aussi Anaxagore. On croit qu’il fut vendu par les Pythagoriciens Parménisque et Orestade (cf. Phavorinos, Commentaires, livre I). Il y eut un autre Xénophane, de Lesbos, poète iambique. Voilà donc pour les philosophes isolés.


[1] Ville d’Asie Mineure, au nord d’Éphèse. Xénophane est donc presque compatriote d’Héraclite. Avec lui, et jusqu’à Leucippe exclu, commence la série des biographies consacrées aux Éléates, dont D.L. a tort de ne pas faire une école à part, voisine de la secte pythagoricienne. Xénophane fut le fondateur de cette école d’Élée (cf. Cicéron, Acad., IV, 42 : princeps Xenophanes, deinde eum secuti Parmenides et Zeno...
[2] Il était donc rhapsode.
[3] Cela le fait donc vivre 92 ans, mais nous ignorons la date de sa naissance.
[4] Critique de l’anthropomorphisme, reprise par Mon­taigne dans l’apologie de Raymond Sebond : « Il faut noter qu’à chaque chose, il n’est rien de plus cher et de plus estimable que son être, et que chacune rapporte les qualités de toutes choses à ses propres qualités... d’où naissent ces anciennes conclusions : de toutes les formes, la plus belle est celle de l’homme, Dieu est donc de cette forme... Partant, disait plaisam­ment Xénophane, que si les animaux se forgent des dieux, comme il est vraisemblable qu’ils fassent, ils les forgent certainement de même eux, et se glorifient comme nous. » On sait par cer­tains fragments que Xénophane disait : « Les Éthiopiens sont camus et noirs, ils voient donc leurs dieux camus et noirs. Si les boeufs, les chevaux, les lions avaient des mains comme les hommes pour faire des peintures, les chevaux représente­raient leurs dieux comme des chevaux, les boeufs comme des boeufs... »
[5] Vers 536, date conjecturale, mais vraisemblable.