DIOGÈNE LAËRCE

ZÉNON D’ÉLÉE (Isolés et Sceptiques)

Traduction Robert Genaille, 1933

Zénon d’Élée. Il était (cf. Apollodore, Chroniques) fils naturel de Télentagoras, fils adoptif de Parménide. Timon dit ceci de lui et de Mélissos :

La grande force redoutable de l’homme aux paroles contradictoires,

De Zénon destructeur de toute chose et de Mélissos,

Qui disent en apparence beaucoup de sornettes, en fait, non.

Ce Zénon fut donc disciple de Parménide et devint son mignon. Il était de grande taille (cf. Platon, Parménide et Phèdre, où il l’appelle le Palamède éléate[1]). Aristote le sophiste dit qu’il était inventif en dialectique, comme Empédocle en rhétorique, et fut un homme tout à fait remarquable en philosophie et en politique. On lui attribue en effet des livres remplis de sens. Comme il avait voulu renverser le tyran Néarque, d’autres disent Diomédon, il fut arrêté (cf. Héraclide, Abrégé de Satyros). Comme on lui demandait de dénoncer ses complices et d’avouer qu’il avait fait porter des armes à Lipara, il dénonça tous les amis du tyran pour bien montrer combien ce tyran était abandonné de tous et, après lui avoir parlé de choses diverses, il lui dit qu’il avait quelque chose à lui conter à l’oreille, et la lui mordit à belles dents, ne lâchant que quand il lui en eut enlevé un morceau, faisant ce qu’avait fait Aristogiton le tyrannicide. Démétrios (Homonymes) dit que c’est le nez qu’il lui arracha d’un coup de dents. Antisthène (Successions) raconte que quand il eut dénoncé les amis du tyran, celui-ci lui demanda s’il n’y avait pas encore d’autres complices, et qu’il répondit : « Toi-même, le fléau de la ville. » Il ajouta pour les assistants : « Vous serez des lâches, si après ce que je vais faire, vous continuez à être esclaves du tyran. » Là-dessus, il se coupa la langue, et la lui cracha au visage. Ses concitoyens s’élancèrent alors sur le tyran et le lapidèrent. C’est la tradition générale. Hermippe toutefois soutient que Zénon fut jeté dans un mortier et pilé sous la meule. Aussi ai-je composé cette épigramme :

Tu as voulu, Zénon, noble intention, détruire un tyran,

Et délivrer l’Élide de l’esclavage,

Mais tu fus dompté. Le tyran t’a mis dans un mortier

Et t’a broyé. Que dis-je ? Il a broyé ton corps, non toi.

Zénon fut un homme de bien, et comme Héraclite, il méprisa les puissants. Il préféra toujours Hyèle, appelée ensuite Élée, colonie phénicienne, sa patrie, ville simple, et seulement habituée à produire des gens de bien, à la magnificence d’Athènes : au lieu d’aller habiter Athènes, il demeura toute sa vie à Élée. Il est le premier à avoir employé l’argument d’Achille, quoique Phavorinos attribue le fait à Parménide et à quelques autres.

Voici ses théories : Il y a plusieurs mondes. Le vide n’existe pas. La nature de tous les êtres est issue du chaud et du froid, du sec et de l’humide, qui se transforment mutuellement. Les hommes sont nés de la terre et l’âme est composée par parties égales des éléments précités. On raconte qu’il ne pouvait supporter les injures et qu’il répondait à qui lui en faisait la remarque : « Si je n’agissais pas ainsi, comment serais-je sensible aux éloges ? »

Il y a eu huit Zénon, je l’ai dit dans la vie de Zénon de Citium ; Zénon d’Élée avait quarante ans vers la soixante-dix-neuvième olympiade[2].


[1] Cf. Platon (Phèdre, 261 d). Palamède, héros grec qui se distingua au siège de Troie, fils de Nauplius, roi de l'île d'Eubée.
[2] Vers 460.