DIOGÈNE LAËRCE

ARISTOTE

Traduction Robert Genaille, 1933

Aristote[1], fils de Nicomaque et de Phestias, était originaire de Stagire[2]. Son père Nicomaque était fils d’un Nicomaque, lui-même fils de Machaon et descendant d’Esculape (cf. Hermippe, Livre sur Aristote). Ce Nicomaque fut estimé par Amintas, roi de Macédoine, auprès duquel il vécut, pour sa connaissance de la médecine. Aristote fut le plus célèbre des disciples de Platon. Il était un peu bègue (cf. Timothée d’Athènes, Vies). Très maigre de jambes, dit-on, il avait de petits yeux, aimait les beaux vêtements et se rasait le visage. Il eut un fils Nicomaque de sa courtisane Herpyllis (cf. Timothée). Il quitta Platon du vivant de celui-ci, ce qui fit dire à Platon qu’Aristote l’avait frappé du talon comme un poulain qui donne une ruade à sa mère. Quand Aristote alla comme ambassadeur d’Athènes auprès de Philippe, Xénocrate prit la direction de la secte académique (cf. Hermippe, Vie d’Aristote). A son retour, Aristote, voyant la place prise, choisit dans le Lykéion[3] un lieu de promenade pour y philosopher avec ses disciples en se promenant. D’où son école prit le nom de péripatéticienne[4]. D’autres veulent voir l’origine du nom dans le fait qu’il se promenait en s’entretenant avec Alexandre qui sortait de maladie. Quand il commença à avoir déjà un grand nombre d’auditeurs, il donna son enseignement assis en disant :

Il serait honteux de me taire et de laisser parler Xénocrate.

Il exerçait ses élèves à discuter une question proposée, et leur apprenait par surcroît la rhétorique. Plus tard il alla voir l’eunuque Hermias, qui était tyran d’Atarnée[5]. On veut qu’Hermias ait été son mignon, mais d’autres affirment qu’il était devenu son parent pour avoir épousé sa fille ou sa nièce (cf. Démétrios de Magnésie, Livre des Poètes et Ecrivains homonymes). Démétrios dit encore que cet Hermias fut esclave d’Eubule, originaire de Bithynie et assassin de son maître. Aristippe, d’autre part, au premier livre de ses Plaisirs des Anciens, dit qu’Aristote s’éprit de la concubine d’Hermias, qu’avec la permission de celui-là, il l’épousa, et qu’il en fut tellement heureux qu’il lui offrit des sacrifices comme faisaient les Athéniens pour Déméter d’Eleusis, et qu’il écrivit pour Hermias un péan[6], que je transcrirai plus loin.

Après tout cela il passa en Macédoine à la cour de Philippe, qui lui donna pour disciple son fils Alexandre[7]. Il demanda à ce prince de relever sa patrie détruite par Philippe, et obtint gain de cause. Il fit des lois pour ses compatriotes. A l’imitation de Xénocrate, il réglementa aussi son école, décidant qu’un chef d’école serait nommé tous les dix jours. Quand il estima avoir passé assez de temps dans la compagnie d’Alexandre, Aristote revint à Athènes, après avoir recommandé au prince son parent Callisthène d’Olynthe. Au sujet de ce personnage, on dit qu’Aristote le blâma d’user envers le roi d’une trop grande liberté de langage, et que, comme Callisthène ne voulait pas suivre son conseil, il le reprit en ces termes :

Tu mourras tôt, mon fils, si tu dis de telles choses.

Ce qui arriva en effet. Il fut convaincu d’avoir pris part à la conjuration d’Hermolaos contre Alexandre, enfermé dans une cage de fer, abandonné à la vermine, et finalement exposé aux lions qui l’achevèrent.

Aristote donc revint à Athènes, dirigea son école pendant treize ans, puis s’en alla en secret à Chalcis, parce qu’il était accusé d’impiété par l’hiérophante Eurymédon ou par Démophile (cf. Phavorinos, Mélanges historiques) en raison d’un hymne qu’il composa sur Hermias, et d’une épigramme qu’il avait écrite sur une statue de Delphes, et que voici :

L’homme que voilà, d’une façon impie, et en violation de la justice divine,

Fut tué par le roi des Perses qui portent l’arc ;

Il ne fut pas vaincu ouvertement à la lance dans un combat meurtrier

Mais par une ruse perfide et par la mauvaise foi.

C’est en ce pays qu’il mourut, dit-on, après avoir bu de la ciguë (cf. Eumélos, Histoires, liv. V), à l’âge de soixante-dix ans. Le même auteur prétend qu’il fut élève de Platon quand il eut trente ans, mais il se trompe, car il fut élève de Platon dès l’âge de dix-sept ans et vécut soixante-trois ans. Quant à l’hymne, le voici :

Vertu si difficile à acquérir,

Le plus beau gibier qu’un homme puisse convoiter,

Tu es belle, ô jeune fille,

Et c’est un sort envié dans la Grèce que mourir pour toi,

Et souffrir sans relâche les plus grands maux,

Tant tu mets dans les esprits

Un fruit immortel supérieur à l’or,

Aux parents et au doux sommeil.

C’est pour toi qu’Hercule et les fils de Léda

Ont supporté tant d’épreuves

En désirant te conquérir,

C’est par désir de toi qu’Achille

Et Ajax aux demeures d’Adès

Sont venus, et c’est encore par amour

Pour ta beauté qu’un citoyen d’Atarné a perdu la vie,

Et c’est pourquoi il est illustre

Et sera immortalisé par les Muses,

Filles de Mnémosyne,

Qui exaltent la race, l’amitié, la gloire du puissant Zeus hospitalier.

J’ai écrit sur Aristote les vers suivants :

Aristote fut un jour accusé d’impiété

Par Eurymédon, prêtre de Déméter, déesse des mystères.

En buvant la ciguë,

Il lui échappa : c’était là

Se débarrasser d’injustes calomnies avec une peine exiguë[8].

Phavorinos (Mélanges historiques) dit qu’Aristote fit son premier plaidoyer pour lui-même à l’occasion de ce procès d’impiété, et qu’il dit aux Athéniens :

La poire vient sur le poirier et la figue sur le figuier.

Apollodore[9] d’autre part écrit dans ses Chroniques qu’il naquit la première année de la quatre-vingt-dix-neuvième olympiade[10], qu’il vint trouver Platon à dix-sept ans et demeura vingt ans chez lui, qu’il revint à Mitylène sous l’archontat d’Eubule, la quatrième année de la cent-huitième olympiade[11], que, Platon étant mort la première année de cette même olympiade sous l’archontat de Théophile, Aristote s’en alla trouver Hermias et vécut trois ans chez lui, que sous l’archontat de Pythodote, il alla chez Philippe, la deuxième année de la cent-neuvième olympiade[12], et qu’il resta treize ans chef d’école au Lycée, qu’il alla ensuite à Chalcis, la troisième année de la cent-quatorzième olympiade[13], et qu’il mourut de maladie à environ soixante-trois ans, en même temps que Démosthène mourait en Calaurie, sous l’archontat de Phitoclès[14].

On dit encore qu’à cause de la faction de Callisthène contre Alexandre, il mécontenta ce roi, qui pour lui faire de la peine combla d’honneurs Anaximène, et envoya des présents à Xénocrate. Théocrite de Chios[15] l’a raillé dans une épigramme (cf. Ambryon, Livre sur Théocrite) :

De l’eunuque Hermias, esclave d’Eubule,

Aristote à l’esprit vide a élevé le tombeau vide

(Comme il était entripaillé, il a choisi pour demeure,

Au lieu de l’Académie, l’embouchure du Bourbier).

Timon, naturellement, s’attaque aussi à lui :

Ni la légèreté et la sottise d’Aristote.

Voilà donc quelle fut la vie de ce philosophe. J’ai eu la chance aussi de lire son testament, dont voici la teneur :

« Tout sera bien. Mais s’il arrive un malheur, voici les dernières dispositions d’Aristote. Antipater sera en tout mon exécuteur testamentaire. Jusqu’à la majorité de Nicanor, Aristomène, Timarque, Hipparque, Diotelès, Théophraste, s’ils veulent bien accepter cette charge, seront tuteurs et curateurs de mes enfants, d’Herphyllis et de tous mes biens.

Quand ma fille aura l’âge requis, qu’on la donne en mariage à Nicanor — s’il arrive malheur à ma fille ; ce qu’aux dieux ne plaise — avant son mariage ou après son mariage, avant qu’elle ait des enfants, Nicanor sera maître de décider et de mon fils et de mon bien comme il lui semblera digne de lui et de moi. Nicanor prendra soin de ma fille et de mon fils Nicomaque, et veillera à ne les laisser manquer de rien, se conduisant pour eux comme un père et un frère. S’il arrive quelque chose à Nicanor auparavant — ce que je ne souhaite pas — soit avant soit après son mariage avec ma fille, avant d’avoir des enfants, toutes ses décisions seront exécutoires, et si même il désire que Théophraste vive avec ma fille, que ce soit comme pour Nicanor. Sinon, les tuteurs délibérant avec Antipater décideront pour ma fille et mon fils ce qui leur paraîtra le meilleur. Les tuteurs et Nicanor se rappelleront aussi les rapports qu’Herphyllis eut avec moi, et comme elle me fut fidèle, et si elle veut prendre un mari, ils veilleront à ne pas la donner à un homme indigne de moi.

« On lui donnera, outre ce que je lui ai déjà donné, un talent d’argent pris sur mon héritage, trois esclaves si elle le veut, la petite esclave qu’elle a déjà, et le petit Pyrraios, et si elle veut habiter à Chalcis, on lui donnera le logement qui tient au jardin ; si elle préfère Stagire, on lui laissera la maison de mes parents. De toute façon, les tuteurs meubleront sa maison de la façon qui leur paraîtra la meilleure et qui plaira à Herphyllis. Nicanor prendra soin encore de reconduire convenablement chez ses parents mon mignon Myrmex, avec tous les dons que j’ai reçus de lui. On affranchira Ambracis, et on lui donnera, quand ma fille se mariera, cinq cents drachmes et la petite fille qu’elle a pour servante. On donnera aussi à Thalé, outre sa fillette qu’elle a achetée, mille drachmes et une petite esclave. A Simon, outre l’argent que je lui ai déjà donné pour avoir un esclave, on achètera un autre esclave, et on donnera d’autre argent. On affranchira Tychon le jour du mariage de ma fille, et avec lui Philon et Olympios et son mignon. On ne vendra aucun des enfants qui étaient à mon service, je le défends, mais on les gardera, et quand ils auront l’âge, on les libérera pour récompense. On prendra bien soin aussi des statues que j’ai commandées à Gryllion, et quand elles seront faites, on les consacrera. Ce sont celles de Nicanor, de Proxénos, que j’avais l’intention de faire faire, et celle de la mère de Nicanor. Celle d’Arimnestos, qui est achevée, sera consacrée pour que son souvenir ne soit pas perdu, puisqu’il est mort sans enfants. L’image de ma mère, on la placera dans le temple de Déméter à Némée ou en tel endroit qu’on préférera. En tout cas, au lieu où on aura élevé son tombeau, qu’on place aussi ses ossements, comme elle l’a demandé. Enfin Nicanor, en souvenir de son salut, consacrera, selon le voeu que j’ai fait pour lui, des statues de pierre de quatre coudées à Zeus sauveur et à Athéna salvatrice à Stagire. »

Voilà la teneur de son testament. On dit encore qu’on trouva chez lui de nombreux vases de cuivre et Lycon déclare qu’il se lavait dans une baignoire pleine d’huile chaude et qu’il vendait l’huile après cela. Quelques-uns ajoutent qu’il se mettait sur la poitrine une petite outre d’huile chaude et que, lorsqu’il s’endormait, il prenait dans sa main une boule de bronze et la tenait au-dessus d’un bassin, afin que la boule, en tombant dans le bassin, fit un bruit qui pût le réveiller.

On lui attribue de bien belles sentences, les voici : On lui demandait ce qu’on gagnait à mentir : « De ne pas être cru lorsqu’on vient à dire la vérité. » On lui reprochait d’avoir eu pitié d’un coquin. Il répondit qu’il avait songé à l’homme et non à ses moeurs. Il aimait à dire sans cesse à ses amis et à ses disciples, en quelque lieu qu’il les rencontrât, que la vue tire sa lumière de l’air environnant, et l’âme de la science. Souvent il s’indignait contre les Athéniens et disait : « Ils ont inventé le blé et les lois, mais s’ils usent du blé, ils négligent les lois. » « L’éducation, disait-il, a des racines amères, mais ses fruits sont bien doux. » On lui demandait : « Qui vieillit vite ? » — « La reconnaissance. » — « Qu’est-ce que l’espérance ? » — « Le rêve d’un homme éveillé. » Diogène lui donna un jour des figues sèches, ayant l’intention, si Aristote les refusait, de lui asséner une raillerie. Mais Aristote les prit de bonne grâce, et dit à Diogène qu’il avait perdu à la fois ses figues et son bon mot. Diogène lui en offrit de nouveau. Aristote prit la figue, la leva en l’air et lui dit comme les enfants : « Diogène est grand. » Puis il la lui rendit. Il affirmait que trois choses étaient nécessaires à l’éducation : un bon naturel, un bon enseignement, du travail. Apprenant qu’un homme l’avait injurié, il répondit : « Il peut bien me battre aussi, du moment que je suis absent. » Il prétendait que la beauté était un appui préférable à toutes les lettres de recommandation. Plusieurs auteurs disent toutefois que le mot est de Diogène, qu’Aristote faisait de la beauté un don des dieux, que Socrate en faisait un tyran de courte durée, Platon un privilège de la nature, Théophraste une muette tromperie, Théocrite un mal d’ivoire, et Carnéade une royauté sans gardes armés. On lui demandait : « Quelle différence y a-t-il entre les savants et les ignorants ? » — « Celle qu’il y a entre les vivants et les morts. » « La science, disait-il, sert d’ornement dans la bonne fortune, de refuge dans la mauvaise. » « Les parents qui font instruire leurs enfants sont plus estimables que ceux qui se contentent de leur donner la vie, car les seconds ne donnent que les moyens de vivre, et les premiers donnent les moyens de bien vivre. » Un homme se glorifiait devant lui d’être originaire d’une grande ville : « Ce n’est pas cela qu’il faut considérer, dit-il, mais bien si l’on est digne d’être d’une grande ville. » On lui demandait : « Qu’est-ce qu’un ami ? » — « Une seule âme en deux corps. » Il disait que parmi les hommes, les uns étaient économes comme s’ils devaient vivre toujours, les autres prodigues comme s’ils devaient mourir sur l’heure. Quelqu’un voulait savoir pourquoi on fréquentait plus volontiers ceux qui sont beaux. « C’est là, dit-il, une question d’aveugle. » On lui demandait : « Quel avantage tirez-vous de la philosophie ? » — « Celui de faire sans contrainte et de moi-même ce que les autres font par peur des lois[16]. » « Comment les élèves peuvent-ils faire des progrès ? » — « Quand ceux qui sont les plus avancés ne s’attardent pas à attendre les autres. » A un bavard qui lui demandait, après lui avoir bien rompu la tête, s’il ne l’avait pas gêné par son bavardage, il répondit : « Mon Dieu, non, car je ne vous ai pas écouté ! » On lui reprochait d’avoir fait l’aumône à un coquin : il répondit (car on rapporte le fait aussi de cette façon[17]) : « Ce n’est pas à l’individu que j’ai donné, mais à l’homme. » On lui demandait comment il fallait se conduire avec ses amis : « Comme nous voudrions les voir se conduire envers nous. » Il définissait la justice, une vertu de l’âme qui fait donner à chacun selon son mérite[18]. Il affirmait que l’étude était le meilleur viatique pour parvenir à la vieillesse. Phavorinos dit enfin (Mémoires, liv. Il) qu’il aimait à s’écrier : « O mes amis, il n’y a pas d’ami (véritable). » Et l’on peut lire cette phrase en effet dans le septième livre de l’Ethique.

Aristote a écrit une très grande quantité d’ouvrages[19] dont j’ai jugé bon de dresser la liste à cause de l’excellence de cet homme en tous genres de discours. Ce sont[20] :

Sur la Justice (quatre livres), sur les Poètes (trois), sur la Philosophie (trois), la Politique (deux), Gryllos ou de la Rhétorique[21], Nérinthos, le Sophiste, Ménéxène, de l’Amour, le Banquet, sur la Richesse, le Protreptique, de l’Ame, de la Prière, de la Noblesse, du Plaisir, l’Alexandre ou sur les Colons, sur la Royauté, sur l’Education, sur le Bien (trois), les Lois de Platon (trois), sur la Constitution (deux), l’Economique, de l’Amitié, de la Patience, des Sciences, de la Dispute, Solutions des sujets de discussion (quatre), Divisions sophistiques (quatre), des Contraires, des Idées et des Genres, du Particulier, des Mémoires argumentatifs (trois), Propositions sur la Vertu (trois), Objections, des Choses qui se disent de plusieurs façons ou de la Prothèse, de la Colère, Ethique (cinq), des Eléments (trois), de la Science, du Principe, Divisions (dix-sept livres), des Choses divisibles, de la Demande et de la Réponse (deux), du Mouvement (deux), Propositions, Propositions contentieuses (quatre), Syllogismes, Premiers discours analytiques (huit), Grands discours analytiques postérieurs (deux), des Sujets de controverse, de la Méthode (huit), du Meilleur, de l’idée, Définitions avant les topiques (sept)[22], Syllogismes (deux), Syllogistique et Définitions, de l’Éligible et de l’Accident, de ce qui vient avant les topiques, Topique avant les définitions (deux), des Passions, des Choses divisibles, la Mathématique, Définitions (treize), de l’Argumentation (deux), du Plaisir, Propositions, du Volontaire, du Beau, vingt-cinq argumentations, Propositions sur l’Amour (quatre), sur l’Amitié (deux), sur l’Ame, questions politiques (deux), lectures politiques comme celles de Théophraste (huit), sur les Choses justes (deux), Abrégé des Arts (deux), de la Rhétorique (deux), l’Art, un autre Art (deux), Traité de la Méthode, Introduction à l’Art de Théodecte, Travaux sur la poétique (deux)[23], Réflexions sur la Rhétorique, de la Grandeur, Division des réflexions, de la Diction (deux), du Conseil, de la Conclusion (deux), de la Nature (trois), Physique, Philosophie d’Archytas (trois), sur celle de Speusippe et de Xénocrate, Extraits de Tymée et d’Archytas, contre Mélissos, contre Alcméon, contre Pythagore, contre Gorgias, contre Xénophane, contre Zenon, de la Doctrine pythagoricienne, des Êtres vivants (neuf), des Dissections (huit), Choix de dissections, des Animaux composés, des Animaux de la fable, des Plantes (deux), Physiognomonique, Art de la médecine (deux), de la Monade, des Signes des tempêtes, Astronomie, Optique (du mouvement), de la Musique, Traité de la Mémoire, des Ambiguïtés homériques (six), Poétique, des Choses naturelles concernant les éléments (trente-huit), Réflexions nouvelles (deux), des Arts libéraux (deux), Mécanique, Réflexions tirées de Démocrite (deux), de la Pierre[24], Paraboles, Mélanges (douze), Expositions par genres (quatorze), Jugements, Olympioniques, Musique pythonique, Pythique, Argument des jeux pythiques, Victoires dionysiaques, des Tragédies, Didascalies, Proverbes, de la Force de la loi, des Lois (quatre) Catégories, de l’Interprétation, des Constitutions des villes (cent cinquante-huit) et en particulier des constitutions démocratiques, oligarchiques, aristocratiques et tyranniques. Lettres à Philippe, Lettres des Sélembriens, quatre Lettres à Alexandre, neuf à Antipater, une à Mentor, une à Ariston, une à Olympias, une à Héphestion, une à Thémistagoras, une à Philoxène, une à Démocrite, des vers qui commencent ainsi :

Dieu pur, toi l’aîné, qui lances au loin tes traits,

une élégie qui commence ainsi : « Fille d’une mère très belle », au total quarante-quatre mille lignes plus cinq mille deux cent soixante-dix[25].

Voilà exactement tout ce que cet homme a écrit. On peut diviser tout cet ensemble en deux genres de philosophie : une philosophie pratique, une philosophie théorique. La philosophie pratique comprend l’Éthique et la Politique, dans lesquelles on traite ce qui concerne les villes et les foyers : la théorique comprend la physique et la logique, celle-ci n’étant pas une branche à part, mais un moyen très exact de comprendre les autres.

Il donne à cette science deux fins qui sont de faire clairement la différence entre le vraisemblable et le vrai. Pour éclaircir chaque point, il s’est servi de deux méthodes : la dialectique et la rhétorique pour le vraisemblable, l’analytique et la philosophie pour le vrai, ne passant rien de ce qui pouvait servir soit à l’invention, soit au jugement, soit à l’usage. Car pour l’invention, il a donné les lieux communs et la méthode comme une foule de propositions d’après lesquelles on pût trouver des arguments probables aux questions posées ; pour le jugement, il a donné les premiers et seconds jugements analytiques. Par le moyen des premiers, on peut juger la valeur des prémisses, et par les seconds, on éprouve les conclusions. Enfin, pour le simple usage, il a donné les discours agonistiques, les discussions sur les questions posées, et ce qui concerne les preuves sophistiques, les syllogismes, etc. Il a donné comme critère de la vérité, la notion des actes résultant de l’imagination, et pour l’éthique, il l’a définie comme le sens des choses concernant la cité, le foyer, et les lois.

Il a posé en principe qu’il n’y avait qu’une fin : la pratique de la vertu dans une vie parfaite, et déclaré que le bonheur résultait de la réunion de trois biens : ceux de l’âme, qu’il estime le plus, ceux du corps : la santé, la force, la beauté, etc., ceux du monde : la richesse, la noblesse, la gloire, etc.

Il estime que la vertu ne suffit pas à assurer le bonheur, puisqu’il faut lui ajouter les biens du corps et les biens du monde, de sorte que le sage peut parfaitement être malheureux s’il souffre ou s’il est dans l’indigence, ou s’il a quelque mal semblable. Par contre, dit-il, la méchanceté suffit à rendre malheureux, aurait-on par ailleurs tous les biens possibles du corps ou du monde. Il tient encore que les vertus ne sont pas liées entre elles, et qu’il peut fort bien arriver qu’un homme sage et juste soit pourtant en même temps intempérant et incontinent. De même, le sage n’est pas un homme qui n’a pas de passions, mais un homme qui a des passions mesurées[26].

Il définit l’amitié : une bienveillance mutuelle, et la fait naître soit de la parenté, soit de l’amour, soit de l’hospitalité. Aimer, c’est philosopher autant que vivre ensemble. Le sage pourra tout comme un autre aimer, prendre part aux affaires, se marier et fréquenter les souverains. Il y a trois sortes de vies, dit-il, la vie contemplative, la vie active, la vie affective. Il estime que les arts libéraux ne sont pas sans effet pour l’acquisition de la vertu[27].

Dans ses traités d’histoire naturelle, il s’est préoccupé des causes au point d’expliquer même celles des plus petites choses. Ceci explique le nombre de ses volumes d’histoire naturelle.

Il fait de Dieu, comme Platon, un être incorporel dont l’esprit s’étend aux corps célestes, et qui ignore le mouvement. Les corps terrestres lui paraissent régis par les mêmes lois que les corps célestes, et aux quatre éléments, il ajoute un cinquième, l’éther, dont le mouvement circulaire est différent de celui des autres. L’âme est, elle aussi, incorporelle, elle est la première entéléchie. Le corps est naturel, organique, et a sa vie en puissance.

(Ce qu’il appelle entéléchie ou perfection et dont la forme est immatérielle, est de deux sortes. Il y a une perfection en puissance : celle de l’Hermès que l’on peut modeler dans la cire et qui est susceptible d’avoir toutes sortes de formes, ou de la statue qui sortira du bronze. Il y en a une autre en état (en fait) comme celle de cet Hermès ou de cette statue achevée[28].)

Il donne au corps les noms de naturel, parce qu’il y a des corps qui sont l’oeuvre de l’homme, comme les ouvrages des artistes, tours et navires, et d’autres qui viennent de la nature, comme ceux des animaux et des plantes ; d’organique, c’est-à-dire d’ordonné et composé en vue d’une fin, comme la vue pour voir et l’ouïe pour entendre, et d’ayant vie en puissance, c’est-à-dire en lui-même.

(Ce qu’il appelle la puissance est double : celle en repos, et celle en action, par exemple en action quand on dit qu’un homme éveillé a une âme ; en repos quand on le dit d’un homme qui dort[29].)

Afin donc que le corps rentrât dans cette définition, il a ajouté le mot de puissance. Il a démontré encore bien des choses sur beaucoup de questions, mais il serait trop long de les énumérer[30]. Car il a travaillé dans toutes les questions, et il a été d’une fertilité d’invention étonnante, comme on peut le voir par les écrits que j’ai énumérés plus haut, qui sont au nombre d’environ quatre cents, et qui ne sont nullement discutés. Car on lui attribue bien d’autres ouvrages encore, et des sentences et des mots d’esprit, qui n’ont pas été conservés par écrit.

Il y eut dix Aristote : le premier est notre philosophe ; le second gouverna à Athènes, et on lui attribue d’agréables discours judiciaires ; le troisième a écrit sur l’Iliade ; le quatrième est un orateur siciliote qui fit un écrit contre le Panégyrique d’Isocrate ; le cinquième, surnommé Mythos, était un ami d’Eschine, le disciple de Socrate ; le sixième était de Cyrène et fit un art poétique ; le septième était pédotribe[31], et Aristoxène fait mention de lui dans sa Vie de Platon ; le huitième fut un obscur grammairien qui fit un traité sur le pléonasme.

Quant à notre philosophe de Stagire, il eut beaucoup de disciples, parmi lesquels le plus brillant fut Théophraste, dont il nous faut maintenant parler.


[1] Né vers ~ 384- ~ 383, il apparaît dans le Parménide de Platon.
[2] Ville de Chalcidique de Thrace. M. Robin (op. cit., p. 288) fait remarquer qu’Aristote n’est pas un Macédonien. Stagire était en effet une vieille colonie ionienne, et par sa mère Aristote est originaire de Chalcis, en Eubée.
[3] Gymnase situé près du temple d’Apollon Lykéios, au pied du mont Lycabette, au nord-est de la ville. L’édifice, bâti sous les Pisistratides, fut agrandi par Périclès.
[4] C’est du mot grec péripaton (lieu de promenade) qu’est venu le terme de péripatéticien. Le texte donné par Cobet contient les deux mots méchri alleimatos, que Cobet traduit sans commentaire : usque ad unctionem (jusqu’à l’onction). Le sens n’est pas clair. Est-ce : « jusqu’à en être en sueur » ou « jusqu’au moment où il allait se frotter d’huile pour entrer au gymnase » ?
[5] Ville de Mysie.
[6] Poème lyrique, d’un caractère joyeux et laudatif, écrit en l’honneur d’un dieu.
[7] Alexandre avait alors 13 ans. Aristote resta auprès de lui entre ~343 et ~335.
[8] Jeu de mots sur akonitov et akoniti, que j’ai essayé de rendre par une assonance.
[9] Nouvel exemple du manque de méthode critique de l’auteur, qui cite ses sources l’une après l’autre sans les classer.
[10] Vers 384.
[11] Vers 344.
[12] Vers 342.
[13] Vers 334.
[14] Vers 321. Démosthène, proscrit en ~322, quand Athènes, après la guerre lamiaque, perdit son indépendance, se réfugia dans le sanctuaire de Poséidon à Calaurie. Il s’y suicida, dit-on, au moment d’être arrêté par les Macédoniens.
[15] Il ne faut pas confondre Théocrite de Chios, cité ici, avec le poète alexandrin Théocrite de Cos. A ce propos, cf. Théocrite (Épigrammes, 26, édit. Garnier, trad. Chambry, page 150). Théocrite écrit : « Il y a un autre Théocrite, qui est de Chios, mais moi, le Théocrite qui a composé ce livre, je suis un des nombreux citoyens de Syracuse, fils de Proxagoras et de l’illustre Philina. » Cf. encore note de Chambry (page 235) : « Cet autre Théocrite est un historien et un rhéteur qui vivait au temps d’Alexandre le Grand. »
[16] Cette pensée est attribuée par D.L. à Platon et aux sages.
[17] Reprise sous une autre forme de la première des sentences d’Aristote rapportées par D.L.
[18] C’est la théorie de la justice distributive.
[19] On trouvera dans Robin (pages 289 sqq.) l’histoire des écrits d’Aristote et la discussion du récit légendaire donné par Strabon et Plutarque, selon lequel Théophraste aurait légué sa bibliothèque contenant les manuscrits d’Aristote à Nélée son condisciple. Les manuscrits furent ensuite cachés et abîmés, puis vendus beaucoup plus tard à Apellicon de Téos, qui les fit éditer tels quels. L’édition aurait été reprise à Rome par le bibliothécaire de Cicéron, qui les aurait obtenus de Sylla après la guerre de Mithridate.
[20] D.L. indique pour chaque ouvrage le nombre de livres. Pour clarifier et simplifier cette énumération utile, mais fastidieuse, je n’ai donné cette indication que pour les ouvrages en plusieurs livres. Il est bien entendu que là où il n’y a pas d’indication, c’est que l’ouvrage ne comporte qu’un seul livre.
[21] Le Gryllos, dont nous n’avons que des fragments, paraît un dialogue du genre platonicien.
[22] Les Topiques sont des ouvrages sur la science des lieux communs.
[23] Ces pragmateiai (travaux) paraissent avoir été des cours ou des sommaires rédigés par Aristote et distribués aux élèves pour l’intelligence des leçons. Ce sont ces cours qui nous sont parvenus et non pas les écrits littéraires d’Aristote.
[24] Il s’agit de l’aimantation et de la pierre de magnésie.
[25] Indication sujette à caution.
[26] Cette notion de mesure est essentielle. Le sage est avant tout un homme qui calcule et réfléchit.
[27] Théories contraires à celles d’Épicure (cf. livre X).
[28] C’est la distinction entre entelecheia kata dunamin (en puissance) et kath’exin (réalisée).
[29] Distinction entre kath’exin (en repos) et kat’energeian (en action).
[30] Cette phrase est un aveu d’impuissance. On est en effet étonné de la pauvreté de cet exposé de la doctrine d’Aristote, si importante dans l’histoire de la pensée grecque.
[31] C’est le maître de gymnastique dirigeant la palestre, terrain où se faisaient les exercices.