DIOGÈNE LAËRCE

STRATON

Traduction Robert Genaille, 1933

Le chef de l’école aristotélicienne fut ensuite Straton de Lampsaque[1], fils d’Arcésilas, dont j’ai parlé à propos du testament de Théophraste[2]. Ce fut un homme fort illustre, et surnommé le Physicien pour s’être attaché à cette étude d’une façon toute particulière. Il fut précepteur de Ptolémée Philadelphe[3], et reçut de lui, dit-on, quatre-vingts talents[4]. Il commença à diriger l’école (cf. Apollodore, Chroniques) pendant la cent vingt-troisième olympiade[5], et resta à ce poste pendant dix-huit ans. On lui attribue trois livres sur la Royauté, trois sur la Justice, trois sur le Bien, trois sur les Dieux, trois sur le Pouvoir, des Biographies, des ouvrages sur le Bonheur, le Roi philosophe, le Courage, le Vide, le Ciel, le Vent, la Nature humaine, la Génération des animaux, le Coït, le Sommeil, les Rêves, la Vue, les Sensations, le Plaisir, les Couleurs, les Maladies, le Jugement, les Forces, les Machines métalliques, la Faim et l’Etourdissement, le Léger et le Lourd, l’Enthousiasme, le Temps, la Nourriture et la Croissance, les Animaux qui font l’objet de discussions, les Animaux de la Fable, les Causes, la Solution des cas douteux, les Principes, des Topiques, l’Accident, la Définition, le Plus et le Moins, l’Injuste, l’Avant et l’Après, le Premier genre, le Propre, l’Avenir, deux Preuves d’Invention, et des Commentaires dont l’attribution est discutée. On ajoute des Lettres qui commencent ainsi : «  Straton à Arsinoé, salut.  »

On dit de lui qu’il était si maigre qu’il mourut sans s’en rendre compte, si bien que j’ai écrit sur lui cette épigramme :

Il y avait un homme au corps amaigri, écoute-moi bien, par des frictions :

C’est Straton que je veux dire,

Qui naquit un jour à Lampsaque.

Toujours luttant contre la maladie,

Il mourut à son insu sans s’en douter.

Il y eut huit Straton : un disciple d’Isocrate, celui dont je parle, un médecin disciple d’Érasistrate, ou selon quelques auteurs son pupille, un historien qui écrivit les actes de Philippe et de Persée qui combattirent contre les Romains[6] ; le sixième fut un poète d’épigrammes, le septième un médecin antique, au dire d’Aristote, et le huitième un Péripatéticien qui vécut à Alexandrie.

Pour en revenir au physicien, on connaît de lui un testament rédigé ainsi :  « Voici mes dernières dispositions en cas de malheur : Je laisse tout ce qu’il y a dans ma maison à Lampurion et Arcésilas. Sur l’argent que j’ai à Athènes, les exécuteurs testamentaires prendront les frais de mon enterrement et des cérémonies en usage après l’enterrement, sans prodigalité ni avarice. Voici la liste de mes exécuteurs testamentaires :

Olympichos, Aristide, Mnésigène, Hippocrate, Épicrate, Gorgyle, Dioclès, Lycon, Athanès. Je laisse la direction de mon école à Lycon, puisque les autres sont trop vieux ou trop occupés. Les autres pourtant agiraient bien, s’ils l’aidaient dans cette tâche. Je lègue encore à Lycon tous mes livres, sauf ceux dont je suis l’auteur, et tout ce qui sert aux repas, savoir les tapis et étoffes et la vaisselle. Les exécuteurs donneront à Épicrate cinq cents drachmes et un de mes esclaves au choix d’Arcésilas. Et pour commencer, Arcésilas et Lampurion déchireront le traité fait par Daïppos pour lraios, et celui-ci ne devra rien ni à Lampurion, ni à ses héritiers, car je le tiens quitte de toute dette. Même les exécuteurs lui donneront cinq cents drachmes d’argent et un de mes esclaves, au choix d’Arcésilas, afin que cet homme, qui a beaucoup peiné pour moi et qui m’a rendu bien service, ait de quoi vivre honnêtement. J’affranchis Diophante, Dioclès et Abous. Je rends Simias à Arcésilas, et j’affranchis Dromon. Quand Arcésilas sera arrivé, lraios fera avec Olympicos, Épicrate et les autres exécuteurs testamentaires, le compte de la dépense nécessaire pour les funérailles et toutes les cérémonies d’usage. L’argent inemployé, ‎Arcésilas le redemandera à Olympicos sans lui faire aucune avanie à aucun moment. Arcésilas déchirera encore la convention passée entre Straton, Olympicos et Aminias, convention qui est entre les mains de Philocrate, fils de Tisamène. Enfin Arcésilas, Olympicos et Lycon m’élèveront un tombeau convenable.  »

Voilà donc la teneur du testament qui lui est attribué, tel que l’a conservé Ariston de Chios. Ce Straton fut donc, je le répète, un homme digne de la plus grande estime, excellent en tous genres d’études, et spécialement dans l’étude de la physique, genre le plus ancien et le plus souvent traité[7].


[1] Ville d’Asie Mineure proche du détroit du Bosphore, colonie éolienne qui se trouvait entre les deux villes ioniennes de Cyzique et d’Abydos, au sud-ouest de Byzance.
[2] Il y est cité comme exécuteur testamentaire.
[3] Successeur de Ptolémée Sôter en ~285. Une autre tradition lui donne pour précepteur Philétas de Cos, poète et grammairien.
[4] Environ 480000 francs-or.
[5] Vers ~304.
[6] Lacune. Il manque l’indication du cinquième Straton.
[7] Il a été en effet surnommé le Physicien, et D.L. l’a ainsi appelé au début de sa biographie. M. Robin (op. cit., p. 374) dit que son influence paraît avoir été grande dans le domaine technique de la mécanique, de l’astronomie et de la médecine.