DIOGÈNE LAËRCE

PLATON (Platon)

Traduction Robert Genaille, 1933

Platon[1], fils d’Ariston et de Périctioné (ou de Potoné), était Athénien. Sa mère remontait par sa famille jusqu’à Solon. Solon avait en effet pour frère Dropidès, qui engendra Critias, d’où descendirent successivement Callaischros, puis Critias, qui fut un des Trente[2], et Glaucon, puis Charmide et Périctioné, laquelle de son union avec Ariston enfanta Platon, de la sixième génération depuis Solon. Quant à Solon, il descendait de Nélée et de Poséidon, et l’on dit même que le père de Platon, de son côté, descendait de Codrus[3], fils de Mélanthos, lesquels, au témoignage de Thrasylos l’historien, descendaient de Poséidon.

Speusippe dans son ouvrage intitulé le Banquet de Platon, Cléarque dans son Eloge de Platon et Anaxilédès dans le second livre de son Traité des philosophes rapportent une histoire qui courait à Athènes : quand Périctioné fut nubile, Ariston voulut la violer, mais ne put y parvenir ; ayant cessé ses violences, il vit le visage d’Apollon, dont l’intervention conserva Périctioné vierge jusqu’à son accouchement. Platon naquit (cf. Apollodore, Chroniques) la quatre-vingt-huitième olympiade[4], le sept mai, jour anniversaire de la naissance d’Apollon[5] à Delphes. Il mourut, dit Hermippe, dans un repas de noces, la première année de la cent-huitième olympiade[6], à l’âge de quatre-vingt et un ans. Néanthe toutefois dit qu’il mourut à l’âge de quatre-vingt-quatre ans. Il est donc de six ans plus jeune qu’Isocrate[7]. Ce dernier naquit en effet sous l’archontat de Lysimaque, et Platon sous l’archontat d’Aminias, vers le temps de la mort de Périclès. Il était du dème de Collytès (cf. Antiléon, Temps, livre II). Il naquit selon certains auteurs à Égine, dans la maison de Phidiadas, fils de Thaïes (cf. Phavorinos, Mélanges historiques). Son père avait été envoyé avec d’autres comme colon. Il rentra à Athènes lorsque les colons furent chassés par les Spartiates venus aider les Éginètes. Il fut encore chorège[8] à Athènes, grâce aux largesses de Dion, comme l’a dit Athénodore (Promenades, livre VIII). Platon avait deux frères, Adimante et Glaucon[9], et une soeur, Potoné, dont Speusippe était le fils. Il alla à l’école chez Dionysos, qui parle de lui dans son livre des Rivaux. Il fit sa gymnastique[10] chez Ariston, le lutteur argien, qui lui donna son surnom de Platon d’après sa taille, car il s’appelait avant cela Aristoclès, comme son grand-père (cf. Alexandros, Successions). D’autres veulent aussi qu’on l’ait appelé ainsi à cause de la large abondance de son débit oratoire, ou encore parce qu’il avait le front large. C’est l’avis de Néanthe. Quelques-uns veulent qu’il ait lutté aux jeux isthmiques (cf. Dicéarque, Vies, livre I). On dit encore qu’il s’initia à la peinture, qu’il écrivit des poèmes, d’abord des dithyrambes, puis des vers lyriques et des tragédies. Il avait une voix grêle (cf. Timothée d’Athènes, des Vies). On raconte que Socrate eut un songe : il vit sur ses genoux un cygne qui se couvrit de plumes et s’envola. Le lendemain, Platon vint se joindre à lui comme disciple. Et Socrate déclara que Platon était l’oiseau qu’il avait vu en songe.

Il donna ses cours de philosophie d’abord à l’Académie, puis dans un jardin proche de Colonne (cf. témoignage d’Héraclite dans Alexandre, Successions). Étant sur le point de concourir pour la tragédie, il rencontra Socrate devant le théâtre dionysiaque, et à la suite de leur entretien, il brûla ce qu’il avait écrit en disant :

Héphaïstos, viens ici. Platon maintenant a besoin de toi[11].

Dès ce moment, à l’âge de vingt ans, il devint disciple de Socrate. Après sa mort, il s’attacha à Cratyle, disciple d’Héraclite, et à Hermogène, disciple de Parménide. A l’âge de vingt-huit ans, selon Hermodore, il s’en alla à Mégare, chez Euclide[12], accompagné de quelques autres élèves de Socrate. Puis il alla à Cyrène, auprès de Théodore le mathématicien, et de chez lui en Italie, chez Philolaos et Eurytos, tous deux pythagoriciens, puis en Égypte, chez les prophètes[13]. Il y fut accompagné, dit-on, par Euripide, et tombé malade en ce pays, il fut guéri par les prêtres grâce à un remède d’eau de mer, ce qui lui fit dire :

La mer lave tous les maux de l’homme,

et ajouter, appuyant l’opinion d’Homère, que tous les Égyptiens savaient la médecine. Platon avait eu l’intention aussi d’aller trouver les Mages, mais les guerres déchirant l’Asie lui firent renoncer à son dessein. Revenu à Athènes, il vécut à l’Académie[14]. C’est un gymnase des faubourgs, ombragé par des bois, qui tient son nom du héros Hécadémos, selon Eupolis dans ses Astrateutes :

Dans les jardins ombreux du dieu Hécadémos,

et selon Timon dans ses vers contre Platon :

Entre tous venait leur chef à la large stature,

Le parler melliflu, image des cigales qui, sur les arbres

D’Hécadémos, font entendre des chants doux comme des lis.

(Autrefois, en effet, on disait Hécadémos avec « Hé ».) Notre philosophe était ami d’Isocrate, et Praxiphanès écrit même qu’ils eurent un entretien sur la poésie, quand Isocrate était l’hôte de Platon à la campagne.

Aristoxène rapporte qu’il fit trois campagnes militaires, une à Tanagra, une à Corinthe, et la troisième à Délos, où il se comporta en brave. Il fit une synthèse des théories de Pythagore, d’Héraclite et de Socrate, prenant à Héraclite sa théorie de la sensation, à Pythagore sa théorie de l’intelligence, à Socrate sa politique. D’autres, et parmi eux Satyros, disent qu’il écrivit à Dion en Sicile de lui acheter trois livres de Pythagore appartenant à Philolaos, et de les payer cent mines : ce qu’il pouvait faire, disent-ils, puisqu’il avait reçu de Denys plus de huit cents talents, comme le dit Onêtor dans son ouvrage intitulé : Un philosophe peut-il s’enrichir ?

Platon a beaucoup utilisé les ouvrages du poète comique Épicharme[15], et il en a transcrit maint passage. Tout ceci nous est connu par Alcimos (Ouvrages adressés à Amyntas, 4 livres). Il écrit dans le premier : « Il est évident que Platon reprend de nombreux passages d’Épicharme. Qu’on en juge. Platon écrit que le sensible, c’est ce qui ne demeure ni en qualité, ni en quantité, mais coule sans cesse et sans cesse se transforme. Ainsi, quand à un groupe de choses on enlève un certain nombre, ces choses ne sont plus semblables sous aucun rapport, ni en nature, ni en quantité, ni en qualité. Telles sont les choses qui participent de l’existence, mais non de la substance. L’intelligible au contraire ne perd ni n’acquiert rien, il est d’essence éternelle, toujours semblable et identique à lui-même. Or Épicharme dit fort clairement la même chose du sensible et de l’intelligible :

A. Les dieux ont toujours existé, toujours été

Et ce dont je parle n’a jamais varié.

B. Mais on dit que le chaos fut le premier dieu ?

A. Pourquoi ? Quelque chose n’a pas pu venir de rien.

B. Rien ne s’est donc produit pour la première fois ?

A. Ni même pour la seconde, par Zeus, de celles du moins

Dont nous parlons maintenant. Considère ceci :

Si tu retranches un nombre, pair ou impair,

Le total est-il encore le même ?

B. Non certes.

A. Et si à une mesure on enlève une longueur

Ou si on en ajoute une, la mesure

N’est plus la même ?

B. Non certes.

A. Il en est de même pour les hommes, regarde,

L’un grandit quand l’autre dépérit, tous changent

A tout moment, l’un varie sans cesse,

Il est autre maintenant qu’il n’était tout à l’heure,

Ni vous ni moi ne sommes tels qu’hier ; nous serons autres

Demain, et toujours divers, en vérité[16].

Et Alcimos dit encore : « Selon les philosophes, l’âme perçoit certaines choses par le moyen du corps, comme par les yeux ou les oreilles, et elle a l’intuition des autres choses par elle-même sans le secours du corps. C’est pourquoi on divise les choses en sensibles et intelligibles. Et c’est aussi pourquoi Platon propose à qui veut connaître les principes des choses la distinction suivante : d’abord les idées en soi (ressemblance, unité, grandeur, repos, mouvement), puis le beau en soi, le bien en soi, le juste en soi, etc., en troisième lieu les idées conçues par relation (science, grandeur, pouvoir) : tout ce qui est en vous ne prend son nom que par sa participation à ces idées, je veux dire que sont justes les choses qui participent du juste, et belles celles qui participent du beau. Chacune de ces idées est éternelle, intelligible et pure[17]. Aussi Platon dit-il que les idées sont dans la nature comme des symboles, et que toute chose leur ressemble quand elle en est l’image fidèle.

« Eh bien, Épicharme parle de la même façon du bien et des idées :

A. Le jeu de la flûte est-il une chose ?

B. Oui.

A. Est-ce un homme, le jeu de la flûte ?

B. Pas du tout.

A. Et le joueur de flûte, qu’est-il ?

Est-ce un homme ?

B. Bien sûr.

A. Eh bien ! Il en va de même du bien, vois-tu. Le bien

Est en soi une chose, et qui l’apprend et le sait

Devient un homme de bien,

Comme devient joueur de flûte qui sait en jouer,

Danseur qui sait danser, tisserand qui sait tisser,

Et ainsi pour tous les arts, qui les saura

Ne sera pas semblable à l’art mais artiste.

« Platon dans sa théorie des idées parle ainsi : « Si la mémoire existe, c’est qu’il y a dans les choses réelles des idées, puisque la mémoire est mémoire de quelque chose en repos et qui subsiste, et que seules les idées sont en repos. Comment les êtres vivants subsisteraient-ils, s’ils n’étaient pas liés à une idée et si la nature ne leur avait pas donné la connaissance ? Et Platon montre comme leur façon de vivre se ressemble, et comme tous les vivants ont par nature la connaissance de cette ressemblance qui leur fait reconnaître tout ce qui est de même genre. Or Épicharme ne dit-il pas la même chose ? »

Eumée, la sagesse n’est pas donnée à un seul genre ;

Quiconque vit a une connaissance,

Car la femelle des coqs,

Si vous voulez y prendre garde, n’enfante pas des petits

Vivants, elle couve les oeufs et leur donne vie,

Et pourtant elle sait, et la cause de sa sagesse

Est la nature qui l’a instruite.

« Et encore :

Il n’y a donc pour moi rien d’extraordinaire à dire

Que la poule et les poussins se plaisent et se trouvent

Bien faits, car un chien paraît une merveille

A un chien, et de même le boeuf au boeuf,

L’âne à l’âne, et le porc au porc. »

Voilà ce qu’entre autres choses, tout au long de ses quatre livres, Alcimos épingle comme preuves, pour démontrer de quel secours le livre d’Épicharme fut pour Platon. Épicharme lui-même n’était pas ignorant de sa propre sagesse, on peut le voir d’après ces vers où il révèle qu’il aura un disciple :

Je le crois, j’en suis sûr même,

On connaîtra plus tard mes écrits,

Quelqu’un prendra mes vers, leur ôtera leur rythme,

Leur donnera un vêtement de pourpre et les enjolivera,

Et devenu irrésistible, il convaincra les plus rebelles.

On croit aussi que Platon introduisit pour la première fois à Athènes les livres de Sophron le Mimographe, jusqu’alors négligés, et qu’il régla sa conduite sur ces livres.

Il fit trois voyages en Sicile[18], d’abord pour voir l’île et les volcans, et invité par Denys, fils d’Hermocrate, tyran de l’île. Platon s’entretint avec lui de la tyrannie, et lui répétait constamment que ce qui n’était utile qu’à un homme n’était pas un bien, si cet homme n’était pas très vertueux. Par là il offensa Denys, qui se mit en colère et lui dit : « Tu me tiens des discours de vieillard ! » — « Et toi des discours de tyran », répliqua Platon. Là-dessus, plus irrité que jamais, le tyran s’élança pour le faire périr, mais sur la sollicitation de Dion et d’Aristomène, il se contenta de le remettre aux mains du Spartiate Pollis, qui se trouvait pour lors en ambassade en Sicile, pour le faire vendre comme esclave. Pollis emmena Platon à Égine et le vendit. C’est alors que Charmandre, fils de Charmandride, lui intenta un procès capital, selon une loi locale qui ordonnait de faire mettre à mort sans jugement le premier Athénien qui débarquerait dans l’île. Cet homme était d’ailleurs l’auteur du projet de loi (cf. Phavorinos, Mélanges historiques). Mais quelqu’un ayant dit, par plaisanterie, que l’accusé n’était qu’un philosophe, Platon fut acquitté. Selon une autre tradition, il fut conduit à l’assemblée. Là, devant son silence, son calme et sa patience, au lieu de le condamner à mort, on le fit mettre en vente comme un prisonnier de guerre. D’aventure vint à passer devant lui Annicéris de Cyrène, qui le racheta pour vingt mines (d’autres disent pour trente) et le renvoya à Athènes, à ses amis. Ceux-ci remboursèrent aussitôt l’argent à Annicéris, qui le refusa en leur disant qu’ils n’avaient pas le privilège de prendre soin de Platon. On dit encore que ce fut Dion qui envoya l’argent à Annicéris, et que ce dernier, n’en voulant point, employa cette somme à l’achat d’un petit jardin pour Platon à l’Académie. Quant à Pollis, la fable veut qu’il ait été vaincu par Chabrias, puis qu’il se soit noyé à Héliée[19], victime de la colère divine (cf. Phavorinos, Mémoires, liv. I). Denys lui-même ne fut pas sans inquiétudes, mais ayant appris ce qui s’était passé, il écrivit à Platon, en lui demandant de ne pas médire de lui. A quoi Platon répondit par lettre qu’il n’avait pas tellement de loisirs qu’il pût se souvenir de Denys. Platon alla une seconde fois en Sicile pour voir Denys le jeune, et lui demander une terre et des hommes désireux de vivre selon ses lois. Denys les lui promit, mais ne les lui donna pas. Platon fut même, paraît-il, en danger de mort pour avoir voulu persuader Dion et Théodote de libérer l’île. C’est à ce moment qu’Archytas, le pythagoricien, intervint en sa faveur par une lettre à Denys, et obtint que Platon pût rentrer sain et sauf à Athènes. Voici cette lettre :

ARCHYTAS A DENYS

« Nous tous, amis de Platon, vous avons envoyé Lamiscos et Photidès, avec mission de nous ramener ce philosophe, en souvenir des accords passés avec vous. Vous agirez bien en vous rappelant votre désir empressé de recevoir Platon, vos promesses de le recevoir avec bienveillance, de lui laisser la liberté d’aller et venir. Souvenez-vous encore avec quelle impatience vous avez souhaité sa venue, et comme vous l’aimiez alors plus que personne. S’il vous a causé du souci, soyez généreux, et libérez-le sans lui faire aucun mal. Ce faisant, vous serez juste et vous nous ferez grand plaisir. »

La troisième fois, il y alla pour réconcilier Dion avec Denys, mais il échoua et revint dans son pays.

Il ne voulut point se mêler de gouvernement, bien qu’il fût fort habile en la matière, si l’on en juge par ses écrits[20]. Mais la raison de sa décision fut que le peuple était trop accoutumé à d’autres modes de gouvernement que le sien. Pamphile (Souvenirs, liv. XXV) dit que les Arcadiens et les Thébains, construisant Mégalopolis[21], le demandèrent pour législateur, mais qu’ayant appris qu’ils ne voulaient pas d’un régime égalitaire, il refusa de se déplacer. La fable veut qu’il ait défendu le général Chabrias[22] menacé d’une condamnation capitale, alors qu’aucun autre Athénien n’avait consenti à le faire. Tandis qu’il montait à l’Acropole avec Chabrias, Crobyle le sycophante le croisa et lui dit : « Tu viens parler en faveur d’autrui, sans te douter que c’est toi qu’attend la ciguë de Socrate. » Platon lui répondit : « Quand je combattais pour défendre ma patrie, je m’exposais au danger, je n’en cours pas de plus grands maintenant pour défendre un ami. »

C’est Platon qui le premier (cf. Phavorinos, Mélanges historiques, liv. VIII) introduisit l’art du dialogue, apprit à Léodamas de Thasos le mode de recherche analytique, parla en philosophie d’antipodes, d’éléments, de dialectique, de qualité, du produit de deux facteurs inégaux, du carré des extrêmes et de la providence, répondit au discours de Lysias, fils de Képhalos, le reprenant mot pour mot dans son Phèdre, étudia la valeur de la grammaire, et contredit presque tous ses devanciers. On ignore toutefois pourquoi il n’a pas parlé de Démocrite.

Néanthe de Cyzique dit qu’un jour où il était monté à Olympie, tous les Grecs se retournèrent pour le voir, et qu’il se lia avec Dion, qui voulait prendre les armes contre Denys. Phavorinos (Mémoires, liv. I) raconte que Mithridate de Perse plaça la statue de Platon dans l’Académie avec cette inscription : « Mithridate de Perse, fils de Rhodobate, a dédié aux Muses cette image de Platon, oeuvre de Silanion. » Héraclide dit que dans sa jeunesse le philosophe était réservé et sage au point qu’on ne le vit jamais rire aux éclats. Ces qualités n’empêchèrent pas qu’il fût aussi l’objet des sarcasmes des comiques. Ainsi, Théopompe dans son Hédycare écrit :

. . . Un n’est même pas un

Et deux sont à peine un comme dit Platon.

Anaxandride[23] dit dans Thésée :

Quand il dévorait des olives à l’instar de Platon.

Timon à son tour, en jouant sur les mots :

Comme Platon plaçait de plastiques paroles.

Alexis dans sa Méropide :

Tu viens à point car dans mon embarras.

J’allais de haut en bas comme Platon,

Sans rien trouver de sage, et en fatiguant seulement mes jambes.

Il dit encore dans son Angklion :

Tu parles de choses que tu ignores, en courant exactement

Comme Platon, et tu connaîtras seulement la soude et l’oignon.

Amphis dans Amphicrate :

Ce qu’est le bien que tu essaies d’atteindre

A cause de celle-ci, je sais qu’il vaut encore moins,

O mon maître, que celui de Platon. Écoute donc...

et dans Dexidemis :

. . . O Platon,

Tu ne savais rien que prendre un air morose

En rentrant gravement les sourcils comme les limaçons.

Cratinos dans son Pseudopobolimaios :

Tu es un homme assurément et tu as une âme.

Si je suis les préceptes de Platon, je n’en sais rien, mais je le suppose.

Alexis dans son Olympiodore :

Mon corps, ce qu’il y avait de mortel en moi, s’est desséché,

Et ce qui était immortel s’est élevé dans le ciel,

Voilà bien les leçons de Platon.

et dans son Parasite :

Ou parler tout seul sottement avec Platon.

Anaxilas le raille encore dans son Botrylion, dans Circé et dans les Femmes riches. Aristippe (Plaisirs des Anciens, livre IV) dit que Platon s’éprit d’un jeune homme nommé Astre, qui étudiait avec lui l’astrologie, et encore de Dion, dont j’ai parlé plus haut. Quelques-uns ajoutent Phèdre au nombre de ses mignons, et donnent pour preuve de cet amour les épigrammes suivantes qu’il a écrites pour eux :

Tu admires les astres, mon Astre. Que ne suis-je

Le ciel, et que n’ai-je tous ses yeux pour te regarder !

et encore :

Astre, autrefois tu brillais parmi les vivants comme l’étoile du matin ;

Tu es mort, mais tu brilles parmi les morts comme l’étoile du soir.

En voici une faite pour Dion :

Des larmes pour Hécube[24] et les filles d’Ilion

Furent préparées par les Destinées,

Mais pour toi, Dion, après tant de hauts faits,

Les divinités ont renversé les vastes espoirs,

Tu gis maintenant honoré par tes concitoyens dans ta vaste patrie,

O Dion qui as affolé mon coeur d’amour !

Ces vers ont été écrits, dit-on, à Syracuse sur son tombeau. On dit encore qu’il fut l’amant d’Alexis, comme je l’ai dit de Phèdre, et qu’il fit pour eux ces vers :

J’ai seulement dit qu’Alexis me paraissait beau,

Et voilà que de toutes parts tout le monde se tourne vers lui.

Mon coeur, pourquoi montres-tu l’os aux chiens ? Tu te plaindras

Plus tard. N’est-ce pas ainsi que j’ai perdu Phèdre ?

On lui donne pour amante Archéanassa. Il lui adressa ce quatrain :

Archéanassa est à moi, la courtisane de Colophon ;

Malgré ses rides, je l’aime d’un amour ardent ;

Malheureux vous qui la rencontrâtes

A sa première traversée, et connûtes ses premières flammes.

Il écrivit pour Agathon :

En aimant Agathon j’avais mon âme au bord des lèvres

Et la pauvre est passée en lui.

Voici d’autres vers :

Je te lance une pomme ; si tu m’aimes vraiment,

Prends-la, et me donne ta virginité ;

Si tu refuses, prends quand même la pomme

Et regarde comme elle sera vite flétrie.

Et encore :

Je suis une pomme. Quelqu’un qui t’aime m’a jetée à toi.

Prends-la, Xanthippe, moi et toi nous nous flétrirons comme elle.

On lui attribue aussi ces vers adressés aux Érétriens qui s’étaient laissé enfermer comme dans une souricière :

Nous sommes d’Erétrie d’Eubée, mais près de Suse

Nous gisons ! Ah ! Nous sommes loin de notre patrie !

En voici d’autres :

Cypris ![25] dit aux Muses : Vierges, honorez Aphrodite ;

Sinon j’armerai Eros contre vous.

Et les Muses dirent à Cypris : Garde ton babillage

Pour Arès ; ce jeune homme ne vole pas vers nous.

Et encore :

Un homme se voulait pendre : il trouva de l’or et laissa son lacet,

Et l’autre, qui ne trouvait pas son or, vit le lacet et se pendit.

Molon, ennemi de Platon, dit que : « Ce dont il fallait s’étonner ce n’était pas de voir Denys à Corinthe, mais bien de voir Platon en Sicile. » Xénophon semble avoir été son rival : tous deux, par esprit de rivalité, écrivirent sur des sujets semblables (Banquet, Apologie de Socrate, Commentaires sur la morale). L’un écrivit une Constitution, l’autre une Education de Cyrus. Platon dit dans ses Lois que ce livre de Xénophon est faux, car le vrai Cyrus était tout différent. Tous les deux ont cité Socrate dans leurs écrits, mais ne se sont jamais cités l’un l’autre. Toutefois Xénophon a cité Platon dans ses Mémorables, au livre III[26]. On raconte encore l’anecdote suivante : Antisthène voulait lire en public un de ses ouvrages. Il demanda à Platon d’assister à la lecture. Celui-ci lui en demanda le sujet. Antisthène répondit qu’il parlerait sur ce sujet : « Qu’il ne faut pas contredire. » Sur quoi Platon de s’étonner qu’il ait choisi un pareil sujet, d’en prendre le contrepied et de contredire, tant et si bien qu’Antisthène se brouilla avec Platon et écrivit contre lui un dialogue intitulé Sathon. On dit aussi que Socrate, entendant Platon lire son Lysis : « Bons dieux, dit-il, comme ce jeune homme me fait dire des choses qui ne sont pas de moi ! » Et certainement, il a écrit beaucoup de choses que Socrate n’avait pas dites. Platon fut aussi ennemi d’Aristippe, et il est sûr en tout cas que dans son traité de l’âme il l’accuse de n’avoir pas assisté Socrate lors de sa mort bien qu’il fût alors à Égine et tout près. On veut qu’il ait été ennemi même d’Eschine, parce qu’au temps où celui-ci était tenu en grande estime par Denys, il vint trouver Platon, qui le méprisa à cause de sa pauvreté, tandis qu’Aristippe le soutint. Les discours qu’il met dans la bouche de Criton conseillant à Socrate de s’enfuir de sa prison ne sont pas de Criton, selon Idoménée, mais d’Eschine, et c’est pour être désagréable à ce dernier que Platon les aurait attribués à un autre. Par surcroît, Platon ne fait mention d’Eschine en aucun de ses écrits, sauf dans son traité de l’âme et son apologie.

Aristote dit que la forme de ses discours tient le milieu entre les vers et la prose. Cet Aristote fut le seul, selon Phavorinos, à écouter Platon lisant son traité de l’âme, tous les autres auditeurs s’en allèrent avant la fin. Une tradition veut que Philippe d’Opunte[27] ait transcrit ses lois qui étaient inscrites sur des tables de cire et l’on prétend qu’il fut l’auteur d’un Epinomis[28]. Euphorion et Panaetios ont dit qu’ils ont trouvé souvent le début de la République bouleversé et corrigé, cette République dont Aristoxène prétend qu’elle se trouve déjà tout entière dans les Controverses de Protagoras. La tradition veut qu’il ait écrit d’abord le Phèdre, parce que le sujet en a quelque chose de juvénile. Dicéarque blâme absolument sa façon d’écrire, qu’il déclare pesante. Platon fit un jour, dit-on, des reproches à un homme qui jouait aux dés. L’autre lui répond qu’il s’emportait pour bien peu de chose, et Platon lui dit : « Mais l’habitude d’y jouer n’est pas peu de chose[29]. » Comme on lui demandait s’il laisserait quelque parole mémorable comme les anciens, il répondit : « Il faut d’abord laisser un nom, ensuite les paroles mémorables abonderont[30]. » A Xénocrate, qui entrait un jour chez lui, il demanda de fouetter son esclave, car lui ne pouvait le faire, étant trop en colère. Il dit aussi une autre fois à un autre esclave : « Tu recevrais le fouet si je n’étais aussi en colère. » Étant monté à cheval, il en descendit brusquement, alléguant qu’il craignait une incartade du cheval. Il conseillait aux ivrognes de se regarder dans un miroir, ce qui les débarrasserait de cette mauvaise habitude. Il déclarait qu’il est toujours inconvenant de boire jusqu’à s’enivrer, sauf toutefois aux fêtes du dieu qui nous a donné le vin. Trop dormir lui déplaisait, et il a écrit dans ses Lois : « Quiconque dort ne vaut rien. » Il croyait que la vérité était la chose la plus agréable à entendre (d’autres disent : à dire). Voici comme il parle de la vérité dans ses Lois : « C’est une belle chose que la vérité, ô étranger, et une chose durable, mais il ne paraît pas aisé d’en persuader les gens. » Il voulait laisser quelque souvenir de lui soit dans l’esprit de ses amis, soit dans ses livres. Il fuyait la foule.

Il mourut, comme je l’ai raconté[31], la treizième année du règne de Philippe (cf. Phavorinos, Mémoires, liv. III), duquel, selon Théopompe, il reçut des honneurs funèbres. Myronianos (Similitudes) dit que Philon cite un proverbe sur les poux de Platon, d’après lequel il serait mort rongé par la vermine[32]. Il fut enterré dans l’Académie, où il avait philosophé pendant la plus grande partie de sa vie. La secte qu’il fonda en prit le nom de secte académique. Ses voisins l’enterrèrent en grande pompe. On connaît son testament : « Voici ce que moi, Platon, je laisse par testament : ma terre du territoire des Iphestiades, attenante, du côté du Borée, à la route qui vient du temple des Céphisiades, du côté du Notus, au temple d’Héraclès d’Iphestiade, du côté du Levant, aux biens d’Archestrate du dème de Phréares, et du côté du couchant, aux biens de Philippe du dème de Chollidès. J’interdis de la vendre ou de l’aliéner. Elle sera, autant que possible, donnée à mon fils Adimante. Ma terre du lieu dit des Eirésides, que j’ai achetée à Callimaque, attenante au nord aux biens d’Eurymédon de Myrrinonte, au sud aux biens de Démostrate de Xypète, à l’est aux biens d’Eurymédon, au couchant aux biens de Céphise. Je laisse encore trois mines d’argent[33], une coupe d’or pesant cent cinquante-cinq[34], un cymbium[35] pesant quarante-cinq, un anneau et des boucles d’oreilles d’or, pesant ensemble quatre drachmes trois oboles[36]. Le tailleur de pierres Euclide me doit trois mines. J’affranchis Artémis. Je laisse quatre esclaves : Tychon, Bicta, Apolloniade et Denis. Mes affaires sont inscrites sur une liste que détient Démétrios. Je ne dois rien à personne. Mes exécuteurs testamentaires sont Sosthène, Speusippe, Démétrios, Hégias, Eurymédon, Callimaque et Thrasippe. »

Voilà donc son testament. Voici maintenant les épitaphes de son tombeau. D’abord celle-ci :

Juste plus que tous, et de moeurs irréprochables,

Ci-gît un homme tout divin, Aristoclès ;

Si la sagesse a jamais mérité récompense,

Il obtint la plus grande, car il n’a pas connu la haine.

En voici une autre :

La terre cache en son sein le corps de Platon,

Mais son âme est chez les immortels bienheureux,

L’âme du fils d’Ariston, que même les pays lointains

Honorent et respectent comme un dieu.

En voici une autre, plus récente :

Aigle, quelle tombe survoles-tu, dis-moi ?

De quel dieu regardes-tu la demeure éthérée ?

De l’âme de Platon s’envolant vers l’Olympe

Je suis l’image, son corps est dans le sol al tique.

J’ai moi-même écrit celle-ci :

Si Phoebus n’avait engendré Platon en Grèce, comment

Guérirait-il par des écrits les âmes des hommes ?

Asclépios son fils est bien le médecin des corps,

Mais Platon est celui des âmes immortelles.

et cette autre sur sa mort :

Phoebus a engendré Esculape et Platon,

Un pour guérir les âmes, un pour guérir les corps,

Et pour faire un mariage, il vint à la ville

Fondée par lui, et construite sur le sol de Zeus.

Voilà pour les épitaphes. Voici maintenant ses disciples : Ce furent : Speusippe d’Athènes, Xénocrate de Chalcédoine, Aristote de Stagyre, Philippe d’Opunte, Estiée de Périnthe, Dion de Syracuse, Amyclée d’Héraclée, Éraste et Coriscos de Scepsium, Timolaos de Cyzique, Énaios de Lampsaque, Pithon et Héraclide d’Aenium, Hippothalès et Callipe d’Athènes, Démétrios d’Amphipolis, Héraclide du Pont et des quantités d’autres, ainsi que deux femmes : Lasténéia de Mantinée et Axiothée de Phlionte, qui s’habillait en homme, si l’on en croit Dicéarque. On lui donne encore parfois comme auditeur Théophraste. Caméléon ajoute encore Hypéride et Lycurgue, et Polémon est de son avis. Sabinos ajoute encore Démosthène, en prenant pour témoin Mnésitrate de Thasos (Recueil d’exercices, liv. IV), et la chose est vraisemblable.

Mais puisque tu[37] es une amie de Platon, et avec raison, et puisque tout particulièrement tu as le désir ardent de connaître les théories de ce philosophe, il m’a paru nécessaire de présenter ici par ordre la nature de ses discours, la suite de ses dialogues, le progrès de ses raisonnements, pour ainsi dire, par paragraphes et par chapitres, afin qu’au récit de sa vie s’ajoute l’exposé de sa théorie. Oublier d’exposer ses idées, ce serait, comme on dit, porter une chouette à Athéna[38].

Zenon d’Élée passe pour l’auteur du genre dialogué, Aristote (Poètes, liv. I) prétend que ce fut Alexamène de Styra ou de Téos (cf. Phavorinos, Mémoires). Mais je crois pour ma part que Platon, pour en avoir arrêté merveilleusement la forme[39], doit être considéré à juste titre comme responsable, non seulement de sa beauté, mais encore de son existence. Voici ce que c’est qu’un dialogue : c’est, sur une question philosophique et politique, un discours par questions et réponses, en un style harmonieux, avec des paroles appropriées au caractère des interlocuteurs. La dialectique, c’est la science des discours par lesquels on réfute ou on prouve par l’intermédiaire d’interlocuteurs s’interrogeant et se répondant. Chez Platon le dialogue a deux formes : ou bien il est diégétique[40], ou bien il est zététique[41] ; la première se divise en deux genres : un théorique, un pratique, le théorique se divise lui-même en deux genres : métaphysique et rationnel ; le pratique aussi en deux genres : moral et politique. Le dialogue zététique peut lui aussi avoir deux formes différentes : genre gymnique (d’exercice) et agonistique (de combat). Le genre gymnique se divise en maïeutique[42] et peirastique[43] et l’agonistique à son tour se subdivise en deux genres : le genre endictique[44] et le genre anatreptique[45].

D’autres auteurs, je le sais, divisent les discours de Platon d’une façon différente. Ils disent que les uns sont dramatiques, les autres narratifs et les autres mixtes. Mais c’est là faire une distinction plus littéraire que philosophique. Parmi ces dialogues, les uns traitent de la Nature, comme le Timée, d’autres de logique, comme le Politique, le Cratyle, le Parménide, le Sophiste ; d’autres de morale, comme l’Apologie, Criton, Phédon, Phèdre, le Banquet, Ménéxène, Clitophon, les Lettres, Philèbe, Hipparque, les Antérastes ; d’autres de politique, comme la République, Minos, les Lois, l’Epinomis, l’Atlantique. Sont du genre maïeutique les deux Alcibiade, Théagène, Lysis, Lachès ; du genre peirastique Euthyphron, Ménon, Ion, Charmide, Théétète ; du genre endictique le Protagoras, et du genre anatreptique Euthydème, Gorgias et les deux Hippias.

Du dialogue et de ses différents genres, j’ai suffisamment parlé. Maintenant, puisqu’il y a un grand débat, et que les uns veulent que Platon ait dogmatisé et les autres non, parlons un peu de la question. Dogmatiser, c’est établir des dogmes, comme légiférer, c’est faire des lois. Mais le mot de dogme désigne à la fois ce sur quoi on émet une opinion et cette opinion elle-même. Des deux, l’un est proposition, l’autre conception. Eh bien, Platon a exposé ce qu’il comprenait, réfuté ce qui était erroné et s’est abstenu sur ce qui était douteux. Ses opinions propres, il les a exposées par l’intermédiaire de quatre personnages : Socrate, Timée, l’hôte d’Athènes et l’hôte d’Élée. Ce sont des étrangers et non pas, comme certains l’ont cru, Platon et Parménide, mais des fictions à quoi il ne faut pas donner de nom. Quand il fait parler Socrate et Timée, Platon dogmatise ; les opinions fausses, il les fait énoncer par des gens comme Thrasymaque, Challiclès, Polos, Gorgias, Protagoras, et encore Hippias, Euthydème, etc. Lorsqu’il veut démontrer quelque chose, il se sert de préférence de l’induction, et sous ses deux formes. L’induction est en effet un raisonnement qui consiste, des vérités étant données, à déclarer vraie une autre qui leur ressemble. Il y a deux formes d’induction, l’une qui se fait par la contradiction, l’autre par la conséquence. L’induction par contradiction est un raisonnement par lequel on fait suivre toute réponse à une question du contraire. Exemple : « Mon père est autre que ton père ou est le même. Si ton père est autre que mon père, l’un étant père, l’autre ne l’est pas ; si d’autre part il est le même que mon père, il est mon père. » Autre exemple : « Si l’homme n’est pas un animal, il est une pierre ou du bois. Mais il n’est pas une pierre ou du bois, car il est animé et se meut par lui-même, il est donc un animal ; mais s’il est un animal, et si le chien ou le boeuf sont des animaux, l’homme étant un animal est un chien et un boeuf. » Voilà le genre d’induction par les contraires, genre de combat, dont Platon se servait, non pour exposer ses propres théories, mais pour réfuter celles des autres. Quant à l’induction par la conséquence, elle est double : l’une démontre la partie par la partie, l’autre le tout par la partie ; la première est un procédé de rhétorique, la seconde un procédé de dialectique. Ainsi, par la première, on demande si un tel a tué, la preuve sera le fait de trouver cet homme souillé de sang à ce moment. C’est là une forme d’induction propre aux orateurs, puisque la rhétorique s’occupe des choses particulières, et non du général. Elle ne s’occupe pas de la justice, mais des choses justes. L’autre est un raisonnement de dialectique, démontrant le tout par la partie. Ainsi on se demande si l’âme est immortelle, ou si ceux qui vivent sont au nombre des morts, ce qui est prouvé dans le livre de l’Ame par un argument universel, comme le fait que les contraires naissent des contraires, et cet universel résulte de quelque particulier, comme le sommeil naissant de la veille et inversement, le plus grand du plus petit et inversement. Platon usait de ce raisonnement pour démontrer ses propres idées. Ainsi la philosophie eut le sort de la tragédie. Le choeur autrefois jouait à lui seul tout le drame. Thespis inventa ensuite un acteur pour reposer le choeur, Eschyle en créa un second, Sophocle un troisième, et le genre fut fixé. De même, la physique fut d’abord toute la philosophie, Socrate y ajouta la morale, Platon la dialectique, et par ces trois objets, la philosophie prit sa forme définitive[46].

Selon Thrasylle, Platon composait ses dialogues sur le modèle des tétralogies tragiques (comme les auteurs tragiques concouraient par quatre drames aux Dionysies, aux Lénéennes, aux Panathénées, à la fête des Marmites, le quatrième drame étant un drame satirique ; ces quatre drames formaient ce qu’on appelait une tétralogie[47]).

Les dialogues authentiques de Platon, dit Thrasylle, sont au nombre de cinquante-six (la République comptant pour dix livres, ouvrage dont Phavorinos, Mélanges historiques, liv. II, dit avoir trouvé presque tout le texte dans les Contradictions de Protagoras, et les Lois comptant pour douze livres). Il y a neuf tétralogies[48] si l’on compte pour un seul livre la République et pour un seul les Lois. La première tétralogie est consacrée à un même sujet : « Quelle doit être la vie du philosophe ? » Chaque livre a deux titres, l’un qui vient du nom d’un personnage, l’autre du sujet du livre. Cette première tétralogie se compose de : Euthyphron ou de la Piété (dialogue péirastique), l’Apologie de Socrate (dialogue moral), Criton ou de ce qu’il faut faire (moral), Phé-don ou de l’Ame (moral). La deuxième tétralogie comprend : Cratyle ou de la Justesse des termes (logique), Théétète ou du Savoir (péirastique), le Sophiste ou de l’Etre (logique), le Politique ou de la Royauté (logique). La troisième comprend : le Parménide ou des Idées (logique), Philèbe ou du Plaisir (moral), le Banquet ou du Bien (moral), Phèdre ou de l’Amour (moral). La quatrième comprend : Alcibiade ou de la Nature humaine (maïeutique), le second Alcibiade ou des Prières (maïeutique), Hipparque ou l’Amour du gain (moral), les Antérastes ou de la Philosophie (moral). La cinquième comprend : Théagène[49] ou de la Philosophie (maïeutique), Charmide ou de la Sagesse (péirastique), Lachès ou du Courage (maïeutique), Lysis ou de l’Amitié (maïeutique). La sixième comprend : Euthydème ou l’Eristique (anatreptique), Protagoras ou les Sophistes (endictique), Gorgias ou de la Rhétorique (anatreptique), Ménon ou de la Vertu (péirastique). La septième comprend : les deux Hippias : le premier ou du Beau, le deuxième ou du Mensonge (anatreptiques), Ion ou de l’Iliade (péirastique), Ménéxène ou l’Epitaphe (moral). La huitième comprend : Clitophon[50] ou le Protreptique (moral), la République ou de la Justice (politique), Timée ou de la Nature (physique), Critias ou l’Atlantique (moral). La neuvième comprend : Minos[51] ou de la Loi (politique), les Lois ou du Gouvernement (politique), l’Epinomis ou l’Assemblée nocturne ou le Philosophe (politique) et treize Lettres (morales) à la fin desquelles il emploie la formule : « Soyez heureux », tandis qu’Épicure dit : « Vivez bien », et Cléon : « Réjouissez-vous » (une à Aristodème, deux à Archytas, quatre à Denys, une à Hermias, à Éraste, à Coriscos, une à Léodamas, une à Dion, une à Perdicca, deux aux familiers de Dion).

Voilà donc comment Thrasylle et quelques autres divisent les ouvrages de Platon. Aristophane le grammairien[52], de son côté, les groupe en trilogies de la façon suivante : 1. — République, Timée, Critias. 2. Sophiste, Politique, Cratyle. 3. — Lois, Minos, Epinomis. 4. — Théétète, Euthyphron, Apologie. 5. — Criton, Phédon, Lettres[53]. Et pour le reste il le divise par livres et le cite sans ordre. On commence tantôt, comme je l’ai dit, par la République, tantôt par Alcibiade majeur, tantôt par Théagène, tantôt par Euthyphron, tantôt par Clitophon, ou par Timée, ou encore par Phèdre ou Théétète, et très souvent par l’Apologie[54].

Les discours suspects sont, de l’avis général : Midon ou l’Eleveur de chevaux, Eryxias ou Erasistrate, Alcyon, les Acéphales ou Sisyphe, Axiochos, Phéaciens, Démodocus, l’Hirondelle, le Septième, Epiménide. De ces discours, l’Alcyon paraît être d’un certain Léon (cf. Phavorinos, Mémoires, livre V) ; Platon usait de titres très variés, pour n’être pas compris des ignorants.

Il définissait la sagesse la science des choses intelligibles et réellement existantes, science qui consiste dans la connaissance du divin et de l’âme à l’exclusion du corps. Il donne encore ce nom de sagesse à la philosophie, parce qu’elle est une déesse de la sagesse divine. Il donne aussi communément le nom de sagesse à toute espèce d’expérience, c’est ainsi qu’il appelle sage un artisan. Il emploie volontiers les mêmes mots pour signifier des choses différentes : il dit indifféremment humble ou simple, comme fait aussi Euripide, parlant d’Hercule, dans son Licymnion :

Humble, inélégant, excellent dans les grandes choses,

Montrant sa sagesse par ses actes,

Et peu habile en paroles.

Platon se sert aussi parfois de ce mot humble pour dire laid ou petit. A d’autres moments, il emploie au contraire des termes différents pour exprimer la même notion. Ainsi il appelle l’idée tantôt image, tantôt genre, tantôt exemple, tantôt principe, tantôt cause. Il lui arrive d’employer des termes contradictoires pour désigner une même notion. Le sensible est appelé par lui tantôt être et tantôt non-être : être parce qu’il participe de la génération, non-être parce qu’il se transforme sans cesse. L’idée est tantôt ce qui est immobile et tantôt ce qui se meut, etc.

L’exposé de sa doctrine doit être divisé en trois parties : Ce qu’il dit — pourquoi il le dit (pour l’affirmer ou pour illustrer simplement son idée) — comment il le dit. Comme il y a des signes ajoutés à ses livres, il me faut bien en dire quelques mots. Le signe : × sert pour les citations, les figures et d’une façon générale pour tout ce qui est proprement platonicien. Le signe : ×× pour les théories les plus chères à Platon. Le signe : ×[55] pour les belles sentences et les beaux endroits. Le signe : ×[56] pour les corrections à faire. L’obel : ÷ pour les passages vraisemblablement fautifs. L’antisigma pointé : .). pour les dittographies et les fautes d’écriture. Le céraunion : ~~~[57] pour guider les progrès du raisonnement. L’astérisque pour indiquer les théories exactes. L’obel simple : — pour indiquer au contraire les erreurs. Voilà donc ce que je sais des signes et du nombre de livres. Si quelqu’un voulait connaître les livres dès qu’ils paraissaient, il payait une certaine somme à leur possesseur (cf. Antigone de Caryste, livre sur Zenon).

Voici maintenant les idées maîtresses de Platon : L’âme est immortelle et passe de corps en corps. Elle a un principe arithmétique, à la différence du corps qui a un principe géométrique. Elle est l’idée d’un souffle répandu partout, elle a un mouvement autonome, et elle est divisible en trois parties : une partie raisonnable qui a son siège dans le cerveau, une partie agissante qui a pour siège le coeur, et une partie sensible qui a pour siège le nombril et le foie. Elle contient le corps en elle-même, et l’enveloppe continuellement comme en une sphère. Elle se divise en éléments et en intervalles harmoniques de façon à former deux cercles tangents[58]. L’un d’eux, inscrit dans l’autre, comprend dix divisions et forme sept cercles. Il est inscrit selon un diamètre et incliné vers la gauche ; le cercle circonscrit est au contraire incliné vers la droite. Par suite, il est unique, tandis que le cercle inscrit est subdivisé. Ces deux cercles sont de nature différente : l’un est le Cercle du Même, l’autre le Cercle de l’Autre[59]. L’un a le mouvement de l’âme, l’autre le mouvement de l’univers et des planètes. L’âme, étant ainsi divisée par le milieu, et en harmonie avec les extrêmes, connaît le réel, et, comme elle est composée d’éléments, le conçoit d’une façon ordonnée. L’opinion droite[60] vient du Cercle de l’Autre, la science vient du Cercle du Même.

L’univers vient de deux principes : le dieu ou idée et la matière. Platon donne encore au premier le nom de cause ou d’esprit. La matière est informe, indéterminée, elle donne naissance aux corps. Elle était d’abord un chaos, mais elle fut rassemblée en un seul lieu par le dieu, qui pensa que l’ordre valait mieux que le désordre[61]. Cette matière se convertit en quatre éléments : le feu, l’air, l’eau, la terre. De ces éléments naquit l’univers et son contenu. Seule la terre n’est pas soumise au changement. Ceci s’explique par la différence des figures qui la composent. Alors que les autres éléments ont des figures semblables, toutes formées d’un seul triangle scalène[62], la terre a sa figure propre. Le feu est pyramidal, l’air octaédrique[63], l’eau icosaédrique[64], tandis que la terre est cubique. Pour cette raison, la terre ne peut se transformer en autre élément, ni les autres éléments devenir terre. Ces éléments ne sont pas en des lieux différents et distincts, parce que la circonférence qui les force à se rassembler en son milieu réunit les plus petits et divise les grands. Aussi changent-ils de lieu en changeant de forme. Le monde a été créé unique et sensible par le principe divin. Il est animé, parce qu’avoir une âme est plus parfait que n’en avoir pas. Ouvrage parfait, il est l’oeuvre d’une cause elle-même parfaite. Il est unique et fini, car il a été créé d’après un modèle lui-même unique. Il est sphérique parce que son créateur l’était aussi, et qu’il contient tous les êtres vivants, comme le dieu contient toutes les formes. Il est léger, et sa surface ne s’appuie sur rien, parce qu’elle n’a pas besoin de soutien. Il est impérissable, parce qu’il ne peut pas se dissoudre et retourner au néant[65]. Le principe divin est cause de la création entière, parce que, par définition, le bien crée le bien. Il est encore créateur souverain du ciel, parce que le créateur de ce qu’il y a de plus beau au monde ne peut être que la plus parfaite des choses intelligibles. Comme le dieu est tel, le ciel semblable à lui est parfait, et étant parfait, il ne peut ressembler à aucun des êtres engendrés, mais il ressemble au dieu. Le monde est un composé de feu, d’eau, d’air et de terre. De feu d’abord pour être visible, puis de terre pour être solide, d’eau et d’air enfin pour être bien proportionné. Car la nature des corps solides est faite d’une proportion de deux principes moyens qui en se combinant forment un corps unique, et de tous les principes, pour que ce corps soit achevé et impérissable. Le Temps est l’image de l’éternité et subsiste éternellement. Le temps, c’est le mouvement du ciel, puisque la nuit, le jour, le mois, etc. sont des parties du temps. Donc qui supprime la création du monde, supprime aussi le temps. Dès le moment où le monde fut créé, le temps exista. Après le temps, le soleil, la lune et les planètes furent créés. Pour que le nombre des heures soit sensible et que les êtres vivants participent au nombre, le dieu leur a donné la lumière du soleil. La lune est au-dessus du cercle de la terre, le soleil est dans les cercles voisins, et les planètes dans les cercles supérieurs. Le monde est animé parce qu’il est attaché à un mouvement animé. Pour parfaire le monde, et lui donner l’image d’un être intelligible, les autres êtres vivants furent créés[66]. Les dieux, pour la plupart, sont de feu. Pour le reste, il y a trois genres d’êtres vivants : les volatiles, les aquatiques, les terrestres. La terre est le plus ancien de tous les dieux du ciel. Elle a été faite de façon qu’il y ait le jour et la nuit. Étant au centre, elle se meut autour d’un point. Et comme il y a deux causes, les unes viennent d’un dieu créateur, les autres de la nécessité[67]. Donc il y a deux principes et deux causes, je le répète, dont les exemplaires sont le dieu et la matière. Celle-ci est informe, comme tout ce qui est fait pour recevoir une forme, et dont la cause est la nécessité. Recevant les idées, elle forme les êtres, elle se meut par la dissemblance de sa nature, et son mouvement donne le mouvement aux êtres qu’elle crée. Ceux-ci d’abord se mouvaient sans ordre ni raison, mais quand ils commencèrent à se former en un monde, par suite des idées ajoutées à la matière, ils prirent un mouvement harmonieux et ordonné[68]. Ces causes étaient déjà au nombre de deux, même avant la création du ciel, cette création fut la troisième, mais elles restaient très confuses, elles n’étaient que des ébauches, et fort désordonnées. Quand le cosmos fut créé, elles s’ordonnèrent. Le ciel s’est formé de tous les corps existants. Platon croit encore que le dieu est, comme l’âme, incorporel, et qu’ainsi il n’est sujet à aucune altération et à aucune corruption. Quant aux idées, je le répète, il en fait des principes et des causes, existant par soi.

Voici maintenant ses théories sur le bien et sur le mal. Il faut tendre à la ressemblance avec le dieu. La vertu suffit à donner le bonheur, mais elle a besoin, comme soutien, des biens corporels : force, santé, finesse des sens, etc. et aussi des avantages extérieurs : richesse, noblesse, gloire. Toutefois l’absence de ces biens extérieurs ne saurait empêcher le sage d’atteindre le bonheur. Il lui reste la joie de participer au gouvernement, de prendre femme, de ne pas transgresser les lois. Outre ces lois reçues, il en établira de nouvelles pour sa patrie, à moins qu’il ne trouve cette tâche trop ardue, à cause de la trop grande corruption de la foule. Platon croit encore que les dieux ont un regard sur les affaires humaines, et qu’il existe des démons. C’est lui qui le premier définit la notion du beau, comme liée au louable, au raisonnable, à l’utile, au convenable, à l’harmonieux, toutes choses voisines et en accord.

Il a traité aussi dans ses dialogues de l’exactitude des termes, si bien que le premier il a établi la science de bien interroger et de bien répondre, science qui lui a été d’un grand secours.

Dans ses dialogues, il émet la théorie que la justice est une loi divine, afin de persuader aux hommes de l’observer, et pour éviter aux méchants une punition après leur mort.

C’est pourquoi quelques-uns disent qu’il raconte des fables, parce qu’il a mêlé à ses écrits des passages, par lesquels il force les gens à s’abstenir de commettre l’injustice, en les laissant dans l’incertitude de ce qui pourra bien leur arriver après leur mort. Voilà ses théories favorites.

Voici maintenant comment, selon Aristote, il divisait les choses[69].

Parmi les biens, il y a ceux de l’âme, ceux du corps et les biens extérieurs. Ex : la justice, la prudence, le courage, la sagesse sont des biens de l’âme ; la beauté, la belle taille, la santé, la force sont des biens du corps ; les amis, le bonheur de la patrie, la richesse sont des biens extérieurs. Donc il y a trois sortes de biens : ceux de l’âme, ceux du corps et les biens extérieurs.

Il y a aussi trois sortes d’amitié : celle qui vient de la nature, celle qui vient de la société, celle qui vient de l’hospitalité. Par amitié naturelle nous entendons celle qui lie les pères aux enfants et les parents entre eux, c’est l’amitié qu’ont en partage tous les êtres vivants. Par amitié d’origine sociale, nous entendons celle qui vient de la fréquentation sans aucune parenté, comme celle de Pylade pour Oreste ; enfin l’amitié d’hospitalité est celle que l’on a pour des étrangers, soit par recommandations, soit par lettres. Ainsi donc il y a trois sortes d’amitié : une naturelle, une de camaraderie, une d’hospitalité. On ajoute parfois une quatrième sorte : celle d’amour.

Il y a cinq sortes de constitution : démocratique, aristocratique, oligarchique, monarchique et tyrannique. La démocratique est celle des cités où le peuple a le pouvoir, nomme les magistrats et fait les lois. L’aristocratique est celle où ne gouvernent ni les riches, ni les pauvres, ni les gens célèbres, mais les nobles. L’oligarchique est celle où le cens fait le magistrat, car les riches sont moins nombreux que les pauvres. La monarchique l’est ou selon la loi, ou selon la naissance : à Carthage, elle l’est selon la loi, car elle est décernée par les citoyens ; à Sparte et en Macédoine, elle l’est selon la naissance, car ce sont les descendants d’une certaine famille qui sont rois. Enfin la tyrannie est le régime où les citoyens sont gouvernés par un homme qui a usurpé son pouvoir, ou par un violent. Ainsi donc, le gouvernement peut être ou démocratique, ou aristocratique, ou oligarchique, ou monarchique, ou tyrannique.

Il y a trois formes de justice : la justice divine, la justice humaine, la justice des morts. Ceux qui font des sacrifices selon les lois, et qui donnent leurs soins au culte, montrent évidemment de la piété envers les dieux ; ceux qui rendent l’argent qu’ils ont emprunté ou le dépôt qu’ils ont reçu, sont justes envers les hommes ; ceux enfin qui prennent soin des tombeaux sont de toute évidence justes envers les morts. Ainsi donc il y trois formes de justice : la justice divine, la justice humaine, et la justice envers les morts.

Il y a trois sortes de savoir : le savoir pratique, le savoir poétique[70], le savoir théorique : ainsi l’architecture ou la construction des vaisseaux sont des sciences poétiques, parce qu’il résulte d’elles une oeuvre créée ; la politique, l’art de la flûte ou de la cithare sont des sciences pratiques, car, si elles ne créent rien, elles sont action : jouer de la flûte, jouer de la cithare, faire de la politique ; enfin la géométrie, la musique, l’astrologie sont des sciences théoriques. Elles ne créent rien, elles ne sont pas action, elles sont étude : étude des lignes, des sons, des astres et du monde. Ainsi donc, il y a trois sortes de savoir : théorique, pratique et poétique.

Il y a cinq sortes de médecine : la pharmaceutique, la chirurgique, la diététique[71], la nosognomonique[72], la boéthétique[73]. La pharmaceutique soulage les malades par des médicaments, la chirurgique guérit par des incisions et des cautérisations, la diététique se borne à mettre le malade au régime, la nosognomonique soulage le malade par la détermination exacte de sa maladie, la boéthétique supprime le mal par un remède immédiat. Ainsi donc, il y a cinq sortes de médecine : pharmaceutique, chirurgique, diététique, nosognomonique, boéthétique.

Il y a deux sortes de droit : la loi écrite, la loi non écrite. La loi écrite est celle par laquelle on gouverne les cités. L’autre qui vient de la coutume et des moeurs est pour cela appelée non écrite. Ex : celle qui défend d’aller se promener tout nu sur la place publique, ou de se déguiser en femme ; aucun texte de loi ne l’interdit, et pourtant nous ne le faisons pas parce que la loi non écrite nous le défend. Ainsi donc, il y a deux sortes de lois : la loi écrite et la loi non écrite.

Il y a cinq sortes de discours : celui dont se servent les hommes politiques à l’assemblée du peuple, et qu’on appelle politique ; celui qu’écrivent les orateurs pour leurs démonstrations, leurs éloges, leurs blâmes, leurs accusations, et qu’on appelle oratoire ; celui dont se servent les profanes dans leurs entretiens, et qu’on appelle profane ; celui des dialogues où l’on s’interroge et où l’on répond par petites phrases, et qu’on appelle dialectique ; celui par lequel les artisans parlent de leur métier, et qu’on appelle technique. Il y a donc cinq sortes de discours : politique, oratoire, profane, dialectique ou technique.

Il y a trois sortes de musique : celle qui est produite par la bouche seule : (ex. : le chant), celle qui est produite à la fois par la bouche et par les mains (ex. : le chant accompagné de cithare), et celle qui n’est produite que par la main (ex : quand on joue de la cithare). Ainsi donc il y a trois sortes de musique : celle de la voix, celle de la voix mêlée à l’instrument, celle de l’instrument.

Il y a quatre sortes de noblesse : la première est celle des gens issus d’ancêtres honnêtes et justes : leurs fils sont appelés nobles ; la seconde est celle des gens issus d’ancêtres puissants et qui ont exercé le pouvoir : leurs fils aussi sont appelés nobles ; la troisième est celle des gens dont les ancêtres étaient réputés pour leur gloire militaire ou leurs victoires athlétiques : leurs fils aussi sont appelés nobles ; la quatrième enfin est celle des gens qui se distinguent par leur grandeur d’âme : ceux-là aussi sont appelés nobles, et c’est la meilleure forme de noblesse. Ainsi donc on peut être noble de quatre façons, selon que les ancêtres furent honnêtes, puissants, ou illustres, ou qu’on est soi-même personnellement un homme de coeur.

Il y a trois sortes de beauté : celle que l’on loue (ex. : la beauté du visage) ; une autre est la beauté pratique (ex. : celle d’un instrument, d’une maison, etc., toutes choses belles en raison de l’usage) ; enfin ce qui est conforme aux lois, aux moeurs, forme un genre de beauté utile. Ainsi donc il y a trois sortes de beauté : esthétique, pratique, utile.

Il y a trois sortes d’âme : une intelligente, une sensible, une volontaire. De ces trois sortes, l’intelligente est cause de la délibération, de la réflexion, de la pensée, etc., la sensible est cause du désir de manger, de convoiter les femmes, etc., enfin la volontaire est cause de la hardiesse, du plaisir, de la douleur, de la colère. Ainsi donc il faut distinguer l’âme intelligente, l’âme sensible, l’âme volontaire.

Il y a quatre sortes de vertu : sagesse, justice, courage et tempérance. La sagesse inspire de bonnes actions, la justice force à respecter le droit dans tous les rapports de communauté et de commerce, le courage donne la persévérance, et évite de fuir devant le danger, la tempérance enfin nous aide à dominer nos désirs, nous empêche d’être esclaves du plaisir, bref nous inspire une vie bien réglée. Ainsi donc il y a quatre sortes de vertu : sagesse, justice, courage, tempérance.

Il y a cinq sortes de pouvoir : le premier résulte de la loi, le second de la nature, le troisième de la coutume, le quatrième de la descendance, le cinquième de la violence. En effet, les magistrats des cités, s’ils sont choisis par la décision de leurs concitoyens, tiennent leur pouvoir de la loi ; d’autres le tiennent de la nature : ainsi les mâles, non seulement chez l’homme mais chez les animaux, car partout les mâles commandent aux femelles. Le pouvoir qui se fonde sur la coutume est par exemple celui des pédagogues sur les élèves ou des maîtres sur les disciples. Un exemple de pouvoir de race est celui des rois de Sparte, car ils reçoivent la royauté de leur famille, ou encore de Macédoine, où la royauté est fondée sur l’hérédité. Enfin il y a des gens qui s’étant installés par violence ou par ruse gouvernent contre le gré de sujets : on dit d’un tel pouvoir qu’il est fondé sur la violence. Ainsi donc il y a diverses sortes de pouvoir selon qu’il se fonde sur la loi, la race, la nature, la coutume et la violence.

Il y a six formes de rhétorique. Quand les orateurs exhortent à la guerre ou conseillent une alliance contre quelqu’un, ils font une exhortation. Quand au contraire ils veulent détourner leurs concitoyens de la guerre, les empêcher de conclure une alliance pour les obliger à vivre en paix, ils emploient une éloquence dissuasive. Quand on démontre qu’un homme qui se prétend la victime est le coupable, on fait un réquisitoire. Quand on cherche à prouver que l’on n’a commis aucun crime ni aucune illégalité, on fait un plaidoyer. Quand on loue quelqu’un et qu’on le présente comme un homme de bien, on fait un éloge. Quand on démontre qu’un homme est un vaurien, on fait un blâme. Ainsi donc, il y a six formes d’éloquence : blâme, louange, persuasion, dissuasion, réquisitoire, plaidoyer.

L’art de parler se divise en quatre parties : il faut considérer : 1° quelle chose il convient de dire ; 2° combien de choses il faut dire ; 3° à qui il convient de les dire ; 4° quand il convient de les dire. Ce qu’il faut dire : ex. : ce qui sera utile à celui qui parle et à celui qui écoute. Combien de choses il faut dire, c’est-à-dire pas plus ni moins qu’il n’est suffisant. A qui il faut le dire : si c’est à des gens plus âgés, il faut employer des paroles ajustées à l’âge des vieillards, et si c’est à des gens moins âgés, il faut les ajuster à leur âge de jeunes gens. Quand il faut le dire : c’est-à-dire ni trop tôt ni trop tard, sinon on se trompera et on ne parlera pas bien.

Il y a quatre sortes de bienfaisance : on peut faire le bien par son argent, par son corps, par son savoir, par ses paroles. On fait le bien par son argent, quand on en donne à un pauvre pour le tirer de sa pauvreté ; par son corps, quand on secourt quelqu’un contre ceux qui l’attaquent ; par son savoir, comme font ceux qui enseignent, guérissent, ou conseillent ; par sa parole enfin quand on vient au tribunal secourir quelqu’un et appuyer sa cause d’un discours bien approprié. Il y a donc quatre façons de faire le bien : par son argent, par son corps, par son savoir, par ses paroles.

On peut considérer de quatre façons la fin des choses : les choses peuvent prendre leur fin de la loi (ex. : un décret voté et sanctionné par la loi), de la nature (ex. : le jour, l’année, les saisons), d’un art (ex. : l’architecture et la construction des navires : car c’est d’après l’art que chacun mène à bonne fin le bateau ou la maison), ou quelquefois du hasard (ex. : un malheur inattendu). Ainsi donc, la fin des choses est dans la loi, la nature, l’art, ou le hasard.

Il y a quatre sortes de puissance : une par laquelle on calcule et on réfléchit à l’aide de la pensée ; une qui vient du corps (puissance de marcher, de donner, de recevoir), une qui vient de l’abondance des soldats et de l’argent (c’est la puissance d’un roi), et enfin une qui nous rend heureux ou malheureux, qui nous fait bien ou mal agir (ex. : nous pouvons être infirme, étudiant, convalescent, etc.). Ainsi donc il y a quatre sortes de puissance : intellectuelle, corporelle, sociale (argent et soldats) et morale.

Il y a trois sortes de civilité : la politesse, comme rencontrer quelqu’un, le saluer, lui tendre la main, lui dire bonjour ; une autre sorte consiste à secourir un malheureux ; une troisième à banqueter avec des amis. Ainsi donc il y a trois sortes de civilité : la politesse, la bienfaisance, la sociabilité.

Il y a cinq sortes de bonheur : prendre une bonne décision, être en bonne santé, être heureux dans ses entreprises, avoir une bonne réputation, avoir de l’argent et tout ce qui embellit la vie. Une bonne décision est le résultat de l’éducation et de l’expérience ; la santé concerne toutes les parties du corps, c’est bien voir, bien entendre, avoir le goût et l’odorat fins ; la réussite est obtenue quand on fait tout ce qu’on veut faire comme on doit le faire ; la bonne réputation, on l’a quand les gens parlent bien de vous ; enfin l’abondance vient quand on a pour toutes les actions de sa vie tant de richesses qu’on peut aider ses amis et contribuer aux liturgies avec munificence. Qui possède tous ces avantages est parfaitement heureux. Ainsi donc être heureux, c’est prendre de bonnes décisions, être en bonne santé, réussir dans ses entreprises, être estimé ou être riche.

Il y a trois sortes d’art : le premier, le deuxième, le troisième. Le premier, ex. : le travail des métaux et du bois, ce sont des arts préparatoires ; le second, ex. : l’art de l’armurier et du menuisier, ce sont des arts de fabrication (en effet l’armurier fabrique des armes avec le fer et le menuisier fait des flûtes avec le bois) ; troisièmement les arts d’usage, ex. : l’art hippique se sert des freins, l’art militaire utilise les armes, la musique utilise la flûte. Ainsi donc il y a trois sortes d’art : le premier, le deuxième et le troisième.

Il y a quatre sortes de bien : nous appelons bien d’abord ce qui a en propre une vertu, puis la vertu elle-même et la justice, en troisième lieu, les aliments, les exercices et les médicaments utiles, enfin, l’art du joueur de flûte, de l’acteur, etc. Ainsi donc il y a quatre sortes de bien, ce qui a en propre une vertu, la vertu elle-même, les aliments, exercices et médicaments utiles, enfin l’art du joueur de flûte, de l’acteur, etc.

Parmi les choses, les unes sont mauvaises, d’autres bonnes, d’autres indifférentes. Nous appelons mauvaises celles qui sont de nature à nous nuire (intempérance, folie), leurs contraires sont des biens. Les autres choses tantôt sont utiles, tantôt sont nuisibles (se promener, s’asseoir, manger), ou ne peuvent être ni utiles, ni nuisibles absolument. Elles ne sont donc ni bonnes ni mauvaises. Ainsi donc parmi les choses, les unes sont bonnes, d’autres mauvaises et d’autres indifférentes.

Il y a trois sortes de bonne administration : nous disons que l’administration est bonne : a) quand les lois sont bonnes ; b) quand les citoyens obéissent aux lois ; c) quand, en l’absence de toute loi, les citoyens s’administrent sagement selon leurs coutumes et leurs inclinations. Ainsi donc, il y a trois sortes de bonne administration : si les lois sont bonnes, si les citoyens obéissent aux lois, s’ils se gouvernent d’après des coutumes sages.

De même une administration est mauvaise de trois façons : si les lois sont lourdes et désagréables aux citoyens comme aux étrangers, si l’on n’obéit pas aux lois, ou s’il n’y a pas de loi du tout.

Il y a trois sortes de contraires : ainsi nous disons que sont des contraires le bien et le mal, le juste et l’injuste, la sagesse et la folie. Il y a aussi du mal contraire au mal, comme la prodigalité et l’avarice, un châtiment injuste et un châtiment juste. Enfin le lourd est le contraire du léger, le rapide du lent, le noir du blanc, et ils s’opposent comme des chosse indifférentes à des choses indifférentes. Ainsi donc les contraires peuvent s’opposer de trois façons : soit comme le mal au bien, soit comme des maux entre eux, soit comme des choses indifférentes entre elles.

Il y a trois sortes de biens : ceux qu’on peut avoir en toute propriété, ceux auxquels on a seulement part, et ceux qui sont des biens en eux-mêmes. Les premiers sont ceux qu’on peut recevoir et posséder (justice, santé), les seconds ceux qu’on ne peut posséder, mais auxquels on peut participer (ex. : le bien en soi), enfin les derniers sont ceux qu’on ne peut avoir ni en entier ni en partie, mais qui existent pourtant d’une existence nécessaire (être juste, être bon). Ainsi donc il y a des biens qu’on peut posséder en totalité, d’autres en partie, et des biens transcendants.

Il y a trois sortes de conseils : ils s’appuient l’un sur le passé, l’autre sur le présent, l’autre sur l’avenir. Exemples du premier : les malheurs des Spartiates trop confiants ; du second : montrer la faiblesse des murs, la lâcheté des hommes, le manque de vivres ; du troisième : il ne faut pas maltraiter les ambassadeurs, pour garder à la Grèce son bon renom. Ainsi on peut tirer ses conseils de la considération du passé, du présent ou de l’avenir.

Il y a deux sortes de voix : animée, inanimée. La première est celle des êtres vivants, la seconde comprend les sons et les échos. La première est également de deux sortes : articulée, et inarticulée. La première est celle des hommes, la seconde celle des bêtes. Ainsi donc il y a deux sortes de voix : animée, inanimée.

Il y a deux sortes de choses : les divisibles, les indivisibles. Parmi les divisibles, il y a les homogènes et les hétérogènes. Les corps simples sont ceux qui ne se divisent pas, et ne sont pas composés (unité, point, son). Les corps composés sont tous ceux qui sont formés de la réunion de plusieurs choses (choeurs, syllabes, êtres vivants, eau, or). Les corps homogènes sont ceux qui sont formés de parties de même nature, et dont l’ensemble ne diffère que par le nombre des parties (eau, or). Les corps hétérogènes sont ceux qui sont composés de parties dissemblables (une maison). Ainsi donc les corps sont ou simples ou composés, et ces derniers sont homogènes ou hétérogènes.

Ce qui existe est aussi de deux sortes : ce qui existe par soi et ce qui existe par relation à autre chose. Est dit exister par soi, tout ce qui n’a besoin de rien autre pour être expliqué (homme, cheval, etc., aucun n’a besoin d’explication). Est dit exister par relation, ce qui a besoin d’une interprétation (le plus grand, le plus vite, le plus beau, etc. Car le plus grand est plus grand que le plus petit, et le plus vite est plus vite que quelque chose). Ainsi donc ce qui existe existe ou par soi ou par relation. Voilà donc comment Platon, selon Aristote, divisait les choses.

Il y eut un autre Platon, philosophe de Rhodes[74] élève de Panoetios (cf. Séleucos, le grammairien, de la Philosophie, liv. 1), un troisième, Péripatéticien, disciple d’Aristote, et un quatrième, disciple de Praxiphane, et poète de l’ancienne comédie.


[1] M. Dalmeyda (Extraits de Platon, Introd.) rappelle que dans ce livre III, « parmi des documents de toute provenance, se trouvent des détails plus ou moins directement empruntés à Speusippe, neveu du grand philosophe, et aux premiers Platoniciens ».
[2] Gouvernement aristocratique imposé à Athènes par Sparte, en ~404, après la guerre du Péloponnèse. Une commission de trente membres, organisée par Lysandre, prit vite un pouvoir dictatorial, qui ne dura que jusqu’en ~403.
[3] Cf. Vie de Solon.
[4] 7 mai ~427.
[5] Conséquence de la légende citée plus haut, par où on faisait d’Apollon le père de Platon. M. Dalmeyda rapproche ces légendes de celles, aussi fausses, qui ornent les récits de la vie de Virgile.
[6] Vers ~344.
[7] Isocrate (~436-~338), disciple de Socrate et des Sophistes, puis élève de Gorgias, devint un des plus grands orateurs d’Athènes, spécialisé dans l’éloquence d’apparat. Il est célèbre surtout par son Panégyrique d’Athènes.
[8] La chorégie est la plus importante des liturgies ordinaires ayant pour objet les fêtes religieuses. Le terme sert souvent pour désigner la liturgie en général. L’organisation nous en est bien connue par les discours de Lysias (XIX-XXI). Le chorège doit organiser et faire instruire à ses frais un des choeurs prenant part aux fêtes religieuses. Il le nourrit, fournit le lieu de répétitions, subvient à toutes les dépenses, s’occupe du costume et conduit lui-même le choeur.
[9] Ces deux frères sont cités par Platon dans la République.
[10] Un des trois stades de l’éducation athénienne.
[11] Il invoque Héphaïstos, dieu du feu, parce qu’il va brûler son manuscrit.
[12] M. Dalmeyda déclare que ce voyage de Platon à Mégare ne fut pas sans influence sur sa doctrine. M. Robin trouve au contraire qu’on en a exagéré l’importance.
[13] Ce voyage en Égypte ne paraît pas mis en doute actuellement. Gomperz (Les Penseurs de la Grèce, t. Il) en parle comme d’un fait indiscutable. M. Robin (La Pensée grecque, p. 211) dit : « Un voyage, dont la durée ne semble pas avoir excédé deux ou trois ans, le conduit d’abord vers l’Égypte, dont ses écrits semblent révéler une connaissance directe. » Il me paraît pourtant utile de faire remarquer que D.L., suivant par là une théorie qu’il combat dans son introduction, attribue un voyage en Égypte à tout philosophe important. Le fait qu’il est aussi question des Mages semble prouver qu’on est ici en pleine légende traditionnelle. Platon a pu simplement connaître l’Égypte par des documents écrits.
[14] L’Académie était un beau domaine planté d’arbres et orné de fontaines, qui se trouvait proche du bourg de Colone, sur la route conduisant à Athènes, au quartier du Céramique.
[15] Épicharme de Cos, poète comique du ~VIe siècle, auteur de la comédie dite sicilienne, où l’on commence à voir une intrigue.
[16] Ainsi, ce qu’Épicharme appelle dieu, c’est ce que Platon appelle intelligible, ce que le poète appelle homme, c’est ce que le philosophe nomme sensible.
[17] C’est la distinction du genre et des espèces.
[18] Ces trois voyages certains sont la partie dramatique de la vie de Platon. Le premier est de ~388, le second de ~369, et le troisième de ~361. Ils furent tous trois malheureux.
[19] Ville maritime d’Achaïe.
[20] A ce propos, tout l’intérêt de la thèse de Willamovitz (Platon, 1928, 2 vol.) a été de montrer en Platon un homme politique manqué.
[21] Ville d’Arcadie, près du confluent de l’Alphée et de l’Hélisson, patrie de Philopoemen.
[22] Général athénien qui prit part aux luttes contre Sparte et Thèbes, et mourut en ~357.
[23] Théopompe et Anaxandride, tous deux poètes de l’ancienne comédie.
[24] Fille de Dymas, roi de Thrace, et femme de Priam. Ses cinquante fils périrent avec Troie, elle devint selon la légende esclave d’Ulysse.
[25] Nom donné à Vénus dans l’île de Chypre.
[26] Tradition contraire à celle d’Aulu-Gelle (Nuits attiques, XIV, 13), qui prétend que Xénophon ne cita jamais Platon. On trouve au contraire (Mémorables, III, en. 61) Platon cité à propos de Charmide.
[27] Capitale des Locriens Opuntiens.
[28] C’est-à-dire Appendice aux Lois. Ce livre n’est pas de Platon.
[29] Excellent exemple du pêle-mêle et de la confusion dans l’exposé.
[30] Tout l’ouvrage de D.L. avec ses bons mots légendaires prouve la vérité de cette boutade.
[31] Sa mort est actuellement datée de ~347, alors qu’il n’avait pas tout à fait achevé son dernier grand ouvrage : les Lois.
[32] Nouvelle apparition d’une légende sur tous les philosophes qui doit provenir d’un fonds commun des satiriques, et qu’on retrouve chez l’écrivain grec Lucien.
[33] C’est une unité monétaire valant cent drachmes.
[34] 155 drachmes de poids, cela fait environ 700 grammes.
[35] Petite tasse, pesant ici environ 400 grammes.
[36] Au total 20 grammes.
[37] Indication de la personne à qui est dédié l’ouvrage
[38] Proverbe équivalant au mot français : « porter de l’eau à la rivière », car Athéna avait une chouette dans ses attributs.
[39] Cette beauté merveilleuse du dialogue platonicien, qui en fait une oeuvre d’art autant qu’une oeuvre philosophique, a été soulignée par tout le monde, et en particulier par MM. Gom-perz, Dalmeyda, Robin, et surtout Bréhier (Histoire de la philosophie, I, p. 96-167), qui montre dans ce dialogue à la fois un drame, une discussion, un discours passionné ou parodique, un mythe poétique ou ornemental.
[40] C’est-à-dire démonstratif.
[41] Cherchant à atteindre le vrai.
[42] Art d’accoucher les esprits.
[43] Art de sonder les pensées.
[44] Démonstratif.
[45] Réfutatif.
[46] Cette belle comparaison simplifie évidemment beaucoup trop la question.
[47] Cette phrase ressemble beaucoup à une glose. Elle apporte une explication, inutile pour les gens de ce temps, de la tétralogie. La définition est excellente, le scholiaste aurait pu ajouter que cette coutume, qui semble remonter à Eschyle, ne paraît pas lui avoir survécu sous sa forme exacte (les quatre pièces ayant le même sujet).
[48] Cette division est celle de Thrasyllos, philosophe platonicien du temps de Tibère (Ier siècle après J.-C). Il y a eu dans la période moderne un moment de critique impitoyable à l’égard de ces dialogues. Gomperz (op. cit.) rappelle que Schaarschmidt (die Sammelung der Platonischen Schriften) n’en considérait comme authentiques qu’un quart, en vertu de cette idée erronée que Platon ne pouvait avoir écrit que les meilleurs. La question de l’authenticité et du groupement des oeuvres de Platon a été l’objet de travaux importants, d’après le contenu et la langue des ouvrages. Ainsi, après les travaux de Schleiermacher (1804), de Hermann (1839), de Campbell (1867), de Dittenberger (1881) et les siens propres, M. Robin arrive-t-il (p. 217 et sqq.) au classement suivant, chronologique et très différent de celui de D.L. :
a) Œuvres de jeunesse : (avant les voyages) : Apologie, Hippias, Criton, Lâchés, Charmide, Gorgias, Protagoras, Ion, Rép. liv. I.
b) Œuvres de la maturité : Ménon, Cratyle, Banquet, Phédon, République, Phèdre, Théétète, Parménide.
c) Œuvres de la vieillesse : Sophiste, Politique, Philèbe, Timée, Lois.
C’est, à quelques différences près, l’ordre adopté déjà par Gomperz. M. Bréhier (op. cit., p. 96-167) précise cet ordre, en séparant les discours juste antérieurs à la fondation de l’Académie (Gorgias), les discours-programme lors de cette fondation (Ménon, Euthydème, République), les dialogues donnant un portrait idéalisé de Socrate (Phédon, Banquet, Phèdre) et ceux, avant les ouvrages de la vieillesse, qui introduisent une nouvelle conception de la dialectique (Cratyle, Parménide, etc.).
[49] Discours apocryphe (cf. Robin, p. 214).
[50] Discours apocryphe.
[51] Ce discours n’est pas plus authentique que le Clitophon et le Théagès.
[52] Aristophane de Byzance, grammairien d’Alexandrie.
[53] L’authenticité des lettres est discutée, sauf pour les lettres VII et VIII.
[54] Trace de l’incertitude où l’on était déjà à l’époque de D.L. de la vraie chronologie des oeuvres de Platon.
[55] Il y a un point dans l’angle supérieur (UB).
[56] Il y a trois points : dans l’angle supérieur, dans l’angle de gauche, dans l’angle de droite (UB).
[57] Il s’agit d’un trait ondulé (UB).
[58] Cette explication de l’âme, assez confuse dans ce texte, provient du Timée, ouvrage où Platon donne sa cosmologie sous forme de mythe. C’est le démiurge qui a fabriqué l’âme du monde, en des cercles obéissant aux lois de l’harmonie musicale. Les deux cercles dont il s’agit sont concentriques, et de même grandeur, car ils ont été formés par le démiurge d’une même bande coupée dans le sens de la longueur, et recourbée, l’un des cercles ayant été simplement incliné de façon à être à peu près perpendiculaire à l’autre.
[59] Le même représente l’unité de l’intelligence, l’autre la multiplicité des sensations, car l’âme est un mélange des deux.
[60] Distinction importante entre les deux sources du savoir : épistémê ou science donnant la certitude absolue, et orthodoxa ou opinion vraie, justifiable par le raisonnement, mais ne donnant qu’une connaissance approchée.
[61] Exprimé dans le Timée comme l’oeuvre du démiurge, mais repris d’Anaxagore (cf. liv. II).
[62] Les éléments, dit en effet Platon dans le Timée, sont des surfaces très simples, des triangles.
[63] Solide fait de pyramides à base carrée et réunies par la base.
[64] Solide à 20 faces.
[65] La leçon de Cobet : théon est peu acceptable, bien qu’intelligible ; je crois plus simple d’y substituer mê ôn expression courante des théories physiques des philosophes.
[66] Texte altéré ; une phrase se rattache mal au raisonnement : « Puisque le monde l’avait, il fallait aussi en faire don au ciel. »
[67] Après cette phrase vient un passage évidemment interpolé : la répétition sans objet d’une opinion inspirée du Timée et venant tout à fait hors de propos. La voici : « Ce sont l’air, le feu, la terre et l’eau, qui ne sont pas à proprement parler des éléments, mais des choses capables d’en recevoir ; ils sont composés de triangles, et leurs éléments sont des triangles scalènes ou isocèles. » Cette interpolation est maladroitement rattachée au contexte par une nouvelle répétition : « Donc il y a deux... »
[68] Encore une redite prouvant que le texte de ce développement sur la cosmologie de Platon est mal établi. Toute cette fin de paragraphe est absolument sans valeur (décousue, mal dominée, embarrassée, confuse).
[69] Allusion à l’un des aspects de la dialectique platonicienne. La dialectique a une double fonction : la sunagogê (réunion), qui consiste à ramener la multiplicité des sensations à un concept unique, donc à remonter des espèces aux genres (cf. Sophiste, 253 b) et la diairesis (division), dont il est question ici, qui consistait au contraire à analyser le genre pour en dégager les espèces (Phèdre, 265 d).
[70] Par ce mot, pris dans son sens étymologique, Platon entend le savoir créateur sous toutes ses formes.
[71] Celle qui indique un régime de vie (diète).
[72] Celle qui se borne à un diagnostic.
[73] Celle qui cherche à soulager le malade.
[74] Rhodes, île de la Méditerranée, sur la côte sud-ouest de l’Anatolie.