Le Scythe Anacharsis était fils de Gnouros et frère de Cadouidas, roi de Scythie. Sa mère était Grecque, aussi connaissait-il deux langues. Il a écrit huit cents vers pour comparer les usages scythes et les usages grecs, sur la simplicité de vie et la guerre. Sa franchise fit passer en proverbe « la façon de parler scythe ». Sosicrate dit qu’il vint à Athènes vers la quarante-septième olympiade[1], quand Eucrate était archonte. Hermippe raconte qu’il essaya de voir Solon, demandant à ses serviteurs de dire à leur maître qu’Anacharsis était à la porte et voulait le voir et devenir son hôte si possible. Le serviteur fit la commission et reçut de Solon ordre de répondre qu’on ne recevait comme hôtes que ses compatriotes, à quoi Anacharsis répliqua qu’en Grèce il était précisément dans sa patrie et qu’il pouvait le recevoir comme hôte. Solon, admirant la répartie, le reçut et en fit son plus grand ami. Plus tard il revint en Scythie et voulut changer les usages de son pays, car il était fort épris d’usages grecs, mais son frère le tua d’une flèche à la chasse. Avant de mourir il dit : « J’ai été sauvé en Grèce par mon esprit, et je meurs chez moi à cause de l’envie. » D’autres veulent qu’il ait été tué tandis qu’il faisait un sacrifice selon les rites grecs. J’ai écrit sur lui les vers que voici :
Anacharsis, revenu en Scythie après de longs voyages,
Voulut faire vivre tout le monde selon les moeurs grecques.
Il avait encore à la bouche des mots inachevés,
Quand une flèche cruelle l’emporta chez les Immortels.
C’est lui qui a dit : « La vigne porte trois grappes, l’une de plaisir,
la seconde d’ivresse, la troisième de repentir. » Il s’étonnait
de voir en Grèce les spécialistes discuter et les profanes décider.
On lui demandait comment devenir sobre : « C’est, disait-il, en regardant
l’ignoble aspect des ivrognes. » Il était surpris de voir les Grecs
faire des lois sur la violence, et pourtant récompenser les athlètes
de s’être bien donné des coups. Apprenant qu’un bateau n’était épais
que de quatre doigts, il s’étonnait qu’une si petite épaisseur préservât
les marins de la mort. Il disait que l’huile rend fou, car après
s’en être frottés, les athlètes se conduisent les uns envers les autres
comme des insensés. Il s’étonnait encore de voir ceux qui interdisent
le mensonge mentir publiquement dans les cabarets, et de voir les Grecs
boire dans de petites coupes au début des banquets et dans de grandes à la
fin quand ils sont déjà ivres. Au bas de ses statues, on peut lire
: « II faut savoir maîtriser sa langue, son coeur et son sexe. » On
lui demandait s’il y avait des flûtes en Scythie, il répondit : il
n’y a même pas de vignes ; il prétendait que le vaisseau le plus sûr
est celui qui est à l’ancre ; il racontait encore qu’un usage grec
l’avait particulièrement frappé, celui de laisser la fumée sur les
montagnes, et d’apporter les bûches à la ville[2]. On
lui demandait si les vivants étaient plus nombreux que les morts. Il
dit : « Mais d’abord, ceux qui sont sur mer, dans quelle catégorie
les rangez-vous[3] ? » Un
Grec lui ayant fait le reproche d’être Scythe, il lui répondit : « Si
ma patrie m’est un sujet de honte, toi, tu es un sujet de honte pour
ta patrie. » A ceux qui lui demandaient ce que les hommes avaient de
bon et de mauvais à la fois, il répondait : la langue. Il préférait
un ami sûr à beaucoup d’amis infidèles. Il définissait l’Agora un lieu
où l’on se trompe mutuellement et où l’on s’enrichit par le vol. Il
reprit en ces termes un jeune homme qui lui avait dit une sottise dans
un banquet « Mon jeune ami, si étant jeune vous ne pouvez supporter
le vin, quand vous serez vieux, vous serez obligé de boire de l’eau. » C’est
lui qui découvrit l’ancre et le tour des potiers. Voici une lettre
de lui : « Je suis venu en Grèce, roi de Lydie, pour apprendre
les moeurs et les coutumes grecques. Je n’ai pas besoin d’or, il me
suffira pour être heureux d’être devenu meilleur quand je reviendrai
en Scythie. Je vais toute fois à Sardes, heureux de vous fréquenter. »