Périandre[1], fils de Cypsélos, natif de Corinthe, descendait des Héraclides. Il épousa Lysidé, qu’il appelait Mélissa : c’était la fille de Proclée, le tyran d’Épidaure, et d’Éristhénée, fille elle-même d’Aristocrate et soeur d’Aristodème, lesquels étendaient leur pouvoir sur presque toute l’Arcadie (cf. Héraclide du Pont, livre sur le Pouvoir). Il en eut deux enfants, Cypselos et Lycophron. Le cadet était intelligent, l’aîné simple d’esprit. Plus tard, dans un accès de colère, il battit sa femme qui était grosse, la jetant dans l’escalier ou lui donnant de violents coups de pied, si bien qu’il la tua. Il y avait été poussé par les calomnies de ses concubines, qu’il fit d’ailleurs brûler par la suite. Il relégua à Corcyre son fils Lycophron, qui se lamentait de la mort de sa mère. Mais devenu vieux, il le fit revenir pour lui transmettre la tyrannie. Les Corcyriens le devancèrent, et mirent le fils à mort. Périandre là-dessus se mit en colère et fit envoyer tous leurs enfants à Alyatès, pour les faire châtrer, mais comme le vaisseau qui les portait longeait l’île de Samos, ils invoquèrent la déesse Héra, et ils furent sauvés par les habitants de l’île. Périandre en fut si déçu qu’il mourut, ayant déjà atteint l’âge de quatre-vingts ans. Sosicrate dit qu’il mourut quarante et un ans avant Crésus, et avant la quarante-neuvième olympiade[2]. Hérodote (liv.I) dit qu’il fut l’hôte de Thrasybule tyran de Milet ; Aristippe ajoute (Plaisir des Anciens, liv. I) que sa mère Cratéa en était devenue amoureuse et qu’il allait avec elle en cachette pour son plus grand plaisir. La chose s’étant ébruitée, il en devint insupportable pour tout le monde, parce qu’il était mécontent d’avoir été découvert. Par ailleurs, Éphoros rapporte qu’il fit voeu, s’il l’emportait aux jeux olympiques dans la course des quadriges, de consacrer aux dieux une statue d’or, et qu’après sa victoire, comme il n’avait pas d’or, voyant dans une fête publique des femmes aux riches parures, il les leur fit arracher, et de la sorte put envoyer l’offrande promise. On dit encore de lui que, voulant laisser ignorer le lieu où serait son tombeau, il usa de cet artifice : il ordonna à deux jeunes gens, après leur avoir montré une route, de la suivre de nuit, de tuer et d’ensevelir le premier qu’ils rencontreraient ; puis il fit marcher quatre autres pour tuer et ensevelir les deux premiers, puis d’autres encore plus nombreux que les précédents. Après quoi il vint au-devant des premiers, qui le tuèrent. Les Corinthiens pourtant lui élevèrent un cénotaphe avec cette inscription :
C’est un maître pour la richesse et la sagesse que Corinthe
Sa patrie tient dans son sein en la personne de Périandre.
J’ai moi-même écrit :
Ne vous affligez jamais d’échouer dans vos entreprises,
Mais réjouissez-vous de tout ce que les dieux vous envoient,
Car le sage Périandre est mort d’une déception,
Et du dépit de n’avoir pas réalisé ses desseins.
Il est l’auteur du précepte : « Ne faites rien pour de l’argent, car il ne faut payer que ce qui s’achète. » Il a écrit aussi des Préceptes, d’un total de près de deux mille vers. Il a dit que ceux qui veulent avoir un règne sûr doivent tirer leur force de leur bienveillance et non de leurs armes. On lui demandait un jour pourquoi il était tyran ; il répondit : « Parce qu’abandonner la tyrannie de son plein gré est aussi dangereux que la quitter par force. » Il a dit encore : « La tranquillité est chose belle, la témérité chose périlleuse, le gain chose laide. La démocratie vaut mieux que la tyrannie, les plaisirs sont passagers, la gloire est immortelle. Si vous réussissez, soyez modeste ; si vous échouez, soyez sage. Soyez pour vos amis dans le malheur ce que vous êtes pour eux dans la prospérité. Tenez vos promesses. Ne divulguez pas les secrets. Punissez non seulement ceux qui ont fait une faute, mais ceux qui se préparent à en faire une. »
Il fut le premier à avoir une garde de lanciers, à transformer son pouvoir en tyrannie, et à ne pas permettre à tout le monde d’habiter la ville (selon Euphore et Aristote).
Il avait quarante ans[3] vers la trente-huitième olympiade et fut tyran pendant quarante ans. Sotion, Héraclide et Pamphile (Mémoires, livre V) disent qu’il y eut deux Périandre, le tyran et le sage, ce dernier originaire d’Ambracie. Néanthès de Cyzique confirme cela et dit qu’ils étaient parents. Aristote prétend que le sage était de Corinthe, Platon le nie. Il est l’auteur du proverbe « Le travail peut tout ». Il voulut aussi percer l’Isthme. Ces lettres passent pour être de lui :
PÉRIANDRE AUX SAGES
« Je remercie Apollon Pythien de vous trouver ainsi tous réunis ; et je souhaite que mes lettres vous conduisent à Corinthe. Pour moi je vous recevrai, comme vous le savez bien, de la façon la plus civile. Je vous demande que, de même que l’an passé, vous êtes allés de Sardes en Lydie, vous n’hésitiez pas à venir vers moi, tyran de Corinthe. Les Corinthiens vous verront avec joie fréquenter la maison de Périandre. »
PÉRIANDRE A PROCLÉE[4]
« Le meurtre de ma femme, je ne l’ai pas commis volontairement. Vous qui volontairement avez détourné de moi mon fils, vous avez tort. Faites donc cesser la rigueur de mon fils ou je vous punirai, car j’ai déjà expié ma faute envers votre fille, en faisant brûler avec son corps tous les vêtements des femmes de Corinthe. »
Thrasybule d’autre part lui a écrit la lettre suivante :
THRASYBULE A PÉRIANDRE
« Je n’ai rien répondu à votre héraut, je l’ai conduit dans un champ
de blé, j’ai frappé à coups de bâton les épis qui dépassaient, et je
les ai abattus. Il était à côté de moi, il vous dira, si vous l’interrogez,
ce qu’il a entendu et ce qu’il a vu. Faites donc ainsi, si vous voulez
fortifier votre pouvoir. Faites périr les premiers de vos concitoyens,
qu’ils soient ou non vos ennemis, car le tyran doit se défier même
de ses amis. »