DIOGÈNE LAËRCE

THALÈS (Les Sept Sages)

Traduction Robert Genaille, 1933

Thalès[1], au dire d’Hérodote, de Douris et de Démocrite, était fils d’Examios et de Cléobuline, et membre de la famille des Thélides, Phéniciens descendant en droite ligne d’Agénor[2] et de Cadmus[3], s’il faut en croire Platon. Le premier, il porta le nom de sage, au temps où Damasias était archonte à Athènes[4]. C’est sous le même archontat que fut créée l’expression : « les sept sages » (cf. Démocrite de Phalère, Registre des Archontes). Thalès fut inscrit comme citoyen de Milet quand il vint dans cette ville avec Nélée chassé de Phénicie. Une autre tradition très courante veut qu’il soit natif de Milet et qu’il descende d’une bonne famille. Il s’occupa de politique avant d’étudier la nature. On croit qu’il ne laissa aucun écrit, car l’Astrologie nautique qu’on lui attribue est de Phocos de Samos.

Callimaque[5] croit qu’il découvrit la Petite Ourse et le raconte en vers iambiques :

Il mesura, dit-on, les étoiles du Chariot

Sur quoi les Phéniciens règlent leur navigation.

D’autres auteurs disent qu’il écrivit seulement deux ouvrages, un sur le solstice et un sur l’équinoxe, car il pensait le reste inaccessible. Il passe pour avoir le premier étudié l’astrologie et prédit les éclipses de soleil et les solstices (cf. Eudème, Histoire de l’astrologie)[6]. Xénophane et Hérodote le louent à ce propos, et leur témoignage est confirmé par celui d’Héraclite et de Démocrite. On dit encore (cf. le poète Choirilos) qu’il fut le premier à affirmer l’immortalité des âmes.

Le premier il dessina la course du soleil d’un solstice à l’autre, et démontra que comparée au soleil, la lune en est la cent vingtième partie. C’est encore lui qui fixa à trente jours la durée du mois, et qui écrivit le premier traité sur la Nature.

Aristote et Hippias disent aussi qu’il accordait une âme aux choses qu’on croit inanimées ; il en donnait pour preuve l’ambre et la pierre de Magnésie.

Selon Pamphile[7], il apprit des Égyptiens la géométrie, inscrivit dans un cercle le triangle rectangle, et pour cette découverte immola un boeuf. D’autres, comme Apollodore le calculateur, attribuent cette invention à Pythagore. Thalès a encore développé et précisé l’invention du Phrygien Euphorbe citée par Callimaque dans ses Iambes et concernant le triangle scalène, et tout ce qui touche aux considérations sur les lignes.

Il semble encore avoir été en politique un homme de bon conseil. Ainsi, quand Crésus[8] envoya une ambassade aux Milésiens pour demander leur alliance, il s’y opposa, et son intervention sauva la ville, puisque Cyrus l’emporta.

Héraclite cite une opinion de Clytos selon laquelle Thalès aurait eu une vie retirée et solitaire. Les uns disent qu’il se maria et eut un fils nommé Kibissos. D’autres prétendent qu’il resta célibataire et adopta le fils de sa soeur, qu’on lui demanda un jour pourquoi il ne cherchait pas à avoir des enfants, et qu’il répondit : « Par amour pour les enfants. » Sa mère l’exhortait à se marier, il lui répondit : « Non, par Zeus, il n’est pas encore temps. » Elle l’y invita une nouvelle fois quand il eut pris de l’âge, mais il lui dit : « Il n’est plus temps. »

D’après Hiéronyme de Rhodes (Notes, livre II), il voulut montrer combien il était facile de s’enrichir ayant prévu pour l’année une abondante récolte d’huile, il prit à loyer une oliveraie et gagna beaucoup d’argent[9].

Il soupçonna que l’eau était le principe des choses, que le monde était animé et rempli de démons. On dit qu’il découvrit les saisons de l’année, et qu’il la divisa en trois cent soixante-cinq jours. Il ne suivit les leçons d’aucun maître, sauf en Égypte, où il fréquenta les prêtres du pays. A ce propos, Hiéronyme dit qu’il mesura les Pyramides en calculant le rapport entre leur ombre et celle de notre corps. Si l’on en croit Minuès, il vivait au temps de Thrasybule, qui fut tyran de Milet[10].

L’histoire du trépied trouvé par des pêcheurs et dédié aux sages par le peuple de Milet est bien connue.

Des jeunes gens d’Ionie achetèrent à des pêcheurs milésiens leur coup de filet. Ils tirèrent de l’eau un trépied. On se querella et les Milésiens envoyèrent une ambassade à Delphes. Voici quel fut l’oracle de la divinité :

Race de Milet, tu interroges Phébus au sujet d’un trépied ?

Au plus sage de tous, je donne ce trépied[11].

Ils le donnent alors à Thalès, qui le donne à un autre, et cet autre à un autre, et ainsi de suite jusqu’à Solon, qui, déclarant que seul le dieu était le plus sage de tous, rendit le trépied à Delphes.

Callimaque, dans ses Iambes, rapporte cette histoire autrement ; il la tient de Léandre de Milet. Il dit qu’un certain Bathyclès d’Arcadie laissa en mourant une coupe pour qu’elle fût donnée à l’homme le plus sage. Elle fut donc donnée à Thalès, et après être passée de main en main et avoir fait le tour des sages, elle revint à Thalès. Celui-ci en fit don alors à Apollon de Didyme, en ces termes selon le poème de Callimaque :

Thalès me donne au protecteur du peuple du Nil,

Thalès qui a reçu deux fois ce présent,

ce qui, en prose, se dit ainsi : « Thalès de Milet, fils d’Examios, à Apollon delphien, ce présent qu’il a reçu deux fois des Grecs. » Celui qui portait la coupe de sage en sage, le fils de Bathyclès, s’appelait Thyrion (cf. Éleusis, Livre sur Achille, et Alexon de Mynde, Fables, livre IX).

Eudoxe de Cnide et Évanthès de Milet disent de leur côté qu’un ami de Crésus reçut du roi un vase d’or, pour le donner au plus sage des Grecs, qu’il le donna à Thalès et que ce vase parvint jusqu’à Chilon. Celui-ci consulta la Pythie, pour savoir qui était plus sage que lui. Elle répondit que c’était Myson (je parlerai de lui : Eudoxe le met parmi les sages à la place de Cléobule et Platon à la place de Périandre.) Voici la réponse que lui fit la Pythie :

Il y a un habitant de l’Oeta, Myson, né à Chénée,

Qui plus que toi est riche de sages pensées.

L’homme qui consulta l’oracle pour Chilon s’appelait Anacharsis. Dédale le Platonicien et Cléarque disent que la coupe fut envoyée par Crésus à Pittacos, et que c’est ainsi qu’elle passa de main en main. D’après Andron, d’autre part (Livre du trépied), les Argiens décidèrent que le trépied serait attribué comme prix de vertu au plus sage des Grecs. Aristodème de Sparte fut choisi et c’est lui qui donna le trépied à Chilon.

Alcée est aussi partisan d’Aristodème dont il parle dans les vers suivants :

Comme jadis Aristodème, dit-on,

Prononça à Sparte cette parole bien juste :

C’est de l’argent, un homme, oui de l’argent,

Car l’homme vertueux n’est jamais pauvre.

D’autres disent encore que Périandre envoya à Thrasybule, tyran de Milet, un navire chargé, que ce navire fit naufrage dans la mer de Cos, et que quelque temps après le trépied fut trouvé par des pêcheurs. Phanodicos dit que le trépied fut trouvé dans la mer Attique, porté à la ville, et que l’assemblée du peuple s’étant réunie le fit porter à Bias. Pourquoi cela, je le dirai quand je parlerai de Bias. Selon d’autres auteurs, le trépied avait été fabriqué par Héphaïstos et donné en présent de la part de ce dieu à Pélops lors de son mariage. Il vint ensuite à Ménélas, fut enlevé avec Hélène par Alexandre, jeté dans la mer de Cos à l’instigation de la Spartiate qui prévoyait qu’il serait un sujet de querelle. Plus tard, en ce lieu, des Lébédiens achetèrent le produit d’un coup de filet et c’est le trépied qui fut tiré de l’eau. Il y eut querelle avec les pêcheurs, on vint jusqu’à Cos, et comme on ne s’accordait pas, on s’adressa à Milet, qui était la capitale. Les Milésiens envoyèrent des députés qui ne furent pas écoutés, aussi firent-ils la guerre aux gens de Cos. Comme de chaque côté il mourait beaucoup de gens, l’oracle déclara qu’il fallait donner le trépied au plus sage. Les deux camps s’entendirent alors pour l’attribuer à Thalès, qui par la suite le consacra à Apollon de Didyme. Pour en revenir à la réponse de l’oracle aux gens de Cos, elle disait ceci :

La querelle entre Ioniens et Méropes ne cessera pas

Avant que le trépied d’or qu’Héphaïstos jeta dans la mer

N’ait quitté votre ville pour la maison de l’homme

Qui connaît le présent, l’avenir et le passé.

La réponse aux Milésiens fut la suivante :

Race de Milet, tu interroges Phoebus au sujet d’un trépied...

comme il a été dit plus haut.

En voilà assez sur ce sujet[12].

Hermippe, dans ses Vies, rapporte à Thalès ce qui est dit par d’autres de Socrate : il aimait à dire qu’il remerciait la fortune de trois choses : d’être un humain et non une bête, d’être un homme et non une femme, enfin d’être un Grec, et non un barbare. On raconte encore qu’étant sorti de chez lui pour contempler les astres, il tomba dans un puits[13]. Une vieille femme survenant se moqua de lui en ces mots : « Comment, Thalès, toi qui n’es pas capable de voir ce qui est à tes pieds, t’imagines-tu pouvoir connaître ce qui est dans le ciel ? »

Timon[14] a bien connu aussi la science de Thalès en astronomie, et dans ses Silles, il le loue en ces termes :

Comme Thalès, un des sept sages, qui fut savant astronome.

L’Argien Lobon dit que ses écrits font un total de quelque deux cents vers, et que sous sa statue on écrivit :

Thalès de Milet repose ici dans le sol qui l’a nourri,

Il fut un sage, et le premier des astrologues.

Voici un de ses poèmes :

Le trop parler n’est pas marque d’esprit.

Trouvez une seule chose sage,

Choisissez une seule chose belle,

Et vous clouerez le bec à bien des bavards.

On lui attribue encore les sentences suivantes : de tous les êtres, le plus ancien, c’est Dieu, car il n’a pas été engendré ; le plus beau, c’est le monde, car il est l’ouvrage du dieu ; le plus grand, c’est l’espace, car il contient tout ; le plus rapide, c’est l’esprit, car il court partout ; le plus fort, c’est la nécessité, car elle vient à bout de tout ; le plus sage, c’est le temps, parce qu’il découvre tout. La mort, dit-il, ne diffère en rien de la vie. On lui répond : « Pourquoi, alors, ne te donnes-tu pas la mort ? » ; « Parce que vie ou mort, c’est tout un », réplique-t-il. Quelqu’un lui demande ce qui du jour ou de la nuit fut créé d’abord ; il répond : « La nuit est en avance d’un jour. » On lui demande si les mauvaises actions d’un homme échappent au regard des dieux. Il répond : « Ils voient même les mauvaises pensées. » Un homme adultère lui demandait s’il pouvait jurer qu’il n’avait pas commis d’adultère. Il répondit : « Le parjure n’est pas pire que l’adultère. »

On lui demandait ce qui était difficile : « Se connaître » dit-il ; ce qui était facile : donner un conseil à autrui ; ce qui était le plus doux : jouir ; ce que c’était que la divinité : un être sans commencement ni fin ; encore une chose difficile : voir un tyran âgé ; comment supporter aisément l’infortune : en voyant ses ennemis plus malheureux encore ; comment vivre vertueusement : en ne faisant pas ce que nous reprochons à autrui ; qui est heureux : l’homme bien portant, riche, courageux et instruit.

Il disait encore que l’on doit penser à ses amis aussi bien en leur absence qu’en leur présence, que la beauté ne vient pas d’un beau visage, mais de belles actions. « Ne t’enrichis pas injustement, conseillait-il, et veille à ne pas être cité en justice pour de mauvaises paroles contre tes proches et tes amis. Comme tu traites tes parents, tes enfants te traiteront. »

Du Nil[15] il disait qu’il débordait quand ses eaux étaient repoussées par les vents étésiens qui soufflent contre son cours.

Apollodore dans ses Chroniques dit que Thalès naquit la première année de la trente-cinquième olympiade[16]. Il mourut dans sa soixante-dix-huitième année ou, comme le dit Sosicrate, dans sa quatre-vingt-dixième année, car ce fut dans la cinquante-huitième olympiade. Il vécut du temps de Crésus, auquel il promit de faire traverser l’Hallys[17] sans pont, en détournant le cours du fleuve.

Il y eut cinq autres personnages du nom de Thalès (cf. Démétrios de Magnésie, Homonymes) : un rhéteur de Callatie, au style prétentieux, un peintre de Sicyone, de noble origine, un troisième, très ancien, du temps d’Hésiode, d’Homère et de Lycurgue, un quatrième, mentionné par Douris dans son traité de la peinture, un cinquième, plus jeune et peu connu, cité par Denys dans ses Critiques.

Pour en revenir à notre sage, il mourut en regardant les jeux gymniques, pour avoir eu trop chaud et trop soif et par suite de sa fatigue et de son grand âge. Voici son épitaphe :

Ce tombeau, certes, est bien petit,

Mais la renommée de l’homme est allée au ciel.

C’est celui de Thalès le très sage.

J’ai écrit sur lui les vers suivants dans le premier livre de mes épigrammes ou « vers de mètres divers[18] :

Tandis qu’il regardait les jeux, ô Zeus Hélios,

Tu as ravi du stade le sage Thalès.

Je te loue de l’avoir rapproché du ciel. Il était si vieux

Que de la terre il ne pouvait plus voir les astres.

Thalès est l’auteur du fameux « connais-toi toi-même » qu’Antisthène (Livre des Filiations) attribue à Phémonoé, en déclarant que Chilon se l’appropria mensongèrement.

Sur les sept sages, qu’il est juste de citer maintenant l’un après l’autre, voici la tradition. Damon de Cyrène, qui blâme tous les philosophes dans ses écrits, s’attaque surtout aux sept sages. Anaximène dit que tous étaient poètes. Dicéarque dit qu’ils n’étaient ni sages ni philosophes, mais hommes d’esprit et législateurs. Archétimos de Syracuse a décrit leurs assemblées chez Cypsélos[19] et dit qu’il y assista personnellement. Euphoros dit que tous, sauf Thalès, fréquentèrent Crésus.

D’autres disent qu’ils se réunirent à Panionium, à Corinthe et à Delphes. On rapporte même leurs paroles, et qui a prononcé telle ou telle. Exemple :

Le Spartiate Chilon fut sage,

Lui qui dit : Rien de trop,

Tout est bien qui vient en son temps !

On n’est pas d’accord sur leur nombre. Léandre, au lieu de Cléobule et de Myson, met Léophante, fils de Gorsias, ou Lébédios d’Éphèse et Épiménide de Crète. Platon, dans le Protagoras[20], met Myson à la place de Périandre. Éphoros met Anacharsis à la place de Myson et d’autres ajoutent Pythagore.

Selon Dicéarque, il y en a quatre sur qui tout le monde est d’accord : Thalès, Bias, Pittacos et Solon. Le même auteur en nomme six autres, parmi lesquels il en choisit trois : Aristodème, Pamphile, le Lacédémonien Chilon, Cléobule, Anacharsis et Périandre. D’autres ajoutent Acousilaos, Caba ou Scala, un Argien.

Hermippe, dans son livre sur les sages, dit qu’ils furent dix-sept et que chacun en choisit sept selon ses préférences. Ce sont Solon, Thalès, Pittacos, Bias, Chilon, Cléobule, Périandre, Anacharsis, Acousilaos, Épiménide, Léophante, Phérécyde, Aristodème, Pythagore, Lasos, fils de Charmantidas ou de Sisambrinos ou, selon Aristoxène, de Chabrinus, Hermonée, Anaxagore.

Hippobotos (Catalogue des Philosophes) les inscrit ainsi : Orphée, Linos, Solon, Périandre, Anacharsis, Cléobule, Myson, Thalès, Bias, Pittacos, Épicharme et Pythagore.

Voici des lettres attribuées à Thalès[21] :

THALÈS A PHÉRÉCYDE

« J’apprends que vous vous disposez à présenter aux Grecs le premier traité ionien des choses divines. Vous agiriez peut-être plus sagement en lisant votre ouvrage à vos amis, qu’en communiquant à n’importe quelles gens des écrits qui ne peuvent guère leur être utiles.

« Si cela vous plaît, j’aimerais profiter de vos recherches et, si vous m’y invitez, je viendrai vous trouver au plus tôt. Car Solon d’Athènes et moi, qui avons déjà traversé deux fois la mer pour aller visiter la Crète, et pour aller en Égypte nous entretenir avec les prêtres et les astronomes du lieu, nous sommes assez sages pour ne pas hésiter à la traverser de nouveau pour aller vous voir.

« Je parle de Solon, parce qu’il viendra avec moi si vous le permettez. Vous êtes un sédentaire, vous allez rarement en Ionie, vous n’aimez guère aller voir les étrangers, et vous ne songez, j’imagine, qu’à écrire.

« Mais nous qui n’écrivons pas, nous parcourons volontiers la Grèce et l’Italie. »

THALÈS A SOLON

« Si vous quittez Athènes, vous aurez, je crois, tout avantage à venir vous établir à Milet, parmi les colons athéniens. Il n’y a là pour vous aucun danger. Si vous hésitez, sous prétexte que nous, Milésiens, sommes gouvernés par un tyran (je sais que vous haïssez tout pouvoir absolu), songez du moins que vous aurez plaisir à vivre avec nous qui sommes vos amis. Je sais que Bias vous a écrit et vous invite à aller à Priène. Si vous trouvez préférable d’habiter la ville de Priène, j’irai vivre là-bas avec vous. »


[1] Thalès, dont D.L. fait le chef de file de l’école ionique, est un philosophe du ~VIe s. Ce que l’on sait de ses idées se borne à ceci : Il n’est ni le créateur de la philosophie, ni le premier savant, mais il est le plus ancien des savants ioniens connus. Milésien, il semble avoir été le premier géomètre, le premier astronome grec, et l’auteur d’une cosmogonie, qui eut une grosse influence et que connut Aristote. Dans cette cosmogonie, la terre est au centre de la sphère du monde, comme un disque plat flottant sur les eaux, et recouvert par l’air. La sphère est percée de trous, par où l’on aperçoit le feu qui l’environne : ces trous lumineux sont les étoiles. L’eau est le principe des choses : cf. Aristote, Métaphysique, liv. I, 3, qui dit que cette idée vint au sage parce que les semences des êtres et des choses sont humides. D. L. est encore ici l’écho d’Aristote, qui fait de Thalès le premier philosophe après les théologiens.
[2] Fils, selon la légende, de Poséidon et d’une Océanide. Roi de Phénicie, il eut une fille, Europe, qui fut aimée de Zeus, et trois fils : Cadmos, Phénix et Cilix.
[3] Fils aîné d’Agénor. Parti à la recherche d’Europe, enlevée par Zeus, il vint en Béotie, où il fonda une ville sur l’emplacement indiqué par l’oracle de Delphes, et avec l’aide d’hommes, qu’il fit naître en semant les dents d’un dragon qu’il dut combattre. Cette citadelle, la Cadmée, devint plus tard Thèbes. (Cf. Homère, Odyssée, V, 333, et le poème d’Ovide.)
[4] Avant de désigner les dates d’après les Olympiades (habitude qui remonte au ~IVe s. et dont on trouvera la trace fréquente dans ce livre), les Athéniens indiquaient l’année du nom de l’archonte, magistrat annuel. Celui qui était choisi était l’archonte éponyme, qui avait dans ses attributions la nomination des chorèges, l’organisation des fêtes religieuses, et la surveillance des familles. L’archontat n’est annuel qu’en ~683. Damasias fut archonte en ~582, soit dix ans après l’archontat de Solon. Aristote le cite (Constitution d’Athènes, 13), à propos des troubles politiques après Solon. Il dit que Damasias resta deux ans archonte, et fut chassé par la force.
[5] Poète lyrique et didactique de la période alexandrine (~IIIe s.). Il a écrit des élégies, des hymnes, des épigrammes et des catalogues historiques et littéraires. Il est surtout connu pour son poème sur la chevelure de Bérénice, dont s’est inspiré Catulle.
[6] On sait de source sûre qu’il a prédit une éclipse totale de soleil qui survint en ~585 en Asie Mineure. Sur ce qu’il faut penser de ces « découvertes » (formule grecque : le premier il fit...), souvent attribuées dans le texte à des philosophes différents, sans souci de la contradiction, cf. la notice sur D.L. [A venir…]
[7] On lui attribue en géométrie le théorème dit de Thalès : « Plusieurs parallèles coupant deux droites quelconques déterminent sur elles des segments proportionnels deux à deux », ou encore : « Toute parallèle à l’un des côtés d’un triangle détermine un triangle semblable au premier ».
[8] Roi de Lydie, dont la richesse est proverbiale (~591-~546) et qui lutta contre Cyrus, roi des Perses. En lutte avec Milet, comme son prédécesseur Alyatès, il essaya de gagner la ville par des largesses au sanctuaire d’Apollon de Didyme, et d’entrer dans l’amitié de Thalès.
[9] Cette anecdote est aussi rapportée par Aristote.
[10] Il ne faut pas confondre ce Thrasybule avec le général athénien qui lutta au ~IVe s. pour le rétablissement de la démocratie. Celui-ci établit la tyrannie à Milet en ~612. Il passe pour avoir exterminé les grandes familles qui s’opposaient à son pouvoir (cf. Vie de Périandre). Il fut en lutte avec le royaume de Lydie, dont D.L. vient de parler, au temps où Crésus n’était pas encore roi de ce pays.
[11] La réponse de l’oracle est conçue en termes ambigus, comme il était de règle. En l’occurrence, comme il y avait au moins sept sages, la Pythie ne se compromettait pas, ce que montre d’ailleurs l’incertitude de cette légende, où D.L. ne se débrouille pas aisément.
[12] Cette légende du trépied est un exemple typique de la méthode d’exposition de D.L. Il cite les sources, pêle-mêle, comme elles lui viennent, sans se soucier de les classer, de les critiquer, de les mettre d’accord. Ce qui lui importe, c’est d’en donner un répertoire exact et complet. Au lecteur de faire lui-même le travail critique.
[13] Cette aventure, qui semble controuvée et purement symbolique, est citée dans la fable d’Esope n° 40, et dans la fable de La Fontaine : l’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits (II, 13) : On lui dit :
Pauvre bête,
Tandis qu’à peine à tes pieds tu peux voir,
Penses-tu lire au-dessus de ta tête ?
L’anecdote est aussi contée par Platon (Théétète, 174, a).
[14] Cet auteur, que D.L. cite sans cesse, est étudié à la fin du livre IX. D.L. en donne une biographie assez détaillée, dont il semble avoir trouvé les éléments dans Sotion, qui avait écrit un commentaire des Silles. Timon, poète et philosophe du ~IIIe s. était né à Phlionte ; il fut disciple de Pyrrhon, enseigna la philosophie en Chalcédoine, visita l’Égypte, la Macédoine, et se fixa à Athènes. Il était borgne, dit-on. Auteur assez négligent, il a composé des ouvrages philosophiques et, croit-on, une trentaine de comédies et une soixantaine de tragédies. Critique impitoyable, il est surtout connu pour ce recueil, où D.L. a puisé abondamment, les Silles, ouvrage poétique en trois livres, dont deux dialogués, où abondent les railleries les plus mordantes, les parodies, les éloges ironiques, à l’adresse de tous les philosophes, sauf Pyrrhon. Les plus malmenés sont Socrate, Platon et Épicure. On n’a de lui que des fragments, cités par D.L., Athénée, Plutarque et Eusèbe. Ils ont été recueillis en une édition par H. Estienne. On a voulu voir dans l’usage qu’en fait D.L. une preuve que notre auteur était sceptique ; la chose est discutable (cf. notice).
[15] Les crues du Nil ont beaucoup étonné les anciens, qui en ont presque tous donné une explication. La trace s’en retrouve chez Épicure et chez Lucrèce. Aussi n’est-il pas étonnant qu’on ait attribué aux sept sages une réponse à la question.
[16] Vers 640 pour la naissance, et vers 548 pour la mort.
[17] Fleuve d’Asie Mineure (aujourd’hui le Kisil-Imach).
[18] Pour ce Psammétron, ouvrage de D.L. (cf. notice), j’emprunte ma traduction à Anatole France, qui écrit dans La Rôtisserie de la Reine Pédauque : « Si je trouve chez vous, monsieur, ces deux meubles précieux, le lit et la table, je poursuivrai votre nom, comme celui de mon bienfaiteur, d’une louange immortelle, et je vous célébrerai dans des vers grecs et latins « de mètres divers » (Calmann-Lévy, p. 61).
[19] Tyran de Corinthe, à la fin du ~VIIe siècle ; c’est lui qui a instauré la tyrannie dans cette ville.
[20] Voici l’ordre dans lequel Platon (Protagoras, XVIII) classe les sept sages : Thalès, Pittacos, Bias, Solon, Cléobule, Myson, Chilon. Le nombre de sept sages est évidemment symbolique cf. les sept planètes, les sept contre Thèbes, les sept rois de Rome, les sept plaies.
[21] Toutes les lettres attribuées dans ce livre aux sages sont apocryphes.