DIOGÈNE LAËRCE

ANAXIMÈNE (Socrate et ses disciples)

Traduction Robert Genaille, 1933

Anaximène[1], fils d’Eurystrate, originaire de Milet, fut disciple d’Anaximandre ; selon une autre tradition, de Parménide. Il affirmait que le premier principe des choses était l’air[2] illimité ; que les astres se mouvaient autour de la terre et non pas au-dessus. Il écrivait en dialecte ionien simple et sobre. Il est né, selon Apollodore, dans la soixante-troisième olympiade[3] et mort au moment de la prise de Sardes. Il y en a eu deux autres, originaires de Lampsaque, un orateur, un historien. Ce dernier était fils de la soeur de l’orateur qui écrivit la Geste d’Alexandre. Celui dont je parle était philosophe. Il a écrit la lettre suivante :

ANAXIMÈNE A PYTHAGORE

« Thalès, fils d’Examios, est mort dans sa vieillesse, d’un accident singulier. Il était sorti, pendant la nuit, selon son habitude, avec sa servante, pour observer les astres. Tandis qu’il les contemplait, il tomba dans son puits, dont il avait oublié l’existence. Voilà com­ment on raconte à Milet la mort de cet astrologue. Pour nous, épris d’études, nous conservons fidèlement le souvenir de cet homme ; nos enfants, nos amis et nous observons ses préceptes. En tête de chaque discours il faut placer le nom de Thalès. »

Il a écrit encore cette lettre :

ANAXIMÈNE A PYTHAGORE

« Vous avez été plus avisé que nous en quittant Samos pour Crotone[4], où vous vivez en paix ; car les Éacides se conduisent en barbares, les tyrans tien­nent jusqu’à Milet, et le roi des Mèdes nous menace, si nous ne consentons pas à lui payer tribut. Les Ioniens vont partir en guerre contre les Mèdes, pour la libération générale. La guerre commencée, il n’y aura plus pour nous aucun espoir de salut. Comment donc Anaximène aurait-il le goût d’étudier les astres, quand il lui faut craindre à tout instant la mort ou l’esclavage ? Comme vous avez de la chance, vous qui êtes bien vu des Crotoniates et des autres Italiotes, on vient s’entretenir avec vous, même de Sicile. »


[1] Il est assez bien connu (cf. Cicéron, De natura deorum, I, 10, et Recueils doxographiques). D.L. ne paraît pas soupçonner qu’il avait une doctrine cohérente, et qu’il a donné une curieuse explication des phénomènes météorologiques, par un circuit continu des vapeurs et de l’air, par suite des réactions du chaud et du froid. Il mourut entre ~528 ~524.
[2] Anaximène précise donc la doctrine d’Anaximandre, qui parlait d’un illimité sans en faire connaître la nature.
[3] Vers 526. Il semble y avoir une erreur de texte, car la 63e olympiade se place vers 524, ainsi la naissance du philo­sophe serait postérieure à sa mort.
[4] Cf. liv. VIII, Vie de Pythagore. Crotone, colonie grecque de Grande Grèce, au sud-est, dans la botte italienne, au sud de Sybaris.