DIOGÈNE LAËRCE

ESCHINE (Socrate et ses disciples)

Traduction Robert Genaille, 1933

Eschine[1], fils du charcutier Charinos ou, dit-on encore, de Lysinios, originaire d’Athènes, fut dès l’enfance laborieux : aussi ne quitta-t-il point Socrate, qui disait de lui : « Seul a su m’estimer le fils d’un charcutier. » Idoménée (Livre de la Prison) dit que c’est lui et non pas Criton qui conseilla à Socrate de s’enfuir. Si Platon attribue le fait à Criton, c’est qu’Eschine était plutôt l’ami d’Aristippe. Eschine fut accusé, particulièrement par Ménédème d’Érétrie, d’avoir fait passer pour siens des discours de Socrate qu’il avait reçus de Xanthippe. De ces discours, ceux qui sont appelés Aképhaloi[2] sont d’un style tout à fait lâche et fort étranger à la vigueur socratique. Pisistrate d’Éphèse dit qu’ils ne sont pas d’Eschine. Des sept dialogues, Persée nous dit qu’ils sont de Pasiphon d’Érétrie, qui les inséra indûment dans les oeuvres d’Eschine. Il aurait fait aussi passer pour siens des ouvrages d’Antisthène, comme le Petit Cyrus, le Petit Héraclès, l’Alcibiade et d’autres. Quoi qu’il en soit, les discours d’Eschine écrits dans la manière de Socrate sont au nombre de sept : Miltiade, le premier, et à cause de cela le plus faible, puis Callias, Axiochos, Aspasie, Alcibiade, Télaugès, Rhinon. Sa pauvreté le fit aller, dit-on, en Sicile auprès de Denys[3]. Ce voyage lui valut le mépris de Platon et la louange d’Aristippe. Il offrit au tyran quelques-uns de ses dialogues, il obtint des présents. Revenu à Athènes, il n’osa pas enseigner la philosophie, parce que Platon, Aristippe et leurs disciples y étaient trop en faveur. Il donna des cours payants, écrivit des plaidoyers pour les plaignants, ce qui fit dire à Timon : « La force d’Eschine, si faible à persuader. » On dit que, fort pressé par la pauvreté, il reçut de Socrate le conseil de se donner en gage pour avoir de quoi manger. Aristippe fut aussi d’avis qu’il était un plagiaire, car il lui disait, un jour où il lisait ses dialogues aux gens de Mégare : « D’où prends-tu tout cela, brigand ? » Polycrite de Mendée, dans son premier livre sur Denys, dit qu’il vécut avec ce tyran jusqu’à la déchéance de celui-ci et jusqu’au retour de Dion à Syracuse. Il affirme que Sarcinos le Tragique était du voyage. On a d’ailleurs une lettre qu’il écrivit à Denys. Il était un orateur moyen, si l’on en juge par son apologie du père du stratège Phéax et de Dion. Il imite de fort près Gorgias de Léontinie. Lysias a écrit un discours contre lui intitulé le Sycophante, d’après quoi on peut voir qu’il fut aussi un orateur. On rapporte qu’il eut un ami nommé Aristote Mythus. De tous les dialogues socratiques, Panétios dit que seuls sont authentiques ceux de Platon, de Xénophon, d’Antisthène, d’Eschine. Ceux de Phédon et d’Euclide lui paraissent douteux ; enfin, il rejette les autres.

Il y eut huit Eschine : celui dont je viens de parler, un second qui a écrit des traités d’éloquence, l’orateur adversaire de Démosthène, un Arcadien, disciple d’Isocrate, un Mytilénien, qu’on appelait le fléau des orateurs, un Napolitain, philosophe de l’Académie, disciple et mignon de Mélanthius de Rhodes, un Milésien, auteur d’ouvrages politiques, le huitième enfin, un sculpteur.


[1] Cf. Platon (Apologie 33, e). Platon le cite, lorsque après avoir fait justice du premier grief adressé à Socrate, il en vient à l’examen du second et prouve que Socrate n’a pas corrompu la jeunesse. Socrate, qui a la parole, déclare l’accusation mal fondée, puisque tous ses disciples qui sont présents sont unanimes à le défendre, et il les cite : « Criton, Critobule son père, Lysanias de Sphettios, Eschine son père... » Il ne faut pas confondre cet Eschine, disciple de Socrate, avec l’orateur Eschine, du dème de Kothokidès, adversaire politique et rival de Démosthène.
[2] Sans tête, c’est-à-dire discours sans résumé préalable ; l’usage grec était d’en mettre un.
[3] Tyran de Syracuse. Il s’agit de Denys le Jeune, qui succéda à Denys l’Ancien en ~367.