Euclide[1] était originaire de Mégare[2], proche de l’Isthme, ou de Géla[3], selon Alexandros (Successions). Il étudia la philosophie de Parménide, et ses disciples prirent successivement le nom de Mégariques, d’Eristiciens[4], de Dialecticiens[5]. Ce dernier nom leur fut d’abord donné par Denys de Chalcédoine parce qu’ils composaient leurs entretiens par demandes et réponses. Selon Hermodore, Platon et les autres philosophes vinrent suivre ses leçons après la mort de Socrate[6], par crainte de la cruauté des tyrans.
Il démontrait que le bien est unique, malgré le grand nombre de noms dont on le nomme : prudence, dieu, raison, etc. Tout ce qui n’était pas le bien, il le supprimait comme n’existant pas[7]. Il appuyait ses démonstrations, non pas sur les prémisses mais sur la conclusion du syllogisme. Il supprimait aussi le raisonnement par analogie[8]. En effet, disait-il, ce raisonnement se fait ou par les semblables ou par les contraires : or, dans le premier cas, il vaut mieux raisonner sur les choses mêmes, et dans le second cas, la comparaison est sans objet. Cela lui valut un coup de dents de Timon, qui le raille en ces termes, en même temps que les autres Socratiques :
Je ne me soucie guère de ces bavards,
Ni de Phédon, tout grand qu’il soit, ni du disputeur
Euclide, qui donna aux Mégariens la rage de disputer.
Il écrivit six dialogues, Lampria, Eschine, Phénix, Criton, Alcibiades et de l’Amour.
Euclide eut pour disciple Eubulide de Milet[9], qui trouva en dialectique plusieurs formes d’arguments : le menteur, le caché, l’Electre, le voilé, le sorite, le cornu, le chauve[10]. Voici comment en parle le poète comique :
Le disputeur Eubulide, qui pose des questions cornues
Et enroule les orateurs dans de trompeuses raisons,
S’en est allé avec la langue bègue[11] de Démosthène.
Il semblait en effet que Démosthène ait été son élève et qu’il ait appris de lui à se débarrasser de son impossibilité à prononcer les « r ». Eubulide était ennemi d’Aristote et l’a souvent critiqué. Parmi ses disciples, il faut citer Alexinos d’Élis, un grand querelleur, appelé à cause de cela Elenxinos[12], et qui eut querelle avec Zénon[13]. Selon Hermippe, il quitta son pays pour enseigner la philosophie à Olympie. Ses disciples lui demandèrent pourquoi il avait choisi ce pays, il répondit qu’il voulait fonder une secte qui prendrait le nom d’Olympique. Mais tous ses disciples, devant le manque de ressources et l’insalubrité du lieu, s’en allèrent, plantant là notre Alexinos, qui resta seul toute sa vie avec un domestique. Plus tard, tandis qu’il se baignait dans l’Alphée[14], il se blessa à un roseau et se noya. Aussi lui ai-je fait cette épitaphe :
Ce n’est pas un vain mot de dire
Que l’homme marqué par le destin,
Même nageant, peut avoir le pied percé par un clou,
Car cet homme vénérable, Alexinos,
En voulant traverser l’Alphée,
Est mort piqué par un roseau.
Outre ses livres de polémique avec Zénon, il a écrit de nombreux ouvrages, dont un contre l’historien Éphore.
Eubulide eut pour successeur illustre Euphante d’Olynthie, qui écrivit une histoire de son temps et des tragédies fort estimées, fut le maître du roi Antigone[15], à qui il dédia un discours célèbre sur la royauté, et mourut au terme d’une longue vie.
Parmi les autres disciples, il faut citer encore Apollonios Crâne, et son disciple Diodore d’Iase, fils d’Aminias, surnommé lui aussi Crâne[16] et dont Callimaque dit dans ses Épigrammes :
.................................. Momus lui-même
A écrit sur les murs : Crâne est sage.
Il était dialecticien et on lui attribua la création des syllogismes voilé et cornu. Pendant un séjour qu’il fit chez Ptolémée Sôter. Stilpon lui proposa quelques questions de dialectique. Il ne put les résoudre sur-le-champ, et le roi, pour railler sa lenteur d’esprit, l’appela Crâne par plaisanterie. Il quitta alors le banquet, écrivit un discours sur la question posée, et de chagrin se suicida. J’ai composé son épitaphe, la voici :
Diodore Crâne, quelle divinité
T’a envoyé ce malheureux chagrin ?
Tu t’es jeté dans le Tartare
Pour n’avoir pas su résoudre
L’énigme de Stilpon. Tu t’es bien montré Crâne,
Moins toutefois le C et l’R.
De la secte d’Euclide, il y eut encore Ichtyas, fils de Métallos à qui Diogène adressa un dialogue ; Clitomaque de Thourioi[17] qui fit le premier un traité sur les axiomes, les prédicats, etc., et Stilpon de Mégare, philosophe insigne, dont je vais parler.