DIOGÈNE LAËRCE

ARISTON (Stoïcien)

Traduction Robert Genaille, 1933

Ariston le chauve, de Chios, surnommé Siren, dit que le souverain bien consiste à vivre en se tenant à égale distance du vice et de la vertu, sans incliner plutôt vers l’un que vers l’autre, mais en gardant toujours à leur sujet la même indifférence, car le sage est comme le bon comédien qui joue toujours chaque rôle de façon convenable, soit Thersite ou Agamemnon. Il rejette de la philosophie la logique et la physique. Celle-ci est au-dessus de nos forces et celle-là ne nous intéresse nullement. Seule la morale nous importe.

Les raisonnements de la dialectique étaient pour lui semblables aux toiles d’araignées, qui sans doute sont faites avec beaucoup d’art, mais sont inutiles. Il ne croit ni à un grand nombre de vertus, ni à une seule sous différents noms, comme les philosophes de Mégare. Il prend pour formule : « A quoi cela sert-il ? » A philosopher ainsi sur la place du Cynosarge, il a gagné de passer pour un chef de secte. Ainsi Miltiade et Diphile furent-ils appelés Aristoniens. Il était persuasif et avait l’oreille de la foule. Timon dit de lui :

Il y en a un aussi qui descend d’Ariston le Séduisant.

Étant allé trouver Polémon (cf. Dioclès de Magnésie), il changea de secte en un temps où Zénon était accablé d’une longue maladie. Il était fermement attaché à ce dogme stoïcien qui veut que le sage n’ait pas de doutes. Mais un jour, Persée lui amena deux frères qui discutaient d’un dépôt, l’un voulant le rendre, l’autre le garder ; Ariston ne sut que leur conseiller, et se montra ainsi en contradiction avec ses théories. Il était ennemi d’Arcésilas. Voyant un jour un taureau monstrueux, qui avait un double sexe, il s’écria : « Malheur de moi, voilà un argument pour Arcésilas contre l’évidence ! »

A un académicien qui lui disait ne rien comprendre, il dit : « Ne vois-tu pas cet homme qui est assis près de toi ? » et comme l’autre disait non, il reprit :

Qui t’a donc aveuglé ? Qui t’a privé de lumière ?

Voici les livres qu’on lui attribue : deux livres de Protreptiques, des dialogues, sur les dogmes de Zénon, six livres des Sectes, sept d’Exercices sur la sagesse, Exercices sur l’amour, Commentaires sur la vanité, quinze livres de Commentaires, trois livres de Souvenirs, onze de Maximes, un ouvrage Contre les orateurs, un Contre les écrits d’Alexinos, trois Contre les dialecticiens, quatre livres de Lettres à Cléanthe. Panétius et Sosicrate disent que seules les Lettres sont de lui, et que les autres ouvrages sont d’Ariston le Péripatéticien. On dit qu’étant chauve, il mourut d’une insolation. Je me suis amusé à ce propos à écrire sur lui ces vers choriambes  [1] :

Pourquoi donc, ô mon bon, étant vieux et chauve par surcroît,

As-tu donné ton crâne à faire cuire au soleil ?

Car recherchant plus de chaleur qu’il ne fallait,

C’est du froid que tu as trouvé malgré toi : le froid de l’Hadès.

Il y a eu d’autres Ariston : un d’loulis, un Péripatéticien, un musicien d’Athènes, un poète tragique, un d’Aléa, auteur de traités de rhétorique, et un Péripatéticien d’Alexandrie.



[1] Vers composés d’iambes et de trochées.