DIOGÈNE LAËRCE

Traduction Robert Genaille, 1933

Introduction

I. SA VIE

Diogène Laërce est pour nous une énigme. De sa vie, de son origine, de sa formation, de l’ensemble de son oeuvre, de sa personnalité, de son nom même, nous ne savons à peu près rien. Ni les érudits allemands, qui l’ont beaucoup étudié, ni les érudits français, anciens ou modernes, ne donnent sur cet auteur de renseignement même probable. H. Estienne, Casaubon, Willamowitz, Schwartz, Clavier (Biographie universelle, 1814), Croiset (Littérature grecque, V, p. 818-820), V. Brochard (Grande Encyclopédie), Delatte (Vie de Pythagore) répètent : « La vie de Diogène Laërce nous est absolument inconnue. » Les écrivains anciens, historiens ou philosophes, sont à peu près muets sur son compte. Les documents sérieux font défaut. Force nous est donc de chercher dans l’oeuvre même une solution du problème. Mais elle ne nous donne sur l’auteur que des renseignements fragmentaires qui demandent eux-mêmes pour être élucidés des explications qu’il faudrait trouver dans d’autres textes. Aussi tournons-nous dans un cercle vicieux d’où il ne sera possible de sortir que par la découverte de nouveaux documents, découverte qui n’est pas faite.

Comment cet auteur s’appelait-il ? On ne le sait pas de façon précise. Il est nommé dans les manuscrits tantôt Diogène Laërce, tantôt Diogène de la ville de Laërte, en Cilicie. Willamowitz adopte la première forme, et voit dans Laertios une sorte de surnom que Diogène aurait reçu du nom du patron de sa famille, Diogène, fils de Laërte, toujours appelé dans les écrits homériques « Diogénês Laertiadê ». Cette interprétation est purement conjecturale. Acceptons pour la commodité l’expression courante, et nommons l’auteur Diogène Laërce. C’est au reste un point secondaire.

Il est encore plus difficile de savoir à quelle époque il vivait. L’examen du livre pourrait à première vue fournir une réponse, car Diogène Laërce y poursuit l’étude de chaque école philosophique jusqu’à une date aisément déterminable. On pourrait ainsi penser que Diogène est contemporain des philosophes les plus récents cités par lui, ou immédiatement postérieur à eux. Mais les derniers travaux critiques sur l’ouvrage n’ont pas permis encore de décider si le livre, tel qu’il se présente, est la rédaction de Diogène, utilisant d’ailleurs des sources d’époques très diverses, ou un ensemble disparate formé d’additions postérieures, ou bien encore la copie par Diogène d’un ouvrage analogue, ce qui ne permettrait plus de tirer parti de la date des derniers philosophes étudiés.

Si la dernière hypothèse, comme on tend à le croire, est vraie, il faut renoncer pour le moment à donner une date précise de la vie de Diogène Laërce. On ne pourra essayer de le faire que lorsqu’on aura déterminé les différentes rédactions, leurs auteurs et leur date, et celle de l’ouvrage copié par Diogène, travail qui n’est pas près d’être achevé. Dans le cas contraire, on peut arriver à un résultat positif probable, et déterminer en gros entre quelles limites l’auteur a vécu. Comme il conduit l’étude de l’école sceptique (livre IX) jusqu’au successeur de Sextus Empiricus, c’est-à-dire à la fin du second siècle après J.-C., on pense actuellement qu’il vécut dans la première partie du IIIe siècle. Mais ce n’est là qu’une conjecture. Le fait que Diogène Laërce ne parle pas du néo-platonisme a paru à M. Croiset (op. cit.) une autre raison susceptible de nous faire admettre cette date. Mais M. Delatte (Vie de Pythagore[1]) fait remarquer avec raison que des arguments tirés du silence d’un auteur « ne constituent pas une base sûre de discussion ». Les critiques modernes ne sont en somme pas beaucoup plus savants sur ce point que ne l’était au XVIe siècle Casaubon, qui, dans son édition très fautive, mais enrichie d’un copieux et intelligent commentaire, écrit en latin des phrases qui peuvent se traduire ainsi : « A quelle époque vivait Diogène, il n’est pas facile de le savoir, on trouverait plus aisément à quelle époque il n’a pas vécu. Comme il cite Plutarque plus d’une fois, et qu’il fait aussi mention de Sextus Empiricus et d’Épictète, dont les auteurs anciens nous disent qu’ils ont vécu jusqu’à l’empire de Marc-Antoine, nous comprenons aisément que Diogène n’a pas vécu avant l’année 200 après J.-C. D’un autre côté, comme il est cité par Stéphane de Byzance comme un auteur assez ancien, on peut affirmer qu’il a vécu beaucoup avant l’année 500 après J.-C. On le voit encore par ce fait que parlant de Polémon, Diogène écrit que cet auteur était de peu antérieur à lui, car Suidas nous apprend que Polémon vivait à l’époque d’Auguste. Sur ce sujet, je n’ai encore rien trouvé de plus certain jusqu’à ce jour. Maintenant, où, quand et combien de temps il a vécu, je le dirai quand j’aurai trouvé quelqu’un pour me l’apprendre. »

On ne peut guère actuellement dire autre chose que Casaubon, et en tenant compte des indications du livre lui-même, et de l’opinion de Stéphane de Byzance, on situe provisoirement la vie de Diogène Laërce entre 200 et 500 après J.-C., en adoptant comme date probable le début du IIIe siècle. Il serait ainsi légèrement postérieur à Marc-Aurèle le Stoïcien, à Sextus Empiricus le Sceptique, et à l’écrivain Lucien, auquel il est si inférieur par le style et par l’esprit.

II. — SON OEUVRE

L’ouvrage philosophique de Diogène Laërce nous est parvenu en entier. Habituellement appelé : la Vie des philosophes, il porte en réalité un titre plus long et plus explicite, variable d’ailleurs selon les manuscrits, mais que l’on peut fixer ainsi : Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres de chaque secte. Le titre promet donc, outre des notices biographiques, une étude des théories philosophiques elles-mêmes, illustrée par un recueil de bons mots et d’anecdotes choisies. M. Croiset (Hist. lit. gr., V, 818-819), influencé par le résultat, apprécie un peu sévèrement le dessein que ce titre révèle, et qui n’est cependant pas sans valeur : « Énumérer les principaux représentants de chaque école, résumer leur biographie, en y faisant entrer le plus possible d’anecdotes et de bons mots, donner ensuite une liste de leurs ouvrages et un aperçu de leurs théories, voilà tout ce qu’il a en vue. Il paraît avoir cru que c’était là toute l’histoire de la philosophie. » C’en était en tout cas une partie importante, et si Diogène Laërce avait toujours intelligemment, pour chaque philosophe, rempli le cadre que son titre annonce, il nous apporterait des documents d’une valeur incontestable.

L’ouvrage est divisé en dix livres ou chapitres, précédés d’un proémion, ou introduction. Chaque livre est consacré à l’étude d’une secte. Par secte Diogène Laërce, comme tous les historiens de son temps, entend non seulement une école, c’est-à-dire l’ensemble du maître et de ses disciples immédiats, mais encore la suite des philosophes qui à toutes les époques ont continué l’enseignement du maître, et particulièrement la succession des hommes qui ont dirigé l’un après l’autre l’école entière, c’est-à-dire des « hérésiarques ». Voici le contenu de l’ouvrage :

Dans l’introduction, l’auteur recherche quelle fut l’origine de la philosophie. Il analyse les influences orientales subies par les philosophes grecs (Inde, Perse, Égypte, etc.). Il définit la philosophie, indique quels ont été les différents philosophes, établit une distinction entre les lignées, annonce quel sera le plan de son étude, et donne quelques détails techniques sur les problèmes étudiés.

Le livre 1 est consacré aux fondateurs de la philosophie. Ce sont les sept sages, et le terme de philosophe leur est postérieur. L’identification de ces sept sages étant discutée, on ne s’étonnera pas de trouver ici les biographies de onze philosophes. Ce sont d’abord les sages authentiques selon Diogène : Thalès, Solon, Chilon, Pittacos, Bias, Cléobule et Périandre. Puis viennent quatre autres sages : Anacharsis, Myson, Épiménide et Phérécyde. Chaque biographie comprend, conformément au titre de l’ouvrage, le récit de la vie, un résumé des théories, et le recueil des bons mots. Elle se termine par les lettres attribuées au sage.

Le livre II est consacré à Socrate et à tous les disciples qui ont continué sa pensée sans grandes modifications. Diogène Laërce étudie d’abord des penseurs qui n’ont aucun rapport avec Socrate : Anaximandre, Anaximène, Anaxagore. Les disciples de Socrate sont : Xénophon, Eschine, Aristippe, Phédon, Euclide, Diodore, Stilpon, Simon, Glaucon, Simmias, Cébès et Ménédème. L’essentiel du livre est formé par le chapitre consacré à Socrate, et le chapitre consacré à Aristippe et aux philosophes cyrénaïques, qui ont propagé la morale du plaisir, trop souvent confondue avec l’épicurisme.

Le livre III est tout entier rempli par la biographie de Platon. Diogène Laërce étudie d’abord la vie de ce philosophe et les influences qu’il a subies, il rappelle les railleries qui lui ont été adressées, esquisse un exposé suivi de ses théories, qui tourne vite au catalogue des oeuvres classées en tétralogies, et termine par une insipide division des choses du monde selon Platon.

Le livre IV est consacré à l’Académie, c’est-à-dire aux disciples de Platon : Speusippe, Xénocrate, Polémon, Cratès, Crantor, Arcésilas, Bion, Lacydès, Carnéade et Clitomaque. C’est visiblement une partie secondaire, que l’auteur n’a dû séparer de l’ensemble que parce qu’il avait besoin d’un livre entier pour étudier Platon.

Le livre V, plus important, nous fait connaître l’école d’Aristote et la philosophie péripatéticienne. A vrai dire la biographie d’Aristote, cette grande figure de la pensée antique, y est très écourtée : la liste des oeuvres est donnée intégralement, mais l’étude des théories est pour ainsi dire inexistante. Suivent des chapitres sur Théophraste, Straton, Lycon, Démétrios de Phalère et Héraclide. Le livre est surtout intéressant par les nombreux testaments qu’il renferme.

Le livre VI, plus volumineux encore, est consacré aux philosophes cyniques. Ce sont peut-être, des philosophes antiques, ceux qui ont donné lieu au plus grand nombre de bons mots et de railleries, et l’auteur les cite à plaisir. Un chapitre est consacré à Antisthène, fondateur de la secte, mais l’essentiel du livre est la biographie de Diogène, l’homme au tonneau, dont la figure légendaire est nettement mise en relief. Le reste du livre conte brièvement la vie de philosophes d’importance moindre : Monime, Onésicrite, Cratès, Métroclès, Hipparchia, Ménippe et Ménédème.

Le livre VII, lui aussi très long, retrace la vie et les idées des stoïciens. La vie de Zénon de Cittium, par laquelle commence le livre, en est évidemment la partie essentielle. En voici le plan : vie, bons mots, disciples, dogmes (logique et dialectique, avec la théorie du jugement, du raisonnement et du syllogisme, morale avec la définition de la vertu et de la sagesse ; physique avec l’explication du monde). Quelques pages seulement sont ensuite consacrées aux disciples : Ariston, Hérillos, Denys, Cléanthe, Sphéros et Chrysippe.

Le livre VIII étudie les pythagoriciens : Pythagore, fondateur de la secte, puis Empédocle, Épicharme, Archytas, Alcméon, Hippase, Philolaos et Eudoxe.

Le livre IX est un mélange confus d’études sur les philosophes « isolés » comme Héraclite et Xénophane, sur la philosophie éléate (Parménide, Mélissos, Zénon d’Élée, lequel semble avoir très peu intéressé Diogène). A cela s’ajoute une étude sur Protagoras, le sophiste contemporain de Socrate, et sur la secte de Pyrrhon.

Le livre X enfin, le plus long et de beaucoup le plus important, étudie seulement Épicure, mais il a le grand intérêt de présenter, outre le récit de la vie du philosophe, la transcription de trois longues lettres : une à Hérodote, une à Pythoclès, une à Ménécée, qui exposent successivement les idées d’Épicure sur la physique, les météores et la morale.

L’ouvrage n’a pas de véritable conclusion, il se termine ex abrupto sur des réflexions diverses extraites de la morale épicurienne, et répétant sans grandes nouveautés ce qui a été dit dans la lettre à Ménécée.

Telle est cette histoire des philosophes. Mais cette division en dix livres n’est qu’une division extérieure commode. Elle cache en réalité une structure interne différente, que Diogène Laërce indique nettement dans son introduction.

L’ensemble comprend en effet deux parties distinctes d’inégale importance. La première, qui s’étend sur les sept premiers livres, est consacrée à l’histoire de la philosophie ionienne, originaire des colonies grecques d’Asie Mineure, issue de Thalès et commençant à Anaximandre. La seconde, qui comprend les trois derniers livres, est consacrée à la philosophie italique, issue de Phérécyde et commençant à Pythagore. L’auteur ne justifie pas très bien cette division, il se borne à l’indiquer : « Quant à la philosophie, elle a eu deux lignées, une venant d’Anaximandre, une venant de Pythagore. Le maître du premier fut Thalès, le maître de Pythagore fut Phérécyde. La première lignée fut appelée ionique, parce que Thalès, qui fut maître d’Anaximandre, était un Ionien de Milet, l’autre italique d’après Pythagore, parce que la plus grande partie de son activité se manifesta en Italie. » L’essentiel est de savoir que Diogène Laërce suit une tradition établie en faisant cette distinction, et que le livre 8 de son ouvrage n’est pas la suite du livre 7. Avec lui commence en quelque sorte une seconde histoire de la philosophie parallèle à la première. De Textes Empiriens, cité au livre 7, stoïcien du IIe siècle ap. J.-C., on remonte brusquement à Pythagore, philosophe du Vie siècle av. J.-C. On sent déjà par ce seul fait les défauts de la méthode suivie par l’auteur.

Si on néglige quelques erreurs, comme la place attribuée à Héraclite, placé à tort dans la philosophie italique, ou celle d’Empédocle, si l’on met, comme l’auteur aurait dû le faire, dans un chapitre distinct les trois physiciens Anaximandre, Anaximène, Anaxagore, étudiés à tort dans le livre concernant Socrate, si enfin l’on étoffe un peu les chapitres consacrés aux sophistes, qui se réduisent ici à la biographie de Protagoras, cette histoire de Diogène Laërce donne une récapitulation à peu près exacte de l’ensemble de la philosophie grecque, que l’on peut présenter, comme je l’ai fait, en un tableau très net.

Cette vue d’ensemble est intéressante, parce qu’elle est la première qui nous soit parvenue aussi complète. Jusqu’alors, parmi les ouvrages que nous avons conservés, il n’y avait que des études fragmentaires ou des nomenclatures particulières. L’ouvrage permet donc de connaître plus aisément la pensée de tant de philosophes dont nous n’avons pas conservé les écrits, ou dont nous ne possédons que des fragments. Il pourrait même nous aider à mieux noter le développement des idées et la personnalité des philosophes, à mieux comprendre les textes que nous possédons, il pourrait donner de la pensée grecque et de son évolution une étude cohérente et originale, venant d’un Grec ; il pourrait donner tout cela, s’il était bien fait.

Mais Diogène Laërce, par la méthode générale qu’il a suivie, et — sans entrer pour le moment dans le détail de ses erreurs, — s’est en réalité interdit la possibilité de présenter cette histoire vivante et vraiment philosophique de l’évolution de la pensée grecque.

Il étudie en effet chaque secte à part, comme un tout, dont il faut épuiser la matière avant d’aborder l’autre tout qu’est la secte suivante. Il prend donc chaque secte de son origine à sa fin, il en montre la filiation, mais il la traite comme une isolée.

Cela crée déjà pour le lecteur un hiatus désagréable entre chaque chapitre, puisqu’il faut à chaque fois brusquement remonter de plusieurs siècles en arrière. Mais voici qui est plus grave. Les écrivains contemporains ne sont pas étudiés ensemble, ils sont répartis dans les différents chapitres. Or, s’il est vrai que chaque secte a une forme de pensée particulière, il est vrai aussi que les philosophes de toutes les sectes ont un état d’esprit commun, et des formes de pensée voisines, qui sont un effet du moment où ils ont vécu, et de la transformation des connaissances en leur temps. Pythagore est plus proche de Thalès qu’il n’est proche de son dernier disciple Eudoxe. Les derniers Platoniciens, les derniers Péripatéticiens, les derniers Stoïciens n’ont que très peu de rapport avec leurs chefs de file. Si la morale et la logique ont relativement peu évolué, la physique au contraire (que nous appelons métaphysique) s’est beaucoup transformée au cours des siècles, à mesure que les philosophes se sont détachés des cosmogonies mythologiques pour s’appuyer sur l’observation et les données des sciences.

Le classement de Diogène Laërce, qui a l’air d’être purement chronologique, ne donne donc en réalité qu’une pseudo-chronologie, artificielle et morcelée. L’ouvrage aurait gagné en intérêt et en clarté, s’il avait été divisé par périodes et non par sectes.

A cela s’ajoute, comme conséquence, un autre défaut : non seulement les grandes étapes de la pensée grecque échappent, mais encore les influences subies par les philosophes d’une secte à l’autre sont complètement négligées. Sans doute on sent bien comment Platon dérive de Socrate, ce qu’Aristote doit à Platon, et même ce qu’Épicure doit à la fois aux Cyrénaïques et aux Atomistes, mais à cela se bornent, avec la traditionnelle influence orientale qui a pesé sur tous, les influences soulignées par Diogène Laërce. Il suffit d’ouvrir une histoire actuelle de la philosophie grecque pour comprendre la gravité d’une pareille lacune.

L’oeuvre a d’autres caractères et d’autres défauts qui tiennent à sa structure particulière. D’abord un défaut de proportion et de régularité. Il n’y a pas pour chaque biographie un juste dosage entre l’étude de la vie, celle des idées, et le rappel des bons mots. Certains chapitres ne comportent qu’une sèche et rapide biographie suivie d’une liste des ouvrages (ex. : Stilpon, Bion, Carnéade). La biographie est trop souvent ce qui intéresse surtout Diogène, et c’est pour nous le moins important. La place prépondérante est donnée aux anecdotes. Elles font, avec les bons mots, l’essentiel de la biographie des sept sages, et l’on ne peut le critiquer, puisque tout ce qu’on sait d’eux est légendaire. Mais elles ont aussi une place de choix dans l’étude des Cyrénaïques, des Cyniques et des Sceptiques, philosophes dont les idées nous intéresseraient davantage.

L’ouvrage se présente donc comme une suite de récits anecdotiques sur les philosophes, beaucoup plus que comme une histoire de la philosophie, et même quand l’auteur étudie les dogmes, il en donne, sauf de rares exceptions, beaucoup plutôt un résumé qu’une étude critique sérieuse.

Dans l’exposé de chaque chapitre, Diogène Laërce suit un plan monotone et presque invariable, que M. Delatte a bien étudié (op. cit., 54-63). Voici, sur l’exemple typique du livre consacré à Platon, le caractère et l’ordre habituel des principales « rubriques » de chaque biographie :

1. — Nom et origine : « Platon, fils d’Ariston et de Périctioné, était un Athénien ... » C’est le point de départ immuable. Le plus souvent, et j’ai gardé cela dans la traduction, cette première rubrique commence par une phrase sans verbe, sorte de sous-titre ou d’étiquette, ex. : « Simon d’Athènes, corroyeur » (livre 11). Il s’y ajoute des anecdotes sur cette origine, et la rubrique est plus ou moins développée selon l’importance du personnage, et le caractère plus ou moins légendaire de son ascendance.

2. — Education et formation intellectuelle : « Il alla à l’école chez Denys ... », « il devint disciple de Socrate. » Entrent dans cette rubrique les récits de voyages ayant contribué à la formation philosophique du personnage considéré.

3. — Choix d’une secte : « Il vécut à l’Académie ... » La rubrique est la même pour les principaux chefs d’école : Aristote, Zénon, Épicure. Pour les philosophes secondaires qui n’ont pas fondé de secte, Diogène Laërce indique le temps qu’ils ont passé dans une école et leur attitude vis-à-vis de leurs maîtres.

4. — Faits notables de la vie : La biographie de Platon présente à ce propos une variante importante, mais exceptionnelle, un long passage sur l’influence qu’eut Épicharme sur Platon. Ce paragraphe aurait dû suivre la rubrique n° 2. Parmi les faits notables sont cités : les campagnes militaires et les voyages en Sicile, avec les documents (lettres) en assurant l’authenticité.

5. — Caractère du philosophe : « Héraclide dit que dans sa jeunesse le philosophe était réservé et sage ... » Cette rubrique est la plus développée. Elle contient d’ordinaire des détails sur le physique et le moral. Pour le physique, il y a dans ce chapitre sur Platon une brève indication mal placée au début du livre. Sont d’ordinaire ajoutées à ces détails toutes les anecdotes et railleries que le caractère du philosophe a suscitées. Suivent les indications sur la vie amoureuse du philosophe (dans ce livre tous les billets doux de Platon à ses mignons et à ses amies). Viennent enfin des détails divers sur les amitiés et les qualités du style : « Aristote dit que la forme de ses discours tient le milieu entre le vers et la prose ... »

6. — Récit de la mort, détails chronologiques, avec indication de l’akmê, et documents s’y rapportant, en particulier les testaments : « Il mourut comme je l’ai dit la treizième année ... », « Voici son testament... » Diogène Laërce cite toujours les épitaphes et les épigrammes. En bonne place, à côté des railleries de Timon le Sillographe, viennent pour chaque philosophe des épigrammes de Diogène lui-même, tirées de son Psammétron, recueil de vers que nous ne connaissons pas autrement.

7. — Les disciples : « Voyons maintenant ses disciples ... »

8. — Les ouvrages, avec leur liste, leur classification et des remarques sur leur authenticité (cf. Thalès, Pythagore, Zénon).

9. — Dogmes et théories : Cette rubrique précède parfois celle concernant les ouvrages. Dans l’exposé des théories, lorsqu’il existe, Diogène suit une division peu variable, et d’ailleurs justifiée : physique, morale, logique. A cette rubrique est exceptionnellement ajouté, dans la biographie de Platon, un long passage sur la façon dont il divisait les choses.

10. — Homonymes : Cette rubrique clôture presque toujours la biographie. Elle est très brève pour Platon, elle est parfois beaucoup plus longue : ex. : Cratès, Bion (liv. IV), Héraclide (liv. V). Exceptionnellement, au livre VII, la liste des homonymes ne termine pas le chapitre, parce que Diogène, voulant faire à propos de Zénon un exposé de la doctrine stoïcienne, le rejette justement à la fin.

Cette méthode de classification, sûre mais monotone, s’explique en partie, tout comme les caractères précédemment indiqués, par un autre trait essentiel de l’ouvrage : il n’est pas autre chose qu’une compilation, c’est-à-dire la transcription de détails empruntés à d’autres livres. Diogène Laërce indique toujours scrupuleusement ses sources, et l’on pourrait croire qu’il suffit, pour connaître les auteurs dont il s’est inspiré, de relever les noms qu’il a cités. La question est pourtant plus compliquée et, comme elle est liée à celle de la nature propre du livre lui-même, elle n’est pas encore résolue. A combien de sources faut-il faire remonter tous les emprunts de Diogène Laërce ? Y a-t-il une source principale, et quelle est-elle ? M. Delatte, dans son introduction à la vie de Pythagore, a minutieusement relevé les conclusions auxquelles les érudits sont parvenus (pages 1634). Il résulte de son étude que, depuis les travaux de Nietzsche en 1868 jusqu’à ceux d’Howald (Hermès, 1920), plus d’une douzaine d’érudits allemands ont présenté des hypothèses différentes et parfois contradictoires, selon que les uns, comme Volkmann, Gercke, Schmidt, ont voulu réduire la part du travail personnel de Diogène Laërce ou que les autres, comme Bahnsch ou Schwartz, ont souligné au contraire l’originalité de l’auteur.

Les uns et les autres s’attachent, tout en notant les sources multiples, à retrouver la source principale. Il serait peut-être plus simple, en la matière, de considérer le texte tel qu’il nous est donné et de s’abstenir d’émettre des hypothèses difficilement vérifiables. Qu’ils aient été pour lui importants ou secondaires, Diogène Laërce note toujours les ouvrages auxquels il a puisé. Voici comment on peut les classer :

L’auteur a d’abord utilisé des documents originaux : des testaments, fréquents surtout au livre V, et cités in extenso (testaments d’Aristote, Théophraste, Straton, Lycon) ; des lettres, dont la plupart sont apocryphes, comme celles des sept sages, mais dont les autres ne sont pas autre chose que le résumé de l’ouvrage d’un philosophe, comme celles d’Épicure ; des inscriptions funéraires ; des décrets du peuple athénien (cf. livre VII, vie de Zénon) ; des textes judiciaires (accusation de Socrate, livre II).

Il a utilisé en second lieu des documents littéraires, comme les railleries des comiques contre les philosophes (celles d’Aristophane, et surtout celles des poètes de la moyenne comédie), comme des vers extraits de l’Iliade et de l’Odyssée, comme le recueil des Silles de Timon le Sillographe, cité presque en entier.

Il a puisé enfin à des documents proprement philosophiques. Avant Diogène, il n’y avait pas d ‘histoire générale de la philosophie, mais il y avait sur les philosophes un grand nombre d’écrits particuliers. Chaque secte avait son histoire et ses archives, elle conservait une liste de ses membres et la succession des chefs d’école depuis l’origine de la secte. C’était comme sa généalogie. Elle conservait en outre le résumé des principales théories, et la liste des oeuvres de chaque philosophe. Diogène a connu un certain nombre de ces ouvrages et en particulier les Successions de Sotion, grammairien d’Alexandrie du Ille siècle av. J.-C., dont un abrégé avait été fait au ne siècle par Héraclide Lembos, un des auteurs les plus souvent cités par Diogène Laërce. Il a utilisé aussi l’« ép dromê philosophon » ouvrage analogue de Dioclès de Magnésie (Ier siècle av. J .-C.).

Il existait d’autre part des biographies particulières, auxquelles notre auteur se réfère, comme celles d’Aristoxène, d’Hermippe et d’Antigone de Caryste (celle de Jamblique sur Pythagore n’est à aucun moment citée), des recueils doxographiques, contenant un résumé des points essentiels des doctrines de chaque secte, comme ceux de Théophraste, d’Aétios, de Néanthe de Cyzique, de Satyros, Péripatéticien du IIIe siècle, des recueils bibliographiques, comme les Pinakès de Callimaque de Cyrène, bibliothécaire d’Alexandrie, des listes d’homonymes, comme celle de Démétrios de Magnésie, enfin des recueils chronologiques, comme celui d’Apollodore d’Athènes (ne siècle), écrit en trimètres iambiques, et donnant des personnages importants à la fois la date de la naissance, celle de la mort, et celle de la pleine maturité (l’akmê, vers 40 ans).

Voilà à peu près tous les auteurs auxquels Diogène Laërce a fait des emprunts précis. Il faut leur ajouter un recueil assez différent, auquel l’auteur de la Vie des Philosophes puise si souvent que Nietzsche et quelques autres érudits allemands ont voulu en faire sa source essentielle : ce sont les Mélanges historiques, « Pantodapê historia », de Phavorinos. M. Delatte a classé (pages 46-48) les emprunts de Diogène à Phavorinos. Il fait de ce dernier, avec les plus récents philosophes sceptiques, la source immédiate de ce livre, et Diogène Laërce lui semble avoir confronté un travail primitif avec leurs ouvrages, remanié ainsi la tradition alexandrine, et, à cette occasion, beaucoup apporté de lui-même.

III. — L’HOMME

Quoi qu’il en soit, ce qui saute aux yeux de qui lit la Vie des Philosophes, c’est la faible valeur scientifique du livre. La documentation est certes sérieuse, mais aussi beaucoup trop lourde. Diogène Laërce ne fait grâce d’aucun détail, d’aucune tradition. Il cite ses documents l’un après l’autre, tels qu’il les a trouvés dans d’autres écrits, mais sans aucune méthode et sans le moindre sens critique.

Chaque biographie ne suit qu’en apparence un plan net correspondant aux rubriques citées plus haut. En fait cette division cache très mal une confusion extrême, surtout visible dans le livre VII, pour la biographie de Zénon. En voici le plan (j’écris en italique les paragraphes mal placés ou faisant avec d’autres double emploi) :

— « Origine de Zénon, travers physique, sobriété, — ses maîtres et son admiration pour Cratès, — ses ouvrages, — quelques bons mots, — création de la secte, — rapports avec les puissants, — décret de l’assemblée, — anecdotes sur ses rapports avec Cratès, — sa sobriété, — son amour de la solitude, — ses qualités intellectuelles, — travers physique, — bons mots, — comment il étudia chez Stilpon, sa sobriété, — sa patience et les railleries des comiques à ce sujet, — son âge et les dates de sa vie, — sa mort, — son père et sa jeunesse, — homonymes, — disciples, dogmes. »

Au livre VIII, la biographie de Pythagore, assez correctement composée dans l’ensemble, se termine par une page où sont notées, pêle-mêle, des remarques d’auteurs divers sur la jeunesse, les découvertes, les adversaires et la correspondance de ce philosophe. Toutes ces indications pouvaient trouver leur place dans chacune des rubriques de la biographie.

Ce défaut vient de l’habitude qu’avait Diogène Laërce de citer d’un bloc les documents qu’il trouvait sur chaque philosophe, sans prendre la peine de les classer d’après leur nature ou leur sujet. La biographie se présente ainsi comme une série de notes juxtaposées, recopiées textuellement, et encadrées chacune du nom de l’auteur qui les a fournies à Diogène. En voici un exemple : au livre II, dans la vie de Socrate, un paragraphe commence ainsi : « Démétrios de Byzance dit que ... » Il contient des renseignements sur l’éducation de Socrate, sur son goût pour la morale, sur sa façon d’agir en public, sur les railleries et les outrages qu’il subissait, et le paragraphe se termine par cette phrase correspondant à la première : « Voilà ce que rapporte Démétrios. » La biographie d’Aristote, au livre V, montre encore mieux le défaut de cette juxtaposition de citations très composites. Diogène Laërce y expose d’abord tout au long la vie d’Aristote d’après Hermippe, Timothée et Aristippe, et il donne à ce propos des détails sur son origine, son physique, son éducation, son enseignement, ses voyages et sa mort. Après quoi, en un nouvel exposé contenant les mêmes faits, il reprend la vie entière d’Aristote avec des dates précises, telle qu’il l’a trouvée dans la Chronique d’Apollodore. Il eût été plus simple et plus clair de mettre dans le premier récit à côté de chaque événement la date donnée par le récit d’Apollodore.

Lors même enfin que, par exception, Diogène Laërce essaie de classer les documents, la même erreur de méthode subsiste, aggravée d’un manque total de sens critique. L’auteur cite sans aucun scrupule, l’une après l’autre, des traditions souvent contradictoires, sans chercher où est la vérité et quelle tradition est suspecte, sans même essayer de mettre le lecteur en garde contre l’incertitude de la tradition. Est-il question (livre VIII) de la famille d’Empédocle, Diogène Laërce écrit : « Empédocle est fils de Méton, selon Hippobotos, Timée, Aristote, Héraclide, Apollodore. Il est fils d’Exaïnète selon Satyros. Il est fils d’Archynome, selon Télaugès. » Ce n’est pas là un renseignement clair, mais Diogène Laërce ne se soucie pas de l’élucider. « Voilà ce qu’on rapporte », nous dit-il. Quant à résoudre la contradiction, il n’y songe pas un instant, il laisse ce soin aux lecteurs. On en trouvera d’autres exemples dans les biographies des sept sages, et en particulier dans la curieuse histoire du trépied de Thalès.

Diogène Laërce s’est donc le plus souvent borné au travail préliminaire de ce que nous appelons aujourd’hui une étude vraiment scientifique. Il a collationné des documents, il a rédigé des fiches par nom d’auteur. Il ne semble pas avoir compris qu’il lui restait à faire l’essentiel : classer, étudier, critiquer, passer au crible tous ces documents pour obtenir un ouvrage cohérent et harmonieux. En rassemblant ainsi un fichier copieux, mais en désordre, il ne nous présente pas une histoire de la philosophie, il nous donne en réalité un catalogue des choses qui ont été dites sur les philosophes.

C’est qu’il n’avait pas lui-même beaucoup d’ordre dans l’esprit. Ses idées se suivent toujours un peu au hasard. Mal liées, elles rendent le raisonnement obscur et pesant. Ce défaut est accentué par un style extraordinairement lâche, confus et monotone.

Les mêmes formules reviennent comme une litanie : « On dit que, dit-on, ils disent. » Le mot « phasi » est répété toutes les deux ou trois lignes dans cet ouvrage de trois cents pages. Diogène Laërce abuse aussi de la formule : « On lui demande ... il répond que ... » Ses transitions sont extrêmement lourdes, la cacophonie ne lui déplaît pas : il ne craint pas d’écrire « kai ê nika énika »…

Il passe d’un paragraphe à l’autre par cette formule invariable : « Puisque, comme je l’avais annoncé, j’ai exposé ... je vais maintenant exposer ... » Le caractère superficiel de sa pensée apparaît aussi dans sa syntaxe. Diogène Laërce ne subordonne presque jamais, les propositions sont simplement juxtaposées. Ce n’est pas là l’effet de style d’un écrivain qui veut atteindre la concision et recherche les rapprochements ou les oppositions inattendues, c’est le simple témoignage d’une pensée primitive, incapable de lier les idées et d’apercevoir les causes et les conséquences. C’est pourquoi, avec le mot « phasi » (on dit que), le mot « kai » (et) est le plus fréquent des mots de ce livre.

On s’explique ainsi que Diogène Laërce ait été gêné dans l’exposé des doctrines philosophiques. On le sent très souvent perdu, ne comprenant les idées qu’à demi, émerveillé par ce qu’il comprend, l’expliquant alors pas à pas, avec des redites, sans faire grâce au lecteur du moindre détail, et accentuant encore cette tendance de l’esprit grec à tout diviser et à exposer l’idée à la fois sous sa forme positive et sous sa forme négative. Pour la même raison, il ne dit à peu près rien de la philosophie d’Aristote, qui tient dans son ouvrage une place ridiculement petite. Il avoue d’ailleurs tout crûment son ignorance : « Il y aurait encore bien des choses à dire », écrit-il après son énumération, en une courte page, des théories d’Aristote sur la logique, la morale et la métaphysique, « il y aurait encore bien des choses à dire, mais il serait trop long de les énumérer. » C’est qu’il ne les a pas comprises. Et c’est aussi parce qu’il ne comprend pas très bien la doctrine stoïcienne, qu’il prend le parti, dans la vie de Zénon, de n’en parler que brièvement, en résumant chaque chapitre.

Il lui arrive, il est vrai, de faire un effort. A propos de ces mêmes stoïciens, il expose avec beaucoup de détails la théorie des syllogismes, mais il n’a pas dit un mot de la logique d’Aristote et de Théophraste, qui était à la base de la dialectique stoïcienne. Il cherche à faire comprendre les idées de Platon, mais quelle entreprise téméraire, et comme son explication de la cosmogonie platonicienne est obscure et incohérente ! Félicitons-nous encore qu’il ait transcrit, dans le livre X, les trois lettres d’Épicure, qui le dispensent d’exposer lui-même les idées de ce philosophe, tant, lorsqu’il essaie, à la fin du livre, de présenter la définition du sage, il se répète, s’embarrasse dans les idées, et rend confus ce qu’il voudrait élucider. Ne l’accablons pas toutefois. Il semble par moments avoir l’impression que l’histoire de la philosophie est bien l’histoire des idées. Il avoue candidement au livre III : « Ce serait, comme on dit, porter une chouette à Athéna, qu’oublier de parler des idées. » Il lui arrive de discuter, comme lorsqu’il cherche à attribuer à Platon la création du dialogue. Parfois même, soucieux d’argumentation, il se demande : « Qu’est-ce qu’un dialogue ? » « Qu’entend-on par dogmatiser ? », mais ses arguments sont faibles, il est vite essoufflé, et la discussion tourne court.

En fait, il n’est à l’aise que dans la morale, partie moins abstraite et plus abordable. D’où la place accordée aux Cyrénaïques, aux Sceptiques, aux Cyniques, aux Stoïciens et aux Épicuriens. Il a l’imagination d’un romancier et d’un fabuliste, nullement l’esprit philosophique. Diogène le Cynique est pour lui un personnage bien plus séduisant que le trop profond Aristote.

Tout cela n’empêche pas Diogène Laërce de montrer dans cet ouvrage une personnalité plus accusée. Il intervient très souvent au cours de son exposé, et dit franchement ce qu’il pense, ce qu’il sait, ce qu’il a découvert. Il dit souvent : « Telle lettre est fausse, écrit-on, soit, mais « moi j’en ai trouvé une autre », « J’ai trouvé son testament », « J’ai trouvé un document qui prouve que  ... »

Il sait aussi à l’occasion prendre parti et défendre ou critiquer ses personnages. Il a ainsi donné aux érudits l’occasion d’un nouveau problème presque insoluble. On s’est demandé s’il avait des théories philosophiques propres, et à tout le moins à quelle secte il se rattachait. Est-il sceptique ? (cf. Schwartz, Real Encyclopedie). Il est vrai qu’il raille souvent les Dogmatiques, et qu’il semble connaître mieux que d’autres la secte pyrrhonienne. Est-il Platonicien ? Il est vrai qu’il étudie en détail les idées de Platon, et qu’une phrase nous indique qu’il a dédié son livre à une Platonicienne : « Mais, puisque tu es une amie de Platon, et avec raison, et puisque tu cherches avec ardeur à connaître les théories de ce philosophe, il m’a paru nécessaire de présenter par ordre ses discours ... » Est-il épicurien ? (Casaubon, Willamowitz). Il est vrai qu’il termine son ouvrage par la biographie d’Épicure, qu’il compose de ce philosophe un portrait sympathique, et qu’il cherche à intéresser à lui la même personne à qui il a dédié son livre (mais, autre problème, est-ce la même ?) : « Je te montrerai ses idées maîtresses, et tout ce qu’il a pu écrire de mémorable, afin que par tous ces moyens, tu puisses apprendre quel fut cet homme et me juger. »

Peu importe en vérité, car il s’efforce d’être juste, et sa propre pensée, nous l’avons vu, n’était pas très originale. Ce qui est beaucoup plus intéressant, c’est la façon dont il parle des philosophes.

Il en défend hardiment un grand nombre. Il soutient Socrate, à propos duquel il écrit : « Tous les poètes comiques qui ont voulu le railler n’ont fait en réalité que lui rendre hommage. » Il dit la même chose à propos de Platon, et il prend énergiquement le parti d’Épicure. Après avoir, en effet, en plusieurs pages, relaté toutes les critiques adressées à ce philosophe, dont les ennemis ont fait un homme corrompu, il le défend en ces termes : « Voilà ce que bien des gens ont dit d’Épicure, mais ces gens-là sont des fous, car on a de nombreux témoignages. » Il lui arrive même de soutenir les Cyniques.

Il y a par contre une catégorie de philosophes qu’il ne ménage pas, dont il souligne malicieusement les sottises ou les mensonges : ce sont les charlatans, tous ceux qui ont voulu se faire passer pour des surhommes ou des dieux, ou qui ne doivent leur réputation qu’à l’étrangeté de leur conduite. Il les traite d’imposteurs et leur décoche ses épigrammes les plus ironiques. Ses principales victimes sont Eudoxe, Empédocle, Héraclide et Pythagore.

Si l’on veut connaître le vrai caractère moral de Diogène Laërce, il faut surtout le chercher dans ces épigrammes, dans le Psammétron, que nous ne connaissons que par les extraits qu’il en donne après chaque biographie. M. Delatte qui étudie dans son livre, (pages 36-39) ces poèmes en vers libres, en « mètres divers », insiste surtout sur la piété de Diogène, sa « résignation devant la volonté divine ». Mais on trouve dans le Psammétron bien autre chose. D’abord

une sage moralité, de bons sentiments d’honnête bourgeois que les excès scandalisent. Dans un passage du livre VII, il recueille avec indignation, et sans songer un instant à en faire la critique, les paroles « horribles » de Chrysippe, déclarant « que l’on peut coucher avec sa mère, sa soeur, sa fille, pour prendre avec elles son plaisir », et il ajoute que ce philosophe emploie mille vers à dire « que l’on peut manger des charognes » !

Et surtout une manière d’esprit, une sorte de malice faite de gros sel et de gros bon sens, y veut être cruelle contre les charlatans précités. En voici quelques exempIes : Héraclide (livre V) a voulu faire croire qu’à sa mort il était devenu un dieu sous la forme d’un serpent. La supercherie s’est retournée contre lui, et Diogène Laërce, qui ne se tient pas de joie, écrit cette épigramme enflammée :

Tu voulais faire croire, Héraclide, qu’à ta mort

Tu étais devenu un serpent vivant,

Mais tu as menti, grand fourbe, car cette bête

Était un serpent, mais toi, prétendu sage, tu n’étais qu’une bête !

Pythagore refuse de manger de la viande crue, Diogène s’empresse de souligner que, s’il ne veut pas commettre de péché, il laisse autrui en commettre. Pythagore s’est laissé tuer, pour ne pas marcher sur des fèves : « Aïe ! aïe ! Pythagore, » s’écrie Diogène, « pourquoi tant de vénération pour des fèves, te voilà mort ! »

Pour la même raison, il s’empresse de souligner, suivant Hermippe, la supercherie de Pythagore. Celui-ci s’était fait enterrer, et avait demandé à sa mère de mettre chaque jour dans son tombeau le récit des événements de la journée : sorti du tombeau il laissa croire qu’il revenait des enfers, et pour le prouver raconta ce qui s’était passé sur terre en son absence. Diogène Laërce conte l’anecdote sur un ton si railleur que ses intentions sont manifestes.

Eudoxe, qui prétendait avoir eu un entretien avec le boeuf Apis, s’attire lui aussi une épigramme moqueuse :

On raconte à Memphis qu’Eudoxe

Apprit sa destinée du taureau aux belles cornes.

Ce taureau ne dit rien. Comment un boeuf parlerait-il ?

La nature ne l’a pas doué d’une bouche parlante !

Mais il vint près d’Eudoxe, et lécha son manteau,

Ce qui signifiait évidemment : « Tu mourras

Sans tarder ...

Ainsi parle Diogène tout au long de son ouvrage. Il semble un écho un peu lourd mais fidèle des railleries de Lucien contre les philosophes. Celles-ci abondent en particulier dans le dialogue d’Hermotime. Lycinos y souligne les incohérences des philosophes, et la vanité de leurs entreprises : il montre à Hermotime qu’un Stoïcien, qui se prétend sage et détaché des biens de ce monde, mange pourtant le nez de son élève qui ne l’a pas payé, s’enivre dans les banquets et y prend des indigestions, et de colère jette sa coupe à la tête de ses adversaires. Lucien ajoute : « Le philosophe a si bien instruit son élève que cet élève a violé la fille du voisin, volé le vin de ses parents, battu sa mère, progressé dans tous les vices, et passé son temps à réciter des inepties. »

N’y a-t-il pas comme un reflet de ces railleries dans le fait que Diogène Laërce souligne avec soin la conduite irrégulière de nombreux philosophes, et présente des sept sages un portrait si singulier ? Notons par exemple le contraste entre la conduite de Périandre et ses paroles. Diogène Laërce conte froidement que ce sage donnait d’excellents conseils, mais qu’il « battit sa femme qui était grosse, la jeta dans l’escalier à coups de pied tant qu’il la fit mourir, puis, dans un accès de rage et de remords, fit brûler ses concubines qui l’avaient poussé à maltraiter sa femme ; qu’il voulut faire châtrer tous les enfants de Corcyre et qu’il couchait avec sa mère ». Nous voici tout près des scandales imputés par Lucien au disciple du Stoïcien dans Hermotime. Ne pourrait-on voir en ce grave Diogène, par ailleurs d’une pensée lourde, par la juxtaposition de tels contrastes, comme un esprit (rudimentaire, il est vrai) de pince-sans-rire ?

Personnage curieux en tout cas, par ce mélange d’originalité et de faiblesse, et qui conduit à accepter comme juste l’opinion de M. Delatte, qui voit en lui (p. 39) « un homme du monde, que l’histoire des philosophes intéressait surtout pour le point de vue anecdotique ».

IV. — INTÉRÊT DU LIVRE

Au total, que devons-nous retenir de son ouvrage ? A peu près tout l’essentiel, il est vrai, lui a échappé. Il ne montre pas nettement les différences entre les cosmogonies de chaque secte. L’évolution de la pensée philosophique reste tout à fait obscure. Comment successivement les philosophes se sont représenté le monde, comment, peu à peu, ils en ont cherché une explication plus sérieuse, plus scientifique et plus simple à la fois, quel progrès il y a entre la cosmogonie de Thalès et celle de Platon, ou d’Aristote, entre la leur et celle de Zénon et d’Épicure, évidemment on ne peut pas le savoir par le livre de Diogène Laërce, et il serait vain de l’y chercher. On ne trouvera rien de sérieux non plus sur la logique et la dialectique de nombreux philosophes, en particulier sur celle d’Aristote. Par contre, Diogène expose nettement la logique des Stoïciens, et d’une façon qu’on ne pourrait guère souhaiter plus détaillée, sinon plus simple.

S’il ne montre pas du tout l’interdépendance des théories de chaque secte, et les influences qu’elles ont subies, il reste que si l’on veut lire dans un seul livre ancien un résumé des morales grecques, c’est bien la Vie des Philosophes de Diogène Laërce qu’il faut consulter. La différence entre les Cyrénaïques et les Épicuriens, la définition du bonheur et de la sagesse selon Aristippe, Zénon, Épicure et Pyrrhon, voilà des points bien mis en relief dans ce livre. Ajoutons que, peut-être parce qu’il était lui-même sceptique, et parce qu’il adopte parfois une attitude voisine de celle de Lucien, il a senti très nettement la grosse importance de la secte pyrrhonienne. Il en a vu le caractère, d’abord, et comme cette conception de la philosophie s’opposait non pas à telle ou telle autre conception particulière, mais à l’ensemble des autres sectes, qui toutes croient pouvoir affirmer quelque chose, c’est-àdire aux Dogmatiques.

Cette qualité de l’ouvrage est peut-être. pour tout homme qui pense, son principal mérite, car elle lui donne un intérêt toujours actuel, si l’on songe que toutes ces opinions sur la relativité des sensations et des jugements, sur l’incertitude de la connaissance ont apporté dans les temps modernes tant de trouble et une angoisse si salutaire même aux esprits habitués à jouer avec les pensées. L’acharnement de Pascal à combattre le pyrrhonisme, dans son Apologétique, nous fait remercier Diogène Laërce d’avoir senti que cette attitude philosophique n’était pas négligeable, et d’en avoir fait un exposé si solide et si copieux.

Son ouvrage apporte d’autre part des documents intéressants sur les philosophes. Les listes de leurs écrits, qu’il serait utile de reviser sur une étude sérieuse des manuscrits, car elles sont bourrées d’erreurs et de répétitions, nous sont, même en cet état, très précieuses. Les lettres d’Épicure, dont deux sont actuellement considérées comme authentiques (lettre à Hérodote, lettre à Ménécée) et dont la troisième (à Pythoclès) reflète assez fidèlement la pensée de ce philosophe, sont encore pour nous un document très important.

Le livre de Diogène Laërce précise encore quelques aspects de la vie grecque qui ne sont pas toujours assez mis en relief. Je ne parle pas seulement des nombreux testaments, qui, évoquant pour nous les usages du temps, nous montrent que la façon de tester et les formules testamentaires n’ont pas beaucoup varié au cours des siècles. Je pense surtout à cette foule de renseignements. plus ou moins exacts, il est vrai, mais vraisemblables, et certainement justes pour les hommes du commun, qui nous sont donnés sur les moeurs grecques. Il corrigent heureusement cette opinion fausse, trop vulgarisée, qui consiste à présenter la vie hellénique comme idéale et harmonieuse. Il y avait alors, comme aujourd ‘hui, des hommes mesquins, avares, trompeurs, violents, cupides et des débauchés de toute espèce : goinfres ou licencieux. Le témoignage de Diogène Laërce, voisin de ceux de Lucien, d’Aristophane et de Thucydide, restitue à ces Grecs d’autrefois un caractère d’humanité toute moyenne qu’il est juste d’opposer aux gens qui ne veulent voir en eux que des surhommes, et ne trouver en Grèce que des leçons de grandeur morale.

Il n’est pas jusqu’aux légendes et aux anecdotes cette partie de l’ouvrage la plus agaçante pour les historiens de la philosophie — qui n’aient pour nous un intérêt certain. Si la vie des philosophes est dans l’ensemble agréable à lire, elle le doit à toutes ces histoires, dont quelques-unes font trop appel à une curiosité malsaine, mais qui pour la plupart sont amusantes. On lira certainement avec plaisir l’histoire du trépied trouvé jadis dans la mer par des pêcheurs, destiné au plus sage des hommes, et qui passe d’un sage à l’autre, pour finalement être donné à Apollon, parce qu’aucun homme n’est aussi sage que la divinité (livre 1). On apprendra avec curiosité comment il faut s’y prendre pour venir à bout d’un tyran (livre IX, vie de Zénon d’Élée) : « Ayant voulu renverser le tyran Néarque, Zénon fut arrêté. Le tyran lui ordonna de dénoncer ses complices, et Zénon dénonça tous les amis du tyran pour montrer à Néarque combien il était abandonné de tous. Il ajouta qu’il avait quelque révélation à lui faire à l’oreille, et, s’étant approché du tyran, il lui mordit l’oreille à belles dents, et ne la lâcha point, qu’il n’en eût enlevé un morceau. Antisthène ajoute que lorsqu’il eut dénoncé les amis du tyran, celui-ci lui demanda s’il n’avait pas eu d’autre complice. Zénon lui fit cette belle réponse : « Le principal, c’est toi-même, fléau de la ville ! » Puis il dit aux assistants : « Vous serez bien lâches, si après ce que je vais faire, vous acceptez encore d’être les esclaves de ce tyran ! » Là-dessus, il se coupa la langue et la lui cracha au visage. Ses concitoyens s’élancèrent alors sur le tyran et le lapidèrent. »

N’est-ce pas là le ton des vieilles et candides légendes ? Diogène sait aussi, par une heureuse accumulation de bons mots, dégager avec netteté la figure de quelques philosophes célèbres comme Pyrrhon et comme Diogène. Quel chapitre savoureux il a consacré à ce philosophe (livre VII) ! Quel pittoresque et émouvant portrait il a su en donner ! Ce portrait est sans doute légendaire, il n’est pas tout entier de la main de Diogène Laërce, c’est une compilation, mais l’ensemble est vigoureux. Il campe du Cynique une figure très attachante par les boutades, parfois triviales ou obscènes, parfois mordantes ou ironiques, souvent sérieuses et profondes. On ne sait laquelle est la plus riche de sens et la plus admirable, du « Ote-toi de mon soleil » ou de cette réponse du philosophe à qui lui demandait à quelle heure on devait manger : « Quand on est riche, on mange quand on veut, quand on est pauvre, on mange quand on peut ! »

C’est par ce côté anecdotique que Diogène Laërce nous intéresse, et qu’il a tant intéressé les écrivains français depuis la Renaissance. Il a beaucoup séduit Montaigne, qui l’a utilisé à l’égal de Plutarque. M. Lanson (Les Essais de Montaigne, éd. Mellotée) écrit avec raison (pages 286-287) : « On ne peut douter que Montaigne n’eût un goût très vif pour la lecture des historiens. Il y cherche la connaissance en général, et il goûte en particulier les Vies, celles des grands capitaines et des grands politiques chez Plutarque, et celles des philosophes chez Diogène Laërce. » Le nom de cet auteur est en effet souvent cité dans les Essais[2]. Pascal et Jean-Jacques Rousseau ont suivi l’exemple de Montaigne, et je ne parle pas des nombreux historiens de la philosophie qui ont longtemps pris pour argent comptant toutes les anecdotes de ce philosophe. Les historiens modernes eux-mêmes, qui font le départ entre les renseignements légendaires et les détails vraisemblables, sont bien obligés d’avoir encore recours à lui, ne serait-ce que pour le critiquer.

V. — LE TEXTE

Le texte de la Vie des Philosophes nous est connu par d’assez nombreux manuscrits, dont les principaux sont le Codex burbonicus (B) du XIIe siècle, le Laurentianus (F) du XIIIe, et le Parisinus (P) du XIVe, par des fragments et des extraits cités par Suidas. L’ensemble est en mauvais état, le texte est très fautif, et la présentation d’une bonne édition est un ouvrage considérable qui n’est pas achevé. Les premières éditions remontent au XVIe siècle.

L’édition princeps est celle de Froben (Bâle, 1533). Parmi les autres, il faut citer celles d’Estienne et de Casaubon au XVIe, de Teubner (Leipzig, 1828) et de Cobet (Paris, Didot, 1850). C’est cette dernière, actuellement la plus aisément utilisable, que j’ai suivie pour cette traduction. Cette édition est certes fautive, mais on peut l’améliorer par des éditions partielles postérieures à elle, comme les travaux de Diels sur Xénophane, Parménide, etc. (Poetarum philosophorum fragmenta, 1901) et surtout l’édition de la Vie de Pythagore par M. Delatte (op. cit). J’ai tenu compte de ces corrections. J’ai beaucoup utilisé aussi, en précisant mes emprunts, l’excellente introduction générale consacrée à Diogène Laërce par M. Delatte dans cette édition de la Vie de Pythagore. J’ai consulté, sans pourtant la suivre toujours, car elle est faite d’après un texte d’Usener différent de celui de Cobet, la traduction par Hamelin des trois lettres d’Épicure (Revue de Métaphysique et de Morale, XX1Il, 1910).

Il reste dans ma traduction, on le verra, des lacunes et des phrases indiquées comme douteuses. Il n’entrait pas dans le cadre de ce travail de faire une édition nouvelle du texte, tâche d’ailleurs très lourde, et je ne pouvais qu’utiliser le meilleur texte actuel, en acceptant ses imperfections. Les traductions françaises sont peu nombreuses.

Outre celles de Fougerolles (Lyon, 1601) et de Gilles Boileau (Paris, 1668), toutes deux fautives et esquivant trop les difficultés, on ne peut citer que la traduction d’un anonyme (Amsterdam, 1758)[3] et celle de Zévort (Paris, 1847).

Pour celle-ci, je me suis efforcé de la faire exacte et simple. Je n’ai pas oublié qu’une traduction de nos jours n’est bonne qu’à la condition d’être fidèle et précise dans le détail. J’ai donc gardé, autant qu’il se pouvait, l’esprit même du texte, c’est-à-dire les juxtapositions, les redites, les liaisons maladroites et innombrables, monotones assurément, mais qui caractérisent la pensée de Diogène Laërce. Il en résulte souvent une gêne et une lourdeur difficilement évitables. Mais aussi, considérant qu’il s’agissait, plus encore que de donner un instrument de travail commode aux philosophes, de présenter aux lecteurs profanes, mais curieux des choses et de la pensée grecques, une traduction lisible, je me suis efforcé d’en alléger l’allure pour ne pas la rendre rebutante.

J’ai obéi aux mêmes préoccupations dans la rédaction des notes qui suivent la traduction. Le lecteur non spécialiste des problèmes philosophiques et de tout ce qui concerne la civilisation et la mythologie antiques, y trouvera, je l’espère, tous les éclaircissements indispensables, avec les renseignements historiques et géographiques nécessaires. Je me suis interdit de discuter la valeur des arguments de Diogène Laërce et la justesse de son exposé.

Je sais bien que ces explications élémentaires pourront paraître sommaires ou superflues aux philosophes et aux érudits. Aussi bien ne sont-elles pas faites pour eux. Ils ont une expérience de la philosophie grecque suffisante pour juger par eux-mêmes l’ouvrage du philosophe grec, et ils auront toujours, sachant sa langue, la possibilité de recourir au texte. Je ne me dissimule pas l’imperfection de mon travail. Du moins ai-je fait scrupuleusement ma tâche. Je me suis reporté aux textes originaux, j’ai consulté les travaux importants des historiens modernes, je me suis entouré de conseils éclairés. Je suis en particulier redevable de précieux renseignements aux livres de MM. Janet et Séailles, Bréhier, Brochart et Robin sur l’histoire de la pensée antique et aux travaux des meilleurs hellénisants.


[1] DELATTE, Vie de Pythagore, éd. crit. (Mémoires de l’Académie royale de Belgique, Bruxelles, 1922.)
[2] Cf. Montaigne (Essais, II, 10) : « Je suis bien marri que nous n’ayons une douzaine de Laertius, ou qu’il ne soit plus étendu ou plus entendu, car je suis pareillement curieux de connaitre les fortunes et la vie de ces grands précepteurs du monde, comme de connaître la diversité de leurs dogmes et fantaisies. »
[3] « Vies des plus illustres philosophes de l’antiquité, traduites du grec de Diogène Laërce. On y a ajouté la vie de Diogène Laërce, d’Epictète, de Confucius, etc ... (par J.-H. Schneider). Amsterdam, 1758-1761,3 vol. in-12. » On peut ajouter à ces traductions un Abrégé des Vies des Philosophes, par Fénelon, inspiré surtout de l’ouvrage de Diogène Laërce.