De tous les rois que les Romains attaquèrent, Mithridate seul se défendit avec courage et les mit en péril.
La situation de ses États était admirable pour leur faire la guerre. Ils touchaient au pays inaccessible du Caucase, rempli de nations féroces dont on pouvait se servir. De là, ils sétendaient sur la mer du Pont. Mithridate la couvrait de ses vaisseaux et allait continuellement acheter de nouvelles armées de Scythes. LAsie était ouverte à ses invasions. Il était riche, parce que ses villes sur le Pont-Euxin faisaient un commerce avantageux avec des nations moins industrieuses quelles.
Les proscriptions, dont la coutume commença dans ces temps-là, obligèrent plusieurs Romains de quitter leur patrie. Mithridate les reçut à bras ouverts : il forma des légions où il les fit entrer, qui furent ses meilleures troupes[1].
Dun autre côté, Rome, travaillée par ses dissensions civiles, occupée de maux plus pressants, négligea les affaires dAsie et laissa Mithridate suivre ses victoires ou respirer après ses défaites.
Rien navait plus perdu la plupart des rois que le désir manifeste quils témoignaient de la paix : ils avaient détourné par là tous les autres peuples de partager avec eux un péril dont ils voulaient tant sortir eux-mêmes. Mais Mithridate fit dabord sentir à toute la terre quil était ennemi des Romains, et quil le serait toujours.
Enfin, les villes de Grèce et dAsie, voyant que le joug des Romains sappesantissait tous les jours sur elles, mirent leur confiance dans ce roi barbare, qui les appelait à la liberté.
Cette disposition des choses produisit trois grandes guerres, qui forment un des beaux morceaux de lhistoire romaine, parce quon ny voit pas des princes déjà vaincus par les délices et lorgueil, comme Antiochus et Tigrane, ou par la crainte, comme Philippe, Persée et Jugurtha, mais un roi magnanime, qui, dans les adversités, tel quun lion qui regarde ses blessures, nen était que plus indigné.
Elles sont singulières, parce que les révolutions y sont continuelles et toujours inopinées : car, si Mithridate pouvait aisément réparer ses armées, il arrivait aussi que, dans les revers, où lon a plus besoin dobéissance et de discipline, ses troupes barbares labandonnaient ; sil avait lart de solliciter les peuples et de faire révolter les villes, il éprouvait, à son tour, des perfidies de la part de ses capitaines, de ses enfants et de ses femmes ; enfin, sil eut affaire à des généraux romains malhabiles, on envoya contre lui, en divers temps, Sylla, Lucullus et Pompée.
Ce prince, après avoir battu les généraux romains et fait la conquête de lAsie, de la Macédoine et de la Grèce, ayant été vaincu à son tour par Sylla, réduit par un traité à ses anciennes limites, fatigué par les généraux romains, devenu encore une fois leur vainqueur et le conquérant de lAsie, chassé par Lucullus, suivi dans son propre pays, fut obligé de se retirer chez Tigrane, et, le voyant perdu sans ressource, après sa défaite, ne comptant plus que sur lui-même, il se réfugia dans ses propres États et sy rétablit.
Pompée succéda à Lucullus, et Mithridate en fut accablé : il fuit de ses États, et, passant lAraxe, il marcha de péril en péril par le pays des Laziens, et, ramassant dans son chemin ce quil trouva de barbares, il parut dans le Bosphore, devant son fils Maccharès, qui avait fait sa paix avec les Romains[2].
Dans labîme où il était, il forma le dessein de porter la guerre en Italie et daller à Rome avec les mêmes nations qui lasservirent quelques siècles après, et par le même chemin quelles tinrent[3].
Trahi par Pharnace, un autre de ses fils, et par une armée effrayée de la grandeur de ses entreprises et des hasards quil allait chercher, il mourut en roi.
Ce fut alors que Pompée, dans la rapidité de ses victoires, acheva le pompeux ouvrage de la grandeur de Rome. Il unit au corps de son empire des pays infinis ; ce qui servit plus au spectacle de la magnificence romaine quà sa vraie puissance. Et, quoiquil parût par les écriteaux portés à son triomphe quil avait augmenté le revenu du fisc de plus dun tiers, le pouvoir naugmenta pas, et la liberté publique nen fut que plus exposée[4].