(2) Montesquieu a dit que les anciens navaient pas une idée bien claire de la monarchie, « parce quils ne connaissaient pas le gouvernement fondé sur un corps de noblesse, et encore moins le gouvernement fondé sur un corps législatif formé par les représentants dune nation. » Cette seconde assertion est dune exactitude rigoureuse. On a souvent cité le passage dans lequel Tacite parle de la réunion des trois éléments du pouvoir, comme dune belle idée dont la réalité lui paraissait impossible ; et M. de Chateaubriand na pas craint davancer que, « chez les modernes, le système représentatif était au nombre de ces trois ou quatre grandes découvertes qui ont créé un autre univers. » Cependant on se ferait une fausse idée de lantiquité, si lon supposait quelle na connu que la république ou la tyrannie. Aristote, dans ses ouvrages politiques, a parfaitement distingué la royauté de la tyrannie. Il est vrai quil établit cette différence plutôt par le caractère des princes et par la force des moeurs, que par des institutions fixes et réglées. Lantiquité, en reconnaissant la monarchie tempérée, et en la décrivant même avec une grande exactitude théorique navait pas réalisé en fait cette distinction de trois principes qui se mêlent et se modifient dans un seul gouvernement. On trouve dailleurs dans les écrivains grecs de belles idées sur la nature du pouvoir monarchique. Les philosophes de la Grande-Grèce sétaient particulièrement occupés de cette question ; comme Fénelon, ils sadressaient surtout à lâme des rois. Ils faisaient de la royauté une sorte de providence terrestre qui devait suppléer à limperfection et à limprévoyance des hommes. Ces idées étaient prises sur le modèle de la puissance paternelle ennoblie par une bienfaisance plus étendue et par une sorte de vocation divine.
M. Hume, dans un de ses traités, a réuni toutes les vengeances, tous les meurtres, toutes les proscriptions, tous les supplices qui souillèrent le plus bel âge des républiques de la Grèce ; et ce calcul confond l’imagination et fait frémir l’humanité. On conçoit sans peine que des esprits calmes et doux, témoins de tant de crimes produits et excusés par les passions de la liberté, aient vu dans la force d’une autorité tutélaire la perfection idéale de la société, et que la philosophie ait réclamé dans l’antiquité l’ordre et le repos, comme elle demandait parmi nous l’indépendance. D’ailleurs, depuis l’axiome vulgaire de Platon, la philosophie se croyait intéressée au maintien des trônes, dont elle devait hériter tôt ou tard. Stobée nous a conservé des fragments de trois traités sur la monarchie, attribués à des philosophes de l’école italique. Tous ces morceaux respirent la sublimité morale que l’on remarque dans Platon. Je n’en citerai qu’un seul, tiré de Sthenida, pythagoricien. Je le traduis avec une rigoureuse fidélité.
« Un roi doit être un sage : à ce prix seulement il sera vénérable et paraîtra l’émule de Dieu lui-même. L’un est le premier roi, le premier maître ; l’autre le devient par naissance et par imitation. L’un commande partout, l’autre sur la terre ; l’un règne et vit toujours, possédant la sagesse en lui-même ; l’autre n’a qu’une science passagère. Il imitera surtout Dieu, s’il est facile, magnanime, satisfait de peu de chose pour lui-même, tandis qu’il montre à ses sujets une âme paternelle. En effet, si Dieu est regardé comme le père des dieux, comme le père des hommes, c’est particulièrement à cause de sa douceur pour tout ce qui respire sous sa loi, c’est parce que jamais il ne se lasse et ne néglige son empire ; c’est parce qu’il ne lui a pas suffi d’être le créateur de l’univers, s’il n’était encore le nourricier de toutes les créatures, le précepteur de toutes les vérités et le législateur impartial du genre humain. Tel doit paraître le mortel destiné à commander sur la terre et parmi les hommes, le roi. Rien n’est beau sans doute hors de la royauté, et dans l’anarchie ; mais, sans la sagesse et la science, il ne peut exister ni roi ni pouvoir. L’imitateur véritable, le ministre légitime de Dieu, c’est un sage sur le trône. »