(5) Quelquefois on demande : Qu’est-ce que le système représentatif ? La réponse est fort simple : le système représentatif entre dans tous les gouvernements qui admettent des assemblées délibérantes. Mais l’emploi de ces assemblées peut être plus ou moins heureusement ordonné. L’existence de deux assemblées, l’une héréditaire et aristocratique, l’autre élective et populaire, semble, par le raisonnement comme par l’exemple, offrir la meilleure combinaison. Voilà jusqu’à présent le système représentatif dans la perfection de sa forme. Il y a loin sans doute de cette perfection extérieure à la perfection de fait ; mille causes peuvent l’arrêter : l’éloquent auteur des Réflexions politiques, M. de Chateaubriand, a prévu et discuté la plupart de ces causes réelles ou possibles. Les événements n’ont rien changé à la vérité de ces observations ; et l’admirable vivacité de son langage a donné un nouveau caractère de durée à des idées que le bon sens seul rendrait éternelles. « La vieille monarchie ne vit plus pour nous que dans l’histoire, comme l’oriflamme que l’on voyait encore toute poudreuse dans le trésor de Saint-Denis, sous Henri IV. Le brave Crillon pouvait toucher avec attendrissement et respect ce témoin de notre ancienne valeur ; mais il servait sous la cornette blanche, triomphante aux plaines d’Ivry, et il ne demandait point qu’on allât prendre au milieu des tombeaux l’étendard des champs de Bouvines. »

M. de Chateaubriand avait également reconnu la marche générale de l’Europe vers l’ordre constitutionnel. Dans ce mouvement commun il voyait une nécessité et une garantie pour chaque État. On a depuis voulu affaiblir l’autorité de ces idées, auxquelles un grand écrivain avait prêté la puissance de son éloquence et de son nom. Mais les idées qui sont des principes ne dépendent pas du talent qui les exprime : elles existent par elles-mêmes : elles ont le bon sens pour auteur, et les faits pour témoins. Le progrès des arts utiles à la vie, la facile communication des peuples, le partage plus égal des connaissances et des lumières, l’imprimerie, voilà les causes qui justifient les principes de liberté légale : ils ne pouvaient rencontrer d’obstacle que dans le plus horrible fléau de la société, la tyrannie militaire. C’est un bienfait pour l’Europe que ces idées de liberté se trouvent si puissantes à l’époque même où la force des armes a pris partout un prodigieux accroissement. Dans l’état présent des choses, l’Europe n’aura jamais que des gouvernements constitutionnels ou des gouvernements militaires ; et comme l’usurpation ne pourrait s’élever que par la force des armes, elle est essentiellement ennemie de toute constitution et de toute liberté. Ce sont les souverains héréditaires, les souverains légitimes, qui peuvent établir la liberté, surtout dans les grands États, où toute révolution ne saurait arriver que par l’emploi de la force militaire, qui n’enfantera jamais qu’un pouvoir violent comme elle : ainsi les maximes de la liberté se confondent avec les intérêts des rois. Ces maximes ne sont plus, aujourd’hui, la suite de la révolution ; elles sont nées de nouveau, pour ainsi dire, de l’horreur du despotisme impérial ; elles ont en leur faveur l’exemple de dix ans de domination absolue ; aussi sont-elles chères à des hommes qui n’ont jamais connu les premières théories de la révolution.