IX

Polycrité

Du premier livre des Histoires de Naxos, d'Andriscos; du quatrième livre de l'Histoire politique, de Théophraste

1. C’était l’époque où les Milésiens et leurs alliés attaquaient les Naxiens ; ils avaient élevé un rempart autour de leur ville, ravagé leur territoire et ils les assiégeaient, confinés à l’intérieur de leurs propres murs. Une vierge, appelée Polycrité, laissée, suivant la volonté de quelque divinité, dans le temple d’Apollon, qui s’élève dans les environs de la cité, fascina Diognétos, le chef des Érythréens, qui, avec ses troupes, combattait aux côtés des Milésiens.

2. Ce dernier, qui la désirait ardemment, lui faisait parvenir des messages : car ç’aurait été faire preuve d’impiété de prendre par la force une desservante qui se trouvait dans le temple. Au début, elle refusait de recevoir les messagers ; mais, comme Diognétos insistait, elle déclara qu’elle ne se laisserait pas séduire tant qu’il n’aurait pas juré de faire ce qu’elle voulait.

3. Diognétos, qui ne soupçonnait rien, jura sans tarder au nom d’Artémis (1) qu’il la comblerait dans tous ses désirs. Après son serment, Polycrité, le prit par la main et commença à lui parler de la trahison du rempart ;  elle le supplia longuement afin qu’il s’apitoie sur elle et sur les malheurs de sa cité.

4. Ces paroles mirent Diognétos hors de lui ; il dégaina son épée, prêt à transpercer la jeune fille. Cependant, comme elle était sincère, comme il était amoureux d’elle, (la situation, à ce qu’il semble, devait aussi changer pour les Naxiens, eu égard à leurs épreuves présentes), sur le moment il se contenta de garder le silence, en songeant à ce qu’il devait faire ; et le lendemain il promit de trahir.

5. En attendant, trois jours plus tard, les Milésiens célébrèrent les Thargélies, une fête durant laquelle le vin pur coule à flots et l’on s’enivre sans compter : ce moment lui parut idéal pour sa trahison ; il rédigea une lettre sur une tablette de plomb, l’introduisit dans un pain qu’il donna à Polycrité, afin qu’elle la fasse parvenir à ses frères (qui étaient les chefs de la ville) : qu’ils se tiennent prêts à intervenir cette nuit-là : il agiterait un flambeau pour donner le signal.

6. Et Polycrité ordonna au porteur du pain de dire à ses frères qu’ils soient assurés que l’entreprise serait menée à bien si eux se montraient déterminés. Le messager ayant rapidement gagné la cité, Polyclès, le frère de Polycrité, se demandait s’il devait ou non accorder du crédit à ce qu’on lui rapportait.

7. Finalement, tout le monde parut d’accord pour prêter foi à ces propos ; la nuit vint où il fut ordonné à tous de donner l’assaut ; après avoir adressé de nombreuses prières aux dieux, accueillis par les hommes de Diognétos, ils s’élancèrent contre la fortification des Milésiens ; quelques-uns franchirent la porte laissée ouverte ; d’autres passèrent par-dessus le rempart. Se dispersant en masse de l’autre côté, ils firent un grand massacre des Milésiens.

8. Durant l’affrontement, n’ayant pas été reconnu, Diognétos fut tué. Le jour suivant, tous les Naxiens éprouvaient un grand désir d’honorer la jeune fille : certains la ceignirent de bandelettes, d’autres de ceintures ; à tel point que, succombant sous leur poids, Polycrité mourut étouffée par la quantité des offrandes qu’on avait jetées sur elle. On l’ensevelit aux frais de la cité, dans la plaine, après lui avoir sacrifié cent brebis. Certains disent que, suivant le désir exprès des Naxiens, le corps de Diognétos fut brûlé avec celui de la jeune fille.


(1) Cela cadre mal avec le temple Délien évoqué plus haut.