1. On dit aussi que Périandre de Corinthe, au début, était un homme raisonnable et doux, et qu’il devint ensuite un tyran sanguinaire, pour cette raison : sa mère, alors qu’il était encore un tout jeune garçon, fut prise d’une grande passion pour lui et, pendant un certain temps, elle assouvissait son désir en gardant l’enfant dans ses bras.
2. Mais avec le temps, sa passion ne cessait de croître et elle n’était plus en mesure de réfréner son tourment ; aussi, s’étant donné du courage, elle commença à tenir ce genre de discours à son fils : qu’une femme, parmi les plus belles, était tombée amoureuse de lui ; elle l’invitait à ne pas faire en sorte que cette malheureuse souffre plus longtemps.
3. Au début, Périandre répondit qu’il ne corromprait pas une femme liée par des lois et des usages, mais, comme sa mère insistait avec obstination, il finit par accepter. Et quand vint la nuit en question, la mère avertit son fils qu’il ne devait pas mettre de lumière dans la chambre ni obliger la femme à parler : qu’elle exigeait aussi cela pour des motifs de discrétion.
4. Périandre promit de suivre à la lettre les instructions de sa mère. Cette dernière, après s’être préparée avec beaucoup de soin, entra dans la chambre de son fils et, avant l’aube, elle ressortit en cachette. Le jour suivant, elle s’informa si la chose lui avait plu et s’il voulait que la femme vienne de nouveau le retrouver ; Périandre répondit qu’il l’espérait et que la chose lui avait plu au-delà de ses attentes.
5. À partir de ce moment, elle ne cessa plus d’avoir des relations avec son fils. Périandre éprouvait également une réelle passion, mais, en même temps, il désirait savoir qui était cette femme. Et pendant un certain temps il pria sa mère de demander à la femme qu’elle consente à lui parler : à présent qu’elle l’avait mené à ce degré de passion, elle pouvait enfin révéler son identité : il souffrait en effet de cette absurdité totale, qu’il ne lui fût pas permis de voir celle avec qui depuis tant de temps il couchait.
6. Mais comme sa mère refusait, prenant pour prétexte la pudeur de la femme, il ordonna à l’un de ses domestiques de cacher une lampe dans la chambre. Quand elle vint, selon son habitude, et tandis qu’elle se couchait, Périandre bondit et souleva la lampe. Lorsqu’il vit sa mère, il se rua sur elle pour la tuer.
7. Retenu par une apparition divine, il oublia ses intentions ; mais depuis ce temps, il devint un fou, et d’esprit et de coeur ; il sombra dans une sorte de sauvagerie et tua nombre de ses concitoyens. Sa mère, quant à elle, pleurant sur son propre sort, se donna la mort.