Perse

Les satires

Notice, notes et traduction de Henri Clouard (1934)

Satire IV

" Te voilà aux affaires publiques - je fais parler le maître philosophe qu'emporta la terrible ciguë - d'où te vient cette présomption ? Dis-le moi, pupille du grand Périclès. Apparemment, le talent et l'expérience te sont venus dare-dare avant la barbe ; tu sais ce qu'il y a à dire, ce qu'il y a à taire ; et quand la fureur populaire fermente et se soulève, tu oses imposer silence à la foule échauffée, d'un geste majestueux. Ensuite, que comptes-tu lui dire ? - " Romains, ceci n'est pas juste, cela est malhonnête, voici le meilleur. " Sais-tu bien en effet tenir sans erreur la balance de la justice, discerner le droit même quand il est mêlé à son contraire ou caché par la règle trompeuse ? Te sens-tu capable d'infliger au vice la noire lettre de mort ? Donc, puisque tu n'as que la vaine beauté extérieure, cesse de faire prématurément le chien flatteur en t'offrant aux caresses du bas peuple : tu ferais mieux d'avaler des Anticyres pures.
Quel est le souverain bien, selon toi ? vivre toujours grassement et prendre assidûment tes bains de soleil ? Attends, cette vieille que tu vois là ne serait pas d'un autre avis. Va maintenant, gonfle-toi pour crier : " Je suis fils de Dinomaque, j'ai blanche peau... " Soit ! pourvu qu'on ne reconnaisse pas moins de sagesse à la Baucis en haillons qui aura fait la belle pour un mauvais plaisant d'esclave débraillé.
Ah ! personne ne veut descendre en soi-même, personne ; on n'a d'yeux que pour la besace au dos qui nous précède ! Demande : " Connais-tu les domaines de Vettidius ? - Qui est-ce ? - Un richard de Cures qui fait labourer plus de terres que n'en peut survoler un milan. - Ah, tu parles de cet homme-là, qui a contre lui la colère des dieux et la malveillance de son Génie. Chaque fois qu'il consacre un joug aux chapelles des carrefours, redoutant de gratter la poussière d'une vieille jarre, il gémit : " Que ceci me profite ! " mord dans un oignon assaisonné de sel et, tandis que les esclaves tapent bruyamment sur une marmite de bouillie, il absorbe la lie gâtée d'un fond de piquette. Mais toi, si tu paresses et, frotté d'huile, accroches le soleil à ta peau, tu as tout près de toi un inconnu qui te touche du coude et te jette aigrement sa bile " Quelles moeurs ! Sarcler ses parties secrètes pour offrir aux chalands des repaires flétris ! Tu peignes sur tes lèvres une toison parfumée, pourquoi exhibes-tu à ton bas-ventre une sorte de bête tondue ? Mais cinq garçons de palestre perdent leur temps à arracher cette plantation et à ébranler de leur pince crochue tes fesses amollies d'eau chaude, car tu as là un chiendent qui défie la charrue ! "
Chacun son tour : nous frappons et les flèches nous blessent aux jambes ; ainsi va le monde et l'on sait à quoi s'en tenir. Tu as au ventre une blessure secrète, mais un large baudrier d'or la cache. A ton aise, fais-nous des contes et puis trompe tes nerfs, si tu peux. - " Homme remarquable ! c'est le compliment que me font mes voisins ; et je ne les croirais pas ? " Si tu deviens tout pâle, coquin, à la vue de l'argent, si tu te passes toutes tes fantaisies érotiques, si tu as maille à partir avec les banques du Forum, c'est en vain que tu abandonneras au public tes oreilles avides. Rejette ce que tu n'es pas, et que le savetier remporte ses bons offices ; habite avec toi-même ; tu connaîtras à quoi se réduit ton mobilier.