PLUTARQUE

VIE DE CATON LE JEUNE (95-46 av. J.-C.)

Traduction Bernard Latzarus

I. Origine de Caton. Son éducation. − II. Preuves de fermeté qu’il donne dès son enfance. − III. Sa haine précoce de la tyrannie ; il veut tuer Sylla. Son amour pour son frère Cépion. − IV. Il embrasse le stoïcisme et s’exerce à l’éloquence. − V. Ses débuts dans la politique. Ses exercices physiques. − VI. Son genre de vie ; sa simplicité et son désintéressement. − VII. Ses fiançailles avec Lépida. Rupture de cet engagement. Indignation de Caton. Il épouse Atilie. − VIII. Il fait campagne contre Spartacus. Comment il se singularise. − IX. Élu tribun des soldats, il prend part à la guerre de Macédoine. Son autorité sur ses soldats. − X. Il s’attache le philosophe Athénodore. − XI. Il perd son frère et lui fait des funérailles magnifiques. − XII. Avant son retour à Rome, il fait un voyage d’étude en Asie. Simplicité de son équipage. − XIII. Méprise plaisante lors de son arrivée à Antioche. − XIV. Ses relations avec Pompée. Son prestige augmente. − XV. Il abrège son séjour chez Déjotarus. Il part pour Rome avec le corps de son frère. − XVI. Sa questure. Il rabaisse les scribes. − XVII. Il rétablit l’ordre dans les finances. − XVIII. Son application, son assiduité, son courage. XIX. Intégrité de Caton. Sa loyauté et sa moralité passent en proverbe. − XX. Il hésite à briguer le tribunat de la plèbe. Comment il s’y décide. − XXI. Élection de Caton. Il reproche au peuple sa vénalité. Procès de Muréna. − XXII. Affaire de Catilina. César retourne l’opinion du Sénat. − XXIII. Intervention de Caton. Son discours est sténographié. Il détermine la condamnation à mort des complices de Catilina. − XXIV. Anecdote piquante sur un billet reçu par César au Sénat. Conduite fâcheuse des deux soeurs de Caton, ainsi que de sa femme. − XXV. Second mariage de Caton. Étranges démarches d’Hortensius auprès de lui. Suites qu’il y donne. − XXVI. Exécution des complices de Catilina. Agitation populaire. Proposition séditieuse de Métellus. − XXVII. Inquiétude des amis de Caton. Le jour du vote, il affronte les bandes armées de Métellus. − XXVIII. Après une journée d’émeute, l’avantage reste à Caton. − XXIX. Métellus quitte Rome. Caton s’oppose à sa dégradation. Il obtient le triomphe pour Lucullus. − XXX. Caton fait rejeter une demande illégale de Pompée. Vains efforts de Pompée pour unir leurs deux familles. − XXXI. Conflit entre Pompée et Lucullus. Alliance de César et de Pompée. Caton s’oppose à eux. − XXXII. Menées démagogiques de César et de Pompée. Caton est contraint de céder. − XXXIII. César fait arrêter, puis relâcher Caton. Le peuple lui défère des pouvoirs inusités. Clodius est élu tribun ; Pison et Gabinius, consuls. − XXXIV. Clodius, pour se débarrasser de Caton, le fait envoyer en mission à Chypre. − XXXV. Exil de Cicéron. Caton lui conseille de ne pas résister. Ses sages et vaines exhortations à Ptolémée, Roi d’Égypte. − XXXVI. Mort de Ptolémée de Chypre. Caton liquide lui-même la succession, au grand mécontentement de ses amis. − XXXVII. Brouille de Munatius avec Caton. Marcie les réconcilie. − XXXVIII. Caton rapporte à Rome le montant de la succession du Roi de Chypre. Il perd le compte-rendu financier de sa mission. − XXXIX. Son retour triomphal. − XL. Conflit avec Cicéron sur la légalité des actes de Clodius. − XLI. Renouvellement du second triumvirat. Domitius, beau-frère de Caton, ose seul poser sa candidature au consulat contre Crassus et Pompée. Il est attaqué à main armée. − XLII. Élection de Pompée et de Crassus au consulat. Échec de Caton à la préture. − XLIII. Caton s’oppose vainement aux manoeuvres du triumvirat. Il cherche à ébranler l’aveugle confiance de Pompée. − XLIV. Préture de Caton. Il s’efforce de réprimer la corruption électorale. Il se fait ainsi des ennemis. − XLV. Polémique entre Caton et Pompée.

XLVI. Édilité de Favonius. Il charge Caton d’organiser les jeux à sa place. − XLVII. Lors des troubles causés par la compétition électorale, Caton se rallie, comme pis-aller, au consulat unique de Pompée. − XLVIII. Accord de Caton avec Pompée. Caton reste pourtant indépendant à l’égard de son nouvel allié, en particulier dans l’affaire de Munatius Plancus. − XLIX. Candidature de Caton au consulat. Raisons de son échec. − L. Caton se montre médiocrement ému de sa défaite. Malgré Cicéron, il renonce à se représenter. Raisons qu’il en donne. − LI. Après les victoires de César, il propose de le livrer aux Germains. Il dévoile tous ses plans au Sénat. − LII. Après l’occupation d’Ariminum, Caton propose de remettre le pouvoir à Pompée. Il le suit hors de Rome, après avoir repris Marcie. Réflexions de César à ce sujet. − LIII. Caton prend le deuil de la patrie. Il part pour gouverner la Sicile, qu’il est obligé d’abandonner à Pollion. Il fait adopter à Pompée des résolutions humaines. − LIV. Il est envoyé en mission en Asie, mais revient promptement. Défiance de Pompée à son égard. Effet produit sur les soldats par son éloquence. Succès sans lendemain devant Dyrrachium. − LV. Pompée laisse Caton à Dyrrachium. Sage conduite de Caton après la défaite de Pharsale. − LVI. Caton passe en Afrique. Apprenant la mort de Pompée, il va rejoindre Varus et Juba. − LVII. Varus et Scipion se disputent la faveur de Juba. Caton conserve sa dignité devant ce Prince et réconcilie les deux rivaux. Il refuse le commandement. − LVIII. Caton sauve la vie à la population d’Utique. Sages mesures qu’il prend. Ses démêlés avec Scipion. Il apprend la défaite de Thapsus. − LIX. Émotion que provoque cette nouvelle. Caton réunit son conseil, qu’il exhorte à la résistance. − LX. Enthousiasme soulevé par le discours de Caton ; premières mesures. Lettres de Juba et de Scipion. − LXI. Revirement d’opinion chez les Trois Cents. − LXII. Caton écrit à Scipion et à Juba de s’éloigner d’Utique. Il prend contact avec les cavaliers échappés au désastre. − LXIII. Agitation des Trois Cents. Les cavaliers refusent d’entrer dans une ville où ils ne seraient pas en sûreté. Caton les décide à protéger la fuite des sénateurs. − LXIV. Caton, résolu à mourir, dissimule sa détermination. Il négocie avec les Trois Cents. − LXV. Il prépare l’évacuation de la ville par les plus compromis. − LXVI. Mission de Lucius César auprès du vainqueur. Caton lui défend d’intercéder pour lui. − LXVII. Repas de Caton avec ses amis. Propos qu’il y tient. − LXVIII. Caton demande son épée, que son fils a cachée. Ses violences envers ses esclaves ; ses reproches à son fils. − LXIX. Ses déclarations aux philosophes Démétrios et Apollonide. − LXX. Mort de Caton. − LXXI. Ses obsèques solennelles. − LXXII. Paroles de César en apprenant la mort de Caton. − LXX III. Fin du fils de Caton et de Statyllius.

I. La famille de Caton dut le commencement de son illustration et de sa gloire au bisaïeul de celui dont nous parlons, Caton l’Ancien, personnage à qui son mérite avait valu parmi les Romains une réputation et un crédit considérables, comme je l’ai écrit dans sa vie [1] . Le nôtre resta orphelin de père et de mère avec son frère Cépion [2] et sa soeur Porcie. Servilie [3] était aussi sa soeur de mère. Tous ces enfants avaient leur subsistance et leur séjour chez Livius Drusus [4] , l’oncle de leur mère, qui menait alors l’État : c’était en effet un homme très éloquent, et, par ailleurs, des plus modérés, qui ne le cédait en élévation morale à aucun des Romains. On dit que Caton, dès sa petite enfance, montrait dans sa voix, son visage, et aussi dans ses passe-temps, un caractère inébranlable, inflexible et ferme en tout. Car ses mouvements avaient une force d’efficacité qui n’était pas de son âge ; et, rude et difficile à l’égard des flatteurs, il dominait davantage encore ceux qui voulaient l’effrayer. Il n’était pas facile de le faire rire ; rarement même il laissait ses traits se détendre jusqu’au sourire, et, sans être emporté et prompt à la colère, il s’entêtait, une fois irrité. Le moment venu d’étudier, il se montrait lent et tardif pour apprendre ; mais ce qu’il avait appris, il le gardait et le retenait parfaitement. C’est d’ailleurs ce qui arrive à d’autres ; les gens bien doués ont plutôt la mémoire prompte, et ceux qui apprennent avec peine et difficulté l’ont tenace, car chacune de leurs études devient comme un échauffement de l’âme. Il semble aussi que, chez Caton, la difficulté d’être persuadé rendit les études plus laborieuses ; car apprendre, c’est absolument être affecté ; et se laisser persuader promptement arrive à ceux qui sont moins en état de résister. Aussi les jeunes gens croient-ils plus que les vieillards, et les malades, que les bien portants ; et, en général, dans les cas où la faculté qui doute est très faible, l’adhésion est très aisée. Cependant Caton écoutait, dit-on, son pédagogue, et faisait tout ce que celui-ci lui commandait ; mais il demandait la raison de chaque prescription et s’informait toujours du pourquoi. À vrai dire, son pédagogue était débonnaire et avait la parole plus prompte que le poing ; il se nommait Sarpédon.

II. Quand Caton était encore enfant, les alliés des Romains s’agitèrent pour participer au droit de cité romain [5] , et un certain Pompédius Silon [6] , vaillant homme de guerre et qui avait un très grand prestige, ami de Drusus, s’était arrêté chez lui quelques jours, pendant lesquels il se familiarisa avec les enfants. Il leur dit une fois : « Allons ! vous prierez votre oncle de s’associer à notre campagne pour le droit de cité ! » Cépion acquiesça en souriant ; mais, comme Caton ne répondait rien et fixait sur les étrangers un regard ferme et intrépide, Pompédius reprit : « Et toi, jeune homme, que dis-tu ? N’es-tu pas capable d’assister tes hôtes près de ton oncle, comme ton frère ? » Caton persistait à ne pas répondre, mais son silence et son expression équivalaient à un refus. Pompédius alors le souleva au-dessus de la fenêtre, comme pour le laisser tomber, et il le sommait de promettre, sinon il le jetterait par la fenêtre. En même temps il prenait un ton rude, et, tenant l’enfant suspendu par les mains, il le balançait, à plusieurs reprises, dans le vide. Caton supporta longtemps cette épreuve sans émotion ni crainte ; aussi Pompédius, en le déposant à terre, dit tout bas à ses amis : « Quelle chance pour l’Italie que ce ne soit qu’un enfant ! S’il était homme, je crois qu’il n’y aurait pas une seule voix pour nous dans le peuple ! » Une autre fois, un de ses parents avait invité à dîner, pour son anniversaire, d’autres enfants, y compris Caton. Tous s’amusaient entre eux dans un appartement, petits et grands mêlés ; et le jeu consistait en jugements, en condamnations et en arrestations. Un des enfants « condamnés », qui avait une jolie fgure, fut emmené par un camarade plus âgé, dans une petite chambre où l’autre s’enferma avec lui. Le petit alors appela Caton ; et celui-ci, comprenant parfaitement de quoi il retournait, vint à la porte, écarta tous ceux qui se tenaient devant pour l’empêcher d’entrer et délivra l’enfant ; plein de colère, il rentra aussitôt chez lui, où tous les autres les accompagnèrent.

III. On vit sa popularité lorsque Sylla, procédant aux répétitions de la procession d’enfants à cheval que l’on appelle Troie [7] , rassembla les fils de bonnes familles. Des deux chefs qu’il leur désigna, ils acceptèrent l’un à cause de sa mère, car c’était le fils de Métella, femme de Sylla [8] . Quant à l’autre, qui était le neveu de Pompée, Sextus [9] , ils ne l’admirent pas, et refusèrent de s’exercer sous lui et de le suivre. Comme Sylla leur demandait qui ils voulaient, tous crièrent : « Caton ! » et Sextus lui-même s’effaça pour lui céder cet honneur, comme à un supérieur. Il se trouva que Sylla était un ami du père de Caton et de Cépion ; aussi se les faisait-il quelquefois amener, marque d’affection qu’il ne prodiguait pas, en raison de la morgue et de la hauteur que lui inspiraient sa dignité et sa puissance. Faisant un grand cas de ces relations, où il voyait à la fois un honneur et une garantie de sécurité pour ses élèves, Sarpédon les conduisait ordinairement chez Sylla, dont la maison ne différait alors nullement, par l’aspect, d’un enfer, à cause du grand nombre de gens qu’on y amenait pour les torturer. Caton était dans sa quatorzième année, et, voyant apporter des têtes qu’on disait être de personnages illustres et les assistants se lamenter en secret, il demanda à son pédagogue pourquoi donc personne ne tuait cet homme-là. « C’est, mon enfant, répondit Sarpédon, qu’on le craint plus encore qu’on ne le hait. » − Pourquoi donc, reprit Caton, ne m’as-tu pas donné une épée ? J’aurais pu le tuer et délivrer la patrie de l’esclavage. » En entendant ces propos et en voyant aussi le regard et le visage de l’enfant pleins de colère, Sarpédon eut si grand peur que désormais il surveilla très exactement Caton lors de ces entrevues pour l’empêcher de se porter à quelque violence extrême contre Sylla.

Caton étant encore très petit, on lui demanda la personne qu’il aimait le plus. « C’est mon frère !-» répondit-il. − Mais après lui ? − Mon frère ! » La troisième fois, il fit encore la même réponse, et ainsi de suite, tant qu’après bien des répétitions l’interrogateur se lassa. Arrivé à l’âge d’homme, il s’affermit encore dans cette affection fraternelle ; car, à vingt ans, il ne dînait pas sans Cépion, ni n’allait en voyage, ni ne paraissait sur le Forum sans lui. Mais, alors que Cépion se parfumait, Caton s’interdisait ce raffinement. Dans tout le reste de sa vie, il se montrait aussi rigide et aussi ferme. En tout cas Cépion, quand on l’admirait lui-même pour sa retenue et sa modération, convenait que, comparé aux autres, il avait ces qualités. « Mais, ajoutait-il, si je compare ma vie à celle de Caton, il est évident pour moi que je ne diffère en rien de Sippius. » C’était le nom d’un individu décrié pour ses débauches et sa mollesse.

IV. Caton, après avoir été fait prêtre d’Apollon [10] , changea de domicile, et prit sa part des biens paternels, qui s’élevait à cent vingt talents [11] . À dater de là, il resserra davantage encore son genre de vie, et fit son ami intime d’Antipater de Tyr, philosophe stoïcien. Il s’attachait surtout aux principes moraux et civiques de l’École et, s’il s’appliquait à toutes les vertus comme possédé d’un enthousiasme divin, il était particulièrement épris de cette constance dans la justice que ne fléchit ni l’indulgence ni la faveur. Il s’exerçait aussi à l’éloquence, qui, dans sa pensée, devait lui servir de moyen d’action sur les masses ; car il jugeait bon que, dans la philosophie politique comme dans une grande cité, on entretînt une force de combat. Cependant il ne faisait pas ses exercices avec d’autres, et personne ne l’entendit déclamer [12] . Et même, comme un de ses amis intimes lui disait : « On te reproche, Caton, le silence que tu gardes ! », il répliqua : « Passe encore, pourvu que l’on n’incrimine pas ma conduite ! Je commencerai à parler quand j’aurai à dire des choses qui ne soient pas dignes d’être tues ! »

V. La basilique appelée Porcie était un monument de la censure du vieux Caton [13] . Les tribuns avaient coutume d’y donner audience ; et, comme une colonne paraissait gênante pour leurs sièges, ils décidèrent de l’ôter ou de la déplacer. Cette affaire fut la première qui amena Caton, malgré lui, sur le Forum ; car il s’opposa à cette mesure, et, en donnant à la fois la preuve de son éloquence et de ses sentiments élevés, il se fit admirer. Car son langage n’avait rien d’exubérant, ni de fleuri ; il était direct, substantiel et rude. Cependant un certain charme, qui le faisait écouter, s’insinuait sous la rudesse des pensées, et son caractère mêlait à la gravité un agrément et un sourire qui ne manquaient pas de politesse. Sa voix avait assez d’étendue et de portée pour parvenir à une foule si considérable ; la force et la vigueur en étaient infrangibles et inaltérables ; car, à plusieurs reprises, il parla tout un jour sans en être fatigué. Cette première fois, il gagna sa cause, et il se renferma ensuite dans son silence et ses déclamations privées. Il endurcissait aussi son corps par des exercices violents, s’accoutumant à supporter les chaleurs excessives et la neige tête nue et à marcher sur les routes, en toute saison, sans se servir de voitures. Ceux de ses amis qui se déplaçaient avec lui montaient à cheval, et souvent Caton s’approchait de chacun à tour de rôle pour causer, lui-même allant à pied quand ils étaient montés. Il avait aussi une admirable endurance et beaucoup d’empire sur soi dans ses maladies ; car, s’il souffrait de la fièvre, il restait seul tout le jour sans recevoir personne jusqu’au moment où il ressentait un soulagement durable et entrait en convalescence.

VI. Dans ses dîners, on tirait au sort pour désigner celui qui choisirait les portions. Si le sort ne le favorisait pas, ses amis l’invitaient tout de même à choisir. Il refusait en disant que ce serait mal de désobéir à Vénus [14] . Dans les débuts, il ne buvait qu’une fois et mettait ensuite fin au repas ; mais, avec le temps, il accepta de boire beaucoup, en sorte que souvent il restait à absorber du vin jusqu’au point du jour. La faute en était, d’après ses amis, à la politique et aux affaires d’État, dont il s’occupait des journées entières, ce qui l’empêchait d’étudier. Il lui fallait donc s’entretenir avec les philosophes de nuit et en buvant. Aussi, un certain Memmius affirmant dans une compagnie que Caton s’enivrait des nuits entières, Cicéron lui répliqua : « Et tu ne prétends pas qu’il passe ses journées entières à jouer aux dés ? » [15] . En général Caton croyait qu’il fallait suivre une voie contraire à la conduite et aux moeurs de son temps ; car, à ses yeux, elles étaient mauvaises et exigeaient une grande réforme. Par exemple, voyant qu’on aimait la pourpre d’un rouge excessivement vif, il n’en portait lui-même que de foncée [16] . Souvent après déjeuner il allait en public pieds nus et sans tunique [17] , non qu’il cherchât à se faire une réputation par cette singularité, mais il s’habituait à n’avoir honte que de ce qui est honteux, sans se soucier de ce que condamne l’opinion courante. Quand il eut grossi son patrimoine de la succession de son cousin germain Caton, qui se montait à cent talents [18] , il la convertit en argent pour le prêter sans intérêt à tel de ses amis qui en aurait besoin [19] . Quelques-uns même mirent en gage au trésor public des propriétés ou des esclaves qu’il leur donnait à cette fin, comme garanties d’emprunt [20] .

VII. Quand il se crut en âge de se marier, il n’avait encore eu de relations avec aucune femme. Il donna sa parole à Lépida, fiancée auparavant à Scipion Métellus [21] mais libre alors, parce que, Scipion s’étant dédit, les accordailles se trouvaient rompues. Cependant, avant le mariage, Scipion changea encore d’avis et fit tout au monde pour reprendre la jeune fille. Il y parvint. Caton, enflammé de colère, fut sur le point de le poursuivre en justice [22] . Comme ses amis l’en avaient détourné, la passion et l’ardeur de la jeunesse lui inspirèrent des iambes [23] , où il couvrit Scipion d’injures avec toute l’amertume d’Archiloque [24] , mais sans emprunter à ce poète son dérèglement et sa puérilité. Il épousa Atilie, fille de Serranus [25] , et ce fut la première femme qu’il connut, mais non pas la seule, au contraire de Lélius, l’ami intime de Scipion [26] . Lélius eut plus de bonheur ; car, dans sa longue vie, il n’approcha qu’une femme, la première et la seule qu’il eût épousée [27] .

VIII. La guerre servile, que l’on appelait guerre de Spartacus [28] , survint. Gellius [29] avait le commandement, et Caton participait à la campagne comme volontaire, à cause de son frère Cépion, qui était alors tribun des soldats. Il n’eut pas l’occasion de déployer dans la mesure où il l’eût voulu son zèle et son courage, parce que la guerre était mal dirigée ; mais par ailleurs, à l’encontre de la grande mollesse et de la débauche des gens qui faisaient campagne là-bas, il montrait sa discipline, sa tempérance et sa hardiesse en tout, et l’on comprenait aisément qu’il ne le cédait sur aucun point au vieux Caton. Gellius lui décerna des prix et des honneurs éclatants, qu’il n’accepta ni n’accueillit, affirmant n’avoir rien fait pour les mériter. Cette conduite le fit paraître bizarre. Quand on porta une loi aux termes de laquelle les candidats à une magistrature ne devaient pas avoir de nomenclateur [30] , il se présentait au tribunat militaire. Il fut le seul à obéir à cette prescription et s’imposa la tâche de saluer par lui-même, en les appelant de leurs noms, tous les électeurs qu’il rencontrait [31] . Il ne laissa pas de déplaire, ce faisant, même à ceux qui le louaient ; car plus ils sentaient la beauté de sa conduite, plus ils se dépitaient de ne pouvoir l’imiter.

IX. Élu tribun des soldats, il fut envoyé en Macédoine auprès du préteur Rubrius [32] . Alors, dit-on, comme sa femme était contrariée et pleurait, un des amis de Caton, Munatius [33] , lui dit : « Sois tranquille, Atilie ; je te le garderai ! » − Certainement ! » s’écria Caton. En effet, au bout de la première journée de marche, aussitôt après souper, il lui dit : « Allons, Munatius, pour tenir ta promesse à Atilie, tu ne me quitteras ni jour, ni nuit. Là-dessus, il fit dresser deux lits dans la même chambre, et ce fut Munatius qui dut ainsi dormir, par plaisanterie, sous la garde de Caton. Il avait à sa suite quinze esclaves, deux affranchis et quatre amis. Ceux-ci étant à cheval, lui-même, toujours à pied, allait causer avec l’un ou l’autre à tour de rôle. Après son arrivée au camp, où il y avait plusieurs légions, le préteur lui en donna une à commander. Il jugeait que montrer son propre courage, celui d’un seul individu, était une mince besogne et inefficace ; aussi mettait-il sa fierté surtout à rendre ses subordonnés pareils à lui. Il ne leur ôta donc point la peur de l’autorité, mais il y ajouta la raison. Il s’en servait pour les persuader et les instruire en chaque cas particulier ; mais à la suite, venait récompense ou punition. Il serait difficile de dire s’il rendit ses hommes propres à la paix plutôt qu’à la guerre et zélés plutôt que justes tant ils étaient évidemment redoutables aux ennemis, doux aux alliés, timides pour faire le mal, ambitieux de louanges. Et ce dont Caton se souciait le moins, c’est ce qu’il eut davantage : la gloire, l’affection, des honneurs extraordinaires et la popularité. Car, exécutant de son plein gré ce qu’il prescrivait à d’autres, et ressemblant par les vêtements, la manière de vivre et les déplacements, plutôt aux soldats qu’aux officiers, dépassant enfin par le caractère, l’élévation morale et l’éloquence tous ceux qu’on appelait impérators et généraux, il gagna de la sorte insensiblement le coeur de ses hommes. Car il ne naît de véritable émulation pour la vertu que de beaucoup d’attachement et d’estime pour celui qui en donne l’exemple : et si l’on honore les gens de bien sans les aimer, on respecte leur gloire, mais on n’admire et l’on n’imite pas leur vertu.

X. Caton apprit qu’Athénodore, dit Cordylion [34] , très versé dans la doctrine stoïcienne, se trouvait à Pergame [35] . Ce philosophe, déjà vieux alors, s’était toujours refusé avec énergie à entrer en relation avec les généraux et les Rois. Lui envoyer un messager ou lui écrire eût donc été peine perdue. Caton profita du congé de deux mois que la loi lui accordait pour faire voile vers l’Asie. Il allait chercher le stoïcien et comptait sur ses qualités personnelles pour réussir dans cette espèce de chasse. Il prit contact avec lui, et, à force de discussions, le détourna de son idée arrêtée. Il put l’emmener et revint dans son camp plein de joie et de fierté, pensant avoir fait un butin magnifique et opéré une conquête plus éclatante que celles de Pompée et de Lucullus et pourtant ceux-ci domptaient alors, par les armes, des peuples et des royaumes entiers [36] .

XI. Comme il était encore à l’armée, son frère, qui allait en Asie, tomba malade en Thrace, à Enos [37] . Bien qu’une violente tempête fît rage sur mer et qu’on n’eût pas de vaisseaux d’une grandeur suffisante, il partit de Thessalonique [38] . Il montait une petite barque et n’avait avec lui que deux amis et trois esclaves. Peu s’en fallut qu’il ne fût submergé, et il dut la vie à un hasard imprévu. Cépion venait de mourir. Caton parut supporter cette perte avec plus de sensibilité que de philosophie ; on en jugea non seulement à ses plaintes, à la façon dont il embrassait le cadavre et à la vivacité de son chagrin, mais encore aux frais qu’il fit pour les funérailles. Il se procura des parfums et des étoffes de grande valeur, qu’il fit brûler avec le corps, et éleva, sur la place publique d’Enos, un tombeau de marbre poli de Thasos [39] , qui coûta huit talents [40] . Quelques-uns se firent contre lui une arme de ces prodigalités qu’ils mettaient en contradiction avec sa modestie. C’était là méconnaître la douceur et la puissance d’affection de cette nature, qui se montrait sans doute indomptable et ferme, mais à l’égard des plaisirs, des craintes et des prières impudentes. À cette occasion des villes et des Princes lui envoyèrent beaucoup de présents pour faire honneur au mort ; mais, en fait d’argent, il n’accepta presque rien ; il prit seulement les parfums et les ornements, dont il paya la valeur à ceux qui les envoyaient. Lors du partage de la succession entre lui et la fille en bas âge de Cépion, il ne réclama rien de ce qu’il avait dépensé pour les obsèques. Telle avait été, telle fut sa conduite ; et cependant il s’est trouvé quelqu’un pour écrire qu’il passa au crible et filtra les cendres du défunt afin de retirer l’or brûlé avec lui [41] . Tant cet historien croyait l’irresponsabilité et l’impunité acquises, non seulement à son épée, mais à sa plume !

XII. Lorsque prit fin la campagne de Caton, il ne fut pas seulement escorté de voeux, ce qui est commun, et d’éloges ; ses hommes l’accompagnaient et ne pouvaient se rassasier de le serrer dans leurs bras. Les gens mettaient leurs vêtements sous ses pieds partout où il passait et lui baisaient les mains, ce que les Romains d’alors faisaient à un petit nombre à peine de généraux en chef.

Il voulut, avant de poursuivre sa carrière politique, circuler en Asie pour étudier ce pays, s’informer par lui-même des moeurs, de la vie et des ressources de chaque province, et en même temps se rendre à l’invitation de Déjotarus le Galate [42] , qui se réclamait des liens d’hospitalité et d’amitié contractés par lui avec le père de Caton. Voici comment il régla son voyage. Il envoyait au lever du jour son boulanger et son cuisinier à l’endroit où il devait s’arrêter. Eux entraient en ville tout à fait posément et tranquillement ; et si Caton ne se trouvait y avoir aucun ami de son père ou de lui-même, ils allaient préparer son logement dans une auberge, sans déranger personne. Faute d’auberge, ils s’adressaient aux magistrats qui leur assignaient un appartement, et ils se contentaient du premier qu’on leur donnait. Souvent on ne les croyait pas et on les méprisait parce qu’ils faisaient cette démarche sans tapage et sans menaces aux magistrats ; aussi l’arrivée de Caton les surprenait-elle sans qu’ils eussent rien obtenu. On faisait encore moins de cas de lui, et il donnait l’idée, silencieusement assis sur ses bagages, d’un homme modeste et timide. Cependant il faisait venir ces magistrats et leur disait d’ordinaire : « Malheureux, corrigez-vous de votre humeur inhospitalière ! Il ne vous arrivera pas toujours des Caton ! Émoussez, par vos attentions, la rigueur de ceux qui ne demandent qu’un prétexte pour prendre de force ce que vous ne leur aurez pas donné de plein gré !

XIII. En Syrie, il lui arriva même une aventure amusante. Aux portes d’Antioche, il trouva, en dehors de la ville, une foule d’hommes, rangés de chaque côté de la route. À part étaient des jeunes gens en manteaux de luxe ; et, en face, des enfants bien rangés. Quelques personnages arboraient des habits blancs et des couronnes ; apparemment des prêtres ou des magistrats. C’était à lui que la ville voulait faire honneur par cette réception ; Caton n’en pouvait douter, et il se fâchait contre les serviteurs envoyés en avant et qui auraient dû empêcher tant de pompe. Il fit descendre ses amis de cheval et s’avança à pied avec eux. Mais quand ils furent près, l’ordonnateur de la cérémonie, qui disposait les rangs, un homme d’un certain âge, verge et couronne en main, alla le premier à sa rencontre, et, sans même le saluer, lui demanda où l’on avait laissé Démétrius et quand il serait là. Ce Démétrius avait été esclave de Pompée ; et comme alors tout le monde, pour ainsi dire, avait les yeux fixés sur le conquérant, Démétrius recevait des honneurs disproportionnés à son rang, mais justifiés par son crédit auprès de lui. Les amis de Caton furent pris d’un tel rire qu’ils ne pouvaient pas s’arrêter, tout en marchant à travers la foule ; quant à Caton lui-même, sur le moment il fut tout confus et s’écria : « Oh ! la malheureuse ville ! » Il n’en dit pas plus ; mais, par la suite, il riait lui-même de cet incident, quand il en parlait ou se le rappelait à part lui.

XIV. Cependant, Pompée lui-même redressa les gens qui commettaient de pareils impairs avec Caton, faute de le connaître. Caton, en arrivant à Ephèse [43] , avait été le saluer, puisque Pompée était son aîné, d’une grande réputation et alors à la tête de forces considérables. Mais à sa vue, Pompée, loin de rester sur place et d’attendre, assis, son hommage, se conduisit comme envers un supérieur ; il s’élança de son siège pour aller à sa rencontre et lui tendit la main. Il donna, devant lui, de grands éloges à son mérite en l’accueillant amicalement et en le saluant ; mais, après son départ, il en dit encore plus de bien. Aussi tout le monde fut-il retourné. Dorénavant, on fit attention à Caton, et on l’admira pour les motifs qui l’avaient fait auparavant dédaigner ; on se plaisait à considérer sa douceur et sa grandeur d’âme. À vrai dire, l’empressement de Pompée à son égard était d’un flatteur plutôt que d’un ami. On s’en aperçut bien, et l’on comprit que Pompée l’admirait présent, et se réjouissait de son départ [44] . Car tous les autres jeunes gens qui arrivaient chez lui, il s’ingéniait à les retenir, dans son vif désir de les avoir en sa compagnie ; mais il ne demanda rien de tel à Caton. Au contraire, comme s’il eût été exposé à rendre des comptes tant que celui-ci était là, il le congédia avec joie, en lui recommandant toutefois, à lui presque seul de ceux qui allaient à Rome, ses enfants et sa femme, qui, par ailleurs, étaient aussi attachés à Caton par des liens de parenté [45] . Tout cela étendit la réputation de Caton. Les cités rivalisèrent d’empressement autour de lui ; ce n’étaient que banquets et invitations. Dans ces occasions, il priait ses amis d’avoir l’oeil sur lui, de peur de justifier à son insu le mot de Curion. Ce Curion, peu satisfait de l’austérité de Caton, qui était son ami intime, lui avait demandé s’il comptait, après sa campagne, visiter l’Asie. Et, sur la réponse affirmative du jeune homme : « Tu as raison, lui dit-il, car tu reviendras de là-bas plus affable et moins sauvage ! » [46] . Du moins, les termes dont il se servit revenaient à peu près à cela.

XV. Déjotarus de Galatie avait Caton auprès de lui ; car, étant déjà vieux [47] , il voulait lui recommander ses enfants et sa famille. Mais lorsque Caton fut arrivé, ce Prince lui offrit des cadeaux de toutes sortes en n’épargnant aucune instance pour les lui faire accepter. Cette conduite indisposa tellement Caton qu’arrivé dans l’après-midi il ne fit que passer la nuit et repartit le lendemain à la troisième heure [48] . Cependant à Pessinonte [49] , où il parvint après un jour de marche, d’autres présents, plus nombreux encore, l’attendaient avec une lettre où Déjotarus le priait, s’il n’était pas décidé à les accepter lui-même, d’en laisser profiter ses amis. Ceux-ci, de toute façon, méritaient de bons procédés de la part de Caton, d’autant plus que sa fortune n’était pas si grande. Mais il ne leur donna même pas cette permission, quoiqu’il vît quelques-uns d’entre eux s’amollir et murmurer quelque peu. Il leur dit que tout essai de corruption trouvait facilement un bon prétexte, mais que ses amis participeraient seulement à ce qu’il pourrait gagner par des moyens honnêtes et légitimes. En conséquence, il renvoya les cadeaux à Déjotarus. Au moment de son départ pour Brindes [50] , ses amis étaient d’avis d’embarquer sur un autre vaisseau les restes de Cépion. Mais il déclara qu’il renoncerait à la vie plutôt que de s’en séparer. Il partit donc avec le corps de son frère, et justement, il fit une traversée très dangereuse, alors que celle des autres fut passable.

XVI. De retour à Rome, il passait son temps, soit chez lui avec Athénodore, soit sur le Forum à assister ses amis. Le moment venu de briguer la questure [51] , il ne s’y porta point candidat avant d’avoir lu les lois qui la concernaient et de s’être informé, sur chaque détail, auprès des gens d’expérience. Il se fit, de la sorte, une idée complète des pouvoirs attachés à cette charge. Aussi, dès qu’il fut installé, opéra-t-il une grande révolution parmi les agents et les scribes de la questure. Ces employés, qui avaient toujours en main les documents officiels et les lois, voyaient arriver de jeunes magistrats, contraints par leur inexpérience et leur ignorance à chercher des maîtres et des directeurs. Aussi les subalternes, loin de céder à ces novices une parcelle de leur pouvoir, étaient les véritables questeurs. Il en alla de la sorte, jusqu’à l’élection de Caton. Ce fut un questeur énergique. Non content du titre et des honneurs de sa charge, il en eut encore l’esprit, la dignité et le langage. Il voulut traiter les scribes en simples serviteurs, ce qu’ils étaient en effet. Il y arriva, soit en les convainquant de leurs méfaits, soit en les reprenant de leurs fautes d’ignorance. Mais comme ils étaient effrontés et se mettaient à l’abri en flattant à ses dépens les autres questeurs, il fit condamner le premier d’entre eux pour fraude dans une affaire de testament et le chassa du Trésor. Il intenta un procès pour vol à un second. Le censeur Catulus Lutatius [52] se présenta pour le défendre. C’était un homme qui devait à sa charge un grand prestige ; mais celui de sa vertu était fort grand aussi ; car il passait pour l’emporter en justice et en sagesse sur tous les Romains. Enfin il se rangeait parmi ceux qui vantaient la conduite de Caton et de ses familiers. Il fut alors désarmé par la justice de l’accusation et s’efforça ouvertement d’obtenir la grâce de l’homme à force de prières. Caton s’y refusa. Et, comme Catulus insistait : « C’est une honte pour toi, Catulus, lui dit-il, notre censeur, qui dois contrôler notre conduite, de t’exposer à être chassé par nos licteurs. Quand Caton eut lancé ce mot, Catulus le regarda comme s’il allait lui répondre, mais ne dit rien ; et, soit colère, soit honte, il s’en alla en silence, tout déconfit. Cependant l’homme fut condamné ; mais à la majorité d’une voix seulement. Comme de plus Marcus Lollius, l’un des collègues de Caton, était écarté des débats par son état de santé, Catulus l’envoya prier de venir au secours de l’accusé. Lollius se fit donc porter en litière, et, après le procès, porta un vote d’acquittement [qui renversa la situation]. Cependant, Caton n’employa plus ce scribe, ne lui paya point son salaire, et ne fit pas du tout entrer en ligne de compte la voix de Lollius [53] .

XVII. En rabaissant ainsi les scribes, il s’assura leur docilité ; et, maniant les affaires à son gré, il rendit bientôt la Chambre de la Questure plus vénérable que le Sénat ; tout le monde disait et pensait que Caton avait donné à la questure le prestige du consulat. D’abord, trouvant beaucoup de gens endettés depuis longtemps envers le Trésor et beaucoup d’autres envers qui le Trésor était dans ce cas, il fit à la fois cesser les torts faits à l’État et ceux dont l’État se rendait coupable. Il revendiquait avec une énergie inflexible les sommes dues, mais payait les créanciers promptement et de bonne grâce ; aussi le peuple conçut-il du respect pour lui en voyant les débiteurs du Trésor rembourser des sommes qu’ils croyaient acquises, et les autres recouvrer un argent qu’ils n’attendaient plus. Ensuite, comme beaucoup de prétendus créanciers produisaient des reconnaissances irrégulières, ses prédécesseurs s’étant accoutumés, par un excès de complaisance, à accepter de faux mandats, rien ne lui échappa de ce genre d’escroqueries. Une fois même qu’il doutait de l’authenticité d’un mandat, il ne se rendit, en dépit de nombreux témoignages, qu’à la déclaration sous serment des consuls. Il y avait un grand nombre de sicaires à qui le fameux Sylla avait attribué, pour l’assassinat de citoyens proscrits, des primes allant jusqu’à douze mille drachmes [54] . Tout le monde les exécrait comme des maudits et des scélérats ; mais nul n’osait les attaquer. Caton les cita individuellement en justice comme détenant à tort l’argent de l’État ; il le leur réclamait en flétrissant, avec autant d’ardeur que d’éloquence, l’impiété et l’illégalité de leur conduite. Ceux qui avaient été l’objet de ces poursuites étaient aussitôt inculpés d’assassinat [55] . Condamnés, pour ainsi dire, d’avance, ils se voyaient traîner devant les tribunaux et subissaient leur châtiment, à la grande joie de tous les citoyens qui croyaient rayer ainsi de l’histoire la tyrannie d’autrefois et punir Sylla en personne.

XVIII. Ce qui saisissait la masse, c’était la constance infatigable de son application. Aucun de ses collègues n’arriva jamais au palais de la Questure avant Caton et n’en sortit après lui. Il ne manqua aucune assemblée du peuple, aucune séance du Sénat, car il se tenait en garde contre les hommes politiques tout prêts, par complaisance, à faire voter, au petit bonheur, des remises d’amendes et d’impôts ou des gratifications. Il rendit la Questure inaccessible aux délateurs, dont il l’épura, mais la remplit d’argent, montrant ainsi que l’État peut s’enrichir sans léser personne. Au début, quelques-uns de ses collègues l’estimaient incommode et gênant ; mais il gagna leur affection par la suite, parce qu’il s’exposait seul, pour tout le monde, aux inimitiés que provoquait le refus d’avoir des complaisances aux dépens du Trésor et de rendre des sentences injustes. Grâce à lui, les autres questeurs pouvaient se dérober à l’importunité des solliciteurs qui voulaient leur forcer la main. On n’avait qu’à répondre : « Impossible, Caton s’y oppose ! » Le dernier jour de sa charge, reconduit chez lui par presque tous les citoyens, il apprit que [son collèguel Marcellus était assiégé, à la Questure, par beaucoup d’amis politiques et d’hommes influents, qui voulaient lui faire enregistrer une reconnaissance de dette de l’État. Marcellus était, depuis son enfance, l’ami de Caton, et, soutenu par lui, faisait un excellent questeur. Mais isolément il se laissait entraîner par timidité, cédait aux prières, et penchait vers toutes les complaisances. Aussitôt averti, Caton rebroussa chemin, et trouvant Marcellus, qui, sous la contrainte, ratifiait la concession illégale, il demanda ses tablettes et les effaça, sans que son collègue dît un mot. Cela fait, il l’accompagna hors du palais et le reconduisit chez lui, sans en recevoir de reproche ni ce jour-là, ni plus tard. Il resta toujours absolument fidèle à l’étroite amitié qui les unissait. Même après avoir quitté la questure, il ne laissa pas le Trésor sans surveillance ; il y laissait en permanence des esclaves qui, chaque jour, prenaient note des actes d’administration. Lui-même acheta, pour cinq talents [56] , des registres qui contenaient l’état des finances publiques depuis le temps de Sylla jusqu’à sa questure, et il les avait toujours entre les mains.

XIX. Il entrait le premier au Sénat et partait le dernier ; souvent même, pendant que les autres arrivaient sans se presser, il était déjà assis à lire tranquillement, en déployant sa toge devant son livre. Il ne se déplaça jamais, quand il y avait Sénat. Dans la suite, Pompée et ses amis, voyant qu’il était toujours impossible de le persuader de s’associer à leurs entreprises injustes, et difficile de l’y contraindre, s’ingéniaient à l’entraîner au dehors du Sénat en lui faisant assister des amis en justice, arbitrer des conflits, négocier une affaire. Mais il comprit vite leurs manoeuvres, renonça à tout et se fit une règle de ne s’occuper de rien autre quand le Sénat se réunissait. Car ce n’était ni pour la gloire, ni pour la fortune, ni fortuitement et par hasard, comme d’autres, qu’il avait abordé la politique. Il l’avait choisie comme la propre besogne d’un homme de coeur, et se croyait tenu de s’appliquer aux intérêts publics comme l’abeille à sa cire. Aussi s’était-il préoccupé de se faire envoyer, par les hôtes et les amis qu’il avait en tout lieu, les actes, édits, jugements et décisions les plus graves des gouverneurs de provinces. Il se dressa un jour en face du démagogue Clodius [57] , qui mettait en branle, dans le désordre, une grande révolution, et attaquait devant le peuple des prêtres et des prêtresses, au nombre desquelles était Fabia, la soeur de Térentia [58] , femme de Cicéron, qui se trouva en danger. Il couvrit Clodius de honte et le contraignit à sortir de la Ville. Aux remerciements de Cicéron il répondit : « Tu dois avoir de la reconnaissance à la Ville, pour laquelle moi-même j’accomplis tous mes actes politiques. » Cette affaire lui valut une grande réputation, de sorte qu’un orateur, dans un procès où l’on n’apportait qu’un seul témoignage, dit aux juges qu’il était mal d’écouter un témoin unique, fût-ce Caton. Et beaucoup de gens se mirent à dire, en manière de proverbe, au sujet de bruits incroyables et extraordinaires : « On ne peut pas croire cela, même si Caton l’affirmait ! » Un homme pervers et prodigue faisant au Sénat un discours en l’honneur de la simplicité et de la tempérance, Annaeus se leva et lui dit : « Mon ami, qui supportera que tu soupes comme Lucullus, que tu bâtisses comme Crassus et que tu nous parles comme Caton ? » Et depuis, les gens qui étaient vils et déréglés dans leur conduite, mais dignes et austères dans leurs discours, on les appelait par dérision des Catons.

XX. Bien des gens l’engageaient à briguer le tribunat de la plèbe ; mais il ne croyait pas bon de gaspiller la force que donnaient un si grand pouvoir et une autorité si considérable. C’était à ses yeux un violent remède à réserver aux crises où il s’imposerait. Et, profitant du loisir que lui laissaient les affaires d’État, il partit pour la Lucanie [59] où il possédait des résidences dignes de son rang. Il avait avec lui des livres et des philosophes. Mais en route il rencontra une longue file de bêtes de somme, chargées de nombreux bagages, et que des esclaves accompagnaient. C’était, comme il l’apprit, le train de Métellus Népos, qui revenait à Rome pour briguer le tribunat [60] . Caton fit halte sans mot dire ; et, après quelques instants de réflexion, il donna l’ordre à sa suite de rebrousser chemin. Comme ses amis s’en étonnaient, il leur dit : « Ne savez-vous pas qu’en lui-même Métellus est déjà redoutable par sa folie, et que maintenant, arrivant à Rome avec l’appui de Pompée, il tombera sur la vie publique comme un orage qui bouleverse tout ? Ce n’est donc pas le moment de se reposer ni de voyager ; il faut vaincre cet homme ou trouver une belle mort en combattant pour la liberté ! » Cependant, sur le conseil de ses amis, il se rendit d’abord dans ses terres, où il ne passa pas grand temps : il revint ensuite dans la ville. Il y arriva un soir, et le lendemain, dès l’aube, il descendit au Forum pour poser sa candidature au tribunat et combattre Métellus. Car l’efficacité de cette charge est plus grande pour empêcher que pour agir ; et quand tous les tribuns, à l’exception d’un seul, voteraient dans le même sens, la prépondérance appartient à celui qui ne veut pas et n’acquiesce pas [61] .

XXI. Dans ces conditions, au début Caton n’eut autour de lui qu’un petit nombre de ses amis. Mais, quand ses intentions furent connues, tous les gens de bien et les notables accoururent bientôt pour l’applaudir et l’encourager. « Ce n’est pas Caton, disaient-ils, qui recevra une faveur. Lui-même rend le plus grand des services à sa patrie et au parti modéré. Bien souvent, quand il pouvait exercer paisiblement une magistrature, il s’y est refusé ; et à présent, qu’il faudra combattre pour la liberté et la Constitution, il descend dans l’arène sans souci du danger. » On dit qu’une fois, beaucoup de citoyens se pressant autour de lui par zèle et par sympathie, il fut en péril et eut peine à fendre la foule pour arriver au Forum. Nommé tribun avec d’autres et, notamment, Métellus [62] , il constata que les élections au consulat étaient vénales. Il fit des reproches au peuple ; et, en terminant son discours, il jura d’accuser le candidat qui donnerait de l’argent, quel qu’il fût. Il excepta seulement Silanus [63] à cause de leur alliance ; car Silanus avait épousé Servilie, soeur de Caton. Aussi laissa-t-il de côté Silanus, mais poursuivit-il Lucius [Licinius] Muréna, qui, en payant, avait obtenu d’être élu consul avec Silanus. En vertu d’une loi, l’accusé donnait toujours un garde à l’accusateur, pour être au courant des preuves que celui-ci rassemblait et se procurait à l’appui de son accusation. Le garde donné à Caton par Muréna pour l’escorter et l’épier vit que, loin de rien faire de sournois ou d’injuste, il se laissait guider par sa noblesse et son humanité et suivait dans son enquête une méthode simple et juste. Il fut donc pris d’une telle admiration pour sa dignité et son caractère qu’avant de prendre son service chaque jour il l’abordait sur le Forum pour lui demander : « Vas-tu t’occuper aujourd’hui de quelque chose qui ait trait au procès ? » Si Caton répondait que non, il le croyait sur parole et s’en allait. Quand on plaida le procès, Cicéron, qui était alors consul et défendait Muréna, railla beaucoup, à cause de Caton, les philosophes stoïciens et ce qu’on appelle leurs paradoxes. Ces plaisanteries faisaient rire les juges. Caton, paraît-il, se contenta de dire en souriant aux assistants : « Messieurs, comme nous avons un consul plaisant ! » Acquitté, Muréna n’éprouva pas envers Caton les sentiments d’un homme de rien, ni d’un sot ; car, étant consul, il avait recours à ses conseils dans les plus grandes affaires ; et, par ailleurs, il lui montra constamment de l’estime et de la confiance. Caton lui-même était cause de cette conduite ; car, à la tribune [d’où il haranguait le peuple] et au Sénat, il se montrait sévère et redoutable dans l’intérêt de la justice ; mais ensuite il donnait des marques de bienveillance et de courtoisie à tout le monde.

XXII. Avant d’être appelé au tribunat, sous le consulat de Cicéron, entre autres grands débats où il soutint la politique du consul, il fit triompher sa grande et belle action dans l’affaire de Catilina [64] , Car Catilina lui-même, convaincu par Cicéron de tramer une révolution meurtrière et totale dans l’État romain, et de susciter des émeutes et des guerres, dut quitter la Ville. Mais Lentulus et Céthégus, et, avec eux, un grand nombre d’autres conjurés, accusaient Catilina de lâcheté, de petitesse d’esprit et de pusillanimité. Eux-mêmes formaient le projet de détruire de fond en comble la Ville par le feu et de bouleverser l’Empire par des défections de peuples et des guerres étrangères. Leurs préparatifs ayant été rendus publics, Cicéron mit la question à l’ordre du jour du Sénat, comme on l’a rapporté dans sa Vie [65] . Silanus, qui parla le premier, déclara que son avis était d’infliger aux coupables le dernier supplice. Ceux qui prirent la parole après lui émirent tous la même opinion, jusqu’à l’intervention de César. César était fort éloquent et il voyait dans toutes les émeutes et les agitations de la Ville une matière à exploiter pour son ambition personnelle ; aussi songeait-il plutôt à propager l’incendie qu’à le laisser éteindre. Il fit donc un long discours, insinuant et plein d’humanité. Il n’admettait pas que l’on exécutât les accusés sans jugement, et il proposait de les garder en état de détention. Il changea tellement l’opinion du Sénat, en lui faisant redouter le peuple, que même Silanus se déjugea en affirmant que lui non plus ne s’était pas prononcé pour la mort, mais pour la détention ; car c’était là le châtiment suprême pour un citoyen romain.

XXIII. Devant un tel revirement et quand tout le monde se laissait gagner au parti de la douceur et de l’indulgence, Caton, dès qu’il fut debout pour opiner, se lança dans un discours plein de colère et de passion. Il blâma Silanus pour sa volte-face et accusa César : « Afin de bouleverser l’État, lui dit-il, tu empruntes des dehors populaires et un langage bénin. Tu cherches à effrayer le Sénat quand ce serait à toi de trembler ! Tu devrais être bien aise de t’en tirer avec l’impunité et sans même être soupçonné, quand, avec tant d’audace et sans déguisement, tu veux arracher au danger les ennemis publics. Tu ne montres aucune pitié pour la patrie, une patrie si belle et si grande qui a été près de sa ruine ; mais tu verses des larmes et tu gémis sur le sort de gens qui n’auraient dû ni naître, ni exister. Le beau malheur, si la mort de ces misérables préservait Rome de grands massacres et d’affreux dangers ! » C’est, dit-on, le seul discours de Caton qui ait été conservé. Le consul Cicéron avait, en effet, enseigné aux scribes les plus prompts un système de notation où de petits caractères brefs rendaient le même sens qu’une quantité de lettres, et il les avait dispersés en différents endroits de la curie [66] . Car on n’employait pas encore de sténographes, et l’on n’en possédait pas ; c’est alors que, pour la première fois, on en trouve trace. Pour en revenir au débat, Caton triompha, et transforma l’opinion de telle sorte que les accusés furent condamnés à mort.

XXIV. S’il ne faut pas même omettre les menus indices du caractère, quand on esquisse un portrait moral, en voici un. On dit que dans cette période, lors d’une polémique violente et d’un grand débat entre Caton et César, qui tenait le Sénat en suspens, quelqu’un apporta du dehors à César une petite tablette. Cette correspondance parut suspecte à Caton, qui en profita pour attaquer à nouveau César ; aussi plusieurs sénateurs s’émurent et demandèrent la lecture du billet. César le fit alors passer à Caton, qui était près de lui. En le lisant, il trouva que c’était un billet plus que tendre de sa soeur Servilie à César, qu’elle aimait et qui l’avait corrompue. Il le jeta à César en lui disant : « Tiens, ivrogne ! » et reprit son discours comme il l’avait commencé.

Il est évident que les femmes ne réussirent pas du tout à Caton. Car cette Servilie-là fut diffamée à propos de César ; mais la conduite de l’autre Servilie, également soeur de Caton, fut encore plus indécente ; en effet, mariée à Lucullus, le premier en gloire des Romains, dont elle eut un enfant, elle se fit chasser de la maison pour adultère. Le plus honteux, c’est que même la femme de Caton, nommée Atilie, ne fut pas exempte de semblables écarts. Bien qu’il eût eu d’elle deux enfants, il fut forcé de la répudier pour inconduite.

XXV. Il épousa ensuite une fille de Philippe [67] , Marcie, qui paraît avoir été une femme sérieuse et qui a la plus grande réputation. Mais, comme un drame, la vie de Caton offre ici une partie controversée et embarrassante. Voici ce qui se passa, d’après le récit de Thraséa [68] , qui écrit sur la foi de Munatius, ami et commensal de Caton. Parmi les nombreux fanatiques de Caton, il y en avait qui marquaient leur affection enthousiaste d’une façon plus ostensible que d’autres ; et de ce nombre était Quintus Hortensius [69] , homme d’un éclatant prestige et d’un beau caractère. Dans son désir de n’être pas seulement le familier et l’intime de Caton, mais de mêler, d’une façon quelconque, à cette intimité et à cette communion, toute la maison et toute la lignée du grand homme, il tâcha de décider Caton à lui donner, pour en avoir une descendance, comme une noble terre à ensemencer de nouveau, sa fille Porcie, mariée à Bibulus, dont elle avait eu deux enfants [70] . « Un tel procédé, disait-il, est extraordinaire dans l’opinion des hommes ; mais, pour la nature, il est patriotique et moral qu’une femme, dans sa fleur et sa belle saison, ne reste pas inactive sans exercer sa faculté génératrice, et que pourtant elle n’ait pas à tourmenter et à réduire à la mendicité, en lui donnant plus d’enfants que sa suffisance, un mari qui n’en a nul besoin. Il vaut mieux que des hommes dignes de cet honneur, mettant leurs descendances en commun, rendent la vertu abondante et la multiplient dans leur race ; ainsi l’État, par ces affinités, pourra se l’incorporer à lui-même. » Si pourtant Bibulus tenait absolument à sa femme, Hortensius la lui rendrait dès qu’elle aurait enfanté, et qu’il serait ainsi plus étroitement uni à Bibulus et à Caton par cette communauté d’enfants. Caton répondit qu’il aimait Hortensius et appréciait l’honneur de son alliance, mais qu’il jugeait étrange qu’on parlât d’épouser sa fille, mariée à un autre. Hortensius alors changea de vues et n’hésita point à demander la propre femme de Caton, puisqu’elle était encore assez jeune pour avoir des enfants et que la succession de Caton était assurée. Et il est impossible de dire qu’Hortensius fit cette démarche dans la pensée que Caton se désintéressait de Marcie ; car elle se trouvait, dit-on, enceinte alors. Pour en revenir à Caton, voyant l’ardeur et l’empressement d’Hortensius, il ne s’y opposa point et dit seulement qu’il fallait que Philippe, le père de Marcie, fût aussi de cet avis. Philippe sollicité et mis au courant du consentement de Caton, n’accorda toutefois Marcie à Hortensius qu’en présence de Caton, qui participa au contrat [71] . Bien que ces événements se soient passés par la suite [72] , il m’a paru bon d’en anticiper le récit, puisque j’en étais au chapitre des femmes.

XXVI. Lentulus et ses complices ayant été mis à mort, César, qui s’était réfugié auprès du peuple pour demander justice des dénonciations et des attaques dont il avait été l’objet devant le Sénat, jetait le trouble dans l’État, dont il ralliait à lui les nombreux éléments malsains et gâtés. Caton prit peur et décida le Sénat à gagner, par des allocations de blé, la masse sans ressources et sans patrimoine. La dépense annuelle s’élevait à douze cent cinquante talents [73]  ; mais cette marque d’humanité et de bienveillance dissipa la menace. Ensuite Métellus, qui avait pris ses fonctions de tribun, donna des réunions tumultueuses, et il proposa une loi aux termes de laquelle Pompée le Grand reviendrait à toute vitesse en Italie avec ses troupes [74] , et prendrait en mains la sauvegarde de Rome, menacée par Catilina. Il n’y avait là qu’un prétexte spécieux ; en réalité le but de la loi était de remettre les affaires à Pompée et de lui conférer le pouvoir suprême. Le Sénat eut à se prononcer. Mais comme Caton, contrairement à son habitude, évita de tomber violemment sur Métellus, et se contenta d’une longue exhortation à son adresse, d’un ton conciliant et modéré, qu’à la fin même il recourut aux prières et vanta la maison des Métellus, toujours attachée à l’aristocratie [75] , Métellus fut encore plus exalté. Dédaignant Caton, qu’il croyait voir lui céder et trembler devant lui, il s’emporta jusqu’à des menaces hautaines et à des propos insolents, déclarant qu’en dépit du Sénat il ferait tout ce qu’il voulait. Alors Caton changea d’attitude, de ton et de langage. Il conclut son nouveau discours par cette ferme déclaration que, lui vivant, Pompée ne pénétrerait pas en armes dans la Ville. Cette attitude fit concevoir au Sénat l’opinion que ni l’un ni l’autre des deux adversaires n’était de sens rassis et ne formait de jugement solide [76] , mais que, si la politique de Métellus était une folie et devait aboutir, par un excès de scélératesse, à la ruine et à la confusion générales, celle de Caton était un sublime transport de la vertu en lutte pour le bien et la justice.

XXVII. Le jour où le peuple devait se prononcer sur la loi, Métellus avait rangé en armes sur le Forum des étrangers, des gladiateurs et des esclaves. De plus, la fraction du peuple favorable à Pompée, dont elle attendait une révolution, était nombreuse et tirait une grande force de l’appui de César, alors préteur. Quant à Caton, les meilleurs citoyens partageaient sa colère et son indignation sans s’associer à sa résistance. Un grand abattement et une grande terreur régnaient dans sa maison, en sorte que quelques-uns de ses amis y passèrent la nuit ensemble sans vouloir manger, occupés à des réflexions anxieuses sur son cas. Sa femme et ses soeurs, elles, appelaient au secours en pleurant. Lui seul ne craignait rien ; plein de courage, il parlait à tous et consolait chacun. Il dîna comme d’habitude et s’en alla dormir d’un profond sommeil, dont il fut tiré par un de ses collègues, Minucius Thermus. Ils descendirent ensemble sur le Forum avec une faible escorte ; mais bien des gens allaient à leur rencontre et les engageaient à se tenir sur leurs gardes. Lorsque Caton, arrivant sur le Forum, vit le temple de Castor et de Pollux [77] entouré de gens armés, les marches gardées par des gladiateurs et Métellus lui-même assis en haut avec César, il se retourna vers ses amis et leur dit : « L’insolent et le lâche qui, contre un seul homme désarmé et nu, a enrôlé tant de soldats ! » En même temps, il marchait droit à Métellus avec Thermus. Ceux qui occupaient les degrés s’écartèrent pour eux seuls et ne laissèrent passer personne d’autre, sauf Munatius, que Caton fit monter à grand-peine en le tirant par la main. Il alla directement s’asseoir, de son air habituel, entre Métellus et César, de façon à interrompre leur colloque. Ils furent fort embarrassés ; mais les honnêtes gens, voyant avec admiration la mine, la dignité et la hardiesse de Caton, se rapprochèrent ; et, en exhortant Caton, par leurs acclamations, à tenir bon, ils s’encourageaient mutuellement à résister, à se grouper, à ne pas trahir la liberté et son champion.

XXVIII. À ce moment le scribe prit en main le projet de loi ; mais, comme Caton ne le lui laissait pas lire, Métellus le prit à son tour et le lut. Caton lui arracha le rouleau. Mais Métellus savait le texte par coeur ; il se mit à le réciter. Alors Thermus lui mit la main sur la bouche et, de la sorte, étouffa sa voix. Cela dura jusqu’au moment où Métellus, voyant ces hommes de coeur rester inébranlables dans leur opposition, et le peuple dompté revenir au sens de l’intérêt public, fit avancer des soldats placés à quelque distance [78] . Ils accoururent avec des clameurs effroyables, et tout le monde se dispersa. Il ne resta que Caton, sur lequel pleuvaient les pierres et les coups de bâton [79] . Mais Muréna, celui qu’il avait poursuivi et accusé, ne l’abandonna pas. Il le couvrit de sa toge, cria aux assaillants de s’arrêter, et enfin, persuadant Caton de se mettre à l’abri et l’entourant de ses bras, il l’emmena à l’intérieur du temple. Métellus alors, voyant la solitude se faire autour de la tribune [80] et la foule des opposants s’enfuir à travers le Forum, se persuada qu’il avait le champ libre. Il fit retirer les gens armés ; et, s’avançant lui-même d’un air posé, il essaya de faire passer sa loi. Mais ses adversaires, qui s’étaient promptement repris après leur reculade, revinrent en poussant hardiment de grands cris, si bien que Métellus et ses amis furent troublés et effrayés. Ils pensèrent que ces gens-là avaient dû trouver des armes quelque part et allaient les attaquer. Aussi pas un ne resta ; et ils s’enfuirent en masse des abords de la tribune. Quand ils furent ainsi tous dispersés, Caton revint ; et tantôt louant le peuple, tantôt l’encourageant, il décida la majorité à renverser Métellus par tous les moyens. Le Sénat se réunit et donna l’ordre de soutenir absolument Caton et de combattre le projet de loi, comme introduisant à Rome la sédition et la guerre civile.

XXIX. Métellus lui-même restait irréconciliable et arrogant. Voyant ses partisans trembler devant Caton, qu’ils jugeaient irréductible et indomptable, il bondit soudain au Forum où il assembla le peuple. Il fit alors contre Caton un long discours plein de haine, et s’écria qu’il fuyait sa tyrannie et la conspiration contre Pompée, dont la Ville se repentirait bientôt, elle qui maintenant outrageait un si grand homme. En effet, il partit aussitôt après pour l’Orient, dans l’intention de porter ses griefs devant Pompée. Caton eut donc une grande réputation pour avoir débarrassé le tribunat d’un fardeau si pesant, et, en quelque sorte, ruiné la puissance de Pompée dans la personne de Métellus. Il en acquit plus encore pour avoir empêché le Sénat de noter d’infamie Métellus et de le déposer, comme le voulait cette assemblée ; il combattit ces mesures et les fit écarter. Car si, aux yeux du plus grand nombre, c’était une preuve d’humanité et de modération que de ne pas fouler aux pieds et outrager son ennemi, après l’avoir vaincu de vive force, les gens sensés comprenaient bien que c’était une conduite raisonnable et utile de ne pas irriter Pompée. Ensuite Lucullus, qui était revenu de son expédition [81] dont Pompée paraissait lui avoir volé l’achèvement et la gloire, courut le risque de ne pas triompher, Caius Memmius formant dans le peuple un parti à son encontre et lui intentant des procès plutôt pour faire plaisir à Pompée que par suite d’une haine personnelle [82] . Mais Caton, qui était allié à Lucullus, mari de sa soeur Servilie, et jugeait la chose révoltante, fit opposition à Memmius et s’attira bien des attaques et des accusations [83] .

À la fin, bien qu’on cherchât à le destituer en l’accusant de tyranniser les Romains [84] , il eut assez d’autorité pour forcer Memmius à retirer ses accusations et à fuir le débat. Lucullus obtint donc le triomphe et s’attacha davantage encore à Caton, en qui il trouvait un solide rempart et une puissante défense contre l’influence de Pompée.

XXX. Pompée, revenu grandi de son expédition [85] , fut persuadé, par l’éclat et l’enthousiasme de l’accueil qu’on lui fit, qu’il n’était rien que ses prières ne pussent obtenir des citoyens. Il envoya donc demander au Sénat [86] de remettre les élections au consulat ; afin de pouvoir en personne faire campagne pour Pison [87] . La plupart des sénateurs cédaient. Mais Caton, sans attacher beaucoup d’importance à l’ajournement en soi, voulait couper court à cette expérience de force et trancher net les espérances de Pompée. Il prit donc parti contre lui et parvint à changer l’opinion du Sénat, qui rejeta la demande. Pompée en fut bouleversé ; et, pensant qu’il se heurterait toujours à une violente opposition de sa part, s’il ne s’en faisait un ami, il lui dépêcha Munatius. C’était un ami intime de Caton ; et, comme Caton avait deux nièces à marier, Pompée, par son entremise, demandait l’aînée pour lui, et la cadette pour son fils. (Quelques-uns affirment qu’il ne s’agissait pas des nièces, mais des filles de Caton.) Munatius ayant donc fait la démarche auprès de Caton, de sa femme et de ses soeurs, celles-ci montrèrent beaucoup d’enthousiasme pour cette alliance, vu la grandeur et le prestige de Pompée. Caton, lui, sans hésiter ni réfléchir, parut froissé et répondit sur le champ : « Va, Munatius, va dire à Pompée que Caton n’est pas à prendre par les femmes, mais qu’il se réjouit de ses bonnes dispositions et que, si Pompée se conduit en homme juste, il lui donnera une amitié plus sûre que toutes les alliances de famille. Mais il ne livrera pas d’otages à la gloire de Pompée contre la patrie. » Là-dessus les femmes étaient chagrines, et les amis de Caton l’accusaient d’avoir donné une réponse à la fois grossière et orgueilleuse. Par la suite cependant, Pompée, soutenant la candidature d’un de ses amis au consulat [88] , envoyait de l’argent dans les tribus. Corruption criante, puisque l’on comptait l’argent dans les jardins de Pompée ! Caton dit alors aux femmes que la honte de pareils procédés aurait fatalement rejailli sur lui, s’il avait été apparenté à Pompée. Elles convinrent que, dans son opposition, il avait été plus sage qu’elles. Néanmoins, à en juger par les conséquences, Caton semble s’être trompé du tout au tout en repoussant cette alliance. Il permit de la sorte à Pompée de se tourner vers César et de contracter un mariage [89] qui, en réunissant les forces de l’un et de l’autre, faillit ruiner la puissance de Rome et perdit la République. Rien de tout cela ne serait sans doute arrivé si Caton, épouvanté des fautes légères de Pompée, n’avait pas regardé avec indifférence la plus grande, qui fut de servir d’appoint à la puissance d’un autre.

XXXI. Cet événement était encore à venir. Pour l’instant Lucullus était en conflit avec Pompée au sujet des ordonnances qu’ils avaient faites dans le Pont [90]  ; car chacun des deux entendait que les siennes fussent seules en vigueur. Caton apporta son concours à Lucullus, qui était visiblement lésé. Pompée, vaincu sur ce point au Sénat, voulut faire de la popularité et il proposait de convier l’élément militaire à une distribution de terres [91] . Mais là encore Caton, par son opposition, empêcha le vote de la loi ; aussi Pompée s’attacha-t-il Clodius, le plus insolent des démagogues d’alors, et se rapprocha-t-il de César, un peu par la faute de Caton. Car César, de retour de sa propréture en Espagne [92] voulait briguer le consulat, et, en même temps, il sollicitait le triomphe. Mais aux termes de la loi les candidats à une magistrature devaient être sur place, et, par ailleurs, les aspirants à une entrée triomphale, se tenir en dehors de l’enceinte de Rome. Il demanda donc au Sénat l’autorisation de faire faire sa campagne électorale par d’autres. Beaucoup de sénateurs voulaient lui donner satisfaction. Caton s’y opposait. Quand il s’aperçut qu’on allait accorder cette grâce à César, il parla toute la journée pour faire de l’obstruction et causa ainsi l’échec du projet. César fit donc son deuil du triomphe ; il rentra tout de suite à Rome et se mit en devoir de gagner Pompée et le consulat [93] . Élu consul, il maria Julie à Pompée, et, comme ils étaient désormais alliés contre l’État, l’un proposait des lois qui accordaient aux pauvres des lots de terre aux colonies ; l’autre appuyait ces projets en personne. Lucullus et Cicéron, s’étant alliés à Bibulus, l’autre consul [94] , faisaient de l’opposition, mais Caton en faisait encore plus. Il soupçonnait déjà que l’amitié et l’entente de César et de Pompée n’avait aucun but légitime ; et il déclarait redouter, non le partage des terres, mais le salaire qu’en réclameraient ceux qui s’en servaient comme d’appât pour le peuple.

XXXII. Ces déclarations lui valurent l’appui du Sénat ; et, parmi les gens du dehors, un grand nombre se joignirent à lui, mécontents de l’attitude étrange de César. En effet, les mesures que les tribuns les plus arrogants et les plus indifférents au bien public proposaient pour séduire la multitude, il les appliquait en vertu de son autorité consulaire, pour s’insinuer honteusement et bassement dans les bonnes grâces du peuple. Prenant peur devant l’opposition de Caton, lui et Pompée recoururent à la violence. D’abord, comme Bibulus descendait au Forum, on répandit sur lui un panier d’ordures ; puis les émeutiers, tombant sur ses licteurs, brisèrent leurs faisceaux. À la fin, comme on lançait des traits et que beaucoup de gens étaient blessés, tous les sénateurs s’enfuirent du Forum à toutes jambes. Le dernier, Caton se retira de son pas ordinaire ; en se retournant parfois pour prendre les citoyens à témoin de cette violence. Non seulement le peuple approuva la loi, mais il y ajouta cette disposition que le Sénat tout entier prêterait serment de la ratifier et de la soutenir en cas de transgression. Des amendes considérables étaient stipulées contre ceux qui refuseraient de jurer. Tout le Sénat jura donc de force, se remémorant le malheur de Métellus l’Ancien [95] , que le peuple, pour n’avoir pas voulu prêter serment à une loi semblable, laissa exiler d’Italie. Aussi les femmes de la famille de Caton le suppliaient-elles, avec force larmes, de céder et de jurer. Ses amis et familiers multipliaient aussi leurs instances. Mais celui qui contribua surtout à le convaincre et à le décider au serment fut Cicéron. Ce grand orateur lui représenta qu’il n’était peut-être pas même juste de croire que l’on devait seul désobéir aux décisions prises en commun, et que, d’autre part, dans l’impossibilité de rien changer au fait accompli, négliger son propre intérêt était absolument insensé et fou. Ce serait en effet la pire des catastrophes si, abandonnant et sacrifiant aux séditieux, comme de gaieté de coeur, la Ville pour laquelle il faisait tout, Caton se dérobait aux combats livrés pour elle. Et en effet, si Caton n’avait pas besoin de Rome, du moins Rome avait besoin de Caton. Ses amis aussi avaient besoin de lui, et Cicéron tout le premier, lui, l’objet des complots de Clodius, qui, armé de l’autorité du tribunat, l’attaquait directement. Ébranlé par ces arguments et d’autres analogues, amolli par les prières qu’on lui adressait chez lui et sur le Forum, Caton se laissa forcer la main, mais difficilement. Il alla prêter serment le dernier de tous, à l’exception de Favonius [96] , qui était l’un de ses amis et familiers.

XXXIII. Exalté par ce succès, César présenta un autre projet de loi, qui attribuait la Campanie presque entière aux gens sans ressources et aux pauvres. Nul ne s’y opposait, sauf Caton. César le tira de la tribune pour le conduire en prison sans qu’il rabattît rien de son franc-parler : au contraire, tout en marchant, il parlait de la loi et conseillait d’en finir avec une pareille politique. Le Sénat suivait la tête basse, ainsi que la meilleure partie du peuple, dans un silence morne et indigné. César s’aperçut bien de ce mécontentement. Toutefois il s’obstina, s’attendant que Caton adresserait au peuple des appels et des prières. Quand il fut évident que Caton n’en ferait rien, César, succombant à la honte et à l’infamie, envoya lui-même sous-main un des tribuns de la plèbe arracher Caton aux licteurs. Cependant, ayant gagné le peuple par ces lois agraires et ces largesses, les amis de César lui firent attribuer par un vote le gouvernement de l’Illyrie et de toute la Gaule [97] , avec quatre légions, pour une période de cinq ans. Caton annonçait en vain aux citoyens qu’eux-mêmes, par leurs propres votes, installaient leur tyran dans une citadelle. Ils firent aussi passer illégalement Publius Clodius du patriciat dans la plèbe et le nommèrent tribun ; car toute sa politique était inspirée par le désir de leur complaire et il ne demandait pour salaire que l’exil de Cicéron [98] . Ils élurent consuls Calpurnius Pison, père de la femme de César, et Aulus Gabinius [99] qui était dans la plus étroite intimité avec Pompée, comme l’affirment les gens au fait de ses moeurs et de sa conduite.

XXXIV. Mais bien qu’ayant si fortement en mains l’État, et tenant sous leur domination une partie de la Ville par amour, et l’autre par terreur, ils redoutaient cependant Caton. Sans doute ils avaient eu l’avantage sur lui, mais tout juste, à grand-peine et non sans honte ; car ils devaient évidemment ce succès à la contrainte. Situation pénible et rude pour eux ! Clodius, de son côté, n’espérait même pas abattre Cicéron tant que Caton serait là ; et comme ce projet était sa première préoccupation, il fit, dès son entrée en charge, venir Caton et lui déclara qu’il le considérait comme le plus pur des Romains et qu’il était prêt à le lui prouver par ses actes. Car, malgré les démarches de nombreux candidats qui sollicitaient la mission à Chypre auprès de Ptolémée [100] , il le croyait seul digne de ce mandat, dont il lui accordait la faveur avec plaisir. Caton se récriant que c’était un piège et un outrage et non une faveur pour lui, Clodius répondit avec orgueil et dédain : « Donc, si tu n’y vas pas de bonne grâce, tu iras de mauvais gré ! » Et, se présentant aussitôt devant le peuple, il fit ratifier par une loi l’envoi de Caton à Chypre. À son départ il ne lui donna ni un vaisseau, ni un soldat, ni un fonctionnaire, mais deux scribes, dont l’un était un voleur et un scélérat, l’autre, un client de Clodius. Et, comme s’il ne lui eût imposé qu’une petite besogne avec Chypre et Ptolémée, il lui prescrivit encore de ramener chez eux les exilés de Byzance [101] . Il voulait être débarrassé de lui le plus longtemps possible pendant son tribunat [102] .

XXXV. Objet d’une telle contrainte, Caton engagea Cicéron, que l’on chassait, à ne pas se révolter et à ne pas jeter la Ville dans les combats et les massacres, mais à céder aux circonstances et à être une fois de plus le sauveur de la patrie. Il envoya Canidius, un de ses amis, en éclaireur à Chypre pour décider Ptolémée à céder sans résistance armée, en lui donnant l’assurance qu’il ne manquerait, sa vie durant, ni d’argent, ni d’honneurs ; car le peuple romain lui conférerait le sacerdoce de la déesse de Paphos [103] . Lui-même séjournait à Rhodes, occupé à ses préparatifs [d’intervention], tout en attendant la réponse.

Sur ces entrefaites Ptolémée XI, Roi d’Égypte, qui, dans un accès de colère et à la suite d’un conflit avec ses concitoyens [104] , avait quitté Alexandrie et se rendait à Rome par mer, espérant de Pompée et de César sa restauration à main armée, voulut avoir une entrevue avec Caton. Il le lui fit dire, dans la pensée que Caton viendrait le trouver. Caton était alors en train de se purger, et il invita Ptolémée à venir chez lui, s’il voulait. Quant Ptolémée arriva, il n’alla pas à sa rencontre et ne se leva pas ; il le salua comme il eût fait au premier venu et le fit asseoir. Cette attitude déconcerta Ptolémée, qui s’étonna de trouver, sous cet extérieur populaire et simple, la hauteur et la sévérité du caractère.  Commençant ensuite à lui parler de ses affaires personnelles, il s’entendit tenir des propos pleins de sens et de franchise : Caton lui fit des reproches et lui remontra quel bonheur il abandonnait pour se livrer à des démarches serviles, supporter des fatigues, s’exposer à la corruption et à l’avidité des grands de Rome, que la liquidation de l’Égypte entière suffirait à peine à rassasier. Il lui conseilla de rebrousser chemin et de se réconcilier avec ses concitoyens, s’offrant même à faire le voyage avec lui pour contribuer à l’apaisement. Ces paroles tirèrent le Roi d’une sorte de folie et de crise mentale ; il recouvra son bon sens ; et, comprenant la véracité et l’intelligence du grand homme, il résolut de mettre à profit ces réflexions. Mais, il se laissa retourner par ses amis et partit pour Rome. Dès qu’il y fut et la première fois qu’il se présenta aux portes d’un magistrat, il gémit sur sa malencontreuse détermination, qui lui avait fait mépriser les conseils d’un homme de bien, ou plutôt l’oracle d’un dieu.

XXXVI. Cependant le Ptolémée de Chypre, heureusement pour Caton, s’empoisonna. Comme on disait qu’il laissait une riche succession, Caton décida d’aller lui-même à Byzance, et il envoya à Chypre son neveu Brutus, n’ayant pas une absolue confiance en Canidius. Il fit rentrer les bannis en grâce ; et, laissant Byzance dans la concorde, il fit voile vers Chypre. Le mobilier était considérable et d’une opulence royale : coupes, tables, pierres précieuses, et pourpre. Il fallait vendre tout cela pour en faire de l’argent. Comme Caton voulait dresser de tout un inventaire exact, et faire tout monter à sa plus haute valeur, être présent lui-même à toutes les opérations et présider à la dernière estimation, il ne se fiait pas même aux habitués du marché. Il soupçonnait à la fois tout le monde, employés, crieurs, enchérisseurs, amis. À la fin lui-même s’adressait personnellement aux acheteurs, et, faisant surenchérir chacun, il vendit de la sorte la plupart des marchandises. Aussi froissa-t-il ses amis, qui l’accusaient de se défier d’eux, et surtout le plus intime d’eux tous, Munatius, auquel il inspira un mécontentement, peu s’en faut, irrémédiable. César, quand il écrivit un pamphlet contre Caton, fit de sa conduite d’alors un chef d’accusation, sur lequel il insistait âprement.

XXXVII. Cependant Munatius rapporte que sa colère vint, non de la défiance de Caton, mais du dédain de celui-ci à son égard, et d’une certaine jalousie de lui, Munatius, envers Canidius. Et en effet, lui-même édita un livre sur Caton, que Thraséa, dans le sien, a surtout suivi. Il dit qu’il arriva le dernier à Chypre et qu’on lui donna un logement dédaigné par les autres. Il alla aux portes de Caton, mais on lui refusa l’entrée, parce que Caton conférait chez lui avec Canidius. Comme il se plaignait avec modération, il reçut une réponse qui n’était pas modérée. « L’affection exagérée risque, dit Théophraste, d’être souvent une cause de haine. C’est ton cas, lui dit Caton. Toi aussi, parce que tu m’aimes beaucoup, tu te fais du souci en te croyant moins honoré qu’il ne convient. Quant à Canidius, je l’emploie plutôt que d’autres, à cause de son expérience et de sa fidélité. Il est arrivé dès le début et se montre incorruptible. » Toutefois ces propos, qui n’avaient été tenus qu’à Munatius seul, furent rapportés par Caton à Canidius. Munatius le sut ; et dorénavant il n’alla plus dîner chez Caton et ne se rendit plus au Conseil où on le convoquait. Caton le menaça de prendre des gages, comme c’est l’habitude pour les indisciplinés [105] . Il ne s’en soucia nullement et s’embarqua pour Rome. Il resta longtemps brouillé avec Caton. Puis, à la suite d’une conversation avec Marcie ; qui était encore la femme de Caton, ils se trouvèrent tous deux invités à dîner chez Barca. Caton arriva en retard quand on était à table, et demanda où il se mettrait. « Où tu voudras ! » répondit Barca. Il jeta un regard autour de lui et dit : « Auprès de Munatius. »

Il se plaça en effet auprès de lui, mais sans lui donner aucune autre marque d’affection pendant tout le repas. Une autre fois, Marcie demanda à son mari d’écrire à Munatius qu’il désirait le voir. Il le fit, et Munatius se rendit chez lui dès le lever du jour. Marcie le retint jusqu’au moment où tout le monde fut sorti ; et alors Caton entra, lui mit les deux mains autour du cou, l’embrassa et lui prodigua les caresses. Il me semble que ces détails n’ont pas moins de portée que les grands actes accomplis à la face du ciel, pour la connaissance et la pénétration d’un caractère. Voilà pourquoi je m’y suis étendu davantage.

XXXVIII. Caton recueillit près de sept mille talents d’argent monnayé [106]  ; et, craignant la longueur de la traversée, il fit faire une quantité de caisses, dont chacune contenait deux talents cinq cents drachmes [107] . Il fit attacher à chaque caisse une longue corde, au bout de laquelle était attachée une pièce de liège de belles dimensions. De la sorte, si le vaisseau se brisait, le liège, flottant à la surface, indiquerait l’endroit de l’immersion. De fait, l’argent, à une faible quantité près, fut convoyé en sûreté. Il n’en fut pas de même du compte de son administration, que Caton avait rédigé avec soin en deux exemplaires : tous deux périrent. Le premier était entre les mains d’un de ses affranchis, Philargyre, qui, s’étant embarqué à Cenchrées [108] , le perdit dans un naufrage avec tous ses bagages. L’autre, Caton lui-même le garda jusqu’à Corcyre [109] , où il campa sur la place. Mais il faisait froid. Les matelots allumèrent de grands feux pendant la nuit ; les tentes brûlèrent, et le livre disparut. Sans doute, les administrateurs des richesses royales étaient là pour fermer la bouche aux ennemis du grand homme et aux délateurs ; mais cet accident contraria Caton à un autre point de vue. Car son ambition n’était pas de montrer quelle confiance on pouvait avoir en lui, mais de donner aux autres un exemple d’exactitude en matière de comptes ; et la fortune lui envia cette satisfaction.

XXXIX. Son arrivée par eau ne fut pas ignorée des Romains ; tous les magistrats, tous les prêtres, tout le Sénat et une bonne partie du peuple vinrent à sa rencontre le long du fleuve, en sorte que les deux rives étaient couvertes de monde et que, pour le coup d’oeil et la pompe, son retour naval ne le cédait nullement à un triomphe. Toutefois ce qui était visiblement, pour quelques-uns, maladroit et arrogant de sa part, c’est que, les consuls et les préteurs étant présents, il ne descendit pas pour aller les trouver et n’arrêta pas la marche du vaisseau.

Il continua de s’avancer le long de la rive sur une galère royale à six rangs de rames, et ne la quitta pas avant que toute sa flottille ne fût mouillée dans le port. Cependant, quand on apporta l’argent à travers le Forum, le peuple en admira la quantité ; et le Sénat réuni, en lui donnant les éloges qu’il méritait, lui vota une préture extraordinaire [110] et le privilège d’assister aux spectacles en prétexte. Ces honneurs, Caton les refusa ; mais il décida le Sénat à donner la liberté à Nicias, l’administrateur des biens du Roi de Chypre, dont il garantit l’application et l’honnêteté. Philippe, le père de Marcie, était alors consul, et le prestige et l’influence de sa magistrature s’étendaient en quelque sorte à Caton, le collègue de ce magistrat [111] ne lui marquant pas moins de déférence pour son mérite que Philippe pour leur alliance.

XL. Cicéron, revenu de l’exil [112] , que lui avait infligé Clodius et fort puissant alors, enleva de force les tablettes tribunitiennes [113] que Clodius avait rédigées et mises en dépôt au Capitole ; puis il les détruisit en l’absence de Clodius. Le Sénat évoqua l’affaire, et Cicéron répondit aux accusations de Clodius que, son tribunat ayant été illégal [114] , tous ses actes officiels et décisions en tant que tribun devaient être nuls et sans effet. Caton protesta contre ce discours, et à la fin il se leva et dit que, sans doute, il ne voyait absolument rien de sensé ni de bon dans la politique de Clodius, mais que, si l’on annulait tous les actes de son tribunat, on anéantirait toute son activité à Chypre, à lui Caton ; car sa mission n’était pas régulière, si un magistrat élu illégalement la lui avait fait voter. Il ajouta que l’élection de Clodius n’était pas illégale, une loi l’ayant autorisé à passer du patriciat dans une famille plébéienne. Si, par ailleurs, Clodius avait été, comme d’autres, un mauvais magistrat, il convenait de redresser le coupable lui-même et non de casser les actes d’une magistrature qui avait été victime de ses fautes, elle aussi.

Cicéron tint rigueur à Caton de cette attitude, et cessa pour longtemps d’avoir des relations amicales avec lui. Pourtant ils se réconcilièrent dans la suite.

XLI. Là-dessus Pompée et Crassus, comme César avait repassé les Alpes, prirent contact avec lui [115] et décidèrent d’un commun accord de briguer un deuxième consulat, et, quand ils l’auraient obtenu, de faire prolonger le commandement de César pour une période égale à la première ; eux-mêmes se réservaient les provinces les plus importantes, des subsides et des forces militaires. C’était là un complot pour se partager le pouvoir et détruire la Constitution [116] . Plusieurs hommes de bien se préparaient alors à poser leur candidature ; mais celle de Crassus et de Pompée, bruyamment annoncée, les en détourna. Seul Lucius Domitius [117] mari de Porcie, la soeur de Caton, se laissa convaincre par lui de ne pas se désister, ni céder, car ce n’était pas une élection ordinaire : il y allait de la liberté de Rome. Par ailleurs l’opinion se répandait dans la fraction encore raisonnable du peuple qu’il ne fallait pas laisser la puissance de Crassus et celle de Pompée faire un tout, ce qui donnerait au consulat trop de faste et de rigueur, mais refuser du moins cette charge à l’un des deux. Les gens de cette opinion se rallièrent donc à Domitius, qu’ils encourageaient de toutes leurs forces à se présenter. « Car, disaient-ils, beaucoup d’électeurs, même parmi ceux qui se taisent aujourd’hui par peur, se montreront au moment du vote. Cela effraya les amis de Pompée ; aussi dressèrent-ils un guet-apens à Domitius quand il descendait au Champ de Mars de bon matin à la lueur des flambeaux [118] .

Le premier, l’esclave qui marchait devant Domitius pour l’éclairer fut frappé et tomba mort ; après lui, les gens de la suite furent blessés et tout le monde s’enfuit, sauf Caton et Domitius. Car Caton retenait son beau-frère, bien que blessé lui-même au bras, et l’engageait à tenir bon et à ne pas déserter, tant que tous deux respireraient, la cause de la liberté menacée par des tyrans, qui, en commettant de pareils crimes pour arriver au pouvoir, montraient assez l’usage qu’ils en voulaient faire.

XLII. Domitius ne tint pas tête au péril et se réfugia dans sa maison. On élut consuls Pompée et Crassus ; mais Caton ne se lassa pas de son opposition. Il se mit lui-même en avant comme candidat à la préture, voulant avoir une base d’opérations contre les nouveaux consuls et s’opposer à des magistrats autrement qu’en simple citoyen. Mais ils prirent peur, jugeant que la préture, occupée par Caton, serait digne de rivaliser avec le consulat. Par surprise et à l’insu de la majorité du Sénat, ils convoquèrent cette assemblée et lui firent décider que les préteurs élus entreraient immédiatement en charge sans attendre l’expiration légale du délai pendant lequel on pouvait leur intenter des procès pour corruption électorale. Ensuite, ayant par ce décret soustrait la corruption à tout châtiment, ils mirent en avant pour la préture leurs créatures et leurs amis, eux-mêmes distribuant l’argent aux électeurs et présidant à l’émission des votes. Mais la vertu et la réputation de Caton triomphaient même de ces manoeuvres ; et la majorité, par suite du respect qu’il inspirait, considérait que ce serait un grand-malheur de le vendre par ses votes, lui qu’il eût été beau pour l’État d’acheter comme préteur. Aussi la première des tribus appelée à voter le désigna-t-elle [119] . Aussitôt Pompée mentit honteusement en déclarant qu’il avait entendu un coup de tonnerre et congédia l’assemblée. (Les Romains sont habitués à regarder ces accidents comme des présages qui exigent une purification et à ne rien ratifier quand un signe de Jupiter s’est produit). Pompée et Crassus se livrèrent, une fois de plus, à une corruption effrénée et, chassant du Champ-de-Mars les meilleurs citoyens, ils firent élire de force Vatinius [120] . Ceux, dit-on, qui avaient émis un vote si contraire aux lois et à la justice, s’enfuirent aussitôt comme des esclaves en rupture de ban ; les autres se massèrent pour exprimer leur indignation. Il y eut un tribun qui improvisa sur place une assemblée, et Caton y intervint. Il annonça, comme par une inspiration des dieux, tout ce qui devait arriver à la Ville. Il excita les citoyens contre Pompée et Crassus, en déclarant que les crimes dont ils se sentaient coupables et la politique engagée par eux expliquaient leur crainte d’une élection qui eût donné l’avantage à Caton. À la fin, quand il rentra chez lui, il était escorté d’une foule que les préteurs nommés, à eux tous, ne rassemblèrent pas.

XLIII. Caius Trébonius [121] proposa une loi sur la répartition des provinces entre les consuls. Aux termes de son projet, l’un, [Pompée] aurait l’Espagne et la Libye sous ses ordres ; l’autre [Crassus] la Syrie et l’Égypte. Tous deux seraient en droit de faire la guerre à qui ils voudraient et de conquérir les territoires à leur fantaisie en les envahissant avec des forces terrestres et navales. Tout le monde renonçait à l’opposition de fait et à l’obstruction, même à la simple protestation verbale. Caton fut seul à monter à la tribune ; et comme il voulait parler, on lui accorda et encore à grand-peine, deux heures pour son intervention. Mais comme des réflexions nombreuses, des remontrances et des prédictions lui avaient pris tout ce temps, on ne le laissa plus parler. Il s’obstinait ; un licteur vint l’arracher de la tribune. Même en bas, il se relevait, poussait les hauts cris, et ses auditeurs partageaient visiblement son indignation. Le licteur revint alors mettre la main sur lui et l’emmena hors du Forum. On ne l’eut pas plus tôt lâché qu’il revint au Forum et prit la direction de la tribune en criant de toutes ses forces aux citoyens de le défendre. Cette scène s’étant répétée à plusieurs reprises, Trébonius ordonna de le conduire en prison, mais une foule le suivait et écoutait le discours qu’il prononçait tout en marchant, de sorte que le tribun prit peur et le fit relâcher.

Ce jour-là, voilà comment Caton l’employa. Les jours suivants, ses adversaires intimidèrent certains citoyens ; ils gagnèrent les autres par des faveurs et des dons en argent et ils empêchèrent un des tribuns de la plèbe, Aquilius, de sortir du Sénat. Comme Caton lui-même criait qu’il y avait eu un coup de tonnerre, ils le chassèrent du Forum. Ils blessèrent un assez grand nombre de citoyens, dont quelques-uns même restèrent sur le carreau, et finalement ils emportèrent le vote de la loi par un coup de force. Aussi beaucoup de mécontents se réunirent-ils pour aller renverser les statues de Pompée. Caton survint et les en empêcha. Mais, comme on proposait une loi relative aux provinces et aux troupes de César, il ne s’adressa plus au peuple. Il se tourna vers Pompée lui-même auquel il fit entendre des protestations et des avertissements. « À présent, lui dit-il, tu prends, sans le savoir, César sur tes épaules. Quand tu commenceras à trouver le fardeau pesant et à souffrir de la tyrannie, ne pouvant déposer cette charge à terre et n’ayant pas le courage de la soutenir, tu retomberas, avec César, sur la République. Tu te souviendras alors de mes admonestations, et tu constateras qu’elles n’étaient pas moins conformes à ton intérêt qu’à celui de la morale et de la justice ! » Caton eut beau lui redire ces avis ; Pompée n’en tenait aucun compte et il les dédaignait, ne pouvant croire à un changement d’attitude de César, parce qu’il se fait à sa chance personnelle et à son crédit.

XLIV. Élu préteur pour l’année suivante [122] , Caton parut moins ajouter à la dignité et à la grandeur de cette charge par sa bonne administration qu’il ne lui ôtait de prestige par sa simplicité. Il allait souvent à son tribunal sans chaussures et sans tunique, et il jugeait, dans cette tenue, des causes capitales où étaient intéressés des hommes en vue. Quelques-uns affirment même qu’il donnait ses audiences après déjeuner et après boire ; mais cela n’est pas vrai [123] . Comme le peuple se laissait corrompre par les candidats et que la majorité faisait du trafic de ses votes une opération commerciale courante, Caton, voulant extirper ce fléau de la Ville, fit prendre par le Sénat un décret aux termes duquel les magistrats désignés [124] , s’ils n’avaient pas d’accusateur, devaient obligatoirement comparaître en personne devant un tribunal où, sous la foi du serment, ils rendraient compte de leur campagne. Cette mesure mécontenta les candidats, et plus encore la masse qui se faisait acheter. Un jour donc, de bon matin, comme Caton était monté sur son tribunal, des groupes se formèrent, tombèrent sur lui en vociférant, en l’insultant et en lui lançant des pierres. Aussi tout le monde s’enfuit-il du tribunal ; et Caton lui-même, repoussé et houspillé par la foule, eut peine à parvenir à la tribune aux harangues. Là, il se dressa, et, par l’expression courageuse et hardie de son visage, il domina aussitôt le tumulte et fit cesser les clameurs. Il dit ce qu’il fallait, et, écouté dans le calme, il dissipa complètement le trouble. Il répondit aux félicitations du Sénat : «Et moi, je ne vous félicite pas, vous qui avez abandonné un préteur dans le danger sans lui porter secours ! » Quant aux candidats, il se trouvaient dans un pénible embarras, chacun d’eux étant partagé entre la crainte de corrompre lui-même les électeurs et celle d’être évincé par un concurrent moins scrupuleux. Ils se réunirent donc et décidèrent de verser chacun une caution de cent vingt-cinq mille drachmes [125] et de faire tous leur campagne en toute honnêteté et justice ; celui qui, au mépris de ces conventions, aurait eu recours à la corruption, perdrait la somme déposée. L’accord conclu, ils choisirent comme dépositaire, garant et témoin Caton, entre les mains de qui ils devaient déposer l’argent. Ils passèrent le contrat chez lui. Mais il se contenta des garanties qu’ils lui fournirent et refusa de recevoir les fonds. Le jour de l’élection venu, Caton se plaça à côté du tribun qui présidait [126] et se mit à observer avec attention les votes. Il put donc déclarer que l’un des contractants manquait à sa parole et lui enjoignit de payer aux autres la, somme stipulée. Mais eux, tout en louant et en admirant sa droiture, tinrent le coupable quitte de l’amende, le jugeant assez puni. Quant aux autres citoyens, Caton les avait contrariés et il s’attira de leur part beaucoup d’envie, car on l’accusa de s’arroger les droits du Sénat, des tribunaux et des magistrats. Il n’y a pas, en effet, de vertu qui, par le renom et la confiance qu’elle donne, rende plus envieux que la justice ; parce que la puissance et le crédit auprès de la majorité en sont généralement les suites. On n’honore pas seulement les justes, comme les braves ; on ne les admire pas seulement, comme les sages ; on les aime aussi, on a confiance en eux et on les croit. Quant aux autres, les braves font peur ; les sages excitent la défiance. En outre, on attribue leur supériorité plutôt à la nature qu’à la volonté ; car on voit dans l’intelligence une certaine finesse et, dans la bravoure, une certaine force d’âme. Mais comme, pour être juste, il suffit de le vouloir ; on a surtout honte de l’injustice, comme d’un vice inexcusable.

XLV. C’est aussi pour cette raison que tous les grands personnages faisaient la guerre à Caton ; sa conduite les condamnait. Pompée voyait même dans la réputation de Caton la ruine de son propre pouvoir, et il lançait constamment à ses trousses des insulteurs, dont le démagogue Clodius. Cet individu s’aboucha secrètement, une fois de plus, avec Pompée, et clabauda contre Caton, qu’il accusait d’avoir détourné bien des richesses à Chypre et de combattre Pompée parce que celui-ci refusait d’épouser sa fille. Caton ripostait qu’il avait rapporté de Chypre à l’État, sans avoir reçu ni un cheval, ni un soldat, plus d’argent que Pompée ne fit après tant de campagnes triomphales, qui bouleversaient le monde. Il ajoutait : « Je n’ai jamais choisi Pompée pour gendre, non qu’il me parût indigne de mon alliance, mais parce que je constatais notre désaccord politique. Car moi-même, j’ai refusé la province qu’on m’offrait au sortir de ma préture ; et lui, il les accepte toujours, les unes pour les garder, les autres pour les distribuer à de tierces personnes. Maintenant encore, c’est le comble ! il a prêté à César six mille fantassins pour la guerre des Gaules. César ne vous avait pas demandé ces troupes, et Pompée les lui a données sans votre assentiment. Eh oui ! tant de troupes, d’armes et de chevaux sont maintenant des cadeaux que l’on se fait entre particuliers à charge de revanche ! Avec ses beaux titres d’impérator et de général, il a cédé à d’autres ses armées et ses provinces ; et lui-même reste tranquillement à Rome, à organiser des émeutes lors des élections et à machiner des troubles. On peut donc bien voir que, par l’anarchie, il prétend s’assurer la monarchie. »

XLVI. C’est ainsi qu’il se défendait contre Pompée. Or, il avait pour ami intime et pour imitateur Marcus Favonius, qui était à son égard ce que fut, rapporte-t-on, Apollodore de Phalère [127] pour Socrate l’Ancien. Il était sensible à la raison. Elle le faisait sortir de lui-même, non pas petit à petit, ni doucement, mais en lui montant à la tête comme du vin pur et en l’affolant. Ce personnage, candidat à l’édilité, fut battu ; mais Caton, qui l’assistait, s’aperçut que les bulletins étaient tous de la même écriture. Il dénonça la fraude et en appela aux tribuns, si bien que l’élection fut annulée. Plus tard, Favonius ayant été proclamé édile, Caton, entre autres devoirs de cette charge qu’il l’aidait à remplir, organisait les représentations théâtrales [128] . Il donna aux artistes des couronnes qui n’étaient pas d’or, mais, comme à Olympie, d’olivier sauvage ; et pour présents au lieu des riches cadeaux dont on avait l’habitude, il distribuait aux Grecs des bettes, des laitues sauvages, des raves et des poires ; aux Romains des pots de vin, de la viande de porc, des figues, des concombres et des fagots. Les uns raillaient la simplicité de ces présents ; les autres la respectaient, voyant la sévérité et la rudesse de Caton tourner doucement à la bonne humeur. À la fin des jeux, Favonius se mêla à la foule, et, s’asseyant parmi les spectateurs, il applaudissait Caton, et lui criait de faire des présents aux acteurs qui réussissaient et de les honorer ; puis il exhortait le public à faire comme lui, déclarant qu’il avait remis ses pleins pouvoirs à Caton. Dans l’autre théâtre Curion, le collègue de Favonius, donnait des fêtes somptueuses ; mais on l’abandonnait pour descendre au théâtre de Favonius, et l’on s’amusait franchement de voir cet édile dans le rôle de simple citoyen et Caton dans celui de régisseur. Caton faisait cela pour décrier la coutume et montrer que, si l’on s’amuse, il faut prendre l’affaire en plaisantant et assaisonner le spectacle d’une bonne grâce sans affectation plutôt que d’apprêts et de prodigalités. Il ne voulait pas que l’on consacrât à des bagatelles de sérieuses préoccupations et une grande activité.

XLVII. Scipion, Hypsée et Milon [129] briguaient le consulat, non seulement en commettant les fautes courantes et désormais entrées dans les moeurs, corruption et achat de suffrages, mais encore en se jetant, tête baissée, par les attaques à main armée et les meurtres, dans la guerre civile, résultat inévitable de leur audace et de leur folie. Quelques citoyens voulaient donc charger Pompée de présider aux élections ; Caton s’y opposa d’abord, en déclarant que les lois ne devaient pas tirer leur sûreté de Pompée, mais Pompée la sienne des lois. Pourtant, comme l’anarchie se prolongeait et que trois armées [130] investissaient chaque jour le Forum, peu s’en fallut que le mal ne devînt irrésistible. Alors Caton résolut de remettre la conduite des affaires à Pompée avant qu’on n’en fût à la nécessité la plus pressante. Ce serait une grâce volontaire du Sénat, et le plus modéré des passe-droits préviendrait le bouleversement des intérêts suprêmes de l’État. Il valait mieux établir la monarchie que de laisser la sédition aboutir à l’anarchie. Bibulus, qui était apparenté à Caton, émit donc au Sénat l’avis qu’il fallait nommer Pompée seul consul [131]  ; car, ou les affaires iraient bien, après le redressement qu’opérerait Pompée ; ou, si Rome devait être esclave, elle le serait du meilleur. Alors Caton se leva, et, prenant une attitude à laquelle nul ne se fût attendu, il approuva cette opinion et l’appuya en déclarant que n’importe quel pouvoir était supérieur à l’anarchie. Il s’attendait que Pompée tirerait le meilleur parti de la situation présente et garderait l’État, si l’on se fiait à lui.

XLVIII. Nommé de la sorte consul, Pompée pria Caton de venir le trouver dans sa maison du faubourg. Il l’accueillit avec des marques d’amitié, des embrassades, des poignées de main ; et, reconnaissant le service qu’il avait reçu de lui, le pressa d’être son conseiller et de partager le pouvoir avec lui. Caton répondit que ses discours du début ne s’inspiraient d’aucune hostilité envers Pompée, pas plus que son attitude actuelle d’un parti pris en sa faveur, et qu’il avait toujours agi dans l’intérêt de l’État. En conséquence, dans le privé, il servirait de conseiller à Pompée, si celui-ci l’y invitait ; en public, sollicité ou non de parler, il dirait de toute façon ce qui serait évident à ses yeux. Il fit comme il l’avait dit. Car d’abord, comme Pompée proposait une loi portant contre les acheteurs de suffrages des amendes nouvelles et des peines graves, il lui conseilla de négliger le passé et de s’attacher à l’avenir car il n’était pas facile de déterminer où s’arrêterait la recherche des infractions antérieures ; et si l’on infligeait de nouvelles peines pour les fautes anciennes, ce serait une terrible situation que celle des gens punis en vertu d’une loi qu’ils ne transgressaient pas au moment de leur culpabilité présumée. Ensuite, comme on jugeait plusieurs personnages en vue, dont quelques-uns étaient des amis et des alliés de Pompée, le voyant céder sur bien des points et se laisser fléchir [132] , il lui fit de violents reproches et le réveilla. Mais lorsqu’ayant lui-même interdit par une loi les éloges qu’on avait l’habitude de faire des inculpés [133] , Pompée fit tenir aux juges, pendant le procès de Munatius Plancus [134] , un panégyrique de celui-ci, qu’il avait composé, Caton, qui faisait partie du tribunal, se boucha les oreilles avec ses deux mains et empêcha la lecture de ce témoignage. Plancus le récusa après les plaidoyers et n’en fut pas moins condamné. La présence de Caton dans un jury embarrassait beaucoup les accusés, et ils ne savaient comment s’y prendre avec lui ; ils ne voulaient pas le laisser juger leur cause, et n’osaient le récuser. Car on avait condamné bien des gens parce que, sous couleur d’éviter le jugement de Caton, ils montraient leur défiance de la justice. Et même quelques-uns s’entendaient reprocher aigrement par leurs insulteurs de n’avoir pas accepté Caton pour juge, quand on le leur proposait.

XLIX. Cependant César, bien qu’implanté solidement en Gaule et s’obstinant à garder ses armées, prodiguait les présents, l’argent et les bons offices de ses amis pour s’emparer du pouvoir à Rome. Désormais, les avertissements de Caton tiraient Pompée de son incrédulité d’autrefois, et lui faisaient présager le pire. Mais comme il était toujours foncièrement hésitant, timide, qu’il temporisait au lieu de se mettre en travers et d’agir, Caton décida de briguer le consulat, dans l’intention d’ôter tout de suite à César ses troupes ou, sur son refus, de le convaincre de complot [135] . Ses adversaires étaient l’un et l’autre des gens sérieux ; et Sulpicius [136] avait même beaucoup profité de la réputation et du crédit de Caton à Rome. Sa conduite, en cette occasion, ne parut donc marquer ni correction, ni gratitude. Cependant, Caton ne la lui reprochait point : « En effet, disait-il, quoi d’étonnant, si l’on ne cède pas à un autre ce que l’on regarde comme le plus grand des biens ? » Il fit décider par le Sénat que les candidats à une magistrature prendraient eux-mêmes contact avec le peuple sans se servir d’autrui pour racoler des voix ou solliciter en leur faveur. Par là, il mécontenta plus encore les électeurs, auxquels il ôtait le moyen, non seulement de recevoir des gratifications, mais aussi de faire plaisir en promettant leurs suffrages. C’était priver la plèbe à la fois d’argent et d’honneur. Il faut dire de plus que lui-même n’avait guère le talent de persuader en plaidant sa propre cause, et qu’il aimait mieux garder, dans sa campagne électorale, la dignité de sa vie, que d’y ajouter celle du consulat. Il ne laissait pas davantage ses amis opérer les manoeuvres qui gagnent et flattent la masse. Il échoua donc.

L. Ce genre d’insuccès cause d’ordinaire, non seulement aux intéressés eux-mêmes, mais encore à leurs amis et à leurs parents, avec une espèce de honte, un abattement et une douleur qui durent bien des jours. Mais Caton le supporta d’un coeur si léger que, dès le lendemain, il se fit oindre, alla faire sa partie de ballon au Champ de Mars, et, après son déjeuner, descendit, comme d’habitude, au Forum, sans souliers et sans tunique, se promener avec ses familiers. Cicéron lui reproche de ne pas avoir, quand la situation réclamait un consul comme lui, fait d’efforts pour se concilier le peuple par une attitude affable, et aussi de s’être à jamais retiré de la compétition, alors qu’il avait brigué la préture une seconde fois. Caton ripostait que son échec à la préture ne tenait pas à l’opinion réelle de la majorité, qui avait été contrainte ou corrompue. Nulle fraude, au contraire, n’avait faussé l’élection au consulat. Il reconnaissait donc avoir froissé le peuple par sa propre manière d’être. Devait-il en changer pour plaire à d’autres ? Ou, la conservant pareille, tenter une campagne dont le résultat serait aussi pareil ? Ni l’un, ni l’autre parti n’étaient d’un homme de bon sens. Donc, abstention.

LI. César avait envahi des nations belliqueuses, qu’il vainquit en courant de grands risques. On sut aussi qu’il s’était jeté sur les Germains bien que Rome fût en paix avec eux, et qu’il en avait tué trois cent mille. On demandait, en général, que le peuple offrît à cette occasion un sacrifice d’action de grâces. Caton, au contraire, engageait les Romains à livrer César aux victimes de sa perfidie, de peur de détourner sur eux son crime et de faire retomber sur l’État cette souillure : « Cependant, ajouta-t-il, sacrifions aux dieux, parce qu’ils ne font pas payer à nos soldats la folie et la témérité de leur général, et qu’ils épargnent la Ville. » À la suite de ces événements, César écrivit et envoya une lettre au Sénat. Quand on la lut, comme elle contenait beaucoup d’attaques et d’accusations contre Caton, il se leva, et, sans parler sous le coup de la colère ou de l’hostilité, mais de sang-froid et comme après s’être préparé à tête reposée, il montra que les reproches de César ressemblaient à des injures et à des railleries, que c’étaient des bouffonneries et des sarcasmes sans portée. Il passa ensuite à l’examen de la politique de César depuis le début ; et, dévoilant toutes ses intentions comme eût pu le faire, non pas un ennemi, mais un complice, associé aux complots de César, il fit voir aux sénateurs que, s’ils étaient sages, il leur fallait redouter, non pas les enfants des Germains et des Celtes, mais le grand homme lui-même. Il retourna l’opinion de ses collègues et les émut tellement que les amis de César se repentaient d’avoir lu la lettre au Sénat en donnant à Caton l’occasion de la réfuter par des raisonnements justes et des accusations vraies. Dans ces conditions, aucune mesure ne fut prise ; on dit seulement qu’il serait bon de donner un successeur à César. Comme ses amis demandaient que Pompée déposât les armes, lui aussi, et rendît ses provinces, ou que César n’en fît rien, Caton se mit à crier que l’événement confirmait ses prédictions d’autrefois : cet homme faisait violence aux citoyens et déployait maintenant à ciel ouvert la puissance qu’il avait conquise en trompant et en ensorcelant la Ville. Il n’obtint aucun résultat extérieur, le peuple voulant toujours que César fut le plus grand, mais il avait pour lui le Sénat, qui le croyait et redoutait le peuple.

LII. Après l’occupation d’Ariminum [137] , comme on annonçait que César marchait avec une armée sur Rome, tout le monde regardait du côté de Caton, le peuple aussi bien que Pompée : n’était-ce pas le seul homme qui eût pressenti, dès le début, et le premier qui eût annoncé clairement les projets de César ? Il dit alors : « Mais si quelqu’un de vous, citoyens, avait écouté les prédictions que je vous faisais, moi, et mes conseils, vous n’en seriez pas au point de redouter maintenant un seul homme et de mettre vos espoirs en un seul.

Pompée riposta que Caton avait parlé en prophète, mais que lui-même avait agi plus en ami [138] , Alors Caton conseilla au Sénat de remettre les affaires au seul Pompée ; car il appartenait aux mêmes personnes de causer les grands maux et d’y mettre fin. Mais Pompée, n’ayant pas d’armée prête et voyant que ses nouvelles recrues manquaient d’enthousiasme, abandonna Rome ; et Caton, décidé à le suivre et à s’exiler avec lui, envoya secrètement son plus jeune fils en Bruttium, chez Munatius [139] . Il prit l’aîné avec lui. Mais, comme sa maison et ses filles avaient besoin d’une tutelle, il reprit Marcie, qui était veuve et pourvue d’une grande fortune ; car Hortensius, en mourant, l’avait instituée son héritière. C’est justement surtout là-dessus que César [140] reproche, en termes injurieux, à Caton, son amour de l’argent et sa vénalité en matière conjugale. Pourquoi fallait-il, en effet, qu’il cédât sa femme, s’il avait besoin d’elle, ou, s’il n’en avait pas besoin, qu’il la reprît ? À moins, que cette créature n’eût été mise, comme un appât, sous les yeux d’Hortensius et qu’il ne l’eût prêtée jeune pour la reprendre riche ! À cette accusation répond bien le mot fameux d’Euripide :

Il y a d’abord ce qu’on ne peut pas dire et, dans ce qu’on ne peut pas dire je range ta lâcheté, Hercule [141]  !

LIII. Depuis ce jour, dit-on, il ne se fit plus couper les cheveux, ni la barbe, et ne mit plus de couronne. Il avait pris le deuil pour les malheurs de la patrie, et garda jusqu’à la fin la même attitude, sans en rien modifier, que son parti fût vainqueur ou vaincu. Le sort lui ayant attribué la province de Sicile [142] , il se rendit à Syracuse ; et, apprenant qu’Asinius Pollion [143] , envoyé par les ennemis, était arrivé à Messine avec une armée, il lui envoya demander compte de son débarquement. Asinius, à son tour, lui demanda compte du bouleversement de l’État. Caton apprit par lui que Pompée avait abandonné complètement l’Italie et se trouvait campé à Dyrrachium. « Il règne donc, déclara-t-il, dans les affaires divines beaucoup d’incertitude et d’obscurité, puisque Pompée, invincible au temps où il ne faisait rien de sensé, ni de juste, est abandonné de la chance maintenant qu’il veut sauver la patrie et qu’il combat pour la liberté ! » Il ajouta qu’il était capable de rejeter Pollion hors de la Sicile ; mais qu’une autre armée plus considérable venant appuyer l’envahisseur, il ne voulait pas ruiner l’île en en faisant un champ de bataille. Il engagea les Syracusains à se rallier au parti victorieux pour assurer leur salut, et il s’embarqua. Arrivé près de Pompée, il s’attacha toujours à un seul et même avis : faire traîner la guerre en longueur ; car il espérait encore une réconciliation et ne voulait pas que, dans un combat, l’État, se blessant lui-même, subît les dernières nécessités et que le fer décidât de l’issue. Il fit admettre à Pompée et à son conseil des résolutions inspirées de ces principes : on ne saccagerait pas une ville sujette des Romains et on ne tuerait pas un citoyen romain hors d’une bataille. Ces décisions valurent une bonne réputation au parti de Pompée et lui attirèrent l’adhésion de bien des gens, gagnés par cette clémence et cette douceur.

LIV. Envoyé en Asie pour aider ceux qui là-bas rassemblaient des vaisseaux et une armée, il y emmena Servilie sa soeur et l’enfant qu’elle avait eu de Lucullus. Car elle le suivait depuis son veuvage, et elle essuya bien des imputations relatives à la liberté de ses moeurs, en se mettant sous la garde de Caton, en partageant sa vie ordinaire et son régime sévère. Mais César, même à son propos, n’a épargné aucune calomnie à Caton.

Par ailleurs, les généraux de Pompée n’eurent, semble-t-il, aucun besoin de Caton. Il gagna encore les Rhodiens par la persuasion, et, laissant chez eux Servilie avec son petit enfant, il retourna près de Pompée, qui avait désormais autour de lui une brillante armée de terre et de mer. C’est là surtout que les intentions de Pompée s’accusèrent nettement. Il avait eu l’intention de confier à Caton le commandement des vaisseaux ; et ceux de guerre n’étaient pas moins de cinq cents ; les bâtiments légers, éclaireurs, barques non pontées, étaient en très grand nombre. Mais bien vite il comprit et fut informé par ses amis qu’une seule idée capitale inspirait toute la politique de Caton, l’affranchissement de la patrie, et que, maître d’une force aussi grande que la flotte, il demanderait, le jour même où l’on aurait vaincu César, que Pompée déposât aussi les armes et obéît aux lois. Il se ravisa donc, bien qu’il eût déjà parlé de cette mesure à Caton, et nomma Bibulus amiral. Cependant il n’eut pas lieu de s’apercevoir que, pour autant, le zèle de Caton se fût ralenti à son égard. Et même, dit-on, lors d’un combat devant Dyrrachium, comme Pompée exhortait ses troupes et que, par son ordre, chacun des autres chefs les encourageait à tour de rôle, les hommes écoutaient nonchalamment et en silence. Mais Caton, qui parla le dernier de tous, dit tout ce que comportait la circonstance en fait de réflexions philosophiques. Il discourut avec passion sur la liberté, la vertu, la mort et la gloire. À la fin il recourut à l’invocation des dieux, qu’il représenta planant sur le champ de bataille et témoins du combat livré pour la patrie. Il y eut alors de telles acclamations et un tel mouvement d’enthousiasme dans l’armée que tous les officiers coururent au péril pleins d’espérance. Ils défirent l’ennemi et le dominèrent, mais la bonne fortune de César rendit leur victoire imparfaite. Ce qui les empêcha de la compléter fut aussi la circonspection de Pompée et sa défiance du succès. Je l’ai écrit dans la Vie de Pompée [144] . Tout le monde pourtant se réjouissait de cet exploit et le glorifiait, sauf Caton, qui pleurait sur la patrie et regrettait l’ambition ruineuse et fatale, dont beaucoup de bons citoyens étaient victimes : il gémissait en les voyant tomber les uns sur les autres.

LV. Lorsque Pompée, poursuivant César en Thessalie, leva le camp, laissant à Dyrrachium une quantité d’armes et de provisions, et aussi beaucoup de ses parents et de ses amis, il nomma Caton chef et gardien de tout, avec quinze cohortes de soldats [145] . Il montrait à la fois, de cette façon, la confiance et la crainte que lui inspirait ce grand homme. Car, s’il était vaincu, Caton, il le savait, serait le plus fidèle de tous les dépositaires ; mais, s’il était victorieux, la présence de Caton à ses côtés l’empêcherait de pratiquer la politique de ses rêves. Beaucoup d’autres personnages en vue furent confinés à Dyrrachium avec Caton. Après la défaite de Pharsale [146] , Caton arrêta ses résolutions. Si Pompée était mort, il ferait passer ses compagnons en Italie, et lui-même irait vivre en exil, le plus loin possible de la tyrannie. Si Pompée avait la vie sauve, il lui garderait à tout prix son armée. Il passa donc à Corcyre [Corfou], lieu de mouillage de la flotte. Il voulut alors céder le commandement à Cicéron, qui était un personnage consulaire, n’étant, lui, qu’ancien préteur ; mais Cicéron refusa et s’embarqua pour l’Italie. Et voyant que Cnaeus Pompée [147] , sous le coup d’une présomption et d’un orgueil inopportuns, voulait châtier les déserteurs et allait en premier lieu porter la main sur Cicéron, il le réprimanda en particulier et l’adoucit, de façon qu’il sauva littéralement la vie au grand orateur et assura l’impunité aux autres.

LVI. Conjecturant que le grand Pompée chercherait à se réfugier en Égypte ou en Libye, il fit diligence pour le rejoindre et s’embarqua avec tous ses hommes. Mais, avant de prendre la mer, il permit de partir et de rester en arrière à tous ceux qui faisaient la campagne sans enthousiasme. Ayant touché l’Afrique, il rencontra, en longeant la côte, Sextus, le plus jeune des fils de Pompée [148] , qui lui apprit la mort de son père en Égypte. Tout le monde en fut affligé ; mais, Pompée disparu, nul ne voulut, quand Caton était là, entendre seulement parler d’un autre général. Aussi Caton, plein de respect et de pitié pour des hommes de coeur qui avaient donné la preuve de leur fidélité, aurait-il rougi de les abandonner seuls et sans ressources en terre étrangère. Il prit le commandement et alla jusqu’à Cyrène, dont les habitants l’accueillirent, alors qu’ils avaient, peu de jours auparavant, fermé leurs portes à Labiénus [149] . Informé alors que Scipion, le beau-père de Pompée, avait été recueilli par le Roi Juba [150] , et qu’Attius Varus [151] , nommé par Pompée gouverneur de Libye, était avec eux et disposait d’une force armée, il partit à pied, en hiver, menant à sa suite beaucoup d’ânes qui portaient de l’eau, et beaucoup de bétail. Il avait en outre des chars et de ces spécialistes nommés psylles, qui guérissent les morsures des serpents en tirant le venin avec leur bouche ; de plus, par leurs incantations, ils engourdissent et charment les serpents eux-mêmes. Pendant tout le voyage, qui dura sept jours consécutifs, il marcha en tête, sans se servir de cheval ni de bêtes de somme. Il prenait ses repas assis depuis qu’il avait appris la défaite de Pharsale, et il ajouta à ses autres marques de deuil l’habitude de ne se coucher que pour dormir [152] . Après avoir achevé l’hiver en Libye, il emmena son armée, dont l’effectif se montait à près de dix mille hommes.

LVII. Les affaires allaient mal pour Scipion et Varus par suite du conflit qui les opposait et les forçait de s’insinuer dans les bonnes grâces de Juba [153] . Ce Prince était insupportable par sa hauteur et l’orgueil que lui inspiraient sa richesse et sa puissance. C’est ainsi qu’au moment de donner sa première audience à Caton, il fit placer son propre siège entre celui de Caton et celui de Scipion. Mais quand Caton s’en aperçut, il prit le sien et le porta de l’autre côté, mettant de la sorte Scipion au milieu, bien que ce personnage fût son ennemi et eût même fait paraître un livre où il était attaqué. On ne lui tient pourtant aucun compte de cela ; mais qu’en Sicile, au cours d’une promenade, il ait placé Philostrate [154] au milieu en l’honneur de la philosophie, on le lui reproche. Pour en revenir à son attitude en Libye, il força Juba de ne pas transformer davantage en satrapes à sa solde Scipion et Varus, et il les réconcilia. Tout le monde désirait qu’il prît le commandement ; Scipion et Varus les premiers voulaient s’en désister à son profit. Mais il déclara qu’il ne violerait pas les lois dans une guerre dirigée contre leur destructeur, et qu’étant propréteur, il ne commanderait pas en présence d’un proconsul. Car Scipion avait reçu ce titre, et son nom inspirait confiance à la plupart des soldats, qui pensaient que l’on aurait le succès si un Scipion commandait en Afrique [155] .

LVIII. Néanmoins, comme Scipion, dès sa prise de commandement, voulait, pour complaire à Juba, faire mourir les habitants d’Utique [156] d’âge militaire et raser la ville, qui était du parti de César, Caton ne le supporta pas. Il protesta, se récria dans le conseil et prit les dieux à témoin. Il put ainsi, mais avec peine, arracher ces malheureux à la cruauté de Scipion et de Juba. Enfin, tant sur la prière des habitants qu’à la demande de Scipion, il accepta de garder la ville pour éviter que, de gré ou de force, elle se ralliât à César. La place était à tous égards une position avantageuse et qui pouvait suffire aux besoins de ses occupants ; mais Caton en accrut encore les ressources. Il y introduisit du blé en quantité extraordinaire, mit les murs en état de défense, éleva des tours et creusa devant la ville des tranchées profondes, protégées par des palissades. Il cantonna les hommes d’âge militaire dans les retranchements, après s’être fait livrer leurs armes. Il renferma les autres personnes dans la ville, en veillant avec fermeté à ne pas les laisser exploiter ou maltraiter par les Romains. Il envoya au camp des armes en quantité, de l’argent et des vivres ; et, en somme, il fit d’Utique le grenier de la guerre. Comme il avait fait auparavant pour Pompée, il conseillait à Scipion de ne pas combattre contre un capitaine versé dans la stratégie, mais d’employer contre César le temps, qui dessèche peu à peu la sève de la tyrannie. Ce conseil, Scipion le méprisait par présomption. Une fois même, il écrivit à Caton pour lui reprocher sa lâcheté : « Non content, disait-il, de te tenir coi dans une ville, à l’abri des remparts, tu ne laisses même pas les autres appliquer courageusement leurs plans quand l’occasion s’en présente. » À cela, Caton répondit qu’il était prêt à repasser en Italie avec les fantassins et les cavaliers qu’il avait conduits lui-même en Afrique, pour forcer César à changer de direction et l’attirer sur lui en l’écartant de Scipion et de Varus. Mais comme Scipion raillait encore cette proposition, il fut tout à fait évident que Caton éprouvait du chagrin de lui avoir cédé le commandement, puisque Scipion ne saurait pas faire la guerre, et que si, contre toute attente, il remportait la victoire, il n’aurait pas le triomphe modeste à l’égard de ses concitoyens. Aussi Caton était-il d’avis, et il ne le cachait pas à ses familiers, qu’on ne pouvait espérer une heureuse issue de la campagne, en raison de l’inexpérience et de la témérité des chefs. Si toutefois la fortune leur souriait et qu’ils abattissent César, lui-même ne resterait pas à Rome et fuirait au contraire la dureté et l’amertume de Scipion qui dès lors se livrait à des menaces terribles et hautaines contre beaucoup de monde. L’issue de la lutte fut plus prompte qu’il ne s’y attendait. Un soir, fort tard, il arriva un homme, parti du camp trois jours avant, pour annoncer qu’une grande bataille ayant eu lieu à Thapsus [157] , le désastre était complet, que César occupait les camps [158] , que Scipion et Juba s’étaient échappés avec peu de gens et que le reste de l’armée avait péri.

LIX. Ces nouvelles arrivant à l’improviste, la ville, comme il était naturel la nuit et en temps de guerre, devint, peu s’en faut, hors de sens quand elle les apprit ; et la foule avait peine à se contenir au-dedans des murs. Mais Caton sortit ; et, à mesure qu’il rencontrait des gens qui couraient en criant, il abordait chaque groupe, et, par ses consolations, il apaisait le trouble et ramenait la crainte à des proportions raisonnables. « Le mal, disait-il, n’est peut-être pas si grand qu’on l’affirme ; il y a, dans ce qu’on raconte, beaucoup d’exagération. » Par de tels propos, il arrêta le désordre sur le moment. Au lever du jour, il fit convoquer par le héraut, dans le temple de Jupiter, les Trois Cents, qui formaient son conseil et qui étaient Romains, mais s’occupaient en Libye d’affaires de commerce ou de banque. Il convoqua aussi tous les sénateurs présents à Utique, avec leurs enfants. L’assemblée n’était pas encore au complet quand il s’avança sans marquer d’agitation et avec autant de sang-froid que si rien de nouveau ne se fût produit. Il tenait à la main un livret qu’il lisait : c’était l’état des ressources dont il disposait pour la guerre, armes, vivres, arcs, fantassins. Quand tout le monde fut là, il s’adressa d’abord aux Trois Cents, et, faisant un long éloge de leur zèle et de la fidélité dont témoignaient les grands services rendus par la contribution de leur argent, de leurs personnes et de leurs conseils, il les exhortait à ne pas ruiner leurs espérances communes, en cherchant chacun à s’assurer une fuite individuelle ou une évasion. Car, s’ils restent groupés au même endroit, en cas de guerre, César les méprisera moins, et il les épargnera davantage en cas de soumission. Il les engageait à décider eux-mêmes de leur conduite, résolu à ne leur faire de reproches dans aucun des deux cas. S’ils se tournaient du côté de la fortune, il attribuerait ce changement à la nécessité ; s’ils résistaient au malheur et acceptaient le combat pour la liberté, non seulement il les en louerait, mais il admirerait leur courage et se mettrait à leur disposition comme chef et compagnon d’armes jusqu’au moment où ils auraient soumis à l’épreuve finale le destin de la patrie. Or, cette patrie n’était pas Utique, ni Hadrumète [159] , mais Rome, qui, par sa grandeur, s’était tirée d’échecs plus pénibles. Ils avaient bien des chances dans leur combat pour le salut et la sûreté ; et la plus grande était de combattre contre un homme que les circonstances tiraillaient de bien des côtés à la fois, l’Espagne s’étant ralliée à Pompée le Jeune, et Rome elle-même, faute d’habitude, n’ayant pas tout à fait accepté le frein ; au contraire, indignée, elle se dressait contre tout changement politique. Et il ne fallait pas fuir le péril, mais suivre les leçons de l’ennemi, qui n’épargnait pas sa vie, et pourquoi ? Pour commettre les plus grandes injustices ! Encore n’avait-il pas, comme eux, la perspective d’en finir, une fois pour toutes, avec les incertitudes de la guerre, qui aboutirait, en cas de succès, à la vie la plus heureuse, en cas d’échec, à la plus glorieuse des morts. Cependant, il déclara que les Trois Cents devaient délibérer entre eux et il émit le voeu qu’en récompense de leur courage et de leur zèle antérieurs, leurs résolutions fussent conformes à leur intérêt.

LX. Après ce discours de Caton, il y eut bien des gens entraînés par son éloquence à prendre courage ; mais la plupart, devant son intrépidité, sa noblesse et son humanité, oublièrent, peu s’en faut, la situation présente et, le considérant comme le seul chef invincible et supérieur à toutes les fatalités, le prièrent d’employer à son gré leurs personnes, leur argent et leurs armes ; car il valait mieux mourir en lui obéissant que de se sauver en trahissant une vertu comme la sienne. Comme un conseiller émettait l’avis d’accorder par un vote la liberté aux esclaves, la plupart des assistants approuvèrent cette proposition. Mais Caton déclara qu’il ne ferait pas cela, car la mesure n’était ni légale, ni juste ; si toutefois les maîtres, d’eux-mêmes, affranchissaient leurs esclaves, il admettrait dans l’armée ceux qui seraient d’âge militaire. Beaucoup d’engagements furent pris dans ce sens. Il fit enregistrer les noms des maîtres qui voulaient affranchir leurs esclaves et se retira.

Peu après, lui vinrent des lettres de Juba et de Scipion. Juba, caché dans la montagne avec une faible suite, demandait ce que Caton avait résolu de faire : il l’attendrait si Caton abandonnait Utique ; et, si on l’assiégeait, il viendrait à son secours avec une armée. Scipion, à l’ancre sous un promontoire, non loin d’Utique, attendait de même la décision de Caton.

LXI. Caton résolut donc de retenir les messagers jusqu’au moment où il serait sûr de l’attitude des TroisCents. Car les membres du Sénat romain étaient pleins de zèle ; et, affranchissant sur-le-champ leurs esclaves, ils les armaient ; mais quant aux Trois Cents, comme c’étaient des navigateurs et des financiers, dont le plus clair de la fortune consistait dans leurs esclaves, les discours de Caton ne leur firent pas une longue impression et leur sortirent bientôt de l’idée. Les corps mous reçoivent facilement la chaleur et la perdent ensuite ; quand on emporte le feu, ils se refroidissent. Il en fut à peu près de même pour ces gens-là. Caton, quand ils le voyaient, les enflammait et les échauffait. Mais, quand ils se donnèrent la parole à eux-mêmes, la crainte de César les arracha à leur respect pour Caton et l’honneur. « Qui sommes-nous en effet, disaient-ils, et de qui refusons-nous d’exécuter les ordres ? N’est-ce pas de ce César entre les mains duquel se trouve concentrée toute la force des Romains ? Aucun de nous n’est un Scipion, ni un Pompée, ni un Caton. Et dans un temps où tous les hommes, dominés par la peur, ont des sentiments d’une indigne bassesse, nous irions, pour défendre la liberté des Romains, faire d’Utique la guerre à un homme à qui Caton, en s’enfuyant avec le grand Pompée, a cédé l’Italie ? Affranchir des esclaves pour lutter contre lui, nous qui n’avons de liberté qu’autant qu’il nous en veut laisser ! Mais il est encore temps, malheureux que nous sommes, de nous connaître nous-mêmes : fléchissons le vainqueur et envoyons une délégation pour le supplier ! »

Tels étaient les conseils des plus modérés d’entre les Trois Cents. Mais la plupart allaient plus loin et conspiraient contre les sénateurs, pensant que, si on les arrêtait, on apaiserait la colère de César contre Utique.

LXII. Caton soupçonnait ce changement mais il ne s’en éclaircit pas. Néanmoins il écrivit à Scipion et à Juba de s’éloigner d’Utique, à cause de sa défiance des Trois Cents, et renvoya leurs messagers porteurs de cette réponse. Cependant les cavaliers qui avaient échappé au massacre, en nombre appréciable, marchaient sur Utique. Ils expédiaient à Caton trois hommes qui n’apportaient pas l’expression d’un voeu unanime. Car les uns songeaient à se rendre auprès de Juba ; les autres, à rejoindre Caton ; d’autres enfin avaient peur d’entrer dans Utique. En apprenant cela, Caton donna l’ordre à Marcus Rubrius d’avoir l’oeil sur les Trois Cents et de recevoir tranquillement les inscriptions de ceux qui affranchissaient les esclaves, sans les y contraindre. Lui-même, prenant avec lui les sénateurs, sortit d’Utique pour s’aboucher avec les chefs de la cavalerie. Il leur demanda de ne pas sacrifier tant de sénateurs de Rome et de ne pas choisir Juba pour général au lieu de Caton, mais de se sauver en commun et de sauver les autres en entrant dans une ville qu’on ne pouvait prendre de force et qui avait en réserve du blé et les autres vivres nécessaires pour un grand nombre d’années. Les sénateurs leur firent aussi cette prière les larmes aux yeux, et les officiers allèrent parlementer avec leurs hommes. Caton, assis sur un tertre avec les sénateurs, attendait la réponse.

LXIII. Là-dessus arriva Rubrius. Il dénonçait avec colère beaucoup de désordre et d’agitation chez les Trois Cents, qui faisaient défection et bouleversaient la ville. Cette nouvelle désespéra les sénateurs, qui tombèrent dans les larmes et les gémissements. Caton seul s’efforçait de les encourager, et il envoya aux Trois Cents un appel à la persévérance. Les intermédiaires qu’on avait dépêchés à la cavalerie revinrent, porteurs d’injonctions excessives : les cavaliers déclaraient qu’ils n’avaient pas besoin de Juba pour leur donner une solde et ne redoutaient pas César, si Caton les commandait ; mais ils s’effrayaient à la pensée d’être enfermés avec les gens d’Utique, Phéniciens inconstants. Car, si ces fourbes montraient déjà de l’audace, à plus forte raison, César survenu, ils feraient cause commune avec lui et les abandonneraient. Si donc on avait besoin de l’assistance militaire et politique des cavaliers, il fallait chasser ou massacrer en masse la population d’Utique, et les appeler ensuite à entrer dans une ville nettoyée d’ennemis et de Barbares. Caton jugea ces conditions terriblement féroces et inhumaines ; mais il répondit doucement qu’il s’entendrait avec les Trois Cents. De retour en ville, il trouva leur attitude changée. Ils ne se contraignaient plus, par déférence pour lui, à imaginer des prétextes et des faux-fuyants. Ils étalaient leur mauvaise humeur et proféraient des menaces pour le cas où l’on voudrait les forcer à faire la guerre à César, quand ils ne le pouvaient, ni ne le voulaient. Quelques-uns même insinuaient qu’il fallait détenir les sénateurs dans Utique, en attendant l’arrivée de César. Cette allusion, Caton la laissa passer comme s’il n’eût pas entendu ; et en effet il était un peu dur d’oreille. Mais quand on vint lui annoncer que les cavaliers décampaient, il craignit que les Trois Cents ne prissent contre les sénateurs des résolutions tout à fait désespérées. Il se leva donc et partit avec ses amis. Voyant que les cavaliers avaient déjà pris de l’avance, il monta lui-même à cheval et s’élança sur leurs traces. Ils le virent avec joie s’approcher, lui firent bon accueil et l’engagèrent à se sauver avec eux. Alors, dit-on, Caton se mit à pleurer en les suppliant pour les sénateurs, les mains étendues. Il y en eut même quelques-uns aux chevaux desquels il fit tourner bride et dont il saisissait les armes. Tant et si bien qu’il obtint que la cavalerie resterait au moins ce jour-là pour assurer la fuite des sénateurs.

LXIV. De retour en ville avec les cavaliers, il plaça les uns aux portes et donna aux autres la citadelle à garder. Les Trois Cents craignirent alors de recevoir le châtiment de leur volte-face ; et ils envoyèrent prier Caton de venir les trouver à tout prix. Mais les sénateurs bouleversés ne toléraient pas cette prétention ; ils déclarèrent qu’ils n’abandonneraient pas leur tuteur et leur sauveur aux hommes sans foi et aux traîtres. Car à ce moment, semble-t-il, régnait un sentiment très net, une affection et une admiration passionnées pour Caton, égales chez toutes les personnes présentes à Utique, parce qu’il n’y avait absolument rien de faux ni de trompeur dans sa conduite. Depuis longtemps ce grand homme était résolu à se tuer ; mais il se donnait de terribles peines ; ses préoccupations et ses angoisses allaient aux autres, car il se demandait comment faire pour les mettre tous en sûreté avant de quitter la vie. On pouvait constater son inclination à mourir, quoiqu’il ne l’avouât pas. À ce moment donc il répondit à l’appel des Trois Cents, après avoir réconforté les sénateurs ; et il vint seul auprès d’eux. Il les trouva confessant leur reconnaissance envers lui et le priant de les employer en tout, la guerre exceptée, et d’avoir confiance en eux, mais, s’ils n’étaient pas des Caton et n’entraient pas dans ses pensées élevées, de prendre en pitié leur faiblesse. Décidés à implorer César et à lui envoyer une délégation, c’est surtout et en premier lieu pour Caton qu’ils intercéderaient ; mais s’ils n’arrivaient pas à persuader le vainqueur, ils n’accepteraient pas même la grâce qu’on leur offrirait, et, jusqu’à leur dernier souffle, combattraient pour Caton. Il répondit à cela, tout en louant leur dévouement, qu’il fallait, en vue de leur propre salut, envoyer en toute hâte une députation à César, mais ne pas l’implorer pour lui ; car aux vaincus revenait la prière, et aux coupables les tentatives pour fléchir la justice ; or lui, Caton, n’était pas seulement resté toute sa vie sans subir de défaite, mais encore il était vainqueur à présent dans la mesure où il le voulait, et il dominait César sur le terrain de l’honneur et du droit. C’était César le criminel pris sur le fait et le vaincu ; car l’attentat contre la patrie dont il se déclarait autrefois innocent, il en était à présent reconnu coupable, et l’on constatait le flagrant délit.

LXV. Après cet échange de vues avec les Trois Cents, il s’en alla ; et, apprenant que César était déjà en route à la tête de toute son armée, il dit : « Tiens ! il marche sur nous comme si nous étions des hommes ! » Et, se tournant vers les sénateurs, il les invitait à ne pas tarder et à profiter du temps où les cavaliers partaient pour se sauver. Il fit fermer toutes les portes, sauf une seule, qui donnait sur la mer, partagea les embarcations entre ses subordonnés et veilla au bon ordre, arrêtant les sévices, dissipant les troubles, et munissant de provisions ceux qui étaient dans le besoin. Quand Marcus Octavius [160] , à la tête de deux légions, vint camper auprès de la ville et lui envoya demander de régler le partage du pouvoir entre eux, il ne lui fit rien répondre et dit à ses amis : « Et nous nous étonnons que notre cause soit perdue, quand nous voyons l’ambition subsister chez nous même dans le désastre ! »

À ce moment, apprenant que les cavaliers, en partant, pillaient déjà les biens des habitants d’Utique comme un butin de guerre, il courut à eux et enleva leur prise aux premiers sur lesquels il tomba. Alors chacun des autres se hâta de jeter son butin à terre, et tous, saisis de honte, s’en allèrent en silence, la tête basse. Caton, lui, réunissant les habitants d’Utique dans la ville, les pria pour les Trois Cents. Il leur demanda de ne pas exciter César contre ceux-ci, et, au contraire, de faire cause commune avec eux pour les sauver. Ensuite, se tournant vers la mer, il surveilla les embarquements. Il embrassait et il escortait tous ceux de ses amis et de ses hôtes qu’il avait pu déterminer à fuir. Quant à son fils, il ne put le décider à prendre un bateau, et, il ne croyait pas devoir repousser un enfant qui s’attachait à son père. Il y avait là un certain Statyllius, qui était jeune, mais voulait paraître énergique et imiter l’impassibilité de Caton. Le grand homme lui demandait de partir ; et, en effet, c’était un ennemi déclaré de César. Mais, comme il s’y refusait, Caton, jetant un regard à Apollonide le Stoïcien et à Démétrios le Péripatéticien, leur dit : « C’est à vous d’aplatir cet être enflé d’orgueil et de le diriger dans le sens de son intérêt. » Lui-même continua d’accompagner les partants ; et, donnant audience à ceux qui le demandaient, il passa dans cette occupation la nuit et la majeure partie du jour suivant.

LXVI. Lucius César, parent de l’autre César, devait aller en mission auprès de lui de la part des Trois Cents. Il pria Caton de lui préparer un discours convaincant, dont il se servirait en leur faveur : « Car pour toi-même, dirait-il, ce sera beau à mes yeux de prendre les mains de César et de tomber à ses genoux ! » Caton ne lui permit pas d’agir ainsi : « Moi, disait-il, si je voulais être sauvé par la clémence de César, je n’aurais qu’à l’aller trouver. Mais je ne veux pas avoir d’obligation au tyran pour ses illégalités. Or il commet une illégalité en sauvant la vie à des gens sur lesquels il n’a aucun droit, comme s’il était leur maître. Malgré tout, examinons ensemble, si tu veux, comment tu pourras obtenir la grâce des Trois Cents. » Il s’occupa de cette affaire avec Lucius, et, au départ de celui-ci, il lui recommanda son fils et ses amis intimes. Il l’accompagna, lui serra la main, puis revint chez lui, et, rassemblant son fils et ses amis, entre autres sujets qu’il aborda, il défendit au jeune homme de se mêler de politique ; car la situation ne permettait plus qu’il le fît d’une façon digne de Caton ; et s’en occuper dans un autre sens serait honteux. Vers le soir, il alla au bain. Pendant qu’il se baignait, il se souvint de Statyllius, et se mit à crier : « Tu as donc pu renvoyer Statyllius, Apollonide, en le faisant tomber du haut de son orgueil ? Et il a pris la mer sans même nous dire adieu ! » − Comment ? dit Apollonide. Nous avons eu beau causer longuement : il reste hautain, inébranlable ; il déclare qu’il ne bouge pas et fera ce que tu feras. » Là-dessus, Caton, paraît-il, eut un sourire et dit : «Allons ! C’est ce qu’on verra tout à l’heure ! »

LXVII. Après son bain, il soupa avec beaucoup de convives, assis, comme il en avait l’habitude depuis la bataille de Pharsale ; car il ne se couchait plus que pour dormir. Avec lui soupaient tous ses familiers et les magistrats d’Utique. Après dîner, la partie de boisson comporta beaucoup de propos littéraires et pleins d’agrément. Les discussions philosophiques se succédèrent jusqu’au moment où l’on vint à parler des paradoxes stoïciens, et notamment de cette opinion que l’homme de bien est seul libre et que tous les méchants sont esclaves. Alors, comme de juste, le péripatéticien fit des objections. Caton lui donna la réplique avec violence, et, accentuant ses déclarations par l’énergie du ton et la rudesse de la voix, il poussa fort loin son développement. Son langage fut admirable, et nul ne put ignorer qu’il était décidé à mettre fin à sa vie pour s’affranchir des maux présents. Aussi comme, après son discours, le silence et l’abattement se faisaient chez tous les convives, Caton les réconforta et éloigna leurs soupçons en posant des questions sur les affaires du moment. Il exprima ses inquiétudes sur le sort de ceux qui s’étaient embarqués, et aussi de ceux qui, prenant la voie de terre, auraient à traverser un pays désert, barbare et sans eau.

LXVIII. Ayant ainsi congédié la compagnie, il fit avec ses amis sa promenade habituelle après dîner et donna aux officiers de garde les consignes de circonstance. Puis il alla dans sa chambre, après avoir embrassé et caressé son fils et ses amis plus tendrement que de coutume, ce qui leur fit à nouveau soupçonner ses intentions. Entré dans sa chambre, il se coucha et prit en main celui des dialogues de Platon qui traite de l’âme [161] . Il parcourut la plus grande partie du livre ; et, regardant au-dessus de sa tête, comme il ne vit pas son épée suspendue, (car son fils l’avait enlevée pendant qu’il était encore à table), il appela un esclave et lui demanda qui l’avait prise. Comme l’autre se taisait, il reprit le livre ; et, au bout d’un moment, sans hâte et comme s’il n’était pas pressé, mais cherchait simplement son épée, il ordonna de la lui apporter. Il s’écoula du temps, et personne ne l’apportait. Il acheva sa lecture ; puis il appela ses esclaves un à un, et, élevant la voix, il réclamait son épée. Il y en eut même un qu’il frappa sur la bouche à coups de poing, assez fort pour s’ensanglanter la main. Il témoignait de la colère et criait maintenant qu’il était livré sans armes à l’ennemi par son propre fils et ses serviteurs. À la fin, son fils en pleurs accourut avec ses amis, et, tombant dans ses bras, se mit à gémir et à l’implorer. Alors, Caton se leva et lui jeta un regard terrible en disant : « Quand donc et où ai-je été convaincu de folie, puisque personne ne cherche à me montrer mon erreur, ni à me dissuader des mauvaises résolutions que l’on m’accuse d’avoir prises ? Et pourtant, on m’empêche de conformer ma conduite à mes propres raisonnements, et l’on me désarme ! Pourquoi donc, généreux enfant, n’enchaînes-tu pas ton père, et ne lui lies-tu pas les mains derrière le dos, afin que César, à son arrivée, me trouve incapable de lui résister ? Car je n’ai même pas besoin d’une épée pour me frapper. Soit en retenant mon souffle un moment, soit en heurtant une seule fois ma tête contre le mur, j’ai le moyen de mourir ».

LXIX. Là-dessus le jeune homme sortit en pleurant, et tous les autres le suivirent, sauf Démétrios et Apollonide, qui restèrent avec Caton. Il prit avec eux un ton plus doux et leur dit : « Vous aussi, êtes-vous décidés à retenir de force dans la vie un homme de mon âge et à l’épier en silence, ou bien êtes-vous venus m’apporter la démonstration en règle qu’il n’est ni indigne, ni honteux que Caton, faute d’un autre moyen de salut, escompte la clémence du vainqueur ? Pourquoi donc ne cherchez-vous pas à m’en persuader ? Ce serait, il est vrai, démentir votre enseignement ; mais ainsi, reniant ces opinions d’autrefois et ces doctrines dans lesquelles nous avons vécu, et devenus plus sages grâce à César, nous lui créerions un nouveau titre à notre reconnaissance ? Et cependant je n’ai rien décidé sur mon sort ; mais il faut qu’après avoir délibéré je sois maître d’appliquer ma résolution. Or je délibérerai en quelque sorte avec vous-mêmes ; car j’invoquerai les arguments, dont vous vous serviez en philosophant. Prenez donc courage, et allez dire à mon fils de ne pas exiger de son père par la force ce qu’il ne peut lui persuader. »

LXX. À cela, Démétrios et son ami ne répondirent rien ; ils sortirent en pleurant. On lui envoya son épée par un petit enfant ; il la prit, la tira et l’examina. Voyant la pointe droite et le tranchant en bon état, il dit : « Maintenant, je m’appartiens ! » posa l’épée et reprit son livre, qu’il lut, dit-on, deux fois en entier. Ensuite, il s’endormit d’un sommeil profond, dont les gens qui étaient hors de sa chambre s’aperçurent [162]  ; vers minuit, i! appela deux de ses affranchis, Cléanthe, son médecin, et Butas, qu’il employait surtout pour les négociations politiques. Il l’envoya sur le port se rendre compte si tous les voyageurs étaient en route, afin de l’en informer ; et il fit panser par le médecin sa main, enflée du coup qu’il avait porté à l’esclave. Cela donna de la joie à toute la maison, qui le crut disposé à vivre. Au bout d’un moment, Butas revint annoncer que tout le monde était parti, sauf Crassus, retenu par un empêchement, mais qui allait s’embarquer aussi. Il ajouta qu’une violente tempête et un grand vent se déchaînaient sur la mer. À cette nouvelle Caton poussa un soupir, qui montrait son inquiétude sur le sort des passagers ; et il renvoya Butas sur le bord de la mer pour voir si personne n’avait été rejeté à la côte et n’était en peine, faute d’un secours indispensable ; auquel cas il faudrait l’en aviser. Déjà les oiseaux chantaient, et il se rendormit pour quelque temps. Butas, étant de retour, lui apprit qu’il régnait un grand calme sur le port. Caton lui dit de fermer la porte et se recoucha comme pour reposer encore le reste de la nuit. Butas une fois sorti, il tira l’épée et se l’enfonça dans la poitrine ; mais, comme il se servit de sa main avec moins de vigueur à cause de son enflure, il ne se tua pas sur le coup. Il avait de la peine à mourir. Il tomba de son lit et fit du bruit en renversant un tableau de figures géométriques placé auprès. Aussi les serviteurs, qui s’en aperçurent, poussèrent-ils de grands cris ; et son fils et ses amis entrèrent tout de suite. En le voyant tout souillé de sang et presque toutes ses entrailles tombées à terre, mais respirant encore et les yeux ouverts, tous furent épouvantés, et le médecin qui survint tentait de remettre en place les entrailles restées indemnes, et de refermer la plaie. Mais lorsque Caton, reprenant ses sens, s’aperçut de cette tentative, il repoussa le médecin, déchira ses entrailles de ses mains, et, rouvrant sa blessure, il mourut.

LXXI. À un moment où personne n’aurait cru que les gens de la maison fussent tous informés du drame, les Trois Cents étaient déjà aux portes de Caton, et, peu après, le peuple d’Utique se trouvait rassemblé. D’une seule voix ils appelaient Caton leur bienfaiteur et leur sauveur, le seul homme libre et le seul invincible. Et ils le faisaient à l’annonce de l’approche de César ; mais ni la crainte, ni le souci de flatter le vainqueur, ni leurs conflits et leurs divisions n’amoindrirent leur déférence pour Caton. Ils parèrent son corps splendidement, lui firent un convoi magnifique, et l’ensevelirent près de la mer, où maintenant encore se dresse une statue de lui, l’épée à la main. C’est alors seulement qu’ils pourvurent à leur salut et à celui de la ville.

LXXII. César, en apprenant des transfuges que Caton restait à Utique au lieu de s’enfuir, et qu’il renvoyait les autres tout en continuant lui-même, sans trembler, sa vie habituelle avec ses amis intimes et son fils, jugeait les intentions du grand homme difficiles à démêler et, comme il faisait de lui le plus grand cas, il se pressait d’avancer avec son armée. Quand il apprit le suicide, il dit seulement, à ce qu’on rapporte : « Caton, je t’envie ta mort ; et toi, tu m’as envié ton salut ! » Car, en réalité, si Caton avait accepté d’être sauvé par César, il n’eût pas tellement terni sa propre gloire que rehaussé celle du vainqueur. Mais qu’aurait fait celui-ci ? On l’ignore. On aime mieux tout de même supposer de la part de César le parti le plus clément.

LXXIII. Caton mourut à l’âge de quarante-huit ans [163] . Son fils n’eut aucun mauvais traitement à subir de la part de César ; mais on dit qu’il était mou et ne fut pas irréprochable sous le rapport des femmes. En Cappadoce, il reçut l’hospitalité d’un certain Marphadate, de la famille royale [164] , qui avait une belle femme ; et il séjourna auprès d’eux plus longtemps que la morale ne le permettait. Il s’attira les plaisanteries de gens qui écrivaient à son sujet :

 « Caton part demain... dans trente jours ! » Et encore : « Porcius et Marphadate, deux amis : une seule âme ! » Car la femme de Marphadate s’appelait Psyché (Âme). Et enfin : « Caton est noble et brillant ; il a une âme royale ! » Mais il effaça et anéantit tout le souvenir de cette infamie par sa mort. Car, comme il combattait à Philippes contre César [Octave] et Antoine pour la liberté et que le gros de l’armée pliait, il ne daigna ni fuir, ni se cacher. Pour défier les ennemis, il se mit en évidence au premier rang et, dans ses efforts pour entraîner ceux qui tenaient encore bon, il tomba, donnant son courage à admirer aux adversaires. Plus beau fut encore l’exemple de la fille de Caton. Elle ne manqua ni de sagesse, ni de vaillance. C’était la femme de Brutus, le meurtrier de César. Elle participa au complot et sacrifia sa vie d’une façon digne de sa naissance et de sa vertu, comme je le dis dans la Vie de Brutus. Quant à Statyllius, qui avait affirmé qu’il imitait Caton en tout, il fut alors empêché par les philosophes de se tuer comme il le voulait ; mais plus tard, il se montra très fidèle et très utile à Brutus, et il mourut à Philippes.



[1] Cf. Vie de Caton l’Ancien.

[2] Quintus Servilius Caepio, fils du second mari de la mère de Caton.

[3] Servilie, fille de Cépion, mariée successivement à Marcus Junius Brutus et à Decimus Junius Silanus. Elle avait une soeur du même nom, qui épousa Lucullus.

[4] Marcus Livius Drusus (7-91 av. J.-C.). Malgré sa naissance, il fut un agitateur populaire. Tribun de la plèbe en 91, il inquiéta le Sénat et fut assassiné. Comme il avait promis le droit de cité aux alliés, sa mort déchaîna la guerre sociale.

[5] Leur agitation avait été favorisée par la maladresse des consuls de 95, qui allèrent jusqu’à les expulser de Rome.

[6] Chef des Marses. Il fut défait et tué par Métellus Pius en 88 av. J.-C.

[7] Cf. Virgile, Enéide, V, 553, s 99. Ces jeux sont probablement antérieurs à Sylla. Leur nom venait, semble-t-il, d’un substantif archaïque, troia : évolution. Une fausse étymologie les fit rattacher à la ville de Troie.

[8] Fille de Quintus Coecilius Metellus Pius ( ?-63 av. J.-C.), consul avec Sylla en 80, et grand pontife.

[9] Personnage inconnu par ailleurs.

[10] Sylla, descendant de l’un des décemvirs sibyllins qui avaient organisé en 212 av. J.-C. les jeux Apollinaires, professait un culte particulier pour Apollon. Il se peut que, depuis sa dictature, l’éclat du sacerdoce d’Apollon ait été rehaussé.

[11] Plus de 760.000 francs-or [1950]. Plutarque paraît ignorer que Cépion n’était que le frère utérin de Caton, qui n’avait donc pas à partager avec lui.

[12] Cet exercice était pourtant habituel, et Cicéron l’a pratiqué toute sa vie.

[13] C’était la basilique la plus ancienne. Caton l’avait bâtie en 184 av. J. C. sur le Forum.

[14] Amener le numéro six aux dés s’appelait le coup de Vénus.

[15] Cette accusation aurait encore été plus invraisemblable que la première.

[16] D’une teinte analogue à celle qu’on a, par la suite, appelée le violet français.

[17] Comme faisaient les stoïciens.

[18] 556.000 francs-or [1950].

[19] Marque de désintéressement très rare alors, où le taux de l’intérêt est nettement usuraire (33 % couramment). Le vieux Caton ne se serait pas reconnu dans son descendant.

[20] Est-il bien sûr que cette générosité un peu étrange n’ait pas dissimulé quelque opération financière ?

[21] Quintus Caecilius Metellus Pius Scipio, fils de Scipion Nasica et adopté par Métellus Pius. Collègue de Pompée dans le consulat en 52 av. J.-C. Commanda l’armée pompéienne après Pharsale. Vaincu à Thapsus en 46, il se donna la mort peu après.

[22] Le procès aurait fait scandale et ne pouvait avoir de résultat, le mariage n’étant plus guère pris au sérieux alors ; à plus forte raison, les fiançailles.

[23] Les iambes sont regardés comme la forme par excellence de l’invective poétique.

[24] Archiloque de Paros (714 ?-676 ? av. J.-C.), inventeur de l’iambe, tout au moins du trimètre iambique. D’après une légende suspecte, Lycambe lui ayant refusé sa fille en dépit d’engagements antérieurs, il composa contre lui un pamphlet en vers si terrible que toute la famille se pendit de désespoir.

[25] Sextus Atilius Serranus Gavianus, questeur en 63. Tribun de la plèbe en 57, il s’opposa au rappel d’exil de Cicéron.

[26] Il y a eu deux Caius Laelius, le père et le fils, amis, l’un du premier Africain, l’autre du second. Il s’agit vraisemblablement du fils, dont l’intimité avec le second Africain a été immortalisée par Cicéron dans le De Amicitia. Il fut consul en 140.

[27] Digression absolument inutile.

[28] De 73 à 71 av. J.-C. Cf. Vie de Crassus, VIII, sqq.

[29] Lucius Gellius Publicola, consul en 72 avec Cornelius Lentulus Clodianus.

[30] Le nomenclateur est l’esclave qui indique au candidat, lors de sa tournée, le nom de chaque électeur.

[31] Cependant Cicéron, dans le Pro Murena, XXXVI, 77, reproche précisément à Caton d’avoir un nomenclateur. On saisit ici sur le vif le parti pris hagiographique de Plutarque, ou plutôt de l’historien stoïcien dont il s’inspire.

[32] Vers 67 av. J.-C.

[33] On ignore de quel membre de cette célèbre famille il s’agit.

[34] Athénodore le Bossu, né à Tarse.

[35] Il était conservateur de la bibliothèque de cette ville.

[36] Exagération oratoire. Il s’agit de la campagne contre Mithridate.

[37] Près de l’embouchure de l’Hèbre.

[38] Aujourd’hui Salonique.

[39] Thasos, île de la mer Egée, devant la côte de Thrace, en face de l’embouchure du Nestos.

[40] 44.480 francs-or [1950].

[41] César, dans son Anti-Caton. Cf. Vie de César, LIV.

[42] Déjotarus, tétrarque de Galatie, reçut en 63 du Sénat le titre de Roi comme récompense de ses services contre Mithridate. Il prit parti pour Pompée, mais César lui pardonna. Accusé par la suite de complicité dans une prétendue tentative d’empoisonnement de César, il fut acquitté après une plaidoirie de Cicéron en 45. Il mourut en 42.

[43] Ephèse, la principale des douze villes ioniennes, sur la côte de l’Asie Mineure.

[44] Voici, de ce passage, la traduction de Ricard, un peu plus compréhensible : « Mais on s’aperçut bientôt que cet accueil si distingué de Pompée venait plutôt de son estime que de son affection pour Caton, et que, s’il lui avait rendu, pendant qu’il l’avait eu chez lui, des témoignages d’admiration et de respect, il avait été bien aise de le voir partir. »

[45] Il s’agit de la troisième femme de Pompée, Mucia, qu’il répudia d’ailleurs à son retour.

[46] L’Asie a la réputation d’affiner, mais aussi d’amollir les Romains.

[47] On ignore la date de sa naissance. Dans le procès où Cicéron plaida pour lui, il eut pour accusateur son propre petit-fils qui, remarque le grand orateur, aurait dû « défendre sa vieillesse ».

[48] Vers neuf heures du matin.

[49] Pessinonte, ville importante du sud-ouest de la Galatie, célèbre surtout par son temple de Cybèle.

[50] Aujourd’hui Brindisi, en Calabre, sur l’Adriatique. La voie Appienne y aboutissait, et c’était le port habituel d’embarquement pour la Grèce et l’Asie.

[51] Il s’y présenta en 66 et l’exerça en 65.

[52] Quintus Lutatius Catulus ( ?-60 av. J.-C.), consul en 78, censeur en 65.

[53] Il n’est pas sûr que la conduite de Caton en cette affaire ait été strictement légale.

[54] 10.800 francs-or [1950].

[55] On ignore dans quelle mesure ces poursuites étaient sérieuses et à quelle peine étaient condamnés ces sicaires.

[56] 27.800 francs-or [1950].

[57] Cf. Vie de Cicéron.

[58] Cf. Vie de Cicéron.

[59] Pays borné au nord par la Campanie et le Samnium ; à l’est par l’Apulie et le golfe de Tarente, au sud par le Bruttium et à l’ouest par la mer Tyrrhénienne.

[60] Quintus Caecilius Metellus Nepos, tribun en 62, préteur en 60, consul en 57, soutint Pompée contre l’aristocratie.

[61] Depuis 457 av. J.-C. les tribuns étaient au nombre de dix.

[62] En 63 av. J.-C.

[63] Decimus Silanus, qui fut élu avec Muréna.

[64] Cf. Vie de Cicéron, XIV.

[65] Au chapitre XIX.

[66] Il s’agit des fameuses notes tironiennes, inventées par Tiron, affranchi de Cicéron.

[67] Lucius Marcius Philippus, consul en 56 av. J.-C. et qui épousa Atia, mère d’Octave.

[68] Publius Thrasea Paetus, mari d’Arria et beau-père d’Helvidius Priscus. Il avait embrassé le stoïcisme et écrivit la Vie de Caton le Jeune. Il fut mis à mort par Néron en 66 av. J.-C.

[69] Quintus Hortensius (114-50 av. J.-C.), le grand orateur du parti aristocratique, rival de Cicéron et gloire de l’école asiatique, consul en 69.

[70] Marcus Calpurnius Bibulus ( ?-48 av. J.-C.), consul en 59, avec César.

[71] Il était indispensable que Caton répudiât Marcie, pour qu’elle pût épouser Hortensius.

[72] Sans doute en 56 av. J.-C.

[73] D’après l’estimation courante, environ sept millions de francs-or [1950].

[74] Il venait de terminer la campagne contre Mithridate et rentrait en Europe (62 av. J.-C.).

[75] C’était une famille plébéienne, mais illustre, remontant au consul Lucius Caecilius Metellus, vainqueur des Carthaginois en 251 av. J.-C. Quintus Caecilius Metellus, consul en 109, avait été banni par les intrigues de Marius ; son fils fut consul avec Sylla en 80. Le frère aîné de Métellus Népos, Quintus Caecilius Metellus Celer, consul en 60, était un des plus chauds partisans de l’aristocratie.

[76] Traduction de Ricard : «  Le Sénat jugea que ni Caton ni Métellus ne se possédaient , et qu’ils ne faisaient point usage de leur raison. »

[77] Ce temple se trouvait au Forum, près du lac de Juturne, et le Sénat s’y assemblait fréquemment.

[78] D’autres lisent : « fit venir des soldats de chez lui », version qui m’a paru peu vraisemblable.

[79] D’où venaient les projectiles, puisque tout le monde était parti ? Il y a quelque confusion dans ce récit.

[80] C’est-à-dire de la terrasse du temple de Castor et Pollux, qui servait souvent de tribune.

[81] En 66 av. J.-C.

[82] Caius Memmius Gemellus, tribun de la plèbe en 66, préteur en 58, relégué pour corruption électorale à Mitylène, où il mourut. C’est à lui que Lucrèce a dédié son poème De la Nature. Lucullus ne triompha qu’en 63. Cf. Vie de Lucullus, XXXVII.

[83] Il est malaisé de restituer, d’après Plutarque, l’ordre chronologique des événements. Par ailleurs, le biographe avoue naïvement que son héros n’était pas du tout insensible aux petites considérations de famille.

[84] Texte mal établi ; j’ai choisi le sens le plus vraisemblable.

[85] En 62 av. J.-C.

[86] Il venait de débarquer à Brindes et ne pouvait entrer à Rome avant son triomphe, qui eut lieu seulement le 30 septembre 60.

[87] Marcus Calpurnius Piso, adopté par Marcus Pupius. Il fut élu au consulat en 61. Ne pas le confondre avec le beau-père de César, Lucius Calpurnius Piso, consul en 58.

[88] Lucius Afranius, élu en 61.

[89] Avec Julie, fille de César, en 59 av. J.-C.

[90] Pompée y avait remplacé Lucullus.

[91] Cf. Vie de Lucullus, XLII, et Vie de Pompée, XLVI.

[92] À l’été de 60 av. J.-C.

[93] Cf. Vie de César, XIII.

[94] Marcus Calpurnius Bibulus ( ?-48 av. J.-C.), édile curule en 65, préteur en 62, consul en 59. Commanda, pendant la guerre civile, la flotte de Pompée dans l’Adriatique.

[95] Quintus Caecilius Metellus Numidicus, consul en 109, vainqueur de Jugurtha, censeur en 102, banni en 100 par les intrigues de Marius et rappelé en 99 grâce au dévouement de son fils qui reçut à cette occasion le surnom de Pius.

[96] Marcus Favonius ( ?-42 av. J.-C.), édile en 52 et préteur en 49. On l’avait surnommé le singe de Caton. Il ne voulut prêter serment qu’après lui.

[97] La Gaule Cisalpine et la Gaule Transalpine.

[98] La chronologie de Plutarque est incertaine ; dans le chapitre précédent, il donnait déjà Clodius comme tribun.

[99] Aulus Gabinius ( ?-48 av. J.-C.), tribun de la plèbe en 66, avait fait décerner à Pompée le commandement de la guerre contre les pirates. Consul en 58 ; proconsul de Syrie en 57. Exilé en 54 pour ses malversations.

[100] Frère cadet de Ptolémée XI Aulétès, Roi d’Égypte. Il était Roi de Chypre depuis 80. Un plébiscite avait décidé la réduction de l’île en province romaine.

[101] Byzance, alliée des Romains contre Mithridate, était censée indépendante. Peut-être une révolution avait-elle entraîné l’exil des membres du parti romain.

[102] On est en 58 av. J.-C.

[103] L’ancienne Paphos, sur la côte ouest de Chypre, à 1800 m. de la côte, était célèbre par un temple d’Aphrodite, dont le prêtre exerçait une suprématie religieuse sur toute l’île.

[104] Il avait été détrôné et remplacé par sa fille Bérénice, qu’il fit mourir à son retour. Lui-même mourut en 51 av. J.-C. après un règne fertile en cruautés.

[105] Quand un sénateur dûment convoqué ne se rendait pas à une séance du Sénat, on saisissait une partie de son mobilier. C’est ce qu’on appelait prendre un gage.

[106] 38.920.000 francs-or [1950].

[107] 11.250 francs-or [1950].

[108] Port oriental de Corinthe.

[109] Corfou.

[110] Il n’avait pas trente-huit ans, et la loi en exigeait quarante pour la préture.

[111] Cnaeus Cornelius Lentulus.

[112] En 57, après une absence de seize mois.

[113] Le compte-rendu de son mandat de tribun.

[114] Comme patricien, il ne pouvait être tribun de la plèbe. Mais il s’était fait adopter par un plébéien, adoption dont Cicéron contesta la légalité.

[115] À Lucques, en 56.

[116] C’était le renouvellement du premier triumvirat, formé en 60.

[117] Lucius Domitius Ahenobarbus ( ?-48 av. J.-C.), consul en 54, tué à Pharsale.

[118] Le jour de l’élection.

[119] Les préteurs étaient élus par les comices centuriates. En raison de l’importance que les Romains attachaient aux présages, le vote de la centurie désignée par le sort pour voter la première praerogativa (d’où le terme de prérogative) entraînait assez souvent celui des autres. Plutarque paraît confondre ici les comices centuriates avec les comices par tribus.

[120] Publius Vatinius, questeur en 63, tribun de la plèbe en 59, préteur en 55, puis lieutenant de César en Gaule et dans la guerre civile.

[121] Caius Trébonius ( ?-43 av. J.-C.), tribun de la plèbe, puis lieutenant de César en Gaule, préteur en 48, consul en 45. Fut un des assassins du grand homme.

[122] 54 av. J.-C.

[123] Comment Plutarque le sait-il ?

[124] C’est-à-dire élus et non encore entrés en fonction.

[125] 112.500 francs-or [1950].

[126] Les comices centuriates, qui élisaient les magistrats revêtus de l’imperium, c’est-à-dire de l’autorité dans sa plénitude, étaient présidés par l’un des consuls, à défaut par un dictateur désigné exprès, ou enfin par un interroi. Plutarque a fait une confusion.

[127] Apollodore, le plus exalté des amis de Socrate, que les autres disciples avaient surnommé l’enthousiaste.

[128] C’était, aux yeux du peuple, la principale obligation des édiles, qui faisaient le plus souvent d’énormes frais.

[129] Pour Scipion, cf. supra, note 214. Publius Plautius Hypsaeus, tribun de la plèbe en 54, et ami de Pompée. Milon est le célèbre client de Cicéron. Il s’agissait de désigner les consuls pour 52 av. J.-C.

[130] Celles des candidats au consulat.

[131] C’était après le meurtre de Clodius par les esclaves de Milon.

[132] Apparemment en faveur des accusés.

[133] Il ne s’agit pas des plaidoyers, mais de témoignages de moralité par trop oratoires.

[134] Titus Munatius Plancus Bursa, tribun de la plèbe en 52, condamné à l’exil pour sa participation aux troubles de cette année. Il fut réintégré dans ses droits civils et politiques par César, et servit sous Antoine dans la campagne de Modène.

[135] Il s’agit des élections pour l’année 51.

[136] Servius Sulpicius Rufus, le célèbre jurisconsulte, ami de Cicéron, qui plaida cependant contre lui dans l’affaire de l’élection de Muréna, en 63. Caton avait alors appuyé de toutes ses forces Sulpicius. Celui-ci fut élu consul en 52 avec Claudius Martellus. Il se rallia à César, qui le nomma proconsul d’Achaïe en 46 ou 45, et mourut en 43, devant Modène, au camp d’Antoine, où le Sénat l’avait envoyé en mission.

[137] En 49. César occupa Ariminum, aujourd’hui Rimini, après le passage du Rubicon.

[138] De César, probablement. La pensée n’est pas très claire.

[139] L’ami de Caton, dont il a été question aux chapitres XXXVII et suivants.

[140] Dans son pamphlet l’Anti-Caton.

[141] Euripide : Hercule furieux, 173-174.

[142] En tant que propréteur.

[143] Caius Asinius Pollio (76 av. J.-C.-4 ap. J.-C.). Orateur, poète et historien ; ami intime de César, et ensuite défenseur d’Octave. Il devait fonder la première bibliothèque publique de Rome.

[144] Cf. Vie de Pompée, LXV.

[145] La cohorte est la dixième partie de la légion, dont l’effectif varie suivant les circonstances. Une cohorte peut alors comprendre 360 hommes.

[146] Le 9 août 48.

[147] Cnéus Pompée, fils aîné du grand Pompée et de Mucia. Il continua la guerre contre César en Espagne, fut battu à Munda en 45 et mis à mort peu après.

[148] Sextus Pompée combattit avec son frère à Munda. Après la mort de César en 44, il réunit une grande flotte et occupa la Sicile. Il fut défait et mis à mort en 35 av. J.-C.

[149] Titus Labienus, tribun de la plèbe en 63, le principal lieutenant de César dans la campagne des Gaules. Il se rallia à Pompée en 49 et fut tué en 45, à la bataille de Munda.

[150] Juba, Roi de Numidie, fidèle allié de Pompée. Il se tua en 46 après la bataille de Thapsus.

[151] Publius Attius Varus, propréteur d’Afrique. Il battit, avec Juba, Curion, lieutenant de César, et fut tué à Munda.

[152] Et non pour manger suivant la coutume.

[153] Chacun voulait mettre le Roi de son côté.

[154] Philostrate, philosophe égyptien, sectateur dégénéré de l’Académie. Cf. Vie d’Antoine, LXXX.

[155] Le souvenir des victoires éclatantes des deux Africains inspire cette superstition.

[156] Utique, colonie phénicienne plus ancienne que Carthage, ralliée aux Romains dès le début de la troisième guerre punique. Elle était située sur la côte, à 27 milles (environ 40 kilomètres) au nord-ouest de Carthage.

[157] Thapsus, en Byzacène (Tunisie). La bataille eut lieu le 6 avril 46, et 50.000 Pompéiens y périrent.

[158] Scipion campait à part.

[159] Capitale de la Byzacène, située un peu au-dessus de Thapsus, à la hauteur de Malte.

[160] Marcus Octavius, consul en 54 av. J.-C. Il avait pris le parti de Pompée. Il commanda plus tard, à Actium, le centre de l’armée d’Antoine.

[161] Le Phédon.

[162] Sans doute à ses ronflements.

[163] En 46 av. J.-C.

[164] La Cappadoce ne cessa d’être un royaume indépendant qu’en 17 ap. J.- C. à la mort de son dernier Roi Archélaos.