PLUTARQUE

VIE D’OTHON (32-69 ap. J.-C.)

Traduction Bernard Latzarus, 1950

I. Débuts d’Othon. Son attitude humaine et conciliante. — II. Mort de Tigellin. — III. Othon arrête un commencement de sédition. — IV. Polémique puérile entre Othon et Vitellius. Présages défavorables. — V. Invasion de l’Italie par les troupes de Vitellius. Dispositions prises par Othon. Indiscipline et arrogance de ses soldats. — VI. Échec des Vitelliens devant Plaisance. Impopularité justifiée de Cécina. Avidité de Valens. Fautes de Cécina. — VII. Défaite de Cécina devant Crémone. Agitation chez les Othoniens et chez les Vitelliens. — VIII. Conseil de guerre tenu par Othon à Bédriac. Il décide de livrer combat. — IX. Motifs de la résolution d’Othon. Projets d’entente entre les deux armées. — X. Retour d’Othon à Brixellum. Combats désavantageux pour ses troupes sur le Pô. — XI. Les soldats d’Othon réclament le combat. Dissentiment entre Proculus et Paulinus. Othon ordonne de marcher à l’ennemi. — XII. Défaite des Othoniens à Bédriac. — XIII. Réconciliation et fusion des deux armées. — XIV. Visite du champ de bataille par Plutarque. Affreux et inexplicable amoncellement de morts. — XV. Les soldats d’Othon le pressent en vain de ne pas se décourager. Il leur annonce son intention de mourir. — XVI. Entretien d’Othon avec son neveu. Il défend les sénateurs contre ses soldats. — XVII. Mort d’Othon. Regrets de ses soldats. — XVIII. Tombeau d’Othon. Suites de sa mort.

I. Le nouvel Empereur, au point du jour, monta au Capitole, où il sacrifia, puis il se fit amener Marius Celsus. Il l’embrassa et lui tint des propos pleins d’humanité, l’engageant à oublier son inculpation plutôt que de se rappeler sa délivrance. La réponse de Celsus ne fut pas dénuée de noblesse, ni de sensibilité. Il affirma que le grief qu’on lui faisait était une preuve de sa loyauté ; car on lui reprochait d’être resté fidèle à Galba, auquel il n’avait aucune obligation personnelle. Les assistants furent satisfaits de cet échange de propos, que l’élément militaire approuva. Au Sénat, l’allocution d’Othon fut empreinte de simplicité et de bienveillance. Il annonça ensuite qu’il partageait avec Verginius Rufus le temps qui restait à courir de son consulat, et il conserva leur dignité à tous les consuls désignés par Néron ou Galba. Il honora de divers sacerdoces les personnages qu’y appelait leur âge ou leur réputation ; quant aux sénateurs qui, exilés sous Néron, étaient revenus sous Galba, il leur rendit, à tous, ceux de leurs biens qui n’avaient pas été vendus et qu’il put retrouver. Aussi les principaux et les grands de l’État qui tremblaient auparavant comme à l’irruption, non d’un homme, mais d’une Furie ou d’un démon vengeur, furent-ils rassérénés par les espérances que leur faisait concevoir une autorité souriante.

II. Mais rien ne réjouit tellement tous les Romains, rien ne les disposa aussi favorablement envers Othon que sa conduite à l’égard de Tigellin. Ce malheureux était, à l’insu de tous, assez puni déjà par la crainte d’une punition que la Ville réclamait comme le paiement d’une dette nationale, et aussi par ses maladies incurables. Aussi les gens raisonnables voyaient-ils dans les atroces et ignobles spasmes où l’agonisant, toujours possédé par un vice sans frein, se roulait aux pieds de courtisanes impures, le châtiment suprême et l’équivalent de mille morts. Mais c’était une souffrance pour la masse qu’il vît encore le soleil, quand, par sa faute, tant et de si grands hommes ne le voyaient plus. Othon lui envoya donc un sicaire dans sa propriété de Sinuesse [1] , où il avait des vaisseaux à l’ancre pour s’enfuir plus loin. Il essaya de décider le meurtrier à l’épargner en lui offrant beaucoup d’or ; mais, n’arrivant pas à le convaincre, il lui donna néanmoins une gratification et le pria d’attendre qu’il eût achevé de se raser ; puis il se coupa lui-même la gorge.

III. Après avoir ainsi fait au peuple le plus juste des plaisirs, le nouveau César ne satisfit absolument pas ses rancunes personnelles ; et, par complaisance pour la multitude, il n’évita pas, au début, de se laisser appeler Néron au théâtre. Certains Romains ayant même relevé en public des statues de Néron, il ne s’y opposa pas. Cluvius Rufus [2] affirme aussi qu’on expédia en Espagne des commissions de courriers de l’État, qui portaient le nom de Néron ajouté à celui d’Othon. Cependant, l’Empereur, s’apercevant que les plus grands et les plus puissants personnages étaient mécontents de cette dénomination, y renonça. Mais comme son pouvoir s’établissait ainsi, les prétoriens se montraient incommodes, l’exhortant à se défier, à se tenir sur ses gardes et à rabaisser les personnages considérables soit que, par dévouement, ils fussent réellement inquiets, soit que ce fût pour eux un prétexte de troubles et de mutineries. Othon ayant envoyé Crispinus ramener d’Ostie la dix-septième cohorte, cet officier organisait la marche quand il était encore nuit et faisait charger les armes sur les chariots. Alors les soldats les plus hardis se mirent tous à crier que Crispinus était venu dans une mauvaise intention, que le Sénat tentait une révolution et qu’on expédiait les armes contre César, et non à César. Ce bruit toucha beaucoup d’hommes ; et, dans leur excitation, les uns mirent la main sur les chariots ; les autres tuèrent ceux qui leur tenaient tête, deux centurions et Crispinus lui-même ; tous s’équipèrent, et, s’exhortant mutuellement à secourir César, marchèrent sur Rome. Après avoir appris que quatre-vingts sénateurs dînaient chez l’Empereur, ils se portèrent vers le Palais, en disant que c’était maintenant l’occasion de supprimer d’un seul coup, tous les ennemis de César. Dans ces conditions la Ville était fort troublée, s’attendant à être mise au pillage d’un moment à l’autre ; il y avait des allées et venues dans le palais, et Othon était en proie à une terrible anxiété ; car craignant pour ses invités, il ne leur inspirait pas moins de crainte ; il les voyait attacher les yeux sur lui, muets de terreur ; et pour comble, quelques-uns étaient venus avec leurs femmes. En même temps qu’il envoyait ses officiers parler aux soldats et les apaiser, il disait aux invités de se lever et les faisait sortir par une porte de derrière ; c’est tout juste s’ils échappèrent aux soldats, qui se précipitaient dans la salle un moment après en demandant ce qu’étaient devenus les ennemis de César. Alors Othon se dressa sur son lit ; à force d’exhortations et de prières, et même en recourant aux larmes, il finit par les faire partir, mais avec peine. Le lendemain, il leur fit distribuer à tous douze cent cinquante drachmes [3] par tête ; puis il se rendit au camp, où il prit la parole pour louer la masse des soldats de son dévouement et de son zèle. Il fit exception seulement pour quelques-uns qui, en dénigrant sa propre modération et la sagesse de leurs camarades, cherchaient à les débaucher et à les porter au mal : « Vous partagerez, conclut-il, mon indignation contre eux, et vous m’aiderez à les punir ! » Tous l’approuvèrent et l’engagèrent à punir les coupables. Il n’en fit arrêter que deux, dont le châtiment ne devait contrarier personne, et s’en alla.

IV. Ceux qui l’aimaient déjà et se fiaient à lui s’étonnaient de ce changement ; les autres jugeaient inévitables de pareils expédients, l’approche de la guerre l’obligeant à rechercher la popularité. Car déjà l’on annonçait en toute certitude que Vitellius avait pris la dignité et les pouvoirs d’Empereur ; et des courriers impériaux informaient continuellement Othon de ralliements nouveaux au prétendant. Mais d’autres lui apprenaient que les armées de Pannonie, de Dalmatie et de Mysie, d’accord avec leurs chefs, avaient proclamé Othon. Bientôt lui arrivèrent aussi des lettres affectueuses de Mucien et de Vespasien, qui avaient sous leurs ordres des forces importantes, l’un en Syrie, l’autre en Judée. Exalté par ces succès, il écrivit à Vitellius pour l’engager à n’être qu’un soldat et lui promettre beaucoup d’argent et une ville, où il pourrait mener, dans le calme, une vie très facile et très agréable. L’autre lui répondit sur le mode plaisant, et leur correspondance fut, d’abord honnête ; mais ensuite, ils se passionnèrent et s’adressèrent bien des insultes grossières. Leurs accusations mutuelles n’étaient que trop justifiées, mais il était déraisonnable et ridicule de se jeter à la tête des reproches aussi mérités par l’un que par l’autre. Car pour la débauche, la mollesse, l’immensité des dettes que la pauvreté leur avait fait contracter autrefois, il serait difficile de dire lequel des deux avait le moins à se reprocher. On parlait cependant de beaucoup de présages et de prodiges, dont la plupart, il est vrai, ne furent colportés que par des rumeurs anonymes et sans garantie. Mais en voici d’authentiques. Au Capitole tout le monde vit une Victoire, placée sur un char, laisser tomber les rênes de ses mains, comme incapable de les retenir ; et dans l’île du Tibre, la statue de Jules César [4] , sans tremblement de terre ni vent violent, se tourna de l’Occident vers l’Orient, ce qui arriva, on l’affirme, dans les jours où Vespasien posait ostensiblement sa candidature à l’Empire [5] . Enfin le débordement du Tibre fut regardé, par la plupart des Romains, comme un mauvais signe. C’était bien sans doute le temps où les fleuves se gonflent le plus ; mais il n’avait jamais encore grossi tellement, ni fait tant de dégâts. En débordant, il inonda une grande partie de la Ville et surtout le marché au blé, ce qui causa, plusieurs jours durant, une terrible disette.

V. Comme on annonçait déjà que Cécina [6] et Valens, lieutenants de Vitellius, occupaient les sommets des Alpes, Dolabella, d’une grande famille de Rome, fut soupçonné par les prétoriens de tramer une révolution. Soit qu’Othon le craignît, soit qu’il en craignît un autre, il l’envoya dans la ville d’Aquinum en le rassurant [7] . En établissant la liste des hommes en place qui devaient l’accompagner dans son expédition contre Vitellius, il y fit même figurer Lucius, le propre frère de Vitellius, sans rien ajouter ni retrancher aux honneurs dont jouissait ce personnage. Il prit aussi grand soin d’assurer à la mère et à la femme de Vitellius qu’elles n’avaient rien à craindre pour leurs personnes. Il nomma préfet de la Ville Flavius Sabinus, frère de Vespasien, soit pour rendre encore hommage à Néron, car Sabinus avait reçu de Néron cette charge et s’en était vu priver par Galba, soit plutôt pour montrer à Vespasien, par l’élévation de Sabinus, sa bienveillance et sa confiance. Lui-même s’arrêta à Brixellum, ville d’Italie sur le Pô, et mit à la tête de ses armées en partance Marius Celsus et Suétonius Paulinus, Gallus et Spurinna, généraux illustres, mais qui ne purent appliquer leurs plans de campagne à cause de l’indiscipline et de l’arrogance de leurs soldats ; car ceux-ci ne voulaient écouter que l’Empereur, sous prétexte qu’il leur devait son pouvoir. A vrai dire, la moralité et la soumission des troupes ennemies n’étaient point parfaites ; c’était la même sottise et la même insolence, et pour le même motif. Cependant les Vitelliens avaient du moins l’expérience des combats, et, habitués aux fatigues, ils ne les fuyaient pas ; mais les autres étaient amollis par une longue période d’oisiveté, où, n’ayant pas à faire la guerre, ils passaient presque tout leur temps au théâtre, aux fêtes populaires, aux spectacles de tout ordre. Ils couvraient leur paresse d’un voile d’orgueil et de suffisance, affectant de dédaigner les obligations du service comme indignes d’eux, alors qu’ils étaient incapables de les supporter. Spurinna, qui essayait de les contraindre à l’obéissance, y risqua sa vie : peu s’en fallut qu’il ne fût tué par eux ! Ils ne lui épargnèrent aucune grossièreté, aucune attaque, le qualifiant de traître et l’accusant de gâter les affaires de César en laissant échapper les occasions favorables. Quelques-uns même, étant ivres, allèrent de nuit le trouver sous sa tente pour lui demander des provisions de route ; car il leur fallait, dirent-ils, se rendre auprès de César afin de l’accuser.

VI. Ce qui profita sur le moment aux affaires d’Othon et à Spurinna fut l’affront que ses soldats reçurent à Plaisance. Car les Vitelliens, en attaquant les remparts de cette ville, raillaient les Othoniens debout aux créneaux et qu’ils traitaient de comédiens, de danseurs, de délégués aux jeux Pythiques et Olympiques, sans aucune expérience de la guerre : « N’ayant jamais vu de campagne, ajoutaient-ils, ces malheureux s’enorgueillissent d’avoir coupé la tête à un vieillard sans armes (ils voulaient dire Galba) ; mais descendre en lice pour se battre contre des hommes, voilà ce qu’ils n’auraient jamais fait, surtout au grand jour. Ces injures troublèrent et enflammèrent à tel point les soldats de Spurinna qu’ils tombèrent à ses pieds en lui demandant de les employer et de disposer d’eux à son gré, car aucun danger, aucune fatigue ne les effrayait. Il y eut donc un violent combat sous les murs de la ville ; et, bien que les Vitelliens eussent mis en action beaucoup de machines, les soldats de Spurinna eurent l’avantage. Ils refoulèrent les adversaires, dont ils firent un grand carnage, et conservèrent une ville illustre et des plus florissantes de l’Italie. Du reste les généraux d’Othon étaient plus commodes pour les villes et les particuliers que ceux de Vitellius. Parmi ces derniers Cécina n’était pas fait pour plaire au peuple, ni par le ton de sa voix, ni par son extérieur. Il avait un abord étrange et repoussant, un corps énorme ; il portait, à la gauloise, des braies et des mitaines, et c’est sous cet affublement qu’il parlait aux enseignes et aux officiers romains. Sa femme le suivait escortée de cavaliers d’élite, à cheval elle-même et pompeusement parée. Quant à Fabius Valens, l’autre général de Vitellius, ni le pillage des ennemis, ni les rapines et les dons extorqués aux alliés n’avaient assouvi sa soif de richesses, et c’était même, on le croyait du moins, son avidité qui, retardant sa marche, l’avait fait arriver après le premier combat. Les autres historiens, il est vrai, accusent Cécina de s’être pressé de livrer bataille avant l’arrivée de Valens pour s’assurer le mérite exclusif de la victoire. Outre certaines fautes moins importantes où il tomba, il aurait encore eu le tort d’engager la bataille hors de propos et de la soutenir sans vaillance, mettant ainsi sa cause à deux doigts du désastre.

VII. En effet, comme Cécina, écarté de Plaisance, marchait sur Crémone, autre ville riche et grande, Annius Gallus, qui allait le premier au secours de Spurinna assiégé dans Plaisance, apprenant en route que les défenseurs de Plaisance avaient eu le dessus mais que Crémone était en péril, changea de direction et alla camper près des ennemis. Après lui, les chefs d’unités détachées allèrent prêter main-forte à leurs généraux. Cécina avait mis en embuscade une infanterie nombreuse dans un bois touffu. Il fit avancer sa cavalerie en lui donnant la consigne, une fois le contact pris avec les ennemis, de reculer peu à peu et de simuler une fuite jusqu’au moment où elle les aurait attirés dans le piège. Mais des transfuges allèrent dénoncer cette manoeuvre à Celsus. Il fit, en conséquence, exécuter une contre-attaque par des cavaliers d’élite, mais ne poursuivit l’adversaire qu’avec beaucoup de circonspection. Il cerna le lieu de l’embuscade, où il jeta le trouble, et appela ses fantassins hors du camp. S’ils étaient survenus à temps, il semble bien qu’on n’aurait pas laissé un seul ennemi vivant ; toute l’armée de Cécina eût été taillée en pièces et anéantie par l’infanterie marchant sur les pas des cavaliers. Mais en fait Paulinus, qui ne vint à la rescousse que tard et sans se presser, se fit accuser d’avoir, à force de précautions, démenti son renom de bon général. La plupart des soldats lui imputaient même sa lenteur à trahison et ils excitaient Othon contre lui, en jurant leurs grands dieux qu’ils étaient vainqueurs, mais que la victoire totale leur avait échappé par suite de la lâcheté des généraux. Mais Othon avait moins de confiance en eux qu’il n’en voulait montrer. Il envoya donc aux armées son frère Titianus et le préfet du prétoire Proculus, qui avait en réalité tout le pouvoir, Titianus n’étant que le prête-nom. Quant à Celsus et à Paulinus, ils venaient à la suite avec le titre de conseillers et d’amis du Prince, mais sans avoir d’autorité ni d’influence. Il y avait aussi du désordre du côté des ennemis, et surtout dans les troupes de Valens ; à la nouvelle du combat de l’embuscade, elles s’indignèrent de n’avoir pas été là pour soustraire à la mort tant de braves. Il eut beaucoup de peine à les fléchir par ses supplications, car on voulait lui faire un mauvais parti, et il finit par décamper et se joindre, avec ses hommes, à l’armée de Cécina.

VIII. Quant à Othon, arrivé à son camp de Bédriac (c’est une petite ville voisine de Crémone), il tint conseil sur l’opportunité d’une bataille. Proculus et Titianus, voyant les troupes pleines d’ardeur et sous l’impression de leur victoire toute fraîche, étaient d’avis de livrer un combat décisif, sans attendre dans l’immobilité, que l’enthousiasme eût tiédi et que Vitellius lui-même fût arrivé de Gaule. Mais Paulinus déclara que, si les ennemis avaient dès maintenant tous leurs moyens de combat, sans que rien leur manquât, Othon allait recevoir de Mysie et de Pannonie des forces égales à celles dont il disposait déjà. Il pouvait donc attendre son moment, sans se conformer à celui des ennemis. « Car, ajouta-t-il, l’ardeur de nos soldats, si courageux en l’absence de renforts, ne s’émoussera pas quand ils seront plus nombreux à combattre ; ils n’en auront que plus de coeur à la besogne ! En outre, le retard de l’action nous favorise, puisque nous avons de tout à profusion ; mais avec le temps, la disette se fera sentir chez les autres, qui campent en terre ennemie. » Cet avis de Paulinus fut approuvé par Marius Celsus. Annius Gallus n’était pas là, devant se soigner à la suite d’une chute de cheval ; mais il répondit à une lettre d’Othon en lui conseillant de ne pas se presser et d’attendre l’armée de Mysie, qui était déjà en route. Il n’écouta pourtant pas ces généraux, et ceux qui le pressaient de combattre eurent le dessus.

IX. Entre autres raisons que l’on donne de cette décision, il en est une très visible. Les prétoriens, comme on les appelle, qui constituent la garde du corps de l’Empereur, faisaient alors l’expérience de la véritable vie de campagne, et, regrettant le séjour de Rome, où, loin de la guerre, ils étaient toujours en fête, ils se montraient maintenant insupportables par leur hâte d’aller combattre. Ils ne doutaient pas, d’ailleurs, d’exterminer les adversaires dès le premier choc. Othon lui-même, à ce qu’il semble, ne pouvait plus se résigner à l’incertitude de l’avenir, ni, dans son inexpérience et sa mollesse, envisager le péril avec calme. Accablé du poids de ses soucis, il avait hâte de se précipiter tête baissée dans l’aventure comme dans un précipice. C’est là ce que racontait par la suite l’orateur Secundus, ancien secrétaire d’Othon. Selon d’autres sources, l’idée fut lancée, à plusieurs reprises, dans les deux armées, de se réunir pour élever à l’empire, d’un commun accord, le meilleur des personnages consulaires présents ; en cas de mésentente, on réunirait le Sénat, auquel on laisserait le choix de l’Empereur. Et il n’est pas invraisemblable qu’aucun des deux Empereurs proclamés alors n’ayant une bonne réputation, de pareilles pensées soient venues à de vrais soldats, endurcis à la peine et raisonnables. N’était-ce pas la pire et la plus tragique des fautes que de retomber dans le pitoyable aveuglement de leurs concitoyens d’autrefois ? Encore le mal que ceux-là s’infligeaient mutuellement, tour à tour bourreaux et victimes, devait-il régler le conflit de Sylla et de Marius, puis de César et de Pompée. Il fallait maintenant l’affronter pour que la voracité et l’ivrognerie de Vitellius ou le faste et le dérèglement d’Othon trouvassent dans la souveraineté de quoi les financer. On suppose que ces considérations déterminèrent en même temps Celsus à demander un délai, dans l’espoir que la question serait tranchée sans combat et sans fatigues, et Othon à presser le combat par peur.

X. Lui-même revint à Brixellum, et ce fut une faute de plus, non seulement parce qu’il ôta aux combattants la noble honte et l’émulation que l’honneur de combattre sous ses yeux leur aurait inspirées, mais encore parce qu’en prenant avec lui, pour sa garde personnelle, les plus vigoureux et les plus vaillants des hommes, cavaliers et fantassins, il coupa, pour ainsi dire, le nerf de son armée. Il arriva aussi, dans ces jours-là, un combat sur le Pô, où Cécina voulait jeter un pont, opération à laquelle les Othoniens s’opposaient avec acharnement. N’obtenant aucun résultat, ils mirent sur leurs bateaux des torches enduites de soufre et de poix, qui grâce à un vent soudain, allèrent embraser les matériaux des ennemis. Mais comme il s’était élevé d’abord de la fumée, puis une flamme brillante, les hommes qui montaient ces bateaux se troublèrent, sautèrent dans le fleuve, renversèrent leurs embarcations et livrèrent leurs personnes aux ennemis, dont ils furent la risée. En outre les Germains [8] , qui étaient aux prises avec les gladiateurs d’Othon près d’une île du fleuve, les vainquirent et en tuèrent pas mal.

XI. Après ces escarmouches, comme les soldats d’Othon enfermés dans Bédriac réclamaient le combat avec colère, Proculus les fit sortir et les emmena camper à cinquante stades [9] de la Ville. Mais il avait choisi son emplacement d’une façon si déraisonnable et si ridicule qu’en pleine saison printanière et au milieu de plaines qu’arrosent en grand nombre des sources et des fleuves intarissables, il souffrait du manque d’eau [10] . Le lendemain, comme il voulait mener ses troupes à l’ennemi, qui n’était pas à moins de cent stades [11] . Paulinus s’y opposa ; car il croyait que mieux valait attendre et ne pas se fatiguer d’avance en engageant au débotté le combat contre des hommes qui auraient eu tout le temps de s’armer et de se ranger en bataille pendant qu’eux-mêmes, les Othoniens, se seraient épuisés dans une si longue marche, pêle-mêle avec les bêtes de somme et les goujats. Comme les généraux étaient en discussion sur ce point, arriva de la part d’Othon un cavalier, de ceux qu’on appelle Numides, porteur d’une lettre impériale qui ordonnait de ne pas rester sur place ni tarder, mais de marcher aussitôt à l’ennemi. Ils levèrent donc tout de suite le camp et partirent. Cécina, en apprenant leur marche offensive, en fut troublé, et, abandonnant en hâte les travaux commencés sur le fleuve, il revint dans son camp. Les soldats étaient armés déjà pour la plupart et avaient reçu de Valens le mot d’ordre. Pendant que les légions occupaient leurs postes, on envoya comme éclaireurs les meilleurs des cavaliers.

XII. Le bruit courut tout à coup, pour on ne sait quelle cause, et fut colporté dans les premiers rangs de l’armée d’Othon, que les généraux de Vitellius allaient passer de leur côté. Ainsi, quand les Othoniens, furent près des Vitelliens, ils les saluèrent amicalement en les appelant camarades. Mais les autres, loin d’accueillir ce salut avec affabilité, y répondirent avec colère et sur un ton provocant. Cette attitude, en décourageant ceux qui les avaient salués, les fit aussi soupçonner de trahison par les autres Othoniens. Ce fut la première cause qui mit le trouble parmi eux, quand les ennemis étaient déjà aux mains. Ensuite rien ne se fit avec ordre ; les bêtes de somme, égarées parmi les combattants, y jetaient une grande confusion ; et le champ de bataille, plein de fossés et de fondrières, était si morcelé que les soldats craignant de tomber, étaient obligés de contourner ces creux et de combattre pêle-mêle, par pelotons. Deux seules légions (c’est ainsi que les Romains appellent leurs corps de troupes), l’une de Vitellius, la Rapace, et l’autre d’Othon, la Secourable, se dégagèrent et descendirent dans une plaine nue et découverte, où elles livrèrent longtemps un combat de masses. Les soldats d’Othon étaient des hommes robustes et vaillants ; mais c’était leur première expérience de la guerre et du combat ; quant à ceux de Vitellius, aguerris par bien des luttes, ils étaient déjà vieux et hors d’âge. Ainsi donc les Othoniens, se jetant sur eux, les refoulèrent et prirent leur aigle, en massacrant du même coup tous les hommes des premiers rangs. Les Vitelliens, sous le coup de la honte et de la colère, tombèrent sur eux, tuèrent Orphidius, le légat qui commandait la légion othonienne, et enlevèrent beaucoup d’enseignes. Quant aux gladiateurs d’Othon, qui passaient pour avoir de l’audace et l’expérience des combats corps à corps, Varus Alfénus mena contre eux les Bataves, comme on les appelle : ce sont les meilleurs cavaliers d’entre les Germains, et ils habitent une île baignée par le Rhin. Ceux-là, un petit nombre d’entre les gladiateurs leur tinrent tête ; la plupart s’enfuirent vers le fleuve et tombèrent sur des cohortes ennemies qui étaient là rangées en bataille. Malgré leur résistance, ils furent tous anéantis, sans distinction. Ceux qui combattirent le plus honteusement de tous furent les prétoriens sans même attendre d’être aux prises avec les ennemis, ils s’enfuirent à travers les rangs de leurs camarades, encore fermes sur leurs positions, et les remplirent de terreur et de confusion. Cependant beaucoup d’entre les soldats d’Othon mirent en fuite ceux qui étaient en face d’eux, et, se frayant de vive force un passage à travers les ennemis vainqueurs, regagnèrent leur camp.

XIII. Quant aux généraux, ni Proculus, ni Paulinus n’osèrent retourner au camp ; ils s’éclipsèrent, craignant les soldats qui déjà rejetaient sur leurs chefs la responsabilité de l’échec. Pour Annius Gallus, il recueillit à Bédriac les survivants de la bataille, et les consola en disant que l’avantage était partagé et que, sur bien des points, ils avaient eu le dessus sur l’ennemi. Marius Celsus, lui, réunit les hommes en place et les exhorta à considérer le bien commun. Après un si grand désastre et un tel carnage de citoyens romains, Othon lui-même, s’il était homme de coeur, ne voudrait pas tenter encore la fortune, alors que Caton [le Jeune] et Scipion [Métellus], pour n’avoir pas voulu, après Pharsale, s’incliner devant César victorieux, encouraient le blâme de la postérité, qui leur reprochait la mort de tant de braves gens, sacrifiés en Afrique sans nécessité ; encore combattaient-ils pour la liberté de Rome ! « Car, ajouta-t-il, si la fortune est commune à tous, il est un avantage qu’elle n’ôte pas aux hommes de coeur, c’est, même après un échec, d’envisager avec sang-froid les conjonctures. » Ces arguments convainquirent les officiers. Comme, en consultant leurs soldats, ils les voyaient désireux de la paix et que Titianus émettait l’avis d’envoyer une délégation conclure un accord avec les Vitelliens, Celsus et Gallus décidèrent d’engager des pourparlers avec Cécina et Valens. En route, ils rencontrèrent des centurions vitelliens, dont ils surent que leur armée était déjà en mouvement et marchait sur Bédriac. Ces centurions eux-mêmes, à ce qu’ils dirent, venaient de la part de leurs généraux pour conclure une entente. Celsus et Gallus les félicitèrent et les engagèrent à rebrousser chemin pour aller avec eux trouver Cécina. Mais quand ils furent près de l’ennemi, Celsus se trouva en danger ; car les cavaliers vaincus par lui lors de l’embuscade ouvraient justement la marche de l’armée. Quand ils virent donc Celsus s’avancer, ils se jetèrent aussitôt sur lui en poussant des cris. Mais les centurions se mirent devant eux pour les arrêter ; les autres officiers leur criaient d’épargner Celsus ; et Cécina informé accourut lui-même et mit promptement fin à l’accès d’indiscipline des cavaliers. Il salua Celsus amicalement et tous ensemble se rendirent à Bédriac. Pendant ce temps Titianus s’était repenti de l’envoi des ambassadeurs ; il fit remonter sur les remparts de la ville les plus hardis de ses soldats et exhorta les autres à leur prêter main-forte. Mais quand Cécina, s’avançant à cheval, leur tendit la main, aucun ne résista. Les hommes postés sur les murs faisaient des signes d’amitié aux arrivants ; les autres leur ouvraient les portes et sortaient pour fraterniser avec eux. Nul n’exerçait de violence ; ce n’étaient qu’embrassades et poignées de mains ; tous les soldats des deux armées prêtèrent serment à Vitellius et se rallièrent à lui.

XIV. C’est ainsi que la plupart des témoins racontent la bataille, en reconnaissant eux-mêmes qu’ils n’en savent pas exactement le détail, à cause du désordre des troupes et de l’irrégularité du terrain. Plus tard, comme je passais sur ce champ de bataille, Mestrius Florus, personnage consulaire, de ceux qui alors avaient suivi le parti d’Othon, non par conviction, mais par nécessité, racontait, en me montrant une chapelle ancienne, qu’étant survenu après la bataille il avait vu un monceau de cadavres si haut que ceux du sommet touchaient au fronton de l’édifice [12] . Il ajouta qu’en cherchant la cause de ce fait, il n’avait pu ni la trouver lui-même, ni l’apprendre d’un autre. Il est probable que, dans les guerres civiles, un désastre fait plus de morts parce que l’ennemi ne capture personne, ne pouvant se servir des prisonniers [13] . Mais un pareil amoncellement de cadavres si nombreux ne comporte guère d’explication raisonnable.

XV. Othon apprit d’abord sa défaite par une rumeur assez vague, comme c’est l’ordinaire pour les événements d’une si haute importance. Mais la nouvelle fut confirmée par le récit de quelques blessés revenus de la bataille. Qu’alors ses amis ne l’aient pas laissé s’abandonner au désespoir et lui aient, au contraire, prodigué les encouragements, ce n’est pas le plus étonnant. Mais l’émotion de ses soldats dépassa toute croyance. Aucun ne partit ; aucun ne passa aux vainqueurs. On ne vit personne chercher son intérêt propre, quand le chef jugeait sa cause perdue. Tous indistinctement allaient à sa porte, l’appelaient leur Empereur, et, quand il sortait, prenaient des poses de suppliants, cherchaient à lui prendre les mains en l’acclamant et en l’implorant, se jetaient à ses pieds, pleuraient, le conjuraient de ne pas les abandonner, de ne pas les livrer aux ennemis, mais de les employer, corps et âmes, pour son service, jusqu’à leur dernier souffle. Tous lui adressaient ces supplications en même temps ; et l’un des plus obscurs dit en tirant son épée : « Sache, César, que nous sommes absolument tous résolus à faire pour toi ce que je vais faire ! » Et il se tua. Mais rien de tout cela ne fléchit Othon ; il promena de tous côtés un regard joyeux et assuré, et dit : « Cette journée, camarades je la juge plus heureuse que celle où vous m’avez fait Empereur, en vous voyant animés de telles dispositions et en recevant de si grandes marques de votre attachement. Mais ne me refusez pas une faveur plus grande encore, celle de mourir glorieusement pour tant de si bons citoyens ! Si j’ai été digne de commander aux Romains, il me faut faire bon marché de ma vie pour la patrie. Je sais que la victoire n’est ni entière, ni assurée pour nos adversaires. On annonce que notre armée de Mysie n’est qu’à quelques jours de marche et descend déjà vers l’Adriatique. L’Asie, la Syrie, l’Égypte, les armées qui font la guerre aux Juifs sont avec nous ; le Sénat est entre nos mains, de même que les enfants et les femmes de nos adversaires. Mais ce n’est pas à un Hannibal, à un Pyrrhus, à des Cimbres que nous faisons la guerre pour leur disputer l’Italie. Des deux côtés, les combattants sont Romains, et nous faisons du mal à la patrie, aussi bien victorieux que vaincus ; car le succès du vainqueur est un désastre pour elle. Croyez-le bien je puis mourir plus glorieusement que je ne saurais régner. Car je ne vois pas comment, en remportant la victoire, je pourrais rendre à Rome un aussi grand service qu’en me sacrifiant pour ramener la paix et la concorde et pour préserver l’Italie de revoir une journée pareille. »

XVI. Après avoir parlé de la sorte, il se raidit contre les instances de ceux qui voulaient lui faire reprendre le combat, et il ordonna à ses amis et aux sénateurs présents de s’éloigner ; quant aux absents, il leur fit parvenir les mêmes instructions, et il écrivit aux villes de les accueillir avec honneur et de pourvoir à leur sûreté. Il fit approcher son neveu Coccéius, qui était encore un tout jeune homme, pour l’exhorter à prendre courage et à ne pas craindre Vitellius : « Car, lui dit-il, je lui ai gardé sa mère, ses enfants et sa femme avec autant de soin que s’ils eussent été les miens. Et si, voulant faire de toi mon fils, j’ai différé l’adoption, c’était pour te faire régner avec moi en cas de victoire et ne pas t’envelopper dans ma perte en cas d’échec. » Il ajouta : « Voici, mon enfant, ma dernière recommandation : n’oublie pas absolument que tu as eu un oncle César, mais ne le rappelle pas trop ! » Un moment après, il entendit des clameurs tumultueuses à sa porte. C’étaient les soldats qui, voyant des sénateurs se disposer à partir, menaçaient de les égorger si, au lieu de rester sur place, ils abandonnaient l’Empereur. Il sortit donc encore, inquiet pour la vie de ces dignitaires, et cette fois il ne prit plus avec les soldats un ton suppliant et doux. Il se montra sévère, et, jetant sur les éléments de trouble un regard plein de colère, il les fit partir résignés et tremblants.

XVII. A la tombée de la nuit il eut soif et but un peu d’eau. Comme il avait deux épées, il essaya longuement le fil de chacune. Il rendit enfin l’une et prit l’autre sous son bras, puis il appela ses serviteurs. Comme marque d’affection, il leur distribua son argent, à l’un plus, à l’autre, moins, ne donnant point sans compter comme s’il se fût agi de biens appartenant déjà à d’autres, mais tenant un compte exact des divers mérites et des convenances. Après les avoir renvoyés il reposa le reste de la nuit, et ses valets de chambre purent constater qu’il dormait profondément. Au point du jour il appela l’affranchi avec lequel il avait réglé le départ des sénateurs, et lui donna l’ordre de se renseigner sur l’exécution des mesures prises à cet égard. Après avoir appris de cet homme qu’ils étaient partis, munis de ce dont chacun avait besoin, il dit : « Eh bien ! va maintenant te montrer aux soldats, si tu ne veux pas mourir misérablement de leurs mains, comme complice de ma mort ! L’affranchi étant sorti, il appuya son épée à terre, et, la tenant droite de ses deux mains, il se jeta sur elle de son haut, sans donner d’autre signe de douleur qu’un seul soupir, qui apprit sa mort aux personnes du dehors. Les gémissements de ses esclaves suscitèrent aussitôt dans tout le camp et toute la ville un concert de plaintes. Les soldats se précipitèrent à ses portes en poussant de grands cris, et, accablés de douleur, ils déploraient sa perte en se reprochant amèrement de n’avoir pas su garder l’Empereur et de ne l’avoir pas empêché de mourir pour eux. Nul de ceux qui l’entouraient ne s’éloigna, malgré l’approche des ennemis. Ils firent la toilette du corps et dressèrent un bûcher où ils l’escortèrent, revêtus de leurs armes. Ceux qui avaient pris les devants pour mettre le lit funèbre sur leurs épaules s’enorgueillissaient de le porter ; quant à leurs camarades, les uns se précipitaient sur le cadavre et baisaient la plaie mortelle ; les autres saisissaient les mains ; les autres se prosternaient de loin.

Il y en eut qui, après avoir jeté leurs flambeaux sur le bûcher, s’égorgèrent eux-mêmes, et cela sans être redevables au mort d’aucun bienfait manifeste et sans redouter aucun mauvais traitement du vainqueur. Mais il semble que jamais encore tyran ni Roi n’ait été pris d’une aussi folle passion pour le commandement que celle des soldats d’Othon pour la sujétion et l’obéissance ; même après sa mort, leur attachement pour lui persista et finit par aboutir à une haine inguérissable pour Vitellius.

XVIII. Il y a d’autres détails dont la place est ailleurs [14] . Disons seulement ici qu’après avoir caché dans la terre les restes d’Othon ses soldats lui élevèrent un tombeau que ni la grandeur du monument, ni le faste de l’épitaphe ne pouvaient signaler à l’envie. J’ai vu, étant à Brixellum, ce monument, qui est fort simple, avec cette épitaphe, que je traduis : « A la mémoire de Marcus Othon ! » Othon mourut après avoir vécu trente-sept ans et régné trois mois, laissant après lui, pour louer sa mort, des voix aussi autorisées et aussi nombreuses que celles qui blâmaient sa vie. Car, n’ayant vécu nullement avec plus de retenue que Néron, il mourut avec plus de noblesse. Quant aux soldats, comme Pollion, l’un des deux préfets du prétoire, les invitait à prêter aussitôt serment à Vitellius, ils donnèrent des signes de mécontentement ; et, apprenant que quelques-uns des sénateurs étaient encore là, ils s’adressèrent, sans se soucier des autres, à Verginius Rufus, qu’ils gênèrent beaucoup en allant le trouver chez lui tout armés, pour le presser instamment de se mettre à leur tête ou d’être leur délégué auprès du vainqueur. Mais il croyait que ce serait une folie, d’accepter d’eux, au moment de leur défaite, l’autorité dont il n’avait pas voulu après leur victoire ; et quant à négocier avec les Germains, il n’osait pas, croyant les avoir autrefois forcés à faire beaucoup de choses contre leur gré. Il se déroba donc à leurs sollicitations par une porte de derrière ; et quand les soldats le surent, ils consentirent à prêter le serment demandé et à se joindre aux troupes de Cécina, dont ils obtinrent leur pardon.



[1] Sinuesse, ville d’eaux célèbre à la limite du Latium et de la Campanie. Elle était située sur le bord de la mer.

[2] Cluvius Rufus, gouverneur de la Tarraconaise et historien apprécié, auquel Tacite se réfère parfois.

[3] 1.125 francs or [1950].

[4] Le texte dit : Caius César. Mais Tacite, Histoires, I, 86, précise : la statue du divin Jules.

[5] Vespasien faisait alors la guerre en Orient.

[6] Aulus Caecina Alienus ( ?-79 ap. J.-C.), questeur en Bétique, s’était rallié l’un des premiers à Galba. Il passa ensuite à Vitellius.

[7] Othon, fidèle à sa méthode, donne une satisfaction apparente aux prétoriens tout en sauvant Dolabella.

[8] Les auxiliaires germains des troupes de Vitellius. Ils avaient traversé le fleuve à la nage et s’étaient établis dans l’île, d’où les gladiateurs, montés sur des barques, cherchaient à les déloger.

[9] Près de neuf kilomètres.

[10] On était dans la première quinzaine d’avril.

[11] Environ dix-huit kilomètres.

[12] Le texte est ici mal établi ; nulle interprétation ne paraît donc tout à fait satisfaisante. L’élévation extraordinaire du tas de cadavres est le seul fait à retenir.

[13] « On épargnait les prisonniers étrangers pour les vendre comme esclaves, ce qui était interdit à l’égard des Romains. Ainsi, la cupidité ne venait pas mettre un frein à la cruauté ». (Abbé Lechatellier.)

[14] On ne sait si Plutarque a jamais donné ces détails.