PLUTARQUE

Vie de Thémistocle

Traduction Ricard

Édition de Bernadotte Perrin, 1914-1916

I. La naissance de Thémistocle fut trop obscure pour avoir pu contribuer à sa gloire. Son père, Néoclès, du bourg de Phréar[1], de la tribu Léontide, était d’une condition médiocre ; du côté de sa mère, Thémistocle passait pour étranger[2], comme on l’infère des vers suivants :

Je suis Abrotonum ; la Thrace m’a vu naître,

Et le grand Thémistocle a de moi reçu l’être[3].

Phanias dit cependant que la mère de Thémistocle n’était pas de Thrace, mais de Carle, et il la nomme Euterpe, au lieu d’Abrotonum. Néanthès[4] ajoute qu’elle était d’Halicarnasse, capitale de la Carie.

Les Athéniens issus de père ou de mère étrangers étaient obligés de s’assembler, pour leurs exercices, à Cynosarges[5], gymnase consacré à Héraclès, et situé hors de la ville, parce que ce héros, né d’une mère mortelle, n’était pas un dieu parfaitement légitime. Thémistocle persuada quelques jeunes gens des premières maisons d’Athènes de venir faire avec lui leurs exercices à Cynosarges ; et par là il parut avoir adroitement aboli la distinction qui subsistait entre les vrais citoyens et ceux qui n’en réunissaient pas toutes les qualités. Il est certain néanmoins qu’il appartenait à la maison des Lycomèdes[6] : car la chapelle que cette famille avait dans le bourg de Phlye[7] ayant été brûlée par les Barbares, Thémistocle, au rapport de Simonide, la fit rétablir et l’orna de peintures.

II. Les auteurs conviennent qu’il montra, dès son enfance, un caractère ardent et un esprit juste ; que son goût naturel le portait aux grandes choses, et qu’il paraissait né pour la politique. Dans les heures de loisir et de divertissement que lui laissaient ses premières études, on ne le voyait jamais jouer ou rester oisif comme les enfants de son âge ; il s’occupait à méditer, à composer en lui-même des discours qui avaient pour objet d’accuser ou de défendre quelqu’un de ses camarades. Aussi son maître lui disait-il souvent : “Mon enfant, tu ne seras pas un homme médiocre ; il faut que tu deviennes ou entièrement bon ou entièrement mauvais.” Les sciences qui ont pour objet de polir les moeurs, celles de pur agrément, les exercices destinés à développer les grâces du corps, il s’y livrait avec froideur et sans goût ; mais il mettait une application au-dessus de son âge aux études qui donnent la prudence et qui rendent propre aux affaires, parce qu’il se croyait fait pour y réussir.

Raillé dans la suite par des jeunes gens plus formés que lui à ces exercices agréables, à ces manières polies qui plaisent dans les sociétés, il se crut obligé de repousser leurs railleries par des paroles pleines de fierté. Il leur dit qu’à la vérité il ne savait ni accorder une lyre, ni jouer du psaltérium ; mais que, si on lui donnait à gouverner une ville petite et obscure, il saurait l’agrandir et lui acquérir de la célébrité. Stésimbrote[8] assure pourtant qu’il fut disciple d’Anaxagore, et qu’il apprit la physique sous Mélissus ; mais c’est un anachronisme[9] : car Mélissus défendit Samos contre Périclès, qui ne vécut que longtemps après Thémistocle, et fut contemporain d’Anaxagore.

Je préfère donc le sentiment de ceux qui disent que Thémistocle se proposa pour modèle Mnésiphile le Phréarien[10], qui n’était ni un orateur, ni un de ces philosophes qu’on appelle physiciens[11], mais qui faisait profession de cette science qu’on nommait alors la sagesse, et qui n’était que l’art de gouverner et la prudence dans le maniement des affaires. Cette espèce de secte philosophique remontait à Solon, et s’était continuée depuis lui jusqu’à Mnésiphile[12]. Ceux qui vinrent ensuite y mêlèrent l’art de disputer, et, abandonnant la conduite des affaires, ils bornèrent cette science à des discours de pure déclamation, ce qui leur fit donner le nom de sophistes[13]. Mais Thémistocle, quand il s’attacha à Mnésiphile, avait déjà pris part à l’administration de la république.

Dans la première ardeur de sa jeunesse, il fut inégal et inconstant. Son caractère, naturellement impétueux, et qui n’était modéré ni par la raison ni par l’éducation[14], l’entraînait dans les excès les plus opposés, et souvent lui faisait choisir le parti le moins convenable. Il l’avouait lui-même dans la suite, et disait que les poulains les plus fougueux deviennent les meilleurs chevaux quand ils sont dressés par une main habile. On a dit qu’il avait été déshérité par son père, et que sa mère, accablée de douleur de la vie honteuse que menait son fils, s’était donné la mort ; mais ce sont des faussetés qui n’ont aucun fondement. Quelques écrivains, au contraire, assurent que son père, voulant le détourner de l’administration des affaires publiques, lui montra sur le rivage de la mer de vieilles galères abandonnées, et lui dit que le peuple traitait de même ses orateurs[15] quand ils lui devenaient inutiles.

III. Il paraît que Thémistocle entra de bonne heure dans le gouvernement, et qu’il s’appliqua aux affaires avec la plus grande ardeur. Possédé d’un vif désir de gloire, qui, dès son entrée dans cette carrière, le fit aspirer au premier rang, il osa heurter de front les citoyens les plus distingués et les plus puissants, et braver leur haine ; il se montra surtout le rival d’Aristide, fils de Lysimachus, qui fut constamment son plus grand adversaire. On prétend que son inimitié contre lui eut une cause assez légère : ils avaient tous deux, au rapport du philosophe Ariston[16], aimé le beau Stésiléus de l’île de Téos ; et cet amour fut la source de la division qu’ils conservèrent toujours dans l’administration de la république. Mais il est vraisemblable que cette première aversion s’était fortifiée par la différence de leurs moeurs et de leur conduite. Aristide était d’un caractère doux et d’une vie irréprochable ; il ne se proposait pour but de son administration ni la faveur du peuple, ni même sa propre gloire ; toujours porté à ce qu’il croyait le meilleur et à ce qui se conciliait le plus avec la sûreté et la justice, il était souvent obligé de résister à Thémistocle, et de s’opposer à l’agrandissement d’un homme qui, voulant introduire dans la république de grands changements, excitait sans cesse le peuple à de nouvelles entreprises.

En effet, Thémistocle était si fort possédé de l’amour de la gloire, si passionné pour les grandes actions, que dans sa jeunesse, après la bataille de Marathon, gagnée par les Athéniens sur les Barbares, entendant vanter partout les exploits de Miltiade, il restait souvent pensif et rêveur, passait les nuits sans dormir, et ne fréquentait plus les festins publics. Lorsque ses amis, surpris de ce changement de vie, lui en demandaient la raison, il leur répondait que les trophées de Miltiade lui ôtaient le sommeil. Les Athéniens regardaient la défaite des Barbares à Marathon comme la fin de la guerre ; mais Thémistocle pensait au contraire qu’elle n’était que le prélude de plus grands combats ; prévoyant de loin les événements, il se préparait[17] à cet avenir pour assurer dès lors le salut de la Grèce, et il y disposait ses concitoyens.

IV. Dans cette vue, sa première démarche fut d’oser, seul, proposer aux Athéniens d’affecter à la construction de galères à trois rangs de rames le produit des mines d’argent de Laurium[18], dont ils étaient dans l’usage de se partager les revenus. Cette nouvelle destination devait leur fournir les moyens de résister aux Éginètes, qui, maîtres de la mer, qu’ils couvraient de leurs nombreux vaisseaux, faisaient à la Grèce la guerre la plus redoutable qu’elle eût alors à soutenir[19]. Ce fut par ce motif qu’il détermina facilement les Athéniens à ce sacrifice, et non par la crainte de Darius et des Perses, alors trop éloignés, et dont on appréhendait peu le retour[20]. Thémistocle, pour engager les Athéniens à faire ces préparatifs, sut réveiller à propos leur jalousie et leur ressentiment contre les Éginètes. On construisit, avec l’argent des mines, cent galères qui combattirent dans la suite contre Xerxès.

Dès ce moment il tourna les vues des Athéniens du côté de la mer, et sut les amener à former une marine considérable, en leur montrant que sur terre ils n’étaient pas en état de résister même à leurs voisins, au lieu qu’avec des forces maritimes ils pourraient repousser les Barbares et commander au reste de la Grèce. Mais par là, suivant Platon, il changea d’excellentes troupes de terre en matelots et en gens de mer ; et il mérita le reproche d’avoir arraché aux Athéniens la pique et le bouclier pour les réduire au banc et à la rame[21]. Miltiade, au rapport de Stésimbrote, était d’un avis contraire à celui de Thémistocle ; mais enfin ce dernier l’emporta.

Ce changement corrompit-il la simplicité et la pureté du gouvernement d’Athènes ? c’est une question trop philosophique pour la traiter ici ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’alors la Grèce dut son salut à la mer, et que ses vaisseaux rétablirent Athènes, qui avait été entièrement détruite. Entre plusieurs preuves que j’en pourrais donner, un témoignage incontestable, c’est la conduite de Xerxès, qui, après la défaite de sa flotte, quand son armée de terre n’avait encore reçu aucun échec, prit aussitôt la fuite, et reconnut par là qu’il lui était impossible de tenir tête aux Athéniens. S’il laissa Mardonius en Grèce, ce fut plutôt, selon moi, pour empêcher les Grecs de le poursuivre que dans l’espérance de les soumettre.

V. Quelques auteurs représentent Thémistocle occupé sans cesse d’amasser de l’argent pour fournir à ses prodigalités[22]. Comme il aimait à faire des sacrifices et à traiter magnifiquement les étrangers, il lui fallait de grandes richesses pour suffire à cette dépense. D’autres, au contraire, l’accusent d’une avarice et d’une mesquinerie sordides ; ils vont jusqu’à dire qu’il envoyait vendre au marché les comestibles dont on lui faisait présent. Philides, qui avait des haras, lui ayant refusé un poulain qu’il lui avait demandé, il le menaça de faire bientôt sortir de sa maison un nouveau cheval de Troie[23] : il lui donnait à entendre, d’une manière énigmatique, qu’il lui susciterait des disputes et des procès avec ses parents.

Il est vrai que personne ne porta l’ambition aussi loin que lui. Dans sa jeunesse, lorsqu’il était encore peu connu, il obtint, à force de prières, d’un joueur de lyre de la ville d’Hermione, nommé Épiclès, fort recherché des Athéniens, qu’il vînt donner ses leçons chez lui, afin qu’on vît sa maison toujours pleine de monde[24]. Une année qu’il alla aux jeux olympiques, il entra en rivalité avec Cimon pour les frais de la table, pour la dépense des habits et des équipages. Sa vanité déplut aux Grecs, qui trouvaient cette magnificence convenable à Cimon, encore jeune, et d’une des premières maisons d’Athènes ; mais dans Thémistocle, qui, à peine connu, osait ainsi s’élever au-dessus de sa fortune, elle parut d’une fierté et d’une arrogance ridicules. Il fit aussi les frais d’une tragédie, et remporta le prix. Dès ce temps-là, la gloire de vaincre dans ces jeux excitait une vive émulation, et était ambitionnée avec ardeur. Thémistocle fit faire un tableau de cette victoire et mit au bas cette inscription : “Thémistocle, du bourg de Phréar, faisait les frais du choeur ; Phrynichus[25] avait composé la tragédie, et Adimante était archonte.”

Il sut cependant se rendre agréable à la multitude, soit par son attention à saluer chaque citoyen par son nom, sans avoir besoin que personne le lui nommât, soit par son impartialité dans les jugements qu’il rendait pendant qu’il était archonte. Le poète Simonide de Céos lui ayant un jour demandé quelque chose d’injuste[26] : “Vous ne seriez pas un bon poète, lui dit-il, si vous manquiez aux règles de la poésie, ni moi un bon magistrat si j’accordais une grâce contre les lois.” Il disait à ce même poète, en plaisantant, que c’était faire preuve de peu de sens que de médire des Corinthiens, qui habitaient une ville grande et puissante, et de se faire peindre laid comme il était. Lorsqu’il vit sa puissance augmentée et son crédit auprès du peuple bien établi, il forma une faction par le moyen de laquelle il fit condamner Aristide au ban de l’ostracisme.

VI. A la première nouvelle de la marche des Mèdes contre la Grèce, les Athéniens s’assemblèrent pour délibérer sur le choix d’un général. Tous ceux qui pouvaient y prétendre, étonnés, dit-on, de la grandeur du péril, renoncèrent au commandement. Le seul Épicidès, fils d’Euphémidès, orateur véhément, mais faible de coeur et facile à corrompre, osa le briguer ; et il paraissait devoir réunir tous les suffrages. Mais Thémistocle, qui prévoyait la perte de la Grèce si le commandement tombait dans les mains d’un tel homme, acheta son ambition, et réussit à l’écarter. Sa conduite envers l’interprète des ambassadeurs que le roi avait envoyés pour demander aux Athéniens la terre et l’eau lui fit honneur auprès des Grecs.

Il proposa de l’arrêter, et le fit condamner à mort par un décret du peuple, pour avoir osé employer la langue grecque à exprimer les ordres d’un Barbare[27]. On n’approuva pas moins sa sévérité contre Arthmius de Zèle, qui, sur son rapport, fut noté d’infamie, lui, ses enfants et toute sa postérité, pour avoir apporté en Grèce l’or des Mèdes[28]. Mais ce qu’il fit en cette occasion de plus important, ce fut d’avoir éteint les guerres intestines qui agitaient la Grèce, d’avoir réconcilié les villes entre elles, de leur avoir persuadé de sacrifier leurs inimitiés particulières au danger commun qui les menaçait. Il fut en cela, dit-on, secondé par Chiléus d’Arcadie.

VII. Dès qu’on l’eut nommé général, il fit tous ses efforts pour déterminer les Athéniens à monter sur leurs galères, et à quitter la ville pour aller le plus loin qu’ils pourraient de la Grèce, au-devant de la flotte des Barbares. Mais le peuple ayant rejeté ce conseil, il conduisit par terre avec les Lacédémoniens une grande armée à Tempé[29] pour défendre la Thessalie, qu’on ne soupçonnait pas encore d’avoir embrassé le parti des Mèdes. Ils quittèrent ce poste sans avoir rien fait ; et les Thessaliens, avec tout le pays du voisinage jusqu’à la Béotie, s’étant déclarés pour le roi, les Athéniens penchèrent alors vers l’expédition maritime que Thémistocle leur avait proposée, et ils l’envoyèrent avec une flotte à Artémisium pour garder le détroit[30].

Là, tous les autres Grecs voulurent céder le premier rang aux Lacédémoniens, et déférer le commandement à leur général Eurybiade. Mais les Athéniens, sous prétexte qu’ils avaient seuls plus de vaisseaux que tous les autres Grecs ensemble[31], refusaient de marcher sous les ordres d’un autre général que le leur. Thémistocle, qui sentit tout le danger d’une pareille prétention, céda de lui-même le commandement à Eurybiade, et adoucit les Athéniens en leur promettant que, s’ils se comportaient en gens de coeur dans cette guerre, les Grecs, dans la suite, leur céderaient sans peine la première place[32]. Ce fut principalement à ce conseil que la Grèce dut son salut, et les Athéniens la gloire d’avoir vaincu les ennemis par leur courage, et les alliés par leurs bons procédés.

Cependant la flotte des Barbares ayant jeté l’ancre aux Aphètes[33], Eurybiade, effrayé à la vue d’un si grand nombre de vaisseaux, apprenant d’ailleurs que deux cents autres allaient au-dessus de file de Sciathos[34] pour les envelopper, persuadé enfin que le roi serait invincible sur mer, voulait regagner au plus tôt l’intérieur de la Grèce, et se tenir près des côtes du Péloponnèse, afin que l’armée de terre fût à portée de secourir celle de mer. Les Eubéens, qui craignirent de se voir abandonnés par les Grecs, envoyèrent secrètement à Thémistocle un de leurs citoyens, nommé Pélagon, avec une somme d’argent considérable. Thémistocle, au rapport d’Hérodote, la reçut et la donna à Eurybiade[35].

Cependant un Athénien appelé Architélès, qui commandait la galère sacrée, manquant d’argent pour payer ses matelots, pressait vivement le départ. Thémistocle souleva contre lui les gens de son équipage, qui, déjà mécontents, s’attroupèrent et lui enlevèrent son souper. Architélès, indigné de cet affront, allait en porter ses plaintes, lorsque Thémistocle lui envoya du pain et de la viande dans un panier, au fond duquel il avait mis un talent ; il lui fit dire de souper tranquillement, et le lendemain de satisfaire ses matelots, s’il ne voulait pas être dénoncé auprès des Athéniens comme ayant reçu de l’argent des ennemis. Tel est le récit de Phanias de Lesbos.

VIII. Les premiers combats donnés dans le détroit contre les Barbares, sans être décisifs, ne laissèrent pas d’être avantageux aux Grecs. Ils y firent l’essai de leurs forces ; et cet essai leur apprit, au milieu même des dangers, que le nombre des vaisseaux, la pompe et la magnificence de leurs ornements. les clameurs insolentes et les chants de victoire des Barbares, n’ont rien d’effrayant pour des hommes fermes, intrépides, qui, méprisant tout ce vain appareil, vont droit à l’ennemi, le serrent de près, le saisissent et ne lâchent jamais prise. Sans doute Pindare connaissait tout l’avantage d’une pareille attaque lorsqu’il a dit de cette bataille d’Artémisium :

Oui, c’est dans ce combat qu’Athènes a jeté

Les fondements heureux de notre liberté.

En effet, le courage et la hardiesse sont le commencement de la victoire. Artémisium, promontoire de l’île d’Eubée, s’étend au nord au-dessus de la ville d’Histiée, en face de celle d’Olyson, qui fut autrefois sous la domination de Philoctète[36]. On y voit un petit temple consacré à Artémis orientale. Il est entouré d’un bois et décoré d’un portique de marbre blanc qui, frotté avec la main, rend l’odeur du safran et en prend même la couleur. Sur une des colonnes du portique on lit l’inscription suivante :

Vainqueurs des nations, qui, du fond de l’Asie,

Venaient pour asservir leur illustre patrie,

Les enfants de Cécrops, au milieu de ces flots,

Des Perses orgueilleux ont détruit les vaisseaux ;

Et pour éterniser cet exploit mémorable,

Ils dressent à Artémis un monument durable.

On montre encore un endroit de la côte où, dans une assez grande circonférence, se trouve une poussière de cendres mêlée de sable, et noire comme si elle eût passé au feu. On croit que c’est là que furent brûlés les morts et les débris des vaisseaux.

IX. Cependant les Grecs ayant appris à Artémisium que Léonidas avait été tué aux Thermopyles, et que Xerxès était maître des passages de terre, cette nouvelle les détermina à rentrer dans l’intérieur de la Grèce. Pendant cette marche, les Athéniens, dont les exploits avaient fort relevé le courage, formaient l’arrière-garde. Thémistocle, en côtoyant les bords où les ennemis devaient nécessairement venir mouiller l’ancre et se rafraîchir, fit graver en grosses lettres, sur des pierres qu’il trouvait sur le rivage ou sur d’autres qu’il faisait placer dans les endroits les plus commodes pour faire de l’eau ou pour se mettre à l’abri, les paroles suivantes, qu’il adressait aux Ioniens : “Venez, s’il vous est possible, vous réunir à vos pères[37], qui s’exposent les premiers pour défendre votre liberté. Si vous ne le pouvez pas, du moins dans les combats faites aux Barbares le plus de mal que vous pourrez, et jetez le désordre dans leur armée.” Il espérait ou attirer les Ioniens dans le parti des Grecs ou les rendre suspects aux Barbares.

Cependant Xerxès, ayant pénétré par le haut de la Doride dans le pays des Phocéens, brûlait et saccageait leurs villes, sans que les Grecs[38] fissent aucun mouvement pour les secourir, quoique les Athéniens les eussent pressés d’aller par terre dans la Béotie, afin de couvrir l’Attique, comme ils étaient allés eux-mêmes par mer à Artémisium pour les défendre. Mais personne ne les écoutait. Les autres Grecs, ne pensant qu’à sauver le Péloponnèse, voulaient rassembler dans l’intérieur de l’isthme toutes les forces de la Grèce, et le fermer ensuite d’une muraille depuis une mer jusqu’à l’autre. Cette défection irrita d’abord les Athéniens, et ensuite les jeta dans la tristesse et le découragement. Ne pouvant pas songer à combattre seuls tant de milliers d’ennemis, l’unique parti qui leur restât à prendre était d’abandonner Athènes et de monter sur leurs vaisseaux ; mais le peuple ne pouvait s’y résoudre. Ils étaient persuadés qu’en quittant les temples des dieux et les tombeaux de leurs ancêtres, il fallait renoncer à toute espérance de victoire et de salut.

X. Thémistocle, désespérant d’y déterminer le peuple par des raisonnements humains, eut recours à des moyens d’une autre espèce, comme dans certaines tragédies on emploie des machines pour amener le dénouement[39] : il fit intervenir les prodiges et les oracles. Le prodige qu’il supposa fut la disparition subite du dragon d’Athéna, qu’on ne vit point ces jours-là dans le sanctuaire[40]. Les oblations qu’on lui faisait chaque jour restèrent entières ; et les prêtres[41], à qui Thémistocle avait fait la leçon, répandirent parmi le peuple que la déesse avait quitté la citadelle, et qu’elle leur donnait l’exemple de prendre le chemin de la mer. En même temps, il faisait valoir l’autorité de l’oracle, qui leur ordonnait de se sauver dans des murailles de bois[42] : il leur assurait que, par cette réponse, la Pythie ne désignait autre chose que leurs vaisseaux ; qu’en conséquence, le dieu, dans cet oracle, donnait à Salamine l’épithète de divine et non celle de malheureuse et de funeste, parce que cette île donnerait son nom au plus grand exploit que les Grecs eussent encore fait. Son avis ayant enfin prévalu[43], il dressa le décret qui portait que les Athéniens mettraient leur ville sous la garde d’Athéna, protectrice d’Athènes ; que tous les citoyens en âge de porter les armes s’embarqueraient, et que chacun pourvoirait du mieux qu’il lui serait possible à la sûreté de sa femme, de ses enfants et de ses esclaves. Le décret ayant passé, la plupart des Athéniens envoyèrent leurs parents et leurs femmes à Trézène[44], où ils furent reçus avec beaucoup de générosité. Les Trézéniens ordonnèrent qu’ils seraient nourris aux dépens du public ; ils leur assignèrent à chacun deux oboles par jour, permirent aux enfants de cueillir des fruits dans tous les jardins, et fournirent aux honoraires des maîtres chargés de les instruire[45] Nicagoras fut l’auteur de ce décret.

Comme les Athéniens n’avaient pas alors de trésor public, l’aréopage, au rapport d’Aristote, fit distribuer aux soldats huit drachmes par jour. Il fut, par cette distribution, la vraie cause de l’armement des galères. Mais, suivant Clidémus[46], on dut cet argent à un stratagème de Thémistocle. Il raconte que, lorsque les Athéniens furent descendus au Pirée, l’égide de la statue d’Athéna se trouva perdue ; que Thémistocle, en fouillant partout sous prétexte de la chercher, découvrit beaucoup d’argent qu’on avait caché parmi les hardes, et qui, mis en commun, fournit abondamment aux soldats les provisions nécessaires.

Quand toute la ville fut embarquée, ce spectacle excita la compassion des uns, et remplit les autres d’admiration pour l’intrépidité de ces hommes qui, envoyant ainsi leurs parents dans une ville étrangère sans être ébranlés par les gémissements, les larmes et les embrassements de ce qu’ils avaient de plus cher, allaient eux-mêmes combattre à Salamine ; rien surtout n’excitait autant la pitié qu’une foule de vieillards que leur âge obligeait de laisser dans la ville[47]. A ce sentiment si douloureux venait se joindre une sorte d’attendrissement et de peine à la vue de cette multitude d’animaux domestiques qui, par des hurlements plaintifs, témoignaient leurs regrets du départ de leurs maîtres. On cite entre autres le chien de Xanthippe, père de Périclès, qui, ne pouvant se résoudre à se séparer de lui, se jeta à la mer, et nagea près de son vaisseau jusqu’à Salamine, où il aborda épuisé de fatigue, et expira sur le rivage. On montre encore dans cette île l’endroit où l’on dit qu’il fut enterré, et qu’on appelle Cynosema[48].

XI. Un fait que je ne dois pas passer sous silence vient encore ajouter du prix à la conduite si digne d’éloges que Thémistocle avait tenue jusque alors. Il s’était aperçu que les Athéniens regrettaient Aristide, qu’ils craignaient que le ressentiment de son exil ne le portât à se joindre aux Barbares, et qu’il ne ruinât ainsi les affaires de la Grèce car, peu de temps avant la guerre, la faction de Thémistocle l’avait fait condamner au ban de l’ostracisme. Il fit donc rendre un décret qui donnait à tous les citoyens bannis pour un temps la liberté de revenir, et les autorisait à faire et à proposer, conjointement avec les autres Athéniens, tout ce qu’ils croiraient utile pour le salut de la Grèce.

Eurybiade, que la prépondérance de la ville de Sparte avait fait nommer, malgré son peu de courage[49], général de toute la flotte, voulait absolument partir et se retirer vers l’isthme, où l’armée de terre des Péloponnésiens était rassemblée. Thémistocle s’y opposa ; et ce fut dans cette occasion qu’il fit quelques réponses qu’on a conservées. “Thémistocle, lui dit Eurybiade, dans les jeux publics on châtie ceux qui se lèvent avant d’en avoir reçu l’ordre[50]. — Cela est vrai, repartit Thémistocle ; mais aussi on ne couronne jamais ceux qui restent derrière.” Eurybiade avant levé son bâton comme pour le frapper : “Frappe, lui dit Thémistocle ; mais écoute.” Eurybiade, étonné de sa douceur, lui ordonna de parler. Thémistocle l’avait déjà ramené à son avis, lorsqu’un des officiers se mit à dire qu’il ne convenait pas à un homme qui n’avait plus de ville déconseiller à ceux qui en avaient encore une de la quitter et de trahir leur patrie. Thémistocle, se tournant vers lui : “Misérable, lui dit-il, si nous avons abandonné nos maisons et nos murailles, c’est que nous n’avons pas cru devoir sacrifier notre liberté à des choses inanimées ; mais il nous reste encore la plus grande ville de la Grèce : elle est dans ces 200 galères qui sont ici pour vous secourir et vous sauver, si toutefois vous voulez l’être. Mais si, vous partez, si vous nous abandonnez une seconde fois, bientôt les Grecs[51] entendront dire que les Athéniens possèdent une ville libre et de meilleures terres que celles qu’ils ont quittées[52].” Ces paroles firent soupçonner et craindre à Eurybiade que les Athéniens n’eussent la pensée d’aller s’établir ailleurs. Un Érétrien ayant voulu parler contre l’avis de Thémistocle : “Eh quoi ! lui dit ce général, vous vous mêlez aussi de parler de guerre, vous qui ressemblez à ces poissons qui ont une épée et n’ont pas de coeur[53] !”

XII. Pendant que Thémistocle tenait ces discours sur le tillac du vaisseau, il parut, dit-on, une chouette qui, volant à sa droite, alla se poser sur le haut du mât. Ce fut surtout ce qui acheva de ranger les Grecs à son opinion[54] ; et ils se préparèrent à combattre sur mer. Mais lorsque la flotte ennemie, paraissant sur les côtes de l’Attique, vers le port de Phalère, eut couvert tous les rivages des environs, et que le roi lui-même se fut approché de la mer avec son armée de terre, les raisons de Thémistocle s’effacèrent de tous les esprits ; et les Péloponnésiens, tournant de nouveau leurs regards vers l’isthme, ne souffraient pas même qu’on proposât aucun autre avis. Il fut donc résolu qu’on partirait la nuit même, et l’ordre en fut porté à tous les capitaines. Thémistocle, qui voyait avec douleur que les Grecs, en se dispersant chacun dans leurs villes, allaient perdre tout l’avantage que ces lieux étroits leur donnaient, imagina d’employer la ruse. Pour cet effet, il se servit d’un prisonnier de guerre nommé Sicinus :

c’était un Perse de naissance, ami de Thémistocle, et l’instituteur de ses enfants[55]. Il le dépêcha secrètement au roi de Perse, avec ordre de lui dire que Thémistocle, général des Athéniens, étant affectionné à ses intérêts, lui faisait donner le premier l’avis que les Grecs pensaient à prendre la fuite ; qu’il lui conseillait de ne pas les laisser échapper, mais de les attaquer pendant que l’absence de leur armée de terre les jetait dans le trouble, et de profiter du moment pour détruire leurs forces navales. Cet avis combla de joie Xerxès, qui le prit pour une marque d’intérêt de la part de Thémistocle. Il fit porter aussitôt à ses capitaines l’ordre d’embarquer à loisir leurs troupes, mais de détacher tout de suite du gros de la flotte 200 vaisseaux pour aller se saisir de tous les passages, et environner les îles[56], afin qu’il ne pût s’échapper un seul ennemi.

Aristide, fils de Lysimachus, qui s’aperçut le premier de ce mouvement, se rendit à la tente de Thémistocle, dont il n’était pas l’ami, et qui, comme nous l’avons dit, l’avait fait bannir d’Athènes par ses intrigues[57]. Thémistocle étant allé à sa rencontre, Aristide l’avertit qu’ils étaient environnés par les Perses. Thémistocle, qui connaissait sa probité, charmé de son retour, lui découvrit ce qu’il avait fait par le moyen de Sicinus ; il le pria de l’aider à retenir les Grecs, qui avaient confiance en lui, et de les engager à combattre dans le détroit. Aristide, après avoir loué Thémistocle, va trouver les généraux et les capitaines, et les exhorte vivement à combattre. Ils ne pouvaient pas croire encore qu’ils fussent enveloppés, lorsqu’une galère ténédienne, commandée par Panétius, passa de leur côté[58], et leur en confirma la nouvelle. La colère et la nécessité les décidèrent à combattre.

XIII. Le lendemain à la pointe du jour, Xerxès se plaça sur une hauteur, d’où il découvrait toute sa flotte et son ordre de bataille. Il était, suivant Phanodème[59], au-dessus du temple d’Héraclès, près de l’endroit le plus resserré du canal qui sépare l’île de Salamine de l’Attique. Acestodore prétend qu’il s’était placé aux confins de Mégare, sur des coteaux qu’on appelle les Cornes[60]. Assis sur un siège d’or[61], il avait à ses côtés plusieurs secrétaires chargés d’écrire tous les événements du combat.

Pendant que Thémistocle faisait un sacrifice sur le vaisseau amiral, on lui amena trois jeunes prisonniers d’une grande beauté, magnifiquement vêtus et chargés d’ornements d’or : on les disait fils d’Autarctus et de Sandaucé, soeur du roi. Le devin Euphrantidès les eut à peine aperçus, qu’il vit une flamme très vive s’élever du milieu des victimes, et qu’en même temps il entendit éternuer à droite[62]. Aussitôt, prenant la main de Thémistocle, il lui ordonne de vouer ces trois jeunes gens à Dionysos Omestes[63], et de les lui immoler c’était, disait-il, le seul moyen d’assurer aux Grecs le salut et la victoire. A cette barbare prédiction, Thémistocle, consterné, restait immobile ; mais la multitude, qui, dans les conjonctures difficiles et dans les périls extrêmes, espère bien plus son salut des moyens extraordinaires, quelque étranges qu’ils soient, que de ceux qui sont dictés par la raison, se mit à invoquer le dieu tout d’une voix ; et, menant les prisonniers au pied de l’autel, elle força Thémistocle d’achever le sacrifice, comme le devin l’avait ordonné. Tel est le récit de Phanias de Lesbos, historien philosophe, et fort instruit des antiquités de l’histoire.

XIV. Quant au nombre des vaisseaux des Barbares, le poète Eschyle, qui le savait par lui-même[64], en parle d’une manière positive dans sa tragédie des Perses :

Xerxès était suivi de mille grands vaisseaux ;

Deux cent sept plus légers fendaient le sein des flots.

Les Athéniens en avaient cent quatre-vingts, montés chacun de dix-huit combattants placés sur le tillac, dont quatre tiraient de l’arc, et les autres étaient pesamment armés. Thémistocle ne fut pas moins habile à choisir le moment que le lieu du combat ; il eut soin de n’engager l’action qu’à l’heure où il souffle régulièrement de la mer un vent très fort qui soulève les vagues dans le détroit. Ce vent ne nuisait pas aux vaisseaux des Grecs, qui étaient plats et de médiocre hauteur ; mais il incommodait fort ceux des Barbares, qui étaient pesants et avaient la proue et les ponts très élevés. Il les faisait tourner de manière qu’ils présentaient le flanc aux Grecs, qui les chargeaient vivement, et qui avaient toujours les yeux sur Thémistocle, celui des généraux qui savait le mieux ce qu’il fallait faire. Celui-ci était aux prises avec Ariamène, amiral de Xerxès, prince rempli de courage, le plus brave et le plus juste des frères du roi. Il montait un très grand vaisseau, d’où il lançait une grêle de flèches et de traits comme du haut d’une muraille. Aminias de Décéfée et Sosiclès de Pédiée[65] fondirent ensemble sur lui avec tant d’impétuosité, que les deux vaisseaux s’accrochèrent. Ariamène sauta dans la galère ennemie ; et, après un long combat, les deux Athéniens le pressèrent si fort à coups de javelines, qu’ils le précipitèrent dans la mer. Artémise[66], ayant reconnu son corps, qui flottait parmi beaucoup d’autres, le remit à Xerxès.

XV. Le combat s’engageait ainsi peu à peu, lorsqu’il parut, dit-on, une grande flamme du côté d’Éleusis[67], et toute la plaine, depuis Thriasie jusqu’à la mer, retentit, d’un bruit de voix confuses, comme d’un grand nombre de personnes qui conduisaient le dieu Iacchos et célébraient ses mystères. Cette multitude faisait élever dans sa marche un nuage de poussière qui, venant de la terre, alla tomber sur les vaisseaux des Grecs. D’autres crurent voir des fantômes et des figures d’hommes armés qui, de l’île d’Égine, tendaient les mains vers les galères des Grecs. On conjectura que c’étaient les Éacides, dont on avait imploré le secours avant le combat[68].

Lycomède, capitaine d’une galère athénienne, fut le premier qui s’empara d’un vaisseau ennemi ; il en enleva sur-le-champ les enseignes[69], et les consacra à Apollon Daphnéphore. Les autres capitaines, qui, à la faveur du détroit, avaient un front égal à celui des Barbares, dont les vaisseaux ne pouvaient que venir à la file, et s’embarrassaient les uns les autres, combattirent avec tant de constance jusqu’à la nuit, qu’ils obligèrent les Perses de prendre la fuite, et remportèrent, dit Simonide, cette victoire si belle et si célèbre, la plus grande et la plus glorieuse que les Grecs et toutes les nations barbares eussent jamais remportée sur mer. On la dut autant à la valeur et au courage des soldats qu’à la prudence et à l’habileté de Thémistocle.

XVI. Après la bataille, Xerxès, qui voulait lutter encore avec courage contre le malheur, entreprit de combler le détroit, afin de conduire par là son armée de terre à Salamine, et de fermer ce passage aux Grecs[70]. Thémistocle, pour sonder Aristide, feignit de vouloir passer dans l’Hellespont pour y couper le pont de bateaux que Xerxès y avait construit[71], “afin, lui dit-il, que nous prenions l’Asie dans l’Europe.” Aristide ne goûta point ce projet. “Jusqu’à présent, dit-il à Thémistocle, nous avons combattu contre un roi amolli par les délices ; mais si nous l’enfermons dans la Grèce, et que la crainte le réduise à la nécessité de combattre, lorsqu’il commande encore à des troupes si nombreuses, alors il ne se tiendra plus sous un pavillon doré pour y être le spectateur tranquille du combat ; il osera tout tenter ; il se portera partout où le danger l’appellera ; il réparera ses pertes, et, voyant qu’il s’agit de tout pour lui, il suivra de meilleurs conseils. Ainsi, Thémistocle, loin de rompre ce pont, il faudrait pouvoir lui en bâtir un second, pour le chasser plus tôt de l’Europe. Si vous jugez ce parti utile, reprit Thémistocle, il est temps de nous en occuper tous ensemble, et d’imaginer quelque stratagème pour le faire sortir de la Grèce le plus promptement possible.”

Ce parti ayant été résolu, Thémistocle prit un eunuque de Xerxès, nommé Arnacès, qui se trouvait parmi les prisonniers[72], et l’envoya vers ce prince, avec ordre de lui dire que les Grecs, vainqueurs sur mer, se préparaient à faire voile vers l’Hellespont pour couper le pont de bateaux qu’il avait construit ; que Thémistocle, qui s’intéressait toujours au roi, lui conseillait de regagner au plus tôt les mers de son obéissance pour de là passer en Asie ; que, de son côté, il trouverait des prétextes pour amuser les alliés et retarder leur poursuite. A cette nouvelle, le Barbare, saisi d’effroi, fit sa retraite avec la plus grande précipitation. La suite des événements justifia la prudence de Thémistocle et d’Aristide, par le danger extrême que courut la Grèce à la bataille de Platées, contre Mardonius, qui n’avait cependant qu’une petite partie de l’armée de Xerxès[73].

XVII. De toutes les villes de la Grèce, Égine fut, au rapport d’Hérodote, celle qui se distingua le plus à cette bataille ; mais tous les Grecs adjugèrent à Thémistocle le prix de la valeur, avec regret cependant, parce qu’ils portaient envie à sa gloire. Quand ils furent rentrés dans l’isthme, et que les capitaines eurent pris sur l’autel des billets qui devaient servir à donner leur suffrage, chacun s’adjugea le premier prix du courage, et donna le second à Thémistocle[74]. Les Lacédémoniens eux-mêmes, l’ayant mené à Sparte, décernèrent à Eurybiade le prix de la valeur, et à Thémistocle celui de la sagesse ; ils leur donnèrent à chacun une branche d’olivier, et firent présent à Thémistocle du plus beau char qui fût dans la ville ; enfin, lorsqu’il partit, trois cents jeunes Spartiates le reconduisirent par honneur jusqu’aux frontières de la Laconie[75]. Aux premiers jeux olympiques qui suivirent cette bataille, Thémistocle ayant paru dans le stade, les spectateurs, oubliant les combattants, eurent toute la journée les yeux fixés sur lui ; ils le montraient aux étrangers, ils battaient des mains, et ne pouvaient assez lui témoigner toute leur admiration. Thémistocle, hors de lui-même, avoua à ses amis que ce jour seul le payait de tout ce qu’il avait souffert pour la Grèce.

XVIII. Sa passion pour la gloire était sans bornes, à en juger par les divers traits qu’on rapporte de lui. Lorsque les Athéniens l’eurent nommé leur amiral, il suspendit l’expédition de toute affaire publique ou particulière ; et toutes celles qui lui survinrent, il les renvoya au jour qu’il devait s’embarquer, afin qu’en le voyant juger à la fois un si grand nombre d’affaires, et parler à tant de sortes de gens, on conçût une plus haute idée de sa grandeur et de sa puissance.

Un jour, en passant le long du rivage de la mer, il s’arrêta à regarder les corps morts que les flots apportaient ; et en ayant vu plusieurs qui avaient des colliers et des bracelets d’or, il continua son chemin, et dit à un de ses amis qui le suivaient : “Prends cela, car tu n’es pas Thémistocle.” Un jeune homme d’une grande beauté, appelé Antiphatès, qui d’abord avait traité Thémistocle avec beaucoup de fierté, lui faisait assidûment la cour depuis qu’il avait acquis une grande réputation. “Mon ami, lui dit Thémistocle, nous sommes devenus sages en même temps, mais tous deux un peu tard.” Il disait que les Athéniens n’avaient plus pour lui d’admiration ni d’estime ; mais qu’ils se servaient de lui comme d’un platane sous lequel on va se réfugier pendant l’orage, et lorsque le calme est revenu, on en coupe, on en arrache les branches. Un Sériphien lui disait un jour que ce n’était pas à lui-même, mais à sa patrie, qu’il devait sa gloire. “Tu dis vrai, lui répondit Thémistocle : si j’avais été de Sériphos[76], je ne me serais jamais illustré, ni toi, quand tu serais né à Athènes.

Un capitaine athénien, qui croyait avoir rendu à la république un service important, s’en vantait avec fierté devant Thémistocle, et comparait ses actions avec celles de ce général. “Le jour de fête, lui dit Thémistocle, eut dispute avec son lendemain : celui-ci se plaignait qu’il n’avait pas un moment de loisir, et qu’il était accablé de travail ; tandis que le jour de fête n’avait d’autre soin que de faire jouir tout le monde à son aise des biens qu’on avait amassés les autres jours. Tu as raison, répondit le jour de fête ; mais si je n’avais pas été, tu ne serais pas. Moi aussi, ajouta Thémistocle, si je n’avais pas été, où seriez-vous maintenant ?” Son fils abusait de la faiblesse de sa mère, et se servait d’elle pour gouverner son père. Thémistocle disait, en plaisantant, que son fils avait plus de pouvoir qu’aucun autre Grec : “Car, ajoutait-il, les Athéniens commandent aux Grecs, je commande aux Athéniens, sa mère me gouverne, et il gouverne sa mère.” Comme il affectait en tout la singularité, un jour qu’il avait mis en vente une de ses terres, il fit annoncer par le crieur public qu’elle avait un bon voisin. De deux citoyens qui recherchaient sa fille en mariage, il préféra l’homme de bien à l’homme riche, et dit à cette occasion qu’il voulait pour gendre un homme qui eût besoin de richesses, plutôt que des richesses qui eussent besoin d’un homme. Tels étaient ses apophtegmes[77].

XIX. Après avoir vu ses travaux couronnés jusque alors par le succès, il s’occupa, sans perdre un instant, de rebâtir et de fortifier Athènes. Mais comme il craignait l’opposition des éphores, il les gagna, dit Théopompe, à prix d’argent. Selon d’autres, il les trompa : il se rendit à Sparte avec le titre d’ambassadeur ; les Spartiates se plaignirent de ce qu’on fortifiait Athènes, et s’appuyèrent du témoignage de Poliarque, envoyé exprès à Lacédémone par les Eginètes pour accuser les Athéniens. Thémistocle nia le fait, et proposa d’envoyer des gens à Athènes pour s’en assurer. Il ne voulait que gagner du temps pour laisser achever les murailles, et donner en même temps aux Athéniens, dans ceux qu’on enverrait, des otages de sa personne. Sa ruse lui réussit ; les Lacédémoniens, instruits de la vérité, dissimulèrent leur ressentiment, et le laissèrent partir sans oser lui rien faire[78].

Voulant tourner du côté de la mer les vues des Athéniens, il fit ensuite fortifier le Pirée, parce qu’il avait reconnu la commodité de ses ports. En cela il suivit une politique tout opposée à celle des anciens rois d’Athènes, qui, dans l’intention d’éloigner les citoyens du commerce maritime, et de leur faire abandonner la navigation pour s’appliquer à l’agriculture, avaient répandu parmi le peuple que, dans la dispute qui s’était élevée entre Athéna et Poséidon pour savoir lequel des deux serait protecteur de l’Attique, Athéna montra l’olivier et gagna sa cause[79]. Thémistocle donc ne mêla point le Pirée avec la ville, comme le poète comique Aristophane[80] le lui reproche ; mais il attacha la ville au Pirée et la terre à la mer. Par là il donna de la force au peuple contre les nobles, et le remplit d’audace en mettant l’autorité entre les mains des matelots, des pilotes et des rameurs. Aussi dans la suite le tribunal qu’on avait placé dans le Pnyx[81], et qui regardait la mer, fut-il tourné du côté de la terre par les trente tyrans, qui pensaient que les forces maritimes favorisaient la démocratie, et que les laboureurs étaient moins opposés à l’oligarchie[82].

XX. Thémistocle, pour assurer à Athènes l’empire de la mer, avait conçu un bien plus grand dessein. Depuis la retraite de Xerxès, la flotte des Grecs était dans le port de Pagases[83], où elle devait hiverner. Il dit un jour aux Athéniens, en pleine assemblée, qu’il avait imaginé un projet dont l’exécution leur serait très avantageuse et très salutaire, mais qu’il ne pouvait pas le faire connaître au public. On lui ordonna de le communiquer à Aristide, en l’autorisant à l’exécuter si Aristide l’approuvait. Thémistocle lui ayant déclaré qu’il avait eu la pensée de brûler la flotte des Grecs, Aristide rentra dans l’assemblée, et dit que le projet de Thémistocle était à la fois le plus utile et le plus injuste. Aussitôt les Athéniens lui ordonnèrent d’y renoncer[84].

Les Lacédémoniens ayant proposé, dans le conseil des amphictyons, que les villes qui n’étaient pas entrées dans la ligue des Grecs contre les Mèdes fussent privées du droit de séance à ce conseil, Thémistocle, qui craignait que, si les Thessaliens, les Argiens et même les Thébains en étaient exclus, les Spartiates n’y devinssent maîtres des suffrages, défendit la cause de ces villes. Il amena les députés[85] à son sentiment en leur représentant qu’il n’y avait que trente et une villes, la plupart même peu considérables, qui eussent pris part à la guerre ; qu’il serait donc très dangereux pour le reste de la Grèce que deux ou trois villes principales pussent, par l’exclusion de toutes les autres, se partager l’autorité du conseil amphictyonique. Dès cet instant, il fut en butte à la mauvaise volonté des Lacédémoniens, qui, pour contrebalancer son pouvoir dans le gouvernement, lui suscitèrent un rival dans la personne de Cimon, qu’ils portèrent aux emplois publics.

XXI. Thémistocle s’attira aussi la haine des alliés en parcourant les îles pour y lever des contributions. Il alla chez les habitants de l’île d’Andros[86], et leur demanda de l’argent, en leur disant, au rapport d’Hérodote, qu’il venait avec deux divinités, la Persuasion et la Force. Ils lui répondirent qu’ils en avaient aussi deux qui n’étaient pas moins grandes que les siennes, la Pauvreté et l’Impuissance, qui leur défendaient de rien donner. C’est à ce sujet que Timocréon, poète de l’île de Rhodes, fait, dans une de ses chansons, un reproche bien mordant à Thémistocle : il l’accuse d’avoir rappelé des bannis -pour de l’argent, et de l’avoir abandonné, par le même intérêt, lui, son hôte et son ami.

Louez Pausanias, Xantippe, et Leutychide :

Pour moi, bien plus qu’eux tous, je célèbre Aristide.

Athènes a produit bien des héros fameux,

Mais elle n’eut jamais d’homme si vertueux.

La mère d’Apollon et de sa soeur Artémis

Déteste, en Thémistocle, un menteur, un profane[87],

Un traître,qui, séduit par l’amour de l’argent,

A trompé son ami, l’a trahi lâchement.

Il dut me ramener dans ma chère patrie,

Aux murs de Ialysos[88] ; mais cette âme flétrie

A reçu trois talents ; et, gagnant ses vaisseaux,

Je l’ai vu, loin de moi, fendre le sein des flots.

Que la mer, pour punir sa malice profonde,

Ne l’a-t-elle à l’instant englouti sous son onde !

Au gré de ses désirs, afin de s’enrichir,

Il rappelle d’exil, bannit et fait mourir ;

Et depuis, dans ces jeux que célèbre la Grèce,

Il vient insolemment étaler sa richesse.

Là, sa table est ouverte à qui veut s’y placer ;

Mais à travers ce faste on voit toujours percer

D’un sordide intérêt le signe indubitable :

Car souvent de mets froids faisant couvrir sa table,

Il fait aux conviés désirer que ses jours,

Avant la fin de l’an, soient au bout de leur cours.

Mais il lance contre lui des traits bien plus piquants et l’insulte plus ouvertement encore dans une chanson qu’il fit après que Thémistocle eut été condamné au bannissement, et qui commence ainsi :

De mes vers consacrés au temple de mémoire,

Muse, parmi les Grecs, fais éclater la gloire.

On dit que Timocréon fut banni parce qu’il avait embrassé le parti des Mèdes, et que Thémistocle opina pour sa condamnation. Aussi, lorsque Thémistocle subit la même accusation, Timocréon fit contre lui la chanson suivante :

Je ne suis pas le seul qui, traître à ma patrie,

Voulus à l’ennemi vendre mon industrie ;

Je connais d’autres gens aussi méchants que moi ;

Il est plus d’un renard qui flatte le grand roi.

XXII. Thémistocle, qui s’aperçut que ses concitoyens, envieux de sa gloire, prêtaient volontiers l’oreille à ces calomnies, fut comme forcé de se rendre encore plus odieux en rappelant sans cesse au peuple assemblé ses services et ses exploits ; et lorsqu’on lui témoignait qu’on était las d’entendre si souvent les mêmes choses : “Eh quoi ! leur disait-il, vous lassez-vous de recevoir souvent du bien des mêmes personnes ?” Il n’offensa pas moins le peuple en élevant un temple à Artémis Aristobule[89], pour faire entendre qu’il avait donné à Athènes et à toute la Grèce les meilleurs conseils. Il avait bâti ce temple près de la maison qu’il occupait dans le quartier de Mélite[90], où maintenant les bourreaux jettent les corps de ceux qu’ils ont exécutés et portent les habits des criminels avec les cordes dont ils les ont étranglés. On voyait encore de nos jours dans le temple d’Artémis Aristobule une petite statue de Thémistocle, qui faisait juger que sa figure répondait à l’élévation de son âme.

Les Athéniens donc, pour rabattre une autorité qui leur paraissait démesurée, prononcèrent contre lui le ban de l’ostracisme ; sorte d’exil qu’ils avaient coutume d’infliger à tous ceux dont la puissance, excédant les bornes de l’égalité démocratique, leur inspirait des craintes : car l’ostracisme n’était pas une punition ; c’était une espèce de satisfaction donnée au peuple, qui aimait à rabaisser ceux dont l’élévation lui faisait ombrage, et qui ne trouvait que dans leur chute un adoucissement à sa jalousie.

XXIII. Thémistocle, banni d’Athènes, vivait tranquillement à Argos, lorsque la découverte de la trahison de Pausanias[91] fournit à ses ennemis un sujet de le citer en justice. Léobotes, fils d’Alcméon, du bourg d’Agraule, intenta l’accusation, et les Spartiates la souscrivirent. Pausanias, quoique ami de Thémistocle, lui avait d’abord caché la trahison qu’il méditait ; mais quand il le vit banni d’Athènes et supportant impatiemment son exil, il se hasarda à lui en faire part, et le sollicita d’entrer dans son projet. Il lui montra les lettres du roi, et fit tous ses efforts pour l’irriter contre les Grecs en lui représentant leur méchanceté et leur ingratitude. Thémistocle rejeta la proposition de Pausanias, et lui déclara qu’il ne prendrait aucune part à ses complots ; mais il garda le plus grand secret sur ses confidences et sur l’entreprise qu’il méditait, espérant ou qu’il abandonnerait de lui-même des projets aussi déraisonnables que hasardeux et dont il ne pouvait attendre aucun succès[92], ou qu’ils seraient découverts de quelque autre manière.

Après que Pausanias eut été puni de mort[93], on trouva chez lui des lettres et d’autres écrits qui firent soupçonner Thémistocle de complicité. Les Lacédémoniens se déchaînèrent contre lui, et ses envieux d’Athènes l’accusèrent publiquement. Il était toujours exilé, et il se justifiait par lettres, surtout des premières calomnies de ses ennemis. Il écrivait aux Athéniens qu’ayant toujours recherché la domination, n’étant pas né pour être esclave, et ayant encore moins la volonté de le devenir, il était sans vraisemblance qu’il eût voulu se livrer lui et toute la Grèce à des ennemis et à des Barbares. Mais le peuple, gagné par ses accusateurs, envoya des gens à Argos avec ordre de l’arrêter et de l’amener à Athènes pour y être jugé par le conseil des Grecs.

XXIV. Thémistocle, averti à temps, passa dans l’île de Corcyre, dont il avait autrefois obligé les habitants. Nommé juge d’un différent qu’ils avaient avec les Corinthiens, il termina la querelle en faisant payer aux Corcyréens, par la ville de Corinthe, la somme de vingt talents. Il décida aussi que Corcyre et Corinthe posséderaient en commun l’île de Leucade, qui était une colonie de ces deux villes[94]. De là il s’enfuit en Épire ; et s’y voyant poursuivi par les Athéniens et les Spartiates, il prit le parti aussi incertain que périlleux de se réfugier chez Admète, roi des Molosses. Ce prince avait autrefois demandé je ne sais quel service aux Athéniens ; et Thémistocle, qui jouissait alors du plus grand crédit dans la république, ayant fait rejeter avec mépris sa demande, Admète en conservait du ressentiment, et laissait voir tout le désir qu’il avait de s’en venger s’il en trouvait l’occasion. Mais Thémistocle, qui, dans son exil, redoutait bien plus l’envie toute récente de ses concitoyens que l’ancienne inimitié de ce prince, aima mieux courir ce dernier risque. Il se présenta donc devant Admète, comme suppliant, mais d’une manière nouvelle et extraordinaire. Il prit entre ses bras le fils du roi, encore enfant, et se jeta à genoux devant son foyer. C’est la manière de supplier que les Molosses regardent comme la plus sacrée et la seule qu’il ne soit pas permis de rejeter. Quelques auteurs disent que ce fut Phthia, la femme du roi, qui suggéra à Thémistocle cette forme de supplication, et qui le plaça elle-même devant le foyer avec son fils entre les bras. Selon d’autres, ce fut Admète lui — même qui, pour se mettre dans la nécessité de refuser Thémistocle à ceux qui le redemanderaient, en sanctifiant son refus par un acte de religion, imagina cette manière de supplier, qui a quelque chose de tragique[95].

Pendant son séjour chez Admète, Épicrates d’Acarnanie lui envoya sa femme et ses enfants, qu’il avait fait sortir secrètement d’Athènes. Il fut pour cela cité depuis en justice par Cimon, et condamné à mort, s’il faut en croire Stésimbrote, qui, oubliant ensuite, je ne sais comment, ce qu’il avait dit plus haut, ou le faisant oublier à Thémistocle, raconte qu’il s’embarqua pour la Sicile ; que là il demanda au tyran Hiéron sa fille en mariage, en lui promettant de mettre les Grecs sous son obéissance ; et que, sur le refus d’Hiéron, il fit voile pour l’Asie.

XXV. Mais ce récit n’a aucune vraisemblance : car Théophraste, dans son ouvrage sur la royauté, rapporte qu’Hiéron envoya des chevaux à Olympie pour disputer le prix de la course, et y fit dresser un pavillon orné avec la plus grande, magnificence ; que Thémistocle proposa aux Grecs, en pleine assemblée, d’arracher le pavillon du tyran, et d’empêcher ses chevaux d’entrer en lice. Thucydide raconte même que Thémistocle s’embarqua à Pydna pour gagner l’autre mer[96]. Il n’était connu d’aucun des passagers ; mais le vaisseau ayant été porté par le vent vers l’île de Naxos, dont les Athéniens faisaient alors le siège, le danger qu’il courait l’obligea de se découvrir au maître du vaisseau et au pilote ; et employant tour à tour les prières et les menaces, il leur déclara qu’il les accuserait auprès des Athéniens de l’avoir reçu à bord quoiqu’ils le connussent, parce qu’ils s’étaient laissé corrompre. Par ce moyen il les força de passer outre ; et de cingler vers l’Asie, où ses amis lui firent passer une grande partie de ses biens, qu’ils avaient détournés ; tout ce qu’on en découvrit fut porté au trésor public, et se monta, selon Théopompe, à cent talents ; suivant Théophraste, à quatre-vingts seulement. Toute la fortune de Thémistocle lorsqu’il entra dans l’administration publique n’allait pas à trois talents[97].

XXVI. Arrivé à Cumes, il s’aperçut qu’il y avait sur le rivage beaucoup de gens apostés pour l’arrêter, et en particulier Ergotelès et Pythodore : c’était une riche proie pour ceux à qui tout moyen de s’enrichir est bon, car le roi de Perse avait fait publier qu’il donnerait deux cents talents à quiconque le lui livrerait. Il s’enfuit donc à Éges, petite ville de l’Éolie[98], où il n’était connu que de son hôte Nicogène, le plus riche des Éoliens, et très lié avec tous les seigneurs de la cour de Perse. Il s’y tenait caché depuis quelques jours, lorsqu’un soir après le souper, qui avait été suivi d’un sacrifice, Olbius, précepteur des fils de Nicogène, comme subitement inspiré et hors de lui-même, prononça ce vers tout haut :

Donne à la nuit la voix, le conseil, la victoire[99].

Thémistocle alla se coucher ; et dans son sommeil il crut voir un dragon qui s’entortillait autour de son corps, et qui, se glissant le long de son cou, n’eut pas plus tôt touché son visage, qu’il se changea en aigle, le couvrit de ses ailes, l’emporta dans un long espace de chemin, et le posa sur un caducée d’or qui parut tout à coup. Aussitôt il se sentit délivré du trouble et de la frayeur qu’il avait eus. Nicogène donc[100], pour le conduire en sûreté à la cour de Perse, s’avisa de cet expédient. La plupart des nations barbares, et surtout les Perses, ont naturellement pour leurs femmes une jalousie excessive, et non seulement pour celles qu’ils ont épousées, mais encore pour leurs concubines et pour les esclaves qu’ils ont achetées. Ils les font garder si étroitement que personne ne peut les voir, et dans leurs maisons même ils les tiennent enfermées ; en voyage ils les font porter sur des chariots, dans des pavillons clos de tous les côtés avec le plus grand soin. Nicogène fit mettre Thémistocle dans un de ces chariots bien couvert, et les gens qui l’accompagnaient avaient ordre de répondre aux questions que les passants pourraient leur faire que c’était une femme grecque qu’ils amenaient d’Ionie à un des seigneurs de la Porte du roi[101].

XXVII. Thucydide et Charon de Lampsaque[102] disent que Thémistocle n’arriva en Perse qu’après la mort de Xerxès, et qu’il fut présenté à son fils Artaxerxe. Éphore, Dinon, Clitarque, Héraclide[103], et plusieurs autres historiens, assurent que ce fut devant Xerxès lui-même qu’il parut[104]. Mais le sentiment de Thucydide semble s’accorder davantage avec les tables chronologiques, quoique dressées d’ailleurs avec assez peu de fidélité. Thémistocle, se voyant dans le moment critique, s’adressa d’abord à Artabane, capitaine de mille hommes d’armes[105] ; il lui dit qu’il était Grec de nation, et qu’il désirait entretenir le roi d’affaires très importantes, que ce prince lui-même avait fort à coeur. “Étranger, lui répondit Artabane, les lois des hommes ne sont pas les mêmes partout : ce qui est beau pour les uns ne l’est pas pour les autres ; mais il est beau pour tous de respecter et de maintenir les lois de leur pays. Vous autres Grecs, vous estimez, dit-on, au-dessus de tout la liberté et l’égalité ; pour nous, entre un grand nombre de belles lois que nous avons, la plus belle à nos yeux est celle qui nous ordonne d’honorer le roi, et d’adorer en lui l’image du dieu qui conserve toutes choses. Si donc tu veux t’accommoder à nos usages et l’adorer, tu pourras, comme nous, le voir et l’entretenir. Si tu es dans d’autres sentiments, tu ne lui parleras que par des intermédiaires : car la coutume de Perse est que personne ne puisse recevoir audience du monarque sans l’avoir adoré. — Artabane, lui répondit Thémistocle, je suis venu ici pour augmenter la gloire et la puissance du roi ; j’obéirai à vos lois, puisque telle est la volonté du dieu qui a élevé si haut l’empire des Perses ; je ferai même que votre maître reçoive les adorations d’un plus grand nombre de peuples : que cela n’apporte aucun obstacle au désir que j’ai de l’entretenir. — Mais, reprit Artabane, qui lui dirons-nous que tu es ? car tu ne me parais pas un homme ordinaire. — Pour cela, repartit Thémistocle, personne, Artabane, ne le saura avant le roi.”

Tel est le récit de Phanias. Ératosthène[106] ; dans son ouvrage sur la richesse, ajoute que ce fut une femme érétrienne, concubine d’Artabane, qui lui présenta Thémistocle.

XXVIII. Lorsqu’il parut devant le roi, il l’adora, et se tint en silence jusqu’à ce que l’interprète eut reçu l’ordre de lui demander son nom. Celui-ci lui ayant fait cette question, Thémistocle répondit ainsi : “Grand roi, je suis Thémistocle, Athénien, qui, banni et persécuté par les Grecs, viens chercher un asyle auprès de vous. A la vérité, j’ai fait bien du mal aux Perses ; mais je leur ai fait encore plus de bien en empêchant les Grecs de les poursuivre, lorsque la sûreté de la Grèce et de ma patrie, qui me devaient leur salut, me permettait de vous rendre quelque service. Aujourd’hui mes sentiments sont conformes à ma fortune ; et je viens également disposé ou à recevoir vos bienfaits, si votre ressentiment est calmé, ou à le détourner, s’il subsiste encore. Mes ennemis eux-mêmes vous seront témoins des services que j’ai rendus aux Perses. Que mon malheur donc vous serve plutôt à faire éclater votre vertu qu’à satisfaire votre vengeance. L’une sauvera la vie à un suppliant qui vient se livrer à vous ; l’autre perdrait un ennemi déclaré des Grecs.” Après ce discours, Thémistocle, pour consacrer en quelque sorte par un acte de religion ce qu’il venait de dire, rapporta au roi le songe qu’il avait eu chez Nicogène, et un oracle de Zeus de Dodone qui lui avait ordonné de se retirer auprès du prince qui portait le même nom que lui :

ce qu’il n’avait pu entendre que du roi de Perse, car Zeus et lui étaient les seuls qui fussent et qu’on appelât les grands rois. Artaxerxe, quoique rempli d’admiration pour sa grandeur d’âme et pour sa hardiesse, ne lui répondit rien dans cette première audience ; mais avec ses amis il se félicita de cet événement comme du plus grand bonheur qui pût lui arriver. Il pria le dieu Arimane[107] d’envoyer toujours à ses ennemis de semblables pensées, et de leur inspirer de bannir du milieu d’eux leurs plus grands hommes. Il fit aux dieux un sacrifice suivi d’un grand festin ; et il se coucha si transporté de joie, que la nuit on l’entendit s’écrier trois fois au milieu de son sommeil : “J’ai Thémistocle l’Athénien.”

XXIX. Le lendemain, à la pointe du jour, il convoqua ses amis, et fit venir Thémistocle, qui n’espérait rien de bon depuis qu’il avait vu les gardes de la Porte, aussitôt qu’ils avaient su son nom, témoigner ouvertement, leur mauvaise volonté contre lui, et s’emporte jusqu’à lui dire des injures. Roxanes, capitaine de mille hommes d’armes, le voyant passer devant lui lorsque le roi était déjà sur son trône et tout le monde dans un profond silence, lui dit tout bas en soupirant “Serpent artificieux de Grèce, c’est le bon génie du roi qui t’amène ici.” Mais quand il eut paru devant le roi, et qu’il l’eut adoré de nouveau, ce prince le salua, et lui dit avec honte qu’il lui devait déjà deux cents talents ; qu’étant venu lui-même se remettre entre ses mains, il était juste qu’il reçût la récompense promise à celui qui l’amènerait. Il lui en promit encore davantage, le rassura pleinement, et lui -ordonna de dire avec une entière liberté ce qu’il pensait des affaires de la Grèce.

Thémistocle lui répondit que, de même qu’une tapisserie doit être déployée pour que l’oeil puisse découvrir les figures qu’elle renferme, le discours a aussi besoin d’être développé pour étaler les figures qui en font l’agrément et l’intérêt ; qu’il lui fallait donc du temps pour se préparer à satisfaire à sa demande[108]. Le roi goûta la comparaison, et lui demanda celui qu’il voulait, prendre. Thémistocle demanda un an ; et dans cet intervalle, il apprit assez bien la langue persane pour pouvoir parler au roi sans interprète. Ceux qui n’étaient pas attachés à la cour crurent qu’il n’entretenait le roi que des affaires de la Grèce ; mais les changements arrivés dans ce temps-là parmi les amis même du prince lui attirèrent la haine des grands, qui crurent qu’il avait eu la hardiesse de parler librement au roi sur leur compte. Il est vrai que les honneurs qu’on faisait à la cour aux autres étrangers n’étaient rien en comparaison de ceux que Thémistocle recevait. Artaxerxe le mettait de toutes ses parties de chasse et de tous les divertissements du palais ; il le présenta même à la reine sa mère, qui le recevait familièrement chez elle. Enfin, il fut instruit, par ordre du roi, dans la philosophie des mages. Démarate le Lacédémonien était alors à la cour de Perse. Un jour le roi lui ayant ordonné de lui demander un présent, il lui demanda la permission de se promener à cheval dans la ville de Sardes avec la tiare royale sur la tête comme les rois de Perse[109]. Mithropaustes, cousin du roi, lui prenant la main : “Démarate, lui dit-il, cette tiare couvrirait bien peu de cervelle ; tu aurais beau prendre en main la foudre, tu ne serais pas pour cela Zeus.” Artaxerxe, irrité de cette demande, le poussa si durement Démarate, qu’il semblait ne devoir jamais lui pardonner. Thémistocle sollicita pour lui, et le remit dans les bonnes grâces du roi. Aussi dit-on, que sous les règnes suivants, où les relations des Perses avec la Grèce acquirent plus d’étendue, quand les rois voulaient attirer quelque Grec à leur service, ils lui promettaient, dans leurs lettres, de le faire plus grand que ne l’avait été Thémistocle. On ajoute que, parvenu à ce haut point de grandeur, et recherché de tout le monde, un jour qu’il vit sa table magnifiquement servie, il dit à ses enfants : “Mes amis, nous étions perdus si nous n’avions été perdus.” On assure que le roi lui donna trois villes pour son pain, son vin et sa viande, Magnésie, Lampsaque et Myonte[110]. Néanthès de Cyzique et Phanias en ajoutent deux autres pour son habillement et ses meubles, Percote et Palescepsis[111].

XXX. Dans un voyage qu’il fit sur les côtes maritimes de l’empire pour les affaires de la Grèce, un satrape nommé Épixyès, qui commandait dans la haute Phrygie lui dressa des embûches, et aposta quelques Pisidiens pour l’assassiner pendant qu’il serait dans la ville de Léontocéphale[112]. Mais avant d’y arriver, comme il dormait sur le midi, la mère des dieux lui apparut en songe, et lui dit : “Thémistocle, évite la Tête-de-Lion, de peur de tomber dans les griffes du lion. Pour prix de l’avis que je te donne, tu consacreras à mon service ta fille Mnésiptolème.” Thémistocle, se réveillant tout troublé, fait sa prière à la déesse, quitte le grand chemin ; et ayant pris un détour pour éviter cette ville, il va passer la nuit dans un autre lieu.

Là, une des bêtes de somme qui portait sa tente étant tombée dans l’eau, les esclaves de Thémistocle en étendirent les tapisseries pour les faire sécher. Les Pisidiens apostés par le satrape, ne distinguant pas au clair de la lune les tapisseries qui séchaient, et les prenant pour la tente de Thémistocle, accoururent l’épée à la main, croyant qu’ils l’y trouveraient endormi. Ils en étaient tout près, et levaient déjà la tapisserie, lorsque les gens de Thémistocle, qui les observaient, tombèrent sur eux, et s’en saisirent. Ce danger évité, Thémistocle pour remercier la déesse de cette apparition merveilleuse, lui bâtit un temple à Magnésie sous le nom de Dindymène[113], et en consacra prêtresse sa fille Mnésiptolème.

XXXI. Quand il fut à Sardes, il profita de son loisir pour en visiter les temples, et examiner le grand nombre d’offrandes qu’on y avait consacrées. Il vit dans le temple de la mère des dieux une petite statue de bronze, haute de deux coudées, qu’on appelait l’Hydrophore. Il l’avait fait faire lui-même pendant qu’il était intendant des eaux à Athènes, du profit des amendes auxquelles il condamnait ceux qui détournaient les eaux publiques dans des canaux particuliers, et il levait consacrée dans un temple. Soit qu’il la vît avec chagrin dans des mains étrangères, soit qu’il voulût faire connaître aux Athéniens tout le crédit dont il jouissait dans les états du roi, il parla de cette statue au satrape de Lydie, et lui demanda la permission de la renvoyer à Athènes. Le Barbare, irrité de sa demande, lui dit qu’il allait en écrire au roi. Thémistocle, effrayé, se réfugia dans l’appartement des femmes ; et ayant gagné, à force de présents, les concubines du satrape, il parvint à l’apaiser. Ce fut une leçon pour lui d’être à l’avenir plus réservé, afin de ne pas exciter la jalousie des Barbazes. Il ne voulut pas même parcourir les autres contées de l’Asie, quoique Théopompe ait écrit qu’il les visita ; mais il se fixa à Magnésie, où il jouissait des grands bienfaits du roi, et n’était pas moins honoré que les plus grands seigneurs de Perse. Il y vécut longtemps sans aucune crainte. Artaxerxe, assez occupé par les affaires qu’il avait dans les provinces supérieures de l’Asie, n’avait pas le temps de songer à celles de la Grèce.

Mais la révolte de l’Égypte, soutenue par les Athéniens, les progrès de la flotte des Grecs, qui, sous les ordres de Cimon, s’étant avancée jusqu’à l’île de Cypre et aux côtes de la Cilicie, était maîtresse de la mer, l’obligèrent de revenir sur ses pas, pour s’opposer à leurs entreprises, et les empêcher de se fortifier contre lui. Déjà on avait levé des troupes, et les officiers s’étaient rendus à leurs postes. On expédia donc des courriers à Magnésie, pour porter à Thémistocle l’ordre du roi d’aller commander cette expédition contre les Grecs, et acquitter les promesses qu’il lui avait faites ; mais Thémistocle ne voyait ni dans le ressentiment qu’il pouvait conserver encore contre ses concitoyens, ni dans la gloire et la puissance qui lui étaient offertes, un motif suffisant de se charger de la conduite de cette guerre. Peut-être même en croyait-il le succès impossible : car la Grèce avait alors plusieurs grands généraux, entre autres Cimon, qu’un bonheur singulier accompagnait dans toutes ses entreprises. Mais ce qui l’en éloignait le plus, c’était la honte qu’il y aurait à flétrir la gloire de ses premiers exploits, et de renverser lui-même ses trophées. Il prit donc la résolution magnanime d’éviter ce déshonneur par une mort digne de sa vie[114]. Il fit un sacrifice aux dieux, assembla ses amis ; et après leur avoir fait ses derniers adieux, il but, suivant l’opinion commune, du sang de taureau ; d’autres disent qu’il prit un poison très actif, et qu’il mourut à Magnésie, âgé de soixante-cinq ans, dont il avait passé la plus grande partie dans l’administration des affaires publiques et dans le commandement des armées. Le roi, ayant appris la cause et le genre de sa mort, l’en admira, dit-on, davantage, et traita toujours avec beaucoup de bonté sa famille et ses amis.

XXXII. Thémistocle laissa de sa première femme Archippe, fille de Lysandre, du bourg d’Alopèce, trois fils, Archeptolis, Polyeucte et Cléophante. Platon parle de ce dernier comme d’un écuyer habile. mais qui n’avait aucun autre mérite[115]. Il en avait eu deux autres fils : Néoclès, l’aîné de tous, qui était mort dans son enfance d’une morsure de cheval, et Dioclès, que Lysandre son aïeul avait adopté. Il eut de sa seconde femme plusieurs filles, Mnésiptolème, mariée à Archeptolis son frère, fils d’une autre mère ; Italie, qui épousa Panthéide de Chio ; Sybaris, qui eut pour mari un Athénien nommé Nicomède ; Nicomaché, qui, près la mort de son père, fut mariée dans Magnésie, par ses frères, à Phrasiclès, neveu de Thémistocle par son père. Celui-ci prit chez lui et fit élever la plus jeune de toutes les soeurs, qui s’appelait Asie.

Les Magnésiens élevèrent à Thémistocle un superbe tombeau dans leur place publique, où on le voit encore. On ne doit donc pas ajouter foi à ce que dit Andocide[116], dans un ouvrage adressé à ses amis, que les Athéniens dérobèrent ses cendres et les jetèrent au vent. C’est un mensonge qu’il a imaginé exprès, afin d’irriter les nobles contre le peuple. Philarque, dans son histoire[117], rapporte la chose en poète tragique : afin d’exciter la pitié, d’émouvoir vivement les coeurs, il forge une sorte d’intrigue théâtrale, et fait intervenir je ne sais quels Néoclès et Démopolis, qu’il dit fils de Thémistocle. Mais il n’est pas d’homme si ignorant qui ne sache que c’est une pure fable. Diodore le géographe, dans son Traité des tombeaux, dit, plutôt comme une conjecture que comme une chose certaine, que près du Pirée, vers le promontoire d’Alcimus[118], on voit une pointe de terre qui s’avance en forme de coude ; et qu’après l’avoir doublée, on trouve, dans un endroit où la mer est toujours calme, une base fort grande sur laquelle s’élève, en forme d’autel, le tombeau de Thémistocle[119]. Il s’autorise du témoignage de Platon le poète comique, qui dit :

Ton sépulcre est placé dans un lieu favorable,

D’où par les voyageurs il sera révéré ;

Et si près de nos ports un combat est livré,

Il verra des vaisseaux le conflit redoutable.

Les descendants de Thémistocle sont encore en possession à Magnésie de quelques honneurs particuliers ; et moi-même j’en ai vu jouir Thémistocle l’Athénien, avec qui je m’étais lié très étroitement chez le philosophe Ammonius[120].


[1] Ce mot signifie puits. Le bourg de Phréar, situé sur le rivage de la mer, près du Pirée, avait pris son nom d’un puits qu’une singularité remarquable rendait célèbre. Ceux qui avaient été bannis pour un meurtre involontaire, et qui, en partant pour leur exil, étaient accusés d’un nouveau crime, devaient se justifier de dessus un vaisseau, devant des juge assis sur le rivage, près de ce puits.
[2] II y a dans le texte nothus, bâtard, terme qui, chez les anciens, ne signifiait pas seulement celui qui était né hors de légitime mariage, mais celui qui était né de père on de mère étrangers, quoique mariés dans tontes les formes. Ceux-là n’étaient pas réputés de véritables citoyens, et il arrivait quelquefois qu’on les excluait des distributions faites aux citoyens légitimes. Nous en verrons un exemple dans la vie de Périclès.
[3] Cette épigramme est tirée de l’ouvrage du poète Amphicrates sur les hommes illustres, cité par Athénée, liv. XIII, c. v. Cornélius Népos, dans la vie de Thémistocle, dit que sa mère était d’Acarnanie en Epire. Phanias était de la ville d’Erèse ou Eresse.
[4] Athénée, dans l’endroit cité, attribue à Néanthès ce que Plutarque vient de dire de Phanias. Néanthès était de Cyzique, orateur et historien, disciple de Milésius, qui l’avait été d’Isocrate. Il avait fait l’histoire des Grecs, un traité des initiations, où il expliquait les usages de la superstition païenne. On cite aussi de lui un traité des livres, et un autre des hommes illustres. Il vivait sous Ptolémée Philadelphe. Voyez Vossius, De hist. gr., liv. I, c. xv.
[5] C’était un parc où il y avait, dit Pausanias, liv. I, c. XIX, des autels consacrés à Héraclès ; à Hébé, que ce demi-dieu épousa ; à Alcmène, et à lolaüs, le compagnon de la plupart des travaux d’Héraclès. Voici quelle est, selon Suidas, l’étymologie de ce mot, qui signifie chien blanc. Pendant qu’un Athénien, nommé Diomus, faisait un sacrifice près de son foyer, un chien blanc entra, et enleva la victime, qu’il alla déposer dans un certain endroit. Diomus, inquiet de cet événement, consulta l’oracle, qui lui ordonna de bâtir un temple dans le lieu même où le chien avait déposé la victime. Héraclès passait pour bâtard, dans le sens que nous avons expliqué note 2 c’est pourquoi ceux qui n’étaient pas de père et de mère athéniens s’exerçaient dans ce gymnase. On avait eu sans doute en vue, dans cette séparation, que les vrais citoyens ne fussent pas corrompus par les moeurs et le langage barbares de ceux qui étaient nés de père ou de mère étrangers.
[6] Les Lycomèdes étaient une famille d’Athènes qui avait l’intendance des cérémonies et des sacrifices qu’on faisait à Cérès et aux grandes déesses. Ils y chantaient l’hymne qu’on disait avoir été composé sur ce sujet par le poète Musée. M. Freret, regarde cet hymne comme supposé, ainsi que ceux qu’on a attribués à Orphée, à Pamplios et à Olen. Ceux qui couraient sous le nom de ces anciens poètes avaient été faits longtemps après eux, et la date en est postérieure à celle des poèmes d’Hésiode et d’Homère. Les Lycomèdes tiraient leur nom de Lycus, fils de Pandion. La chapelle dont Plutarque parle ensuite était celle où cette famille faisait ses initiations et célébrait ses mystères.
[7] Phlye, bourg de la tribu Cécropide, avait pris son non d’un certain Phlyus, que les Athéniens, suivant Pausanias, liv. IV, c. i, disaient fils de la Terre.
[8] Stésimbrote, de l’île de Thasos, était contemporain de Périclès. Il avait fait un ouvrage sur Homère ; un livre qui avait pour titre De Thémistocle, Thucydide et Périclès ; et un troisième, sur les initiations aux mystères.
[9] L’objection que Plutarque fait ici à Stésimbrote n’est pas assez développée. Il faut ajouter qu’Anaxagore naquit la première année de la soixante-dixième olympiade, que Thémistocle gagna la bataille de Salamine la première année de la soixante-quinzième olympiade, et que Mélissus défendit Samos la dernière année de la quatre-vingt-quatrième olympiade, qui est à peu près l’époque où ce philosophe commençait à fleurir. Thémistocle n’a donc pu étudier ni sous Anaxagore, qui n’avait que vingt ans lorsque ce général gagna la bataille de Salamine, ni sous Mélissus, qui ne fut guère connu que trente-six ans après le gain de cette bataille. Il est vrai que d’autres auteurs, au lieu de fixer la naissance d’Anaxagore à l’époque que nous venons de marquer, disent que c’est celle où il florissait déjà ; et si cette opinion était vraie, l’objection de Plutarque n’aurait plus aucune force.
Mélissus de Samos avait été disciple de Parménide. Il soutenait, suivant Diogène-Laërce, liv. IX, seg. 24, que l’univers était infini, immuable, immobile, toujours un, semblable à lui-même, et toujours rempli ; qu’il n’y avait point de mouvement réel, et qu’il n’était qu’apparent ; qu’il ne fallait point disputer sur les dieux, parce qu’on n’en avait pas de connaissance certaine. Son goût pour les questions abstraites de la philosophie ne l’occupait pas tout entier : nous verrons dans la vie de Périclès qu’il fit une étude particulière de la politique ; que sa capacité lui mérita la confiance des Samiens, qui lui donnèrent le commandement de leur flotte dans cette guèrre ou Périclès assiégea et prit Samos, la dernière année de la quatre-vingt-quatrième olympiade.
[10] On ne sait pas qui était ce Mnésiphile. Dans le traité contre Hérodote, Plutarque reproche cet historien de faire honneur à Mnésiphile du conseil que Thémistocle donna aux Grecs de combattre à Salamine. Il est étonnant qu’un homme si instruit dans la politique, et qui avait eu Thémistocle pour disciple, soit si peu connu.
[11] Les anciens donnaient ce nom aux philosophes qui prétendaient rendre raison de toutes les opérations de la nature par les seules qualités de la matière, abstraction faite de toute cause première et efficiente. Straton, disciple du Lycée, est regardé comme le chef de cette secte particulière.
[12] On a vu dans la vie de Solon, c. IV, que les philosophes de ce temps-là cultivaient surtout cette partie de la morale qui traite de la politique, et qu’ils ne durent la réputation de sagesse qu’à leur habileté dans cette science qui apprend à gouverner les hommes. Thalès fut le premier qui porta les spéculations philosophiques au-delà des choses communes. De Solon à Mnésiphile il y avait environ cent vingt ans. Cette science du gouvernement, qui seule était hororée alors du nom de science, avait été cultivée beaucoup plus tôt eu Orient, comme on le voit, disent les éditeurs d’Amyot, par le livres de David et de Salomon.
[13] Amyot dit, dans sa traduction, que ces nouveaux philosophes mélèrent la politique avec l’art de la plaidoirie ; mais, comme l’observe M. Dacier, les sophistes n’étaient pas des avocats, dont la profession n’a en soi rien que de noble et d’utile : c’étaient des déclamateurs qui ne se plaisaient que dans la dispute ; qui, moitié rhéteurs et moitié philosophes, s’exerçaient surtout dans le genre démonstratif, dont les sophistes, dit Cicéron, Orat. ad Brutum, ont fait leur domaine, parce qu’il est plus propre à la pompe qu’au combat ; qu’il est consacré aux gymnases, et banni du barreau, à cause du mépris qu’on a pour ce genre. Protagoras, qui florissait vers la quatre-vingt-quatrième olympiade, fut le premier à qui on donna le nom de sophiste, — Voyez ce que Platon dit de cette espèce d’hommes méprisables dans son Protagoras, et Diogène-Laërce, liv. IX, seg. 52.
[14] Voyez Thucydide, liv. I, c. CXXXVIII.
[15] Littéralement ses démagogues.
[16] Ariston, de l’île de Chio, fut disciple de Zénon le stoïcien, dont il n’adopta pas cependant toutes les opinions. On dit que dans sa vieillesse il se livra, contre les principes de sa secte, à l’amour des plaisirs. Ce fut alors sans doute qu’il composa une histoire amoureuse, où il avait recueilli une foule d’aventures qu’avait produites l’amour. (Voyez Diogène-Laërce, liv. VII, seg. 165.) Il est vrai que d’autres attribuent cet ouvrage à Ariston de Céos, philosophe péripatéticien ; il a été facile de les confondre.
[17] Il y a dans le texte que Thémistocle se frottait d’huile ; métaphore prise de l’exemple des athlètes, qui se préparaient ainsi aux combats du gymnase. Il ne doutait pas que le roi des Perses ne comprît enfin que le seul moyen de vaincre les Grecs, c’était de les attaquer avec de grandes forces par mer, qui était leur endroit faible. Il ne se trompa point dans sa conjecture, et personne n’avait prévu plus sûrement que lui ce qui devait arriver. Aussi Thucydide, liv. I, c. cxxxix, dit-il de lui qu’il était d’une très grande habileté à prévoir les choses futures.
[18] Laurium était une montagne de l’Attique, près du promontoire de Sunium. Il paraît que ces mines étaient épuisées du temps de Pausanias. — Voyez liv. I, c. i.
[19] Il fallait du courage pour faire cette proposition ; ce qui la rendait hasardeuse, c’est que le peuple d’Athènes était pauvre, et qu’il trouvait sa plus grande ressource dans les revenus de l’état. L’île d’Egine était en face du Pirée ; et c’est ce voisinage qui faisait dire à Périclès qu’elle était comme une tache sur l’oeil du Pirée. Pausanias, liv. II, c. xxix, dit aussi que la puissance des Eginètes était si considérable, qu’ils surpassaient en forces navales les Athéniens eux-mêmes, et que, dans la guerre contre les Perses, leur ville fut, après Athènes, celle de toute la Grèce qui fournit un plus grand nombre de vaisseaux.
[20] Plutarque suit ici Hérodote, qui dit seulement, liv. VII, c. CILIV, que Thémistocle persuada les Athéniens de construire deux cents vaisseaux pour soutenir la guerre contre les Eginètes. Mais Thucydide, liv. I, c. xiv, dit positivement que Thémistocle fit valoir deux raisons, l’une prise de la guerre contre les habitants d’Egine, et l’autre du retour du roi de Perse, qu’on craignait. Platon, liv. III Des lois, confirme le rapport de Thucydide, et marque expressément que tous les jours on recevait à Athènes des nouvelles des préparatifs immenses que Darius faisait contre la Grèce ; que, ce prince étant mort, on sut que son fils Xerxès avait hérité de ses projets de vengeance, et qu’il se préparait à venir les exécuter ; ce qui jetait les Athéniens dans une grande consternation. Il n’est pas vraisemblable en effet que, dans une circonstance si critique, Thémistocle n’ait pas présenté au peuple une raison si forte et si décisive.
[21] Le passage de Platon est dans le quatrième livre Des lois. Ce philosophe y dit que de bons soldats de terre, pesamment armés, et qui attendaient l’ennemi de pied ferme, Thémistocle en avait fait des matelots qui, à la moindre alarme, s’enfuyaient dans leurs vaisseaux et en descendaient de même sans croire faire rien de honteux, et n’osaient pas s’exposer à la mort en soutenant le choc des ennemis. Ainsi. Plutarque fait un mérite à Thémistocle de ce que Platon lui reproche comme une des causes de l’altération qu’éprouva l’esprit militaire des Athéniens. L’opposition de Miltiade, dont Plutarque parle tout de suite, n’était donc pas sans fondement : car, outre les inconvénients qu’il prévoyait, et que Platon a marqués, il remontrait le peu d’apparence qu’il y avait qu’un peuple tout neuf pour les combats de mer, et qui ne pouvait équiper que de petits vaisseaux, fût en état de résister aux deux armées si redoutables de terre et de mer qu’avaient les Perses. Plutarque ajoute qu’il n’examinera pas si dans la suite cette institution devint funeste à la république et en corrompit la simplicité ; mais qu’il résulte de la conduite que tint Xerxès après la défaite de ces vaisseaux que le conseil de Thémistocle fut, dans cette occasion, le salut d’Athènes et de la Grèce entière. Mais Platon n’en convient pas. Dans son dialogue Des lois, où il fait parler un Athénien, un Crétois et un Spartiate, le Crétois, pour louer cette action de Thémistocle, dit, liv. IV, que tous les peuples de Crète regardaient la victoire de Salamine comme l’unique cause du salut des Grecs. L’Athénien répond que beaucoup de Grecs et de Barbares pensaient de même ; mais que les Lacédémoniens et lui étaient persuadés que la bataille de Marathon avait commencé le salut de la Grèce, et que celle de Platées l’avait achevé, parce que l’une et l’autre avaient rendu les Grecs meilleurs ; mais que les bataille navales de Salamine et d’Artémise avaient fait tout le contraire ; que, lorsqu’il s’agit de politique, on doit regarder surtout à la nature du pays, et aux lois qui y sont établies. Car, ajoute-t-il, se tirer d’un danger présent, ce n’est pas ce qu’il y a de plus considérable : ce qui mérite toute l’attention d’un homme d’état, c’est de voir si les moyens qu’il choisit rendront les peuples aussi bons qu’ils puissent être pendant qu’ils subsisteront. Aristote, dans ses politiques, liv. VII, c. vii, examine si les forces maritimes sont utiles aux villes bien policées ; et il conclut pour l’affirmative, pourvu, dit-il, qu’on évite la corruption des moeurs, qui est la suite presque inévitable du commerce avec les étrangers ; et rien, ajoute ce philosophe, n’est plus contraire à une bonne administration. La preuve qu’on veut tirer, en faveur de Thémistocle, de la fuite précipitée de Xerxès après sa défaite à Salamine, est, ce semble, bien faible : on ne peut rien conclure de la frayeur d’un prince efféminé, qui n’aurait pas été plus rassuré si, après avoir été battu sur terre, il eût conservé toute sa flotte. Au reste, bien des gens auront de la peine à se persuader qu’il ne valût pas mieux conserver la ville en l’abandonnant, pour aller combattre sur mer, que de tout perdre en s’obstinant à y demeurer.
[22] Ces auteurs voulaient sans doute cacher sous des prétextes honnêtes l’amour sans bornes de Thémistocle pour l’argent. Hérodote, liv. VIII, c. cxii, dit que ce général en était avide, et qu’il ne cessait d’en amasser. Mais, d’un autre côté, comment accorder cette imputation d’avarice avec les largesses qu’il faisait toutes les fois qu’il s’agissait des intérêts de la république ? Il faut croire que cette avarice n’était pas proprement le désir d’entasser des richesses, mais un effet de son ambition, qui lui faisait prendre tous les moyens d’avoir de l’argent, afin de l’employer à gagner ceux qui pouvaient le servir dans ses desseins. Il était bien aise aussi d’en acquérir afin de satisfaire le goût qu’il avait pour la magnificence, et dont Plutarque va bientôt parler.
[23] Littéralement un second cheval de bois.
[24] Hermione était une ville maritime du Péloponnèse, dans le golfe de l’Argolide. Les joueurs de lyre jouissaient d’une grande considération, non seulement chez les Grecs, mais encore chez les Barbares : c’étaient des gens instruits, qui ne se bornaient pas à chanter et à jouer de la lyre ; ils se mêlaient aussi des affaires publiques, et étaient fort utiles aux hommes d’état, qui les consultaient. Nous voyons un exemple dans ce Thalétas que Lycurgue attira de Crète à Lacédémone.
[25] Phrynichus, poète tragique d’Athènes, fut contemporain d’Eschyle et disciple de Thespis. Thémistocle fit jouer sa pièce la quatrième année de la soixante-quinzième olympiade, trois ans après la victoire de Salamine. La tragédie commençait alors à sortir de son enfance, et à faire quelques pas vers la perfection ; en sorte que les Athéniens avaient un grand goût pour ce spectacle, et que les riches citoyens, dans les jeux qu’ils donnaient au peuple, faisaient jouer les nouvelles pièces avec toute la magnificence dont elles étaient susceptibles.
[26] Céos, île de la mer Egée. — Simonide avait fait des lamentations dans lesquelles il déplorait les malheurs arrivés à plusieurs personnes. Il avait décrit en vers les batailles de Marathon et de Salamine, et avait composé des élégies, des odes et des tragédies. Il jouit, pendant sa vie, d’une grande réputation, et elle se conserva après sa mort : car Platon, dans le premier livre de sa République lui donne l’épithète de divin. Il mourut la première année de la soixante-dix-huitième olympiade, âgé de près de quatre-vingt-dix ans. Plutarque place cette réponse à Simonide sous l’archontat de Thémistocle, qui, d’après cela, doit tomber à la troisième ou quatrième année de la soixante-onzième olympiade ; mais Corsini, dans ses Fastes attiques, tome I, p. 336, et tome III, p. 144, a très bien prouvé, d’après des passages de Thucydide et de plusieurs autres auteurs anciens, que Plutarque s’est trompé. Thémistocle aurait été trop jeune alors pour être revêtu de cette première charge de la république. D’ailleurs, on vient de voir que les Athéniens, à peu près à cette époque, trouvaient mauvais que Thémistocle voulût rivaliser avec Cimon en magnificence, tandis qu’il était à peine connu ; et c’est ce qu’on n’aurait pu dire d’un citoyen qui aurait exercé les fonctions d’archonte éponyme. Enfin Thucydide, liv. 1, c. xciii, dit que Thémistocle était archonte l’année où les murs du Pirée commencèrent à être relevés ; ce qui n’eut lieu qu’après la bataille de Salamine, que les Grecs gagnèrent la première année de la soixante-quinzième olympiade. Hérodote en fournit une nouvelle preuve dans le livre septième de son Histoire, c. cxliii, où il dit que Thémistocle venait d’être nouvellement élevé aux premières places lorsque Xerxès entra en Grèce. Il n’était donc pas premier archonte deux ans avant la bataille de Marathon.
[27] Hérodote, liv. VII, c. xxxii, dit formellement que Xerxès envoya des hérauts dans toutes les villes de la Grèce, Athènes et Lacédémone exceptées, pour demander la terre et l’eau. Il donne la raison de cette exception, c. cxxxiii, où il dit que Darius en avait envoyé précédemment à ces deux villes pour le même sujet ; mais que les Athéniens les avaient jetés dans le Barathre, fosse où l’on précipitait les criminels. C’était la formule ordinaire des rois de Perse, quand ils voulaient qu’un peuple se soumît à eux, de leur envoyer demander la terre et l’eau, c’est-à-dire une entière sujétion, désignée par le renoncement à la propriété de deux choses si nécessaires à la vie.
[28] Zèle était une ville de l’Asie mineure, entre la Cappadoce et le Pont-Euxin, différente d’une autre ville qui était dans la Troade, et qui s’appelait Zelée. (Strabon, liv. XII et liv. XIII.) Cet Arthmius n’était pas établi à Athènes, comme traduit M. Dacier, quoique le texte ne le dise pas. Démosthène, dans sa quatrième Philippique, après avoir rapporté le décret qui notait Arthmius d’infamie et le déclarait l’ennemi des Athéniens, lui et toute sa postérité, fait remarquer la dignité du peuple athénien, qui traita en ennemi public un Zélite, un esclave du roi de Perse. Eschine, dans son Oraison sur la couronne, dit aussi que peu s’en fallut qu’Arthmius de Zèle, qui était venu à Athènes, et avec lequel les Athéniens étaient unis par l’hospitalité, ne fût condamné à mort pour avoir porté eu Grèce l’or des Mèdes ; mais qu’ils se contentèrent de le bannir de la ville. L’hospitalité qu’Arthmius avait contractée avec les Athéniens suppose qu’il n’y demeurait pas habituellement, et qu’il n’y était venu qu’en passant. Enfin, la qualité d’esclave du roi, que lui donne Démosthène, montre, qu’il ne s’était pas transporté à Athènes pour y établir son domicile.
Ce Chiléus, dont il est parlé quelques lignes plus bas, était de Tégée en Arcadie. Ce fut lui qui, jouissant à Lacédémone d’un plus grand crédit que tous les autres étrangers, détermina les Spartiates à répondre favorablement aux ambassadeurs athéniens envoyés pour leur demander du secours contre Mardonius.
[29] M. Dacier a mis Artémise au lieu de Tempé, et il dit dans sa note que, dans ce premier voyage, Thémistocle n’alla pas à Artémise ; qu’il embarqua sur l’Euripe une armée de terre composée de dix mille hommes ; qu’il descendit au port de l’Achaïe ; et qu’avec la cavalerie des Thessaliens, qui le joignit, il campa entre le mont Olympe et le mont Ossa ; mais qu’ayant appris que Xerxès était entré dans la Thessalie par la Macédoine supérieure, il ramena son armée, et que les Thessaliens, abandonnés, se livrèrent aux Barbares. M. Dacier cite à ce sujet Hérodote ; et tel est, en effet, le récit de cet historien, liv. VII, c. CLXXIII. Je ne sais dans quelle édition M. Dacier a lu Artémise au lieu de Tempé ; dans celles que j’ai vues, il n’y a que ce dernier mot, et la suite du texte suppose que Plutarque avait écrit de même, puisqu’il dit que les Athéniens, voyant que la Thessalie s’était déclarée pour le roi, envoyèrent Thémistocle à Artémisium avec une flotte. D’ailleurs Plutarque pouvait-il dire que Thémistocle conduisit une armée à Artémisium pour défendre la Thessalie, tandis qu’il marque plus bas, d’une manière non équivoque, comme l’observe M. Dacier lui-même, la position d’Artémise ou Artémisium ?
[30] Il s’agit du détroit de l’Eubée, île de la mer Egée, qui était séparée de la Béotie par un bras de mer fort étroit nommé Euripe. Artémisium était un promontoire de cette île, laquelle s’appelle aujourd’hui Négrepont.
[31] Hérodote, qui, dans son huitième livre, c. I, a fait le dénombrement de tous les vaisseaux des Grecs, dit que les Athéniens en amenèrent d’abord cent vingt-sept ; et il ajoute, c. xiv, qu’il vint aux Grecs un renfort de cinquante-trois vaisseaux athéniens, ce qui faisait en tout cent quatre-vingts. La flotte entière se montait à deux cent soixante-onze navires, sans compter les vaisseaux à cinquante rames, qu’Hérodote porte à neuf. D’ailleurs les Athéniens en avaient prêté vingt aux Chalcidiens. Ainsi ils fournirent à eux seuls deux cents vaisseaux, tandis que le reste de la Grèce n’en donna que soixante-onze.
[32] Cette dispute, suivant Hérodote, liv. VIII, c. III, aurait entraîné la ruine totale de la Grèce, si les Athéniens, qui le prévoyaient, n’eussent cédé aux Lacédémoniens. Ils agirent sagement, ajoute cet historien : car, autant la guerre est plus fâcheuse que la paix, autant les divisions intestines sont plus dangereuses qu’une guerre qui se fait d’un commun accord. Je ne sais si Thémistocle comptait réellement sur la promesse qu’il faisait aux Athéniens, ou s’il ne parlait ainsi que pour les encourager. Ce qu’il y a de certain, c’est que, bien loin que dans la suite les Lacédémoniens leurs cédassent volontairement la première place, les Athéniens ne l’obtinrent, comme le dit encore Hérodote, qu’en prétextant l’arrogance de Pausanias, qui, par son faste, irrita les alliés. Il faut ajouter que la sagesse et l’équité d’Aristide ne contribuèrent pas peu à enlever le commandement aux Spartiates pour le faire passer aux Athéniens.
[33] Les Aphètes étaient un lieu situé sur le golfe de Magnésie, lequel prit son nom du départ des Argonautes, qui firent voile de cet endroit, suivant Strabon, liv. IX, pour aller à la conquête de la toison d’or. D’autres prétendent que ce nom vient de ce que les Argonautes abandonnèrent dans ce lieu Hercule, qu’on avait mis à terre pour aller chercher de l’eau. Comme ce fut là qu’ils se remirent en mer après avoir fait leur provision d’eau, ce lieu en prit le nom d’Aphètes, c’est-à-dire lieu d’où l’on part. C’est le sentiment d’Hérodote, liv. VII, c. CXCIII.
[34] Ces deux cents vaisseaux, dit Hérodote, liv. VIII, c. VII, devaient passer par derrière l’île de Sciathos dans l’Euripe, près du cap de Capharée, et aux environs de Géreste, de crainte qu’en doublant l’Eubée, ils ne fussent aperçus par l’ennemi qu’ils voulaient envelopper. Ce détachement, arrivé à ce poste, aurait fermé les derrières aux Grecs, tandis que le reste de la flotte les aurait attaqués de front. Sciathos est une île située vis-à-vis de la Magnésie, contrée de Thessalie, en face du mont Pélion et des Ipnes. Entre l’île de Sciathos et les côtes de la Magnésie, il y a un canal étroit qui n’est que la continuation de la mer Artémisium. On l’appelle aujourd’hui Sciatho, ou Sciatlii, ou Sciatha.
[35] Les Eubéens s’étaient d’abord adressés à Eurybiade, et l’avaient prié d’attendre quelque temps, jusqu’à ce qu’ils eussent mis en sûreté leurs enfants, leurs femmes et leurs esclaves. Mais Eurybiade, étonné de la multitude des trirèmes des Barbares, dont les unes venaient l’attaquer de face, et les autres tournaient l’Eubée, ne songeait qu’à abandonner le combat. Alors les Eubéens allèrent trouver Thémistocle, et, moyennant trente talents, environ cent cinquante mille livres, ils l’engagèrent à faire rester la flotte devant l’Eubée, et d’y livrer le combat. Thémistocle, pour retenir les Grecs, remit à Eurybiade cinq talents. Celui-ci gagné, il n’y avait plus qu’Adimante, commandant des Corinthiens, qui voulût mettre à la voile et partir sur-le-champ. Thémistocle lui parla, et accompagna son discours du don de trois talents qu’il envoya au vaisseau d’Adimante. Les généraux, ébranlés par ces présents, goûtèrent les raisons de Thémistocle et restèrent à leur poste. Ce récit d’Hérodote est un peu différent de celui de Plutarque, qui fait honneur à Thémistocle d’un désintéressement que ce général n’eut pas : car, ajoute Hérodote, Thémistocle lui-même gagna beaucoup en gardant secrètement le reste de l’argent.
La galère sacrée dont parle ensuite Plutarque était celle que les Athéniens envoyaient tous les ans à Délos pour faire des sacrifices à Apollon. On a vu dans la vie de Thésée, c. XXI, qu’on prétendait que c’était le même vaisseau sur lequel Thésée avait mené en Crète les quatorze jeunes enfants que les Athéniens payaient en tribut à Minos. Voyez Platon, au commencement de son Phédon.
[36] Histiée, ville maritime de l’Eubée. Olyson, ville de Thessalie. Plutarque fait allusion à un passage d’Homère, Iliad., liv. II, v. 717 et 718, où ce poète dit que Philoctète conduisait les peuples qui habitaient l’escarpée Olyson. Entre cette ville et la côte d’Artémisium, il y a tout le golfe Pélasgique et toute la Magnésie jusqu’à la côte de la mer de Macédoine. Le lieu où était le petit temple d’Artémis, dont parle ensuite Plutarque, s’appelait Drymus, à cause du bois dont il était entouré. Strabon, liv. X.
[37] Les Ioniens étaient une colonie d’Athènes qui s’était établie dans l’Asie Mineure. Au reste, Plutarque ne donne ici que le sens de ce que Thémistocle écrivit sur ces pierres. Hérodote, liv.VIII, c. XXII, le rapporte plus au long. Voici ce que portait cet avis : “Ioniens, vous faites une action injuste en portant les armes contre vos pères, et en tâchant de réduire la Grèce en esclavage. Prenez plutôt notre parti, ou, si vous ne le pouvez, du moins retirez-vous du combat, et engagez les Cariens à faire la même chose. Si ni l’un ni l’autre n’est possible, et que le joug de la nécessité vous retienne au service du roi, conduisez-vous du moins mollement dans l’action ; n’oubliez pas que nous sommes vos pères, et que vous êtes la cause primitive de la guerre, que nous avons aujourd’hui contre les Barbares.” Thémistocle, ajoute Hérodote, écrivit, à ce que je pense, ces choses dans une double vue : la première, que, si le roi n’en était pas instruit, elles engageassent les Ioniens à changer et à se déclarer pour eux ; la seconde, que, si Xerxès en était informé, et qu’on leur en fit un crime auprès de ce prince, cet avis les lui rendît suspects, et qu’il ne se servît plus d’eux dans les combats de mer.
[38] Les peuples de la Doride avaient embrassé le parti de Xerxès voilà pourquoi il entra dans la Grèce par leur pays, et brûla toutes les villes qui étaient sur les bords du Céphise. — Les Grecs dont Plutarque parle étaient les peuples de l’Achaïe et de tout le Péloponnèse. C’est pour cela qu’ils ne pensaient qu’à sauver cette partie de la Grèce, qui les intéressait davantage. Voyez Hérodote, liv. VIII, c. XL.
[39] C’est une métaphore empruntée du théâtre, où, dans les tragédies, quand des moyens humains ne suffisaient pas pour amener le dénouement, on avait recours à une machine, c’est-à-dire à quelque divinité. C’est ce qui a fait dire à Horace, dans son Art poétique :
Nec deus intersit, nisi dignus vindice nodus
Inciderit.
“Ne faites point intervenir un dieu pour le dénouement, à moins que le noeud ne mérite cette intervention.” L’orateur Aristide a employé cette même figure dans le même sujet.
[40] Ce dragon était dans le temple d’Athéna Poliade, c’est-à-dire protectrice de la citadelle, qui, comme on l’a dit ailleurs, s’appelait polis. Cet animal était, suivant Hérodote, liv. VIII, c. XLI, le gardien et le protecteur de la citadelle, où il était nourri. Hérodote, qui parle aussi des offrandes qu’on lui faisait, dit qu’on ne les lui présentait que tous les mois : c’étaient des gâteaux de miel.
[41] Dans Hérodote, ibid., c’est la prêtresse d’Athéna qui publie ces prodiges, et cela est plus vraisemblable ; il n’y avait guère que la prêtresse qui pût savoir ce qui se passait dans l’intérieur du temple. Elle le répandit alors parmi le peuple, sans doute par l’ordre de Thémistocle.
[42] Les Athéniens avaient eu de la Pythie une première réponse très effrayante, qui leur ordonnait d’abandonner la citadelle, et qui leur annonçait la ruine totale de leur ville. Ils y retournèrent une seconde fois, et en obtinrent une réponse moins dure : c’est l’oracle dont Plutarque parle, et qui était concu en ces termes : “En vain Palla semploie les prières et les raisons auprès de Zeus Olympien ; elle ne peut le fléchir. Cependant, Athéniens, je vous donnerai encore une réponse... irrévocable. Quand l’ennemi se sera emparé de tout ce que renferme le pays de Cécrops..., Zeus, qui voit tout, accorde à Pallas une muraille de bois, qui seule ne pourra être prise ni détruite, et vous y trouverez votre salut, vous et vos enfants. N’attendez donc pas tranquillement la cavalerie et l’infanterie de l’armée nombreuse qui viendra vous attaquer par terre ; prenez plutôt la fuite et lui tournez le dos : un jour viendra que vous lui tiendrez tête. Pour toi, ô divine Salamine ! tu perdras les enfants des femmes.” Hérodote, liv. VII, c. CXLI. Cet oracle avait été sûrement dicté par Thémistocle : il est trop conforme à l’avis qu’il avait proposé pour ne pas y reconnaître son influence sur la Pythie.
[43] Ce ne fut pas sans peine que l’avis de Thémistocle prévaut. Le sens de l’oracle, dit Hérodote, liv.VII, c. CXLI, fut discuté, et les sentiments se trouvèrent très partagés. Quelques Athéniens des plus âgés pensaient que le dieu déclarait par sa réponse que la citadelle ne serait point prise : car elle était anciennement fortifiée d’une palissade, qui, d’après leur conjecture, était la muraille de bois dont parlait l’oracle ; d’autres, au contraire, assuraient que le dieu désignait les vaisseaux, et que, sans délai, il fallait en équiper. Mais ces derniers mots de l’oracle : “Pour toi, ô divine Salamine ! tu perdras les enfants des femmes,” embarrassaient fort ceux qui disaient que les vaisseaux étaient le mur de bois : car les devins entendaient que, s’ils livraient un combat naval, ils seraient vaincus près de Salamine. C’est à ces dernières paroles de l’oracle que se rapporte l’explication de Thémistocle, qui est un peu obscure dans Plutarque, parce que cet historien n’a pas cité la réponse de la Pythie, et en particulier ces mots, ô divine Salamine ! qui faisaient conclure au général athénien que le dieu n’aurait pas donné à Salamine cette épithète honorable si le combat eût dû leur être funeste, et que ces enfants des femmes étaient les Perses, que l’oracle désignait par ces mots pour exprimer leur lâcheté. Au reste, les Athéniens, une fois persuadés, embrassèrent avec tant de chaleur le sentiment de Thémistocle, qu’ils lapidèrent Cyrsilus, l’auteur de l’avis contraire, et que leurs femmes, partageant leur animosité, lapidèrent aussi la femme de cet orateur : car, ajoute Démosthène, qui rapporte ce fait dans son Oraison pour la couronne, les Athéniens ne cherchaient pas un orateur ou un général qui les plongeât dans une heureuse et tranquille servitude ; ils dédaignaient même de vivre s’ils ne pouvaient conserver avec la vie la gloire et la liberté.
[44] Trézène, dans l’Argolide, à l’entrée du golfe Saronique. D’autres Athéniens envoyèrent leurs familles à Egine et à Salamine.
[45] Le soin des habitants de Trézène pour faire instruire les enfants des Athéniens mérite d’être remarqué, surtout dans le temps d’un si grand trouble. Il prouve l’importance que les Grecs attachaient à l’éducation.
[46] L’autorité d’Aristote parait ici préférable à celle de Clidémus, écrivain beaucoup moins connu, d’autant qu’Hérodote, qui a donné de grands détails sur tous ces événements, ne parle point de cette circonstance.
[47] Outre ces vieillards, que leur grand âge obligea de laisser, il y en eut plusieurs qui, par un motif de religion, ne voulurent pas quitter Athènes.
[48] La sépulture du chien.
[49] Hérodote ne reproche point à Eurybiade un défaut de courage ; et les Spartiates, qui ne flattaient pas leurs citoyens, lui décernèrent le prix de la valeur, en donnant à Thémistocle celui de la prudence et de la sagesse. Ils le nommèrent deux fois au commandement de la flotte, quoiqu’il ne fût pas de la famille royale ; et le second témoignage de leur confiance prouve qu’il l’avait méritée la première fois qu’il avait commandé.
[50] Suivant Hérodote, liv. VIII, c. LIX, ce ne fut pas Eurybiade qui dit cela à Thémistocle, mais Adimante, général des Corinthiens, Oui lui fit, peu de temps après, une seconde réponse plus dure encore. (Ibid., c. LXI.) Ces mots, ceux qui restent derrière les autres, signifient ceux qui sont vaincus à la course. C’était l’expression propre dans les jeux de la course. De là elle s’est prise métaphoriquement pour signifier ceux qui sont vaincus, qui ont du dessous, qui perdent leur cause, comme on le voit par un passage de l’Ajax de Sophocle, vers 1244.
[51] Littéralement quelques-uns des Grecs.
[52] Il veut leur faire entendre que les Athéniens, avec leurs vaisseaux, seraient en état d’aller faire ailleurs des conquêtes et des établissements. Dans Hérodote, Thémistocle dit à Eurybiade que les Athéniens, s’ils étaient abandonnés, se transporteraient avec leurs femmes, leurs enfants et leurs esclaves, à Siris en Italie, qui leur appartenait depuis longtemps, et dont, suivant les oracles, ils devaient être les fondateurs. — Ibid., c. LXII.
[53] Le grec nomme ces poissons theutides ; et Amyot a traduit ce mot par casserons. C’est, disent ses éditeurs, la petite espèce de poisson volant que les Romains appelaient loligo. Ce poisson jette une liqueur noire. Plusieurs auteurs le confondent avec la sèche, quoique Aristote les distingue. C’est faute d’avoir bien observé la structure des parties intérieures de ces poissons que les anciens ont cru qu’ils n’avaient point de coeur. On le trouve dans le ventre de l’animal ; il est de forme triangulaire, n’a qu’un ventricule et deux oreillettes.
[54] On prit l’apparition de cet oiseau pour un signe de la protéction d’Athéna, parce que la chouette lui était consacrée, et qu’elle était le symbole particulier d’Athènes ; on la voit sur presque toutes les médailles de cette ville.
[55] Plutarque s’est mépris en supposant que Sicinus était Perse de nation. Y a-t-il aucune vraisemblance que Thémistocle eût confié à un Barbare l’éducation de ses enfants ? Notre historien, suivant la conjecture de M. Dacier, aura pu être induit en erreur par un passage d’Hérodote, qui dit, liv. VIII, c. LXXV, que Thémistocle dépêcha dans une barque, à la flotte des Mèdes, un exprès avec des instructions sur ce qu’il devait dire. Il aura transporté ces mots, des Mèdes, et, les rapportant à Sicinus, il aura entendu que Thémistocle envoya à la flotte un homme des Mèdes. Le poète Eschyle, qui était à cette bataille, dit, dans sa tragédie des Perses, v. 35 : en parlant de Sicinus : “Un Grec étant venu de l’armée des Athéeniens, dit à Xerxès, etc.” Hérodote, qui le nomme Sicinnus, dit qu’il adressa son discours non pas seulement à Xerxès, mais à tous les chefs des Perses. Il me semble plus naturel que cet exprès eût en ordre de ne parler qu’au roi seul, plutôt qu’à tous les généraux. Il paraît que Thémistocle voulait que cette commission fût secrète ; et il était difficile de l’espérer en s’adressant à un si grand nombre de personnes.
[56] “Pour se faire une idée claire de la disposition de la flotte des Perses, il faut se mettre au fait du local et s’instruire de leurs desseins. Salamine était une île entre l’Attique et la Mégaride. Du côté de l’Attique était un détroit, et à l’entrée de ce détroit était la petite île de Psyttalie ; du côté de la Mégaride était un autre détroit. Du côté d’Eleusis, c’est-à-dire entre Eleusis et Salamine, la mer avait assez de largeur. Ce fut dans cet espace, suffisamment large pour que les Grecs pussent faire leurs manoeuvres, mais trop étroit pour une flotte aussi considérable que celle des Perses, que les Grecs résolurent de livrer bataille, afin de rendre inutile la plus grande partie de la flotte des Barbares. Ceux-ci, qui ne se doutaient pas des desseins des Grecs, crurent avoir trouvé l’occasion la plus favorable pour terminer d’un seul coup la guerre, en prenant, comme dans un filet, toutes les forces maritimes de la Grèce. Prévenus de cette idée, ils s’emparèrent de l’île de Psyttalie, et firent avancer leur aile droite, qui regardait l’occident vers Salamine et du côté d’Eleusis, afin de boucher le passage aux Grecs ; et pour les envelopper et leur fermer le passage du côté du Pirée, ils firent avancer l’aile gauche, qui était à l’est autour de l’île de Céos et du promontoire de Cynosure ; ils firent, dis-je, avancer cette aile, et occupèrent tout le détroit jusqu’à Munychie. L’île de Céos est à l’extrémité de l’Attique, vis-à-vis le promontoire de Sounion. Cynosure est un autre promontoire de l’Attique, qui regarde une des extrémités de l’Eubée. Par cette disposition, les Grecs étaient enveloppés de toutes parts. La flotte des Perses, qui était extrêmement nombreuse, et qui avait dû nécessairement passer devant Cynosure, occupait par ses derniers vaisseaux ce promontoire jusqu’au port de Phalère. Par ce moyen, toutes les côtes de l’Attique étaient au pouvoir des Perses, tandis que leur armée de terre se disposait à entrer dans ce pays. Ce plan était très bien imaginé, et les Athéniens ne pouvaient éviter le joug ; mais une chose le dérangea. Xerxès apprit que tous les Athéniens s’étaient réfugiés sur leurs vaisseaux entre l’île de Salamine et le territoire d’Eleusis, et qu’ils avaient mis leurs femmes et leurs enfants en lieu de sûreté ; cette nouvelle, qui le força à changer de plan, ne lui parut pas moins agréable, parce qu’il se flatta qu’il se rendrait maître de la flotte des Grecs. C’est alors qu’il fit les dispositions dont j’ai fait mention au commencement de cette note”. Larcher, Hérodote, tome 5, p. 455 et suivantes.
[57] Il semblerait par le récit de Plutarque qu’Aristide était alors sur la flotte des Grecs ; mais Hérodote le fait partir d’Egine pour venir donner cet avis à Thémistocle. En effet, il s’était retiré dans cette île depuis qu’il avait été banni d’Athènes par l’ostracisme. Voyez liv. VIII, c. LXXIX. Je profite de cette occasion pour donner des éclaircissements sur cette espèce de ban, dont il est si souvent question dans l’histoire grecque, et à laquelle ont été soumis presque tous les grands hommes d’Athènes. Ostracisme est un mot grec, qui vient d’ostracon, têt de pot de terre ou écaille. C’était une peine en usage à Athènes, par laquelle on exilait ordinairement pour dix ans (pour cinq ans seulement selon Diodore de Sicile, liv. XI, c. LV) ceux qu’on croyait trop puissants, et dont on craignait le crédit et les richesses. L’ostracisme fut imaginé, suivant ce dernier historien, ibid., par les Athéniens après qu’ils eurent secoué le joug des Pisistratides : ils se défaisaient ainsi de ceux qu’ils croyaient capables de détruire le gouvernement populaire. Pour ces sortes de jugements, on fermait la place publique de planches ; on y laissait dix portes : le peuple entrait par tribus, et chacun mettait dans l’urne son ostracon, sur lequel était écrit son suffrage. S’il se trouvait six mille voix contre l’accusé, il fallait que dans dix jours il sortit de la ville : sans ce nombre de voix, il n’était pas condamné. L’ostracisme était en usage non seulement chez les Athéniens, mais encore chez les Argiens, les Milésiens, les Mégariens, etc. Cet exil différait du bannissement en trois choses : il était pour un temps, on en assignait le lieu, et l’on ne saisissait point le bien de l’exilé ; le bannissement était au contraire perpétuel, on n’en fixait pas le lieu, et le peuple confisquait le bien du banni. L’ostracisme était un exil honorable, qui, bien loin d’imprimer quelque tache, faisait connaître le mérite de l’exilé. On y procédait à la pluralité des voix et par autorité, sans un mûr examen, sans un jugement en forme ; il suffisait, pour être ostracisé, qu’on portât ombrage aux jaloux, aux calomniateurs. Le bannissement était une peine imposée par des juges, après un mûr examen, aux coupables de quelque crime qui ne méritait pas la mort ; il imprimait une tache d’infamie qui ne s’effaçait jamais, pas même par la fin du bannissement ; et lorsqu’il était perpétuel, il équivalait à la mort civile. — Note de M. Bellanger dans l’Hérodote de M. Larcher, tome V, page 458 et 459.
[58] La plupart des îles avaient été forcées d’embrasser le parti des Perses. Ce Panétius, fils de Sosimènes, repassa du côté des Grecs avec le vaisseau qu’il commandait. En mémoire de cette action, on grava sur le trépied qui fut consacré à Delphes le nom des Téniens parmi ceux qui avaient eu part à la défaite de Xerxès. Ce vaisseau ténien, qui passa du côté des Grecs à Salamine, compléta, avec celui de Lemnos, qui était venu les joindre auparavant à Artémisium, le nombre de la flotte grecque, et la porta à trois cent quatre-vingts vaisseaux. (Hérodote, liv. VIII, c. LXXXII.) Plutarque dit une galère ténédienne ; mais il vaut mieux s’en rapporter à Hérodote, plus voisin des temps dont il écrivait l’histoire, et qui avait fait, pour s’assurer de la vérité, toutes les recherches possibles. Ténédos était une île située vis-à-vis de la Troade, hors de l’Hellespont, avec une ville du même nom. Ténos, dans la mer Egée, était, selon les uns, au nombre des Cyclades, et une des Sporades, selon les autres.
[59] Phanodème, historien fort ancien, qui avait écrit une Histoire de l’Attique. — Acestodore avait fait une Histoire grecque. Il ne faut pas le confondre avec Acestorides, auteur d’un traité des choses fabuleuses des villes. Voyez Vossius, De hist, gr., liv. III c. I.
[60] Strabon, liv. IX, dit que ce sont deux montagnes sur la côte vis-à-vis de Salamine, qui séparent Mégare de l’Attique, et qu’on appelle Cornes. Suivant Hérodote, liv. VIII, c. XC, Xerxès était assis au pied du mont Egalée, vis-à-vis de Salamine, d’où il considérait tout. Cette différence entre les historiens n’est qu’apparente. On combattit à Salamine, qui, au rapport de Pausanias, liv. I, c. XXXV, s’étendait jusqu’à la Mégaride : ainsi le mont Egalée était sur les confins de l’Attique et de la Mégaride.
[61] Ce siège n’était pas d’or, mais d’argent. il fut consacré dans le temple d’Athéna, avec le cimeterre d’or de Mardonius, qui fut pris ensuite à la bataille de Platées. Démosthène, qui l’avait vu mille fois, l’appelle siège à pieds d’argent. — Voyez Ulpian, sur la troisième Olynthienne, dans Démosthène ; et Harpocration, in voce Arguropous.
[62] Une flamme pure et vive était toujours un signe favorable : on le voit dans l’Enéide pour Ascagne, et dans Tite-Live pour Servius Tullius. L’éternuement était pris aussi pour un bon augure, et cette superstition est bien ancienne. Il y en a un exemple remarquable dans Homère, livre dix-septième de l’Odyssée, v. 545, et sans aucune distinction du côté droit ou du côté gauche. Cette distinction s’établit dans la suite ; les éternuements à droite furent pris seuls pour des signes heureux. Eustathe, sur cet endroit d’Homère, dit que l’éternuement était un signe favorable pour les anciens, parce qu’ils avaient du respect pour la tête, d’où il est produit ; que c’est pour cela qu’on salue celui qui a éternué, ; et que les sages, entre autres Aristote, en donnent la raison. En effet ce philosophe, dans son Histoire des animaux, liv. I, c. XI, dit que l’éternuement, étant comme l’émission de tout notre souffle, est un signe augural, et la seule de toutes les espèces de respirations qui soit sainte et sacrée.
[63] Ce surnom de Dionysos veut dire cruel, et je ne l’ai trouvé nulle autre part attribué à ce dieu. Il n’y a même dans l’histoire rien qui indique que les Athéniens lui aient immolé des hommes. Il était plutôt honoré à Athènes comme un dieu bienfaisant, à qui l’on donnait même le nom de Meilichius, doux comme le miel. Pausanias, liv. IX, c. VIII, rapporte qu’un jour des jeunes gens de Béotie, qui faisaient un sacrifice à Dionysos près du fleuve Asopos, burent tant de vin, que, dans la chaleur de l’ivresse, ils tuèrent le prêtre de ce dieu. Le pays, en punition de ce meurtre, fut frappé d’une peste cruelle. L’oracle de Delphes, consulté, ordonna de sacrifier à Dionysos un jeune garçon. Mais, peu d’années après, le dieu lui-même, abhorrant une telle victime, substitua une chèvre au jeune homme qu’on devait immoler, et, en reconnaissance, les habitants du lieu y bâtirent un temple sous le nom de Dionysos Aigobolos, “qui envoie une chèvre”. Le seul usage auquel pourrait convenir l’épithète de cruel serait celui qui se pratiquait à Aleva, ville d’Arcadie, où l’on frappait de verges les femmes près de l’autel de Dionysos, comme à Sparte on fouettait les enfants sur l’autel d’Artémis. On trouve cependant, dans quelques îles, de ces sacrifices humains faits à Dionysos ; et cela vient sans doute, suivant l’observation de M. Dacier, de ce que les insulaires ont toujours été plus cruels que les peuples de la terre ferme. Au reste, Hérodote ne dit rien du sacrifice de ces trois jeunes Perses.
[64] Vers 341. Il était à cette bataille.
[65] Décélée, bourg de l’Attique, de la tribu Hippothoontide. Hérodote, liv. VIII, c. XCIII, dit qu’il était de Pallène, bourg de la tribu Antiochide ; et Diodore de Sicile, liv. XI, c. XXVII, le fait frère du poète Eschyle. Pédiée était une petite ville de l’Attique. Hérodote nomme le frère de Xerxès Ariabignès ; mais il ne donne au cun détail sur la manière dont il mourut. Il dit seulement, ibid., c. LXXXIX, qu’il était général de l’armée navale, et qu’il périt à cette bataille, ainsi qu’un grand nombre de personnes de distinction, tant Perses que Mèdes et autres alliés. Il l’appelle ailleurs Artobazanes liv. VII, C. II.
[66] Artémise, fille de Lygdamis, était originaire d’Halicarnasse du côté de son père, et de Crète par sa mère. Elle commandait ceux d’Halicarnasse, de Cos, de Nysiros et de Calydnes ; ces quatre villes formaient son royaume. Elle vint trouver Xerxès avec cinq vaisseaux les mieux équipés de toute la flotte, du moins après ceux des Sidoniens ; et, parmi les alliés, personne ne donna au roi de meilleurs conseils. Elle se distingua à la bataille de Salamine par son courage et sa présence d’esprit. Vivement poursuivie par un vaisseau athénien, et voyant qu’elle ne pouvait lui échapper, elle prit sur-le-champ le parti de couler à fond un vaisseau perse, afin de faire croire aux ennemis que son vaisseau était grec, ou qu’ayant passé du côté des alliés, il combattait pour eux. Ce stratagème lui réussit ; et, par bonheur pour elle, il ne se sauva personne du vaisseau coulé à fond qui pût l’accuser. Si elle eût été reconnue, elle aurait été infailliblement prise, car on avait promis une récompense de dix mille drachmes à celui qui la ferait prisonnière, tant les Athéniens étaient indignés qu’une femme fût venue en armes contre eux. (Voyez Hérodote, liv. VII, c. XCIX, et liv. VIII, c. XXIII.) Polyen, Stratagem., liv. VIII, c. LIII, rapporte qu’Artémise avait fait ôter de son vaisseau le pavillon perse ; circonstance omise par Hérodote, et qui donne plus de vraisemblance au récit de cet historien. Au reste, il ne faut pas confondre cette Artémise avec une autre reine de Carie du même nom, femme de Mausole, et postérieure de plus de quatre-vingt-dix ans à cette bataille.
[67] Hérodote, c. LXV, ne parle point de cette grande flamme ; mais il rapporte aussi la circonstance de ces voix confuses qu’on entendit. Il est vrai qu’il la place quelques jours avant la bataille, pendant que l’armée de terre de Xerxès ravageait l’Attique. Ce mystique Iacchos était le même que Dionysos. Le vingt du mois Boédromion, comme on le verra dans la vie de Camille, on portait du Céramique à Eleusis une figure d’lacchos couronnée de myrte, tenant à la main un flambeau. Pendant la marche, on chantait en l’honneur du dieu un hymne qui s’appelait aussi Iacchos, et dans lequel on répétait souvent ce mot. C’était l’hymne que Dicéus, suivant Hérodote, ibid., disait avoir entendu. (Note de M. Larcher sur cet endroit d’Hérodote.) — Thriasie était située entre Eleusis et Athènes.
[68] Hérodote, ibid., c. LXIV, dit que les Grecs se préparèrent à combattre dès qu’Eurybiade en eut pris la résolution. Le jour ayant paru, il y eut, au lever du soleil, un tremblement de terre qu’on ressentit aussi sur la mer. Là-dessus, on fut d’avis d’adresser des prières aux dieux, et d’appeler les Eacides au secours de la Grèce. On fit donc des prières à tous les dieux. De Salamine même, où l’on était alors, on invoqua Ajax et Télamon, et l’on envoya un vaisseau à Egine pour en faire venir Eaque avec le reste des Eacides. La confiance qu’un avait en Eaque venait de la grande piété qu’avait eue ce prince, comme on l’a vu dans la vie de Thésée, c. IX, et du secours que les Grecs avaient trouvé en lui dans une horrible sécheresse qui affligeait la Grèce — Pausanias, liv. II, c. XXIX.
[69] C’étaient les ornements et les figures qu’on mettait ordinairement à la proue des vaisseaux, et qui servaient à les distinguer. Daphnéphore signifie porte-laurier.
[70] Hérodote, liv. VIII, c. XCVII, dit que Xerxès, craignant que les Grecs ne songent à faire voile vers l’Hellespont pour rompre le pont de bateaux, pensa à prendre la fuite ; mais que, pour leur donner le change, il essaya de joindre Salamine an continent par une digue, et se disposa à la guerre, comme s’il eut eu dessein de donner un autre combat naval.
[71] Xerxès était encore à Sardes lorsqu’il fit construire un pont sur le détroit, afin de passer d’Asie en Europe. Les Phéniciens qu’il avait chargés de ce travail attachaient des vaisseaux avec des cordages de lin ; et les Egyptiens qui y travaillaient aussi se servaient, pour le même effet, de cordages d’écorce de byblos. Le trajet de mer était de sept stades, environ un tiers de lieue. Le pont fut à peine achevé, qu’il s’éleva une affreuse tempête qui rompit les cordages et brisa tout. Ce fut alors que Xerxès se porta à cette extravagance si connue et si digne d’un prince orgueilleux, corrompu par la flatterie. Il commanda qu’on donnât trois cents coups de fouet à l’Hellespont, et y fit jeter une paire de ceps. On peut voir dans Hérodote, liv. VII, c. XXXIII-XXXVI, le discours insensé qu’il donna ordre qu’on lui tint, et la manière plus solide dont on construisit de nouveaux ponts qui résistèrent aux efforts des vagues. Selon ce même historien, liv. VIII, c. CVIII, ce n’est pas Aristide, mais Eurybiade, qui fait cette réponse à Thémistocle ; et, en effet, il est plus vraisemblable que ce général se soit adressé à Eurybiade, qui commandait la flotte, et dont il ne pouvait se dispenser de prendre l’avis.
[72] Suivant Hérodote,ibid., c. CX, ce fut encore l’esclave Sicinnus que Thémistocle fit partir avec quelques autres personnes de confiance, incapables de révéler ce qu’il leur avait ordonné de dire au roi, quand même on les aurait mis à la torture. M. Dacier trouve le récit de Plutarque plus vraisemblable que celui d’Hérodote ; mais M. Larcher, dans sa note sur cet endroit d’Hérodote, préfère celui de ce dernier historien, par la raison que Thémistocle était trop prudent pour envoyer Arnacès, qui, en homme intelligent, aurait pu juger de l’intention des Grecs à leur manoeuvre, et avertir Xerxès de n’être point la dupe des belles protestations du général athénien. Dans Hérodote, le discours de Sicinnus est un peu différent. Il dit à Xerxès que Thémistocle, général des Athéniens, le plus brave et le plus sage de tous les alliés, l’a envoyé pour dire au roi que, par zèle pour son service, il avait retenu les Grecs qui voulaient poursuivre la flotte des Perses et rompre les ponts ; qu’il pouvait donc se retirer tranquillement.
[73] Plutarque, dans cette phrase, dont le sens n’est pas développé, veut dire que, si les Grecs, qui à la bataille de Platées n’avaient à combattre que la moindre partie de l’armée de Xerxès, se virent cependant près de leur ruine, à plus forte raison auraient-ils eu tout à craindre s’ils lui avaient donné le temps de réunir toutes ses forces, et qu’après le combat de Salamine ils n’eussent pas trouvé le moyen de le chasser d’Europe. Le danger où Mardonius mit la Grèce à la bataille de Platées fut donc une preuve sensible de la prudence de Thémistocle, et du service important qu’il avait rendu à la Grèce entière.
[74] C’était sur l’autel de Poséidon, selon Hérodote, liv. VIII, c. CXXIII, que les capitaines prenaient chacun un billet pour déclarer celui qu’ils croyaient digne du premier prix, et celui qui méritait le second. Les généraux, en se donnant à eux-mêmes le premier, n’eurent qu’un suffrage chacun, et Thémistocle eut la très grande pluralité pour le second prix : c’était réellement lui adjuger le premier. Hérodote ajoute, c. CXXIII, que, quoique l’envie eût empêché les Grecs de porter un jugement, et que chacun, en retournant dans sa patrie, eût laissé la chose indécise, Thémistocle n’en fut pas moins célèbre, et ne passa pas moins dans toute la Grèce pour le plus prudent, des Grecs.
[75] Dans Hérodote, c’est Thémistocle qui, voyant que ceux avec qui il avait combattu à Salamine ne lui avaient pas rendu les honneurs qu’il méritait par sa victoire, se rendit à Lacédémone aussitôt après le départ des alliés ; pour y recevoir les marques de distinction qui lui étaient dues. Hérodote dit encore que ces trois cents jeunes gens étaient de ceux qu’on appelle les chevaliers ; et que, de tous les hommes qu’il sache, Thémistocle est le seul que les Spartiates aient ainsi reconduit. Il fut escorté jusqu’aux frontières de Tégée. Diodore de Sicile, liv. XI, c. CXXVII, dit que les Spartiates ne le traitèrent d’une manière si honorable que parce qu’ils craignaient sans doute que ce grand général, indigné du peu d’égards qu’on avait pour lui, ne tramât quelque chose contre eux et contre les Grecs.
[76] Sériphos était une petite île d’entre les Cyclades, pleine de rochers, ou qui même, selon Tacite, Annal., liv. IV, c. XXI, n’était qu’un rocher où les Romains reléguaient ordinairement les criminels.
[77] Plutarque n’a pas rapporté un bon mot de Thémistocle que Cicéron nous a conservé dans son traité de la fin des biens et des maux, liv. Il, c. XXXII. Comme Simonide promettait à Thémistocle de lui enseigner l’art de la mémoire : “Apprenez-moi plutôt, lui répondit ce général, l’art de l’oubli : car je me souviens même de ce que je ne veux pas, et je ne saurais oublier ce que je veux.”
[78] Thucydide raconte fort au long cette particularité, liv. I, c. XC. Il dit que le prétexte spécieux dont se servaient les Spartiates pour s’opposer à ce que les Athéniens relèvent les murailles de leur ville, c’était d’empêcher que les Barbares, s’ils revenaient un jour dans la Grèce, n’eussent un lieu fortifié pour s’en servir contre les Grecs ; mais dans le fond ils craignaient la puissance des Athéniens ; et vraisemblablement, sans les otages qu’ils avaient à Athènes, ils n’auraient pas laissé partir Thémistocle si librement.
[79] Nous avons déjà examiné plus haut si Thémistocle avait fait le bien de sa patrie. En tournant les forces des Athéniens du côté de la mer, et nous y renvoyons le lecteur.
[80] Plutarque fait allusion à un passage d’Aristophane, dans sa comédie des Chevaliers, acte II, scène III, où ce poète dit : “En faisant faire bonne chère à la ville, il la mêla et la confondit avec le Pirée.” Aristophane semble louer Thémistocle, mais il fait réellement une satire contre lui en l’opposant à Cléon. Plutarque veut donc le défendre contre cette censure d’Aristophane, en disant que Thémistocle ne confondit pas la ville avec le Pirée, c’est-à-dire qu’il ne fit pas de toute la ville un port où régnât la licence ; mais qu’il attacha la ville au Pirée, en mettant la ville en état d’être secourue par le Pirée, et le Pirée par la ville. Sur ce que Plutarque ajoute tout de suite que Thémistocle fortifia le parti du peuple contre les nobles, voyez ce qui a été dit dans le Parallèle de Solon et de Valérius Publicola, après la vie de celui-ci.
[81] Voyez la Vie de Thésée, c. XXVI.
[82] Il paraît que le changement du tribunal n’empêcha pas ce local d’être dangereux : car le peuple, qui était fort doux et fort paisible chez lui, n’était pas plus tôt monté sur cette roche du Pnyx qu’il devenait intraitable ; et c’est pour cela sans doute qu’on cessa d’y tenir les assemblées. Les trente tyrans furent établis à Athènes par Lysandre, après qu’il se fut rendu maître de cette ville.
[83] Pagases, ville maritime de la Magnésie, dans le golfe Pélasgique. C’était autrefois le port de la ville de Phères, dont elle était éloignée de quatre-vingt-dix stades. Voy. Strabon, liv. IX. Les Argonautes, selon Properce, liv. 1, éleg. xx, v. 17, s’embarquèrent dans ce port pour aller à la conquête de la toison d’or. Cicéron, liv. II des Offices, c. XI, dit que la flotte des Grecs passa l’hiver dans un port de la Laconie, appelé Gythéum.
[84] Un si beau trait de justice n’a pas besoin d’être relevé. Il fait bien plus d’honneur au peuple athénien qu’à Aristide. On trouve aisément un seul homme juste ; mais un peuple entier qui sacrifie un grand intérêt à ce qu’il croit honnête, combien cela est rare !
[85] Le texte dit, les pylagores, députés aux portes, parce que ces députés s’assemblaient aux Thermopyles, passage fort serré qui qui ressemblait à une porte, pulé en grec, et près duquel il y avait des bains d’eau chaude, thermos, chaud.
[86] Andros, une des Cyclades, entre l’Eubée et Naxos. Pausanias, liv. X, c. XIII, dit qu’elle fut ainsi nommée par Andréos, un des généraux que Rhadamanthe établit dans cette île, qui s’était donnée à lui. Voyez dans Hérodote, liv. VIII, c. CXI, la demande de Thémistocle et la réponse de ceux d’Andros, qui y sont rapportées un peu plus au long. — Timocréon, dont il est parlé plus bas, était un poète de la vieille comédie.
[87] Une des plus grandes injures chez les Grecs, c’était de dire à quelqu’un qu’il était haï de Léto.
[88] Ialysos, ou Ialissos, était une ville de l’île de Rhodes, qui tirait, dit-on, son nom de Ialysos. Protogène, un des plus fameux peintres de la Grèce, avait fait pour cette ville le portrait d’un chasseur de ce nom, avec son chien : il était parfaitement beau, et Démétrios l’épargna lorsqu’il se rendit maître de Rhodes.
[89] De bon conseil.
[90] Pausanias, liv. 1, c. XVIII, parle d’une statue de Thémistocle qui était auprès du Prytanée, et dont on avait changé l’inscription pour y mettre le nom d’un Thrace ; mais il ne dit rien de ce temple d’Artémis Aristobule, ou de bon conseil, qui apparemment ne subsistait plus de son temps. Je ne sais si la statue était la même que celle que Plutarque avait vue. Le quartier de Mélite était dans la tribu Cécropide, suivant Etienne de Byzance, et dans la tribu Enéide, selon Suidas.
[91] Il était fils de Cléombrotos, et roi de Sparte. Il avait gagné la célèbre bataille de Platées contre Mardonios.
[92] Son projet était de livrer la Grèce à Xerxès, qui l’en aurait déclaré roi, après lui avoir donné sa fille en mariage. Voyez Thucydide, liv. 1, c. CXXVIII.
[93] Pausanias ayant su que les éphores allaient venir pour le prendre, se réfugia dans le temple d’Athéna. Comme les Lacédémoniens craignaient de violer la sainteté du lieu en y faisant mourir ce général, sa mère apporta la première une pierre sur le seuil de la porte, et se retira sans rien dire. Enhardis par son exemple, les citoyens achevèrent de murer la porte, et Pausanias y mourut de faim. On ne voulait pas d’abord lui donner la sépulture ; cependant on finit par l’ensevelir dans un lieu voisin. Thucydide, ibid., c. CXXXIV, et Diodore de Sicile, liv. XI, c. XIV.
[94] Thucydide, liv. I, c. XXX, dit qu’elle était seulement une colonie de Corinthe. Le scoliaste de cet historien, sur le chapitre CXXXVI, parle d’un service beaucoup plus important que Thémistocle avait rendu aux Corcyréens. Après la défaite de Xerxès, les Grecs voulaient aller assiéger Corcyre (aujourd’hui Corfou) dans la mer Ionienne ou Adriatique, pour punir cette ville de ce qu’elle n’était pas entrée dans la ligue contre les Barbares ; Thémistocle l’empêcha, en représentant que, si on allait ravager toutes les villes qui n’avaient pas pris le parti des Grecs, on ferait plus de mal à la Grèce que les Perses ne lui en avaient fait. Mais la crainte eut sur les Corcyréens plus de pouvoir que la reconnaissance ; ils lui refusèrent un asyle, en alléguant qu’ils s’attireraient la haine des Spartiates et des Athéniens, et le reconduisirent au continent opposé, sur les rivages de l’Epire.
[95] Cependant on voit cette manière de supplier pratiquée dans Homère. Ulysse, en abordant chez le roi des Phéniciens, Alcinoos, dans l’île de Corcyre, s’assied sur la cendre de son foyer. Odyssée, liv. VII, CLIII. clan. Voyez Thucydide, liv. I, c. CXXXVI.
[96] Pydna, ville de la Macédoine, sur le golfe Thermaïque. L’autre mer dont parle Plutarque est la mer Egée, ou l’Archipel. Thucydide donne plus de détails ; suivant lui, Thémistocle dit au pilote que, pour éviter le danger d’être découvert, il fallait ne laisser sortir personne du vaisseau, jusqu’à ce que la navigation fut devenue favorable. Il lui promit en même temps de reconnaître un jour ce service. Le pilote se laissa persuader, et tint, un jour et une nuit son vaisseau à l’ancre au-dessus du camp des Athéniens.
[97] Les cent talents faisaient environ cinq cent mille livres de notre monnaie, les quatre-vingts valaient quatre cent mille livres, et les trois, quinze mille livres.
[98] Eges, une des villes des Eoliens, sur la côte asiatique de la mer Egée. Il y eut plusieurs villes de ce nom, selon Etienne de Byzance.
[99] C’est-à-dire : “Ecoute la voix et le conseil de la nuit, et tu réussiras.”
[100] Plutarque ne rapporte pas l’interprétation que Thémistocle, avait donnée à ce songe. M. Dacier, d’après ce que dit Synésius, qu’il est honteux à un homme qui a vingt ans passés de ne savoir pas interpréter les songes, a entrepris de l’expliquer. Le dragon entortillé autour de Thémistocle était Nicogène lui-même, qui avait gardé Thémistocle chez lui, comme le dragon d’Athéna gardait la citadelle d’Athènes. Ce dragon ne l’eut pas plus tôt touché au visage, c’est-à-dire n’eut pas plus tôt fait amitié avec lui, et Thémistocle ne lui eut pas plus tôt confié tout son secret, que ce dragon se changea en un aigle, ce qui signifie que, sans perdre un moment, il le mena en Perse au pied du trône du grand roi, désigné par ce caducée d’or sur lequel il s’assit, et où ses craintes se dissipèrent.
[101] On appelait la cour du roi de Perse la Porte, comme aujourd’hui on donne ce nom à la cour du grand-seigneur.
[102] Charon, historien antérieur à Hérodote, avait écrit l’histoire des Perses. Lampsaque, ville célèbre de l’Hellespont, située sur la mer. On l’appelait anciennement Pithyuse ; son territoire était fertile en vignes, et on y en cultive encore sur les collines qui l’environnent.
[103] Ephore, de Cumes, en Elide, avait écrit l’histoire de la Grèce ; on lui donne le premier rang parmi les historiens, après Hérodote et Thucydide. Dinon, père de Clitarque, avait composé une histoire de Perse ; il vivait du temps d’Alexandre. Héraclide est sans doute celui de Pont, auteur d’un grand nombre d’ouvrages.
[104] C’était, selon Dodwel, dans ses Annales de Thucydide, la première année de la soixante-dix-huitième olympiade, quatre cent soixante-six ans avant notre ère, et la première année du règne d’Artaxerxe. Corsini paraît adopter son sentiment. Ceux qui prétendent qu’il y arriva du vivant de Xerxès avancent son voyage de sept ans. Diodore de Sicile, liv. XI, c. LVI, suit cette tradition. Mais la première opinion, qui est celle de Thucydide, liv. I, c. CXXXVI, est le plus conforme à la chronologie, et Plutarque la suit toujours.
[105] Il était fils de cet Artabane, capitaine des gardes, qui venait de tuer Xerxès, et qui avait conseillé à Artaxerxe de faire mourir Darius, son frère aîné.
[106] C’est le célèbre Eratosthène de Cyrène, que le roi Ptolémée Evergète avait appelé en Egypte pour le mettre à la tête de la fameuse bibliothèque d’Alexandrie. Il fut un des plus savants hommes de son temps ; ce qui le fit appeler un second Platon.
[107] On sait que les Perses reconnaissaient deux principes contraires, l’un auteur du bien, et l’autre cause du mal. Le premier s’appelait Ormuzd ou Oromase, et le second Arimane. C’est ce dernier qu’Artaxerxe prie d’envoyer à ses ennemis des pensées qui leur soient funestes. Strabon, liv. XI, parle de deux génies adorés par les Perses, et qui se nommaient Amanus et Anandratus.
[108] Thémistocle prend bientôt les formes et les manières orientales ; il parle par figures et par images comme les peuples de ces contrées. Il veut dire que, ne sachant pas la langue du pays, il ne pouvait pas développer et rendre sensibles ses pensées, qui, par là, restaient roulées dans son esprit, comme les figures d’une tapisserie qui n’est pas déployée demeurent cachées. Voyez Thucydide, ibid., c. CXXXVIII.
[109] C’était la plus grande faveur que les rois de Perse pussent faire à ceux qu’ils voulaient honorer. L’histoire de Mardochée en est une preuve ; et comme elle était alors toute récente, l’Assuérus de l’Ecriture étant, à ce qu’on croit, le même que Xerxès, père d’Artaxerxe, il est possible que ce soit cet exemple qui ait déterminé Démarate à demander pour lui-même un pareil honneur.
[110] Les anciens rois d’Orient avaient coutume de donner, au lieu de pensions, des villes et des provinces qui devaient fournir à l’entretien de ceux qui en étaient gratifiés. Toute l’Egyte fut donnée à une reine pour ses habits. Les tributs même que les rois exigeaient des villes et des provinces avaient chacun leur destination particulière. Une telle province payait tant pour le vin, une autre tant pour la viande. Dans le premier Alcibiade de Platon, tome II, on voit que la plupart des provinces étaient destinées à fournir la garde-robe de la reine : l’une était pour sa ceinture, et l’autre pour son voile ; et chacune de ces provinces portait le nom de la parure qu’elle fournissait. Artaxerxe donna à Thémistocle Magnésie pour son pain, car elle était dans le terroir de l’Asie le plus fertile en froment, sur le fleuve Méandre, éloignée d’Ephèse de quinze mille pas. Thucydide, liv. I, c. CXXXVIII, dit que Thémistocle en tirait de revenu cinquante talents, deux cent cinquante mille livres ; que Lampsaque était pour le vin, et Myunte pour la viande, qu’on y trouvait en abondance ; elle était dans la Carie, près du Méandre, et à trente stades (une lieue et demie) de l’embouchure de ce fleuve.
[111] Néanthès vivait du temps d’Attalus, roi de Pergame ; il avait composé plusieurs ouvrages historiques. Voyez Vossius, De hist. gr., liv. I, c. xv. Percote, ville de l’Hellespont, située entre Abydos et Lampsaque. Palescepsis, ville de la Troade, près de l’Asopos.
[112] C’est-à-dire Tête de Lion. Je n’ai trouvé cette ville ni dans Strabon, ni dans Etienne de Byzance, ni dans Pline. Ces mots qui suivent, mais avant d’y arriver, ne sont pas dans le texte ; je les ai suppléés, à l’exemple de M. Dacier, pour faire la liaison du discours.
[113] Ce surnom de Cybèle lui venait de la montagne de Dindyme, près de Pessinonte, dans la Galatie.
[114] Thucydide, liv. I, c. CXXXVIII, et Diodore de Sicile, liv. XI, C. LVII, ne l’assurent pas. Le premier, qui était contemporain de Thémistocle, dit seulement qu’il mourut de maladie, et que d’autres prétendent qu’il s’empoisonna lui-même. Cicéron, dans son Brutus, c. XI, dit qu’on a voulu embellir la fin de sa vie, et la rendre tragique, en supposant qu’il s’était donné la mort. Cela porterait à croire qu’il était mort naturellement ; et que l’histoire de son poison ne fut qu’un bruit vague et incertain fondé sur l’à-propos de sa mort, qui vint le tirer de l’embarras où il se trouvait. Plutarque a préféré cette conjecture, qui, outre qu’elle donnait plus d’éclat à la fin de Thémistocle, favorisait encore son sentiment sur le suicide, qu’il regardait comme un trait de courage et de vertu. Nous avons eu plus d’une fois occasion de remarquer combien cette opinion était fausse et contraire aux principes de Socrate, que Plutarque se faisait une gloire de suivre sur tant d’autres points.
[115] Voyez le Ménon de Platon, où ce philosophe dit que Thémistocle avait montré à son fils à se tenir debout sur un cheval, et à tirer de l’arc dans cette attitude ; mais que Cléophante n’avait pas aussi bien profité des leçons de prudence et de sagesse que son père n’avait pas manqué de lui donner.
[116] Je ne sais si cet Andocidès est le même que l’orateur athénien. Fabricius ne cite pas d’autre écrivain de ce nom dans sa Bibliothèque des auteurs grecs.
[117] Philarque vivait sous Ptolémée Evergète, et avait écrit en vingt-huit livres une Histoire de la Grèce qui commençait à l’expédition de Pyrrhus dans le Péloponnèse, et finissait à la mort de ce Ptolémée. — Voyez Vossius, De hist. gr., liv. I, c. XVII, et Fabricius, Bibl. gr.
[118] On a observé qu’il n’y avait pas dans l’Attique de lieu qui s’appelât Alcimus, et qu’il fallait lire Alimus, nom d’un bourg de la tribu Léontide, près du Pirée, où il y avait un temple fameux de Cérès législatrice. C’était le lieu de la naissance de Thucydide. (Voy. Pausanias, liv. 1, c. XXXI, et Etienne de Byzance.) Fabricius, Bibl. gr., croit que ce Diodore, déjà cité dans la vie de Thésée, c. XXXVII, était auteur d’un traité sur les poids, dont parle Suidas, et peut-être d’un autre sur les bourgs de l’Attique, cité par Harpocration.
[119] Thucydide, liv. I, c. CXXXVIII, dit que les os de Thémistocle furent enlevés de Magnésie par ses parents, comme il l’avait ordonné, et enterrés secrètement dans l’Attique : car il n’était pas, permis d’enterrer publiquement un homme accusé d’avoir trahi sa patrie, et cette haine des Athéniens dura sans doute pendant quelque temps. Mais Pausanias favorise extrêmement le rapport de Diodore le géographe, lorsqu’il écrit que les Athéniens se repentirent de ce qu’ils avaient fait contre Thémistoccle ; que ses os furent transportés de Magnésie à Athènes par ses parents ; que ses enfants retournèrent dans leur patrie ; qu’ils consacrèrent dans le Parthénon un tableau où cette histoire était représentée, et où l’on voyait Thémistocle peint au naturel ; que son tombeau était encore, de son temps, près du grand port de Pirée (Voyez liv. I, c. I.) — Ce Platon, dont il est question tout de suite, était un poète de la vieille comédie, qui avait pu voir Thémistocle.
[120] C’était ce philosophe d’Alexandrie qui avait été un des maîtres de Plutarque.