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Palaiphatos

Histoires incroyables

Traduction Ugo Bratelli (2002)

XXVIII. Bellérophon

On raconte qu'un cheval ailé, nommé Pégase, transportait Bellérophon. Il ne me semble pas qu'un cheval puisse voler, quand bien même prendrait-il les ailes de tous les volatiles. De plus, si tel animal autrefois existait, il devrait exister aussi de nos jours.

On ajoute que Bellérophon tua la Chimère d'Amisodaros ; c'était la Chimère

Lion devant, serpent derrière et chèvre en son milieu(1).

Certains croient qu'une telle créature a pu exister, avec trois têtes et un seul corps.

Mais il est impossible qu'un serpent, un lion et une chèvre mangent la même nourriture. Stupide de penser qu'une créature mortelle puisse cracher du feu. Et à laquelle des trois têtes le corps obéirait-il ? La vérité est celle-ci.

D'origine corinthienne, Bellérophon était un exilé, noble et courageux. Ayant équipé une nef rapide, il mettait à sac les villages côtiers, et les dévastait. Son navire s'appelait Pégase ; aujourd'hui aussi chaque bateau porte un nom ; (il me semble que le nom de Pégase convient mieux à un navire qu'à un cheval.)

Le roi Amisodaros habitait sur une haute montagne, non loin du fleuve Xanthos, au pied de laquelle s'étend la forêt de Telmissa. Deux routes conduisent vers la montagne : l'une se trouve devant la cité des Xanthiens, l'autre derrière, par la Carie. Le reste n'est que hauts escarpements. Au milieu, d'un vaste ravin de la terre jaillissent des flammes. Cette montagne s'appelle Chimère.

Il y avait en ce temps-là, ainsi que le racontent les habitants des lieux voisins, un lion qui vivait près de l'accès principal, et un serpent non loin de l'autre. Tous deux dévoraient les bûcherons et les bergers. Arrivé dans la montagne, Bellérophon y mit le feu, et la forêt de Telmissa brûla ; les deux bêtes féroces périrent. Les gens des parages disaient alors  : "Bellérophon, arrivé avec Pégase, a détruit la Chimère d'Amisodaros."

Voilà l'événement qui a donné naissance à la légende.


1. Homère, Iliade, (VI, 181), traduction Frédéric Mugler