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Palaiphatos

Histoires incroyables

Traduction Ugo Bratelli (2002)

I. Les Centaures

On dit des Centaures que c'étaient des bêtes qui avaient tout du cheval, à l'exception de la tête et de la partie antérieure du corps, qui étaient celles d'un humain.

Si quelqu'un croit qu'il a pu exister une bête de ce genre, il croit à l'impossible. De fait, la nature du cheval et celle de l'homme ne s'accordent pas sur d'autres points ; leur type d'alimentation n'est pas non plus le même ; la nourriture du cheval ne pourrait pas passer dans la bouche de l'homme, ni à travers sa gorge. Et puis, si une telle créature avait autrefois existé, elle existerait aussi aujourd'hui. La vérité est la suivante.

A l'époque où Ixion était roi de Thessalie, un troupeau de taureaux devint sauvage sur le mont Pélion, qui rendait inaccessible également les autres montagnes. En effet, les taureaux descendaient vers les villages ; ils dévoraient les plantes et les fruits, et détruisaient le bétail. Ixion fit alors proclamer que si quelqu'un tuait les taureaux, il le gratifierait de nombreuses richesses. Quelques jeunes gens, qui habitaient au pied de la montagne, en un village appelé Nuée, eurent l'idée d'accoutumer leurs chevaux à la présence d'un cavalier (car autrefois les hommes ne savaient pas monter à cheval, ils utilisaient uniquement les chars).

Ainsi, à cheval, ils se dirigeaient vers l'endroit où les taureaux étaient assemblés ; ils s'élançaient parmi le troupeau, et frappaient les bêtes de leurs flèches. Et quand les taureaux les poursuivaient, les jeunes fuyaient, car les chevaux couraient plus vite que les taureaux ; et quand ces derniers s'arrêtaient, revenant en arrière, ils décochaient leurs flèches sur eux ; c'est ainsi qu'ils les tuèrent.

D'où leur nom de Centaures, car ils perçaient les taureaux avec des flèches(1). Rien à voir avec l'aspect du taureau ; les Centaures n'ont vraiment aucun rapport avec la forme des taureaux, mais bien avec celle du cheval et de l'homme. Ils prirent le nom de ce qu'ils avaient fait.

Les Centaures reçurent d'Ixion les richesses promises comme récompense. Enorgueillis par leur exploit et par l'argent, ils devinrent arrogants et perpétrèrent de multiples crimes, et spécialement contre Ixion lui-même, qui habitait la cité qui se nomme aujourd'hui Larissa. Les habitants de ce pays s'appelaient alors les Lapithes. Invités par ces derniers à festoyer, et s'étant enivrés, les Centaures enlevèrent leurs femmes ; ils les mirent sur leurs chevaux et se réfugièrent dans leur territoire.

Surgissant de là, ils leur faisaient la guerre ; à la nuit tombée, ils descendaient dans la vallée, et tendaient leurs embuscades ; à l'aube, après avoir tout saccagé et incendié, ils revenaient dans les montagnes.

Qui les voyait procéder ainsi, de loin et de dos, n'apercevait que l'échine du cheval, sans la tête, et le reste de l'homme, sans les jambes. A ce spectacle singulier on disait  : "Les Centaures de Nuée nous attaquent."

De cette image et de ce récit a été formé le mythe, dans ce qu'il a d'incroyable, à savoir que d'une nuée fut engendré, sur une montagne, un homme-cheval.


1. L'auteur joue sur la ressemblance des deux mots grecs  : "centaures" et "percer".